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Dossier

Légitimité sociétale de l’organisation et stratégie d’influence du dirigeant

Violaine Appel
p. 68-78

Résumés

Si ces dernières années, le positionnement des organisations par rapport à la société se caractérise par la prise en compte croissante de problèmes dépassant le seul cadre économique, leur crédibilité et leur légitimité semblent également se jouer dans leur capacité à se définir socialement et à situer leur champ d’action économique et commercial dans le cadre et dans le respect de l’intérêt général et d’une certaine éthique. Parce que cette recherche de crédibilité au sein d’un espace sociétal s’effectue, au moins partiellement, par le truchement de dispositifs communicationnels internes et externes, il nous a semblé pertinent de nous interroger ici sur la place, le rôle et les enjeux de la stratégie d’influence du dirigeant dans ce processus. Notre réflexion qui s’inscrit dans la continuité de travaux précédents s’intéressera plus spécifiquement à la démarche de Jean-Marie Messier et à ses conséquences actuelles.

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Texte intégral

1Depuis les années 70, de nouvelles logiques, de nouveaux comportements et une nouvelle philosophie ont émergé au niveau des entreprises françaises : on est passé d’une crise identitaire à un positionnement social. Si, ces dernières années, ce positionnement se caractérise par la prise en compte croissante de problèmes dépassant le seul cadre économique, la crédibilité et la légitimité des entreprises semblent également se jouer dans leur capacité à se définir socialement et à situer leur champ d’action économique dans le cadre et dans le respect de l’intérêt général et d’une certaine éthique.

2Parce que cette recherche de crédibilité au sein d’un espace sociétal s’effectue, au moins partiellement, par le truchement de dispositifs communicationnels internes et externes, il nous a semblé pertinent de nous interroger sur la place, le rôle et les enjeux de la stratégie d’influence du dirigeant dans ce processus. Car, si les rapports de domination dans l’entreprise ont peu évolué, ce sont bien les modalités de management et d’exercice du pouvoir patronal qui se sont transformées. En effet, les organisations cherchent, d’une part, à sensibiliser leurs publics internes et externes aux objectifs et enjeux qui sont les leurs et, d’autre part, à ajuster les comportements de chacun à un fonctionnement collectif satisfaisant pour tous. De plus en plus, ces mutations permettent aux structures d’intervenir publiquement et d’agir politiquement au sein de la société civile et de ne plus pouvoir envisager leur survie sans recourir à une médiatisation de leur projet.

3Pour mieux comprendre cette « nouvelle » logique, nous avons choisi de travailler à partir du cas de Jean-Marie Messier dont nous pensons que la trajectoire, le discours et la « boulimie médiatique » sont emblématiques de ces transformations.

D’une sphère d’influence à l’autre

4Diplômé de Polytechnique et de l’ENA, JM Messier occupe, dès 1982, un poste d’inspecteur des finances. Rapidement, il devient directeur de cabinet de C. Cabana, ministre délégué auprès du ministre de l’Economie et des Finances et, en quête du véritable pouvoir, rejoint le cabinet d’E. Balladur. Agé d’à peine trente ans, il tutoie une parcelle du pouvoir recherché. Sa formation et son passage au gouvernement en font désormais un membre de l’élite dirigeante.

  • 1  Coenen-Huther Jacques, « Sociologie des élites ». Paris : Armand Colin, Cursus, mars 2004, p 52-53
  • 2  Mills Charles Wright, « L’élite du pouvoir », trad. f., Paris : Maspero, 1969, p 8.
  • 3  Ibid. p 23.
  • 4  Ibid. p 19.

5C. W. Mills1 précise que « cette élite du pouvoir est composée d’individus occupant des postes stratégiques dans les organisations essentielles de la société »2 et qu’il s’agit de « ces cercles politiques, économiques et militaires qui, dans un ensemble complexe de coteries entrecroisées, partagent les décisions d’importance au moins nationale »3. « Cet entrecroisement est rendu possible par une incontestable homogénéité psychosociale. Les individus en position dirigeante ont la même origine sociale et le même niveau d’éducation. La fréquentation des mêmes établissements d’enseignement suscite des expériences socialisatrices semblables »4.

  • 5  Lemaître Frédéric, « Messier la guigne », in : Le Monde, 2 juillet 2002.

6F.Mitterrand réélu, JM Messier a l’occasion de s’orienter vers le secteur privé et d’intégrer la banque Lazard. A ce poste, il cultive ses réseaux, ce qui lui permet de rejoindre, en 1994, le quatrième groupe français : la Compagnie Générale des Eaux (CGE). G. Dejouany, préparant sa succession, souhaite faire évoluer l’organisation vers une préparation plus collective des décisions. Ces évolutions appelaient l’arrivée « d’un homme jeune et parachuté qui ne soit pas un industriel mais un généraliste. Messier avait toutes les qualités requises »5. Ses contacts avec les collectivités locales en font un interlocuteur de poids des milieux politiques. JM Messier est donc nommé Directeur Général de la CGE. Dès 1996 il en devient le PDG. Fin stratège, il n’accepte ce poste qu’après avoir obtenu l’accord des principaux candidats à l’élection présidentielle de 1995.

  • 6  Coenen-Huther Jacques, Opus. Cit., p 18-19.

7JM Messier est donc passé en douceur d’une élite du pouvoir à une élite économique. A l’instar de J. Coenen-Huther nous comprendrons le terme « élites » « comme la conséquence d’un état de diversification de la société, impliquant l’existence d’élites spécialisées, ayant atteint l’excellence ou la prééminence dans des domaines particuliers »6.

  • 7  Bourdieu Pierre, « Raisons pratiques. Sur la théorie de l’action ». Paris, seuil, coll : Points/Es (...)
  • 8  Coenen-Huther Jacques, Opus. Cit., p 22.

8Ces élites contribuent à un certain équilibre social obtenu grâce à un esprit de concurrence permanent entre celles-ci. Or, « cette compétition des champs »7, au sens de Bourdieu, peut être source d’évolution. En effet « à la suite de l’évolution interne d’un champ, l’élite spécialisée de ce secteur d’activité particulier ne retire plus les mêmes gratifications qu’auparavant de sa position prééminente dans le champ. Dans ce cas, la tentation peut être forte de jouer les transfuges et de s’assurer une position plus gratifiante dans un autre champ »8. Ainsi, ce passage d’un secteur à un autre permet à la fois d’occuper des fonctions dirigeantes mais également d’établir et de maintenir des liens étroits entre ces domaines favorisant ainsi une certaine connivence et l’émergence d’intérêts communs.

9Dès son arrivée à la CGE, JM Messier adhère au club 40, groupe de réflexion composé de dirigeants qui souhaitent peser dans le débat public. Il y puisera certains de ses futurs collaborateurs. Par ailleurs, il recrutera d’anciens membres de cabinet d’obédiences politiques diverses.

10Ces interférences participent d’un double mouvement : la stratégie d’influence personnelle de l’homme permet de légitimer son positionnement tant au sein de la sphère politique que de la sphère économique. Cette approche combinée par le jeu des réseaux nous permet d’appréhender une convergence intéressante entre la position occupée par l’homme, sa notoriété et sa capacité d’influence. Par ricochet, cette légitimation rejaillit sur celle de l’entreprise qu’il dirige.

Une identité de groupe sous influence éthique

  • 9 Appel Violaine, « Le dépassement de l’objectif économique par la « valeur sociale » - Analyse des r (...)
  • 10  Le Monde, « Entreprise citoyenne », in : Dossiers Initiatives, mercredi 17 mai 1995, pp 1-4.

11Dès 1995 JM Messier annonce la création de la Fondation Générale des Eaux (FGE) : « elle est l’outil par lequel la CGE, très enracinée dans la vie locale et proche des préoccupations de notre société, entend lutter contre le chômage et l’exclusion en contribuant au maintien et au retour d’activités dans les zones en difficulté ».9 A l’époque, le patronat français s’était donné pour mission de « créer et mettre en œuvre tout dispositif permettant d’introduire la notion de citoyenneté dans l’entreprise, la faire adopter par les chefs d’entreprise et l’imposer aux pouvoirs publics et à l’opinion. Il est nécessaire de convaincre la communauté patronale que l’entreprise ne peut pas être productive si son environnement ne l’est pas »10.

  • 11  Gremillet Muriel, « La Fondation Vivendi menacée par Fourtou », in : Libération, mardi 26 novembre (...)

12La création de la FGE permet à JM Messier de valoriser à la fois son image et celle de son groupe. « A l’époque, ces thématiques sont encore à des lieues des préoccupations des entreprises et servent de cache-sexe social à des PDG dont le niveau de profit est de manière générale le seul objectif »11. En effet, les fondations d’entreprise permettent aux dirigeants de ces sociétés d’intervenir, une main sur le cœur, pour défendre leurs intérêts.

Alors réel engagement ou poudre aux yeux ?

  • 12  Appel Violaine, Opus. Cit., p 148.

13Messier a fait le choix d’une démarche citoyenne impliquant à la fois l’interne et l’externe, chaque projet faisant l’objet d’un partenariat avec des réseaux associatifs et sociaux ainsi que d’un parrainage par les salariés de la CGE. Un précédent travail12 nous avait déjà permis d’appréhender cette dynamique : la FGE utilise son réseau de partenaires à la fois comme un moyen de gérer ses actions et comme un moyen de mettre en évidence son engagement dans le tissu local. Or les acteurs extérieurs peuvent gêner le bon fonctionnement de l’entreprise ou nuire à son image. L’entreprise doit donc compter avec eux et instaurer de nouveaux modes de relation, gages de la confiance qui lui sera accordée et donc de sa réussite économique. En interne, la FGE cherche à faire des salariés des agents efficaces du développement économique et social de l’entreprise. Elle leur fait confiance en les plaçant en situation de responsabilité. Son discours est construit comme une opération de communication interne destinée à obtenir l’adhésion des salariés aux valeurs et aux objectifs de l’entreprise, par le biais d’une codification de leurs comportements et par leur appartenance à la communauté que serait devenue l’entreprise. A l’époque, on voit apparaître le recours à l’éthique comme une nouvelle valeur morale qui sous-tend alors une conception de l’homme au travail fondée sur la « logique du dévouement ».

  • 13  Ibid. p 153.
  • 14  Gremillet Muriel, Opus Cit., p 26.

14A travers la FGE et les discours qui l’accompagnent, Messier a réussi à répondre aux exigences économiques et à légitimer son entreprise comme acteur sociétal incontournable et comme nouveau lieu de fédération interne. Or, cette forme de légitimation contribue à nier la capacité, voire la légitimité, de l’Etat à intervenir : « les directions affichent de nouvelles ambitions, celles de pouvoir établir de nouveaux rapports entre elles et la société, en dénonçant le dirigisme de l’Etat, son incapacité à régler les problèmes ou en le présentant comme un élément perturbateur de la bonne marche des entreprises. Ainsi, le pouvoir serait transféré à l’entreprise qui disposerait d’un rôle et d’une légitimité radicalement nouveaux »13. En 1997, l’arrivée des socialistes au pouvoir donne un nouvel élan à la fondation : « la création des emplois jeunes, l’attention à l’économie sociale, l’encouragement des créations d’emploi dans les nouveaux services collent aux desseins de JM Messier. Son ami Eric Besson, alors délégué général de la fondation, lui permet de faire le lien avec le ministère du travail. Et même le monde associatif, en dépit de ses préventions envers une institution créée par une grande entreprise, apprend à compter sur les équipes de Vivendi »14.

15Messier a fait de la FGE la première pierre d’un édifice qu’il pensait inébranlable. Fort de sa légitimité et de celle de son entreprise, il n’a de cesse de vouloir les faire fructifier. Ses objectifs : transformer son groupe en un acteur mondial et continuer cette légitimation par des interventions médiatiques personnelles au sein de la société civile, dépassant le cadre strictement économique.

  • 15  Appel Violaine, Boulanger Hélène, « Internationalisation et représentations du dirigeant : une pro (...)

16Un travail récent15 nous a notamment permis de montrer que l’impact sur les cibles de l’organisation par le biais des médias était le résultat d’une politique de communication validée par le PDG, politique trouvant probablement une partie de sa légitimité dans le fait que cette entreprise soit caractérisée par l’éclatement de son actionnariat. Les dérives pouvant être occasionnées par ce mode de gouvernement, caractérisé par la séparation entre la propriété et le pouvoir décisionnel, sont nombreuses, tant il laisse au dirigeant une grande latitude pour poursuivre des objectifs qui ne sont pas forcément compatibles avec ceux de l’entreprise. La CGE, devenue Vivendi, s’impose comme un grand groupe pluri-médias. Par voie de conséquence, son PDG est de plus en plus médiatique, jusqu’à devenir l’emblème de son entreprise.

  • 16  Ibid. p 671.

17D’une identification en interne, on s’est dirigé vers une projection à l’externe, pour aboutir à la personnification de l’entreprise en son dirigeant. « Messier symbolise le manager promu par un système français de reproduction élitiste, issu des écoles politico-administratives. Il offre ainsi une certaine garantie morale dans l’univers capitalistique »16.

18Le symbole d’un capitalisme exubérant, Vivendi, est savamment masqué par la « caution » de son dirigeant et le discours éthique justifiant les défis à relever et les choix stratégiques qui en découlent. Ainsi, sur le site internet de la Fondation en 2001, le groupe affiche sa volonté d’être présent non seulement dans tous les loisirs de ses clients, mais d’être plus généralement un élément incontournable de leur vie. JM Messier affirmait ainsi que « ses services ont l’ambition de contribuer à l’agrément de votre vie, de participer à votre réussite professionnelle, de vous aider à gérer votre vie privée et à communiquer avec vos amis ou encore d’améliorer les performances de votre entreprise ». Suite aux attentats du 11 septembre 2001, la direction du groupe a annoncé la création d’un institut de la prospective dont le but, est de mener « une réflexion sur les désorganisations, les inégalités de développement, l’absence de contre-pouvoir, tout ce qu’avaient souligné les mouvements anti-mondialisation ».

19Mais ces discours cachent de plus en plus mal les véritables intentions de l’homme : devenir un acteur décisif dans le développement économique, social et culturel du monde. A la naissance de Vivendi-Universal débute une véritable sur-médiatisation, accompagnant les prémisses d’un renversement de tendance et d’image. Sa boulimie médiatique est à la hauteur de sa boulimie économique. La légitimité sociétale de l’entreprise et, avec elle, celle de JM Messier commencent dès lors à se fissurer.

Au-delà de son influence

  • 17  Halimi Serge, « Les fous du roi », in : Le Monde Diplomatique, juin 2002.

20Progressivement, le tiraillement du groupe entre la France et les Etats-Unis ainsi que son pouvoir grandissant sur le monde de l’édition et des médias inquiètent. Pour rassurer, JM Messier « investit dans la dissidence, multiplie les débats lui permettant de glisser qu’il partage les idées des rebelles qu’on lui oppose »17. Mais les déboires économiques du groupe, les montages financiers douteux puis suspects et enfin son annonce, en décembre 2001, de la fin de « l’exception culturelle française » provoquent un basculement d’image.

  • 18  Lasswell cité par Coenen-Huther Jacques, Opus. Cit., p 142.

21En effet, la personnalité et les façons d’agir de JM Messier sont construites sur l’ambivalence. Dans ses méthodes de communication, il se trouve toujours à mi-chemin entre le dirigeant, l’homme politique et l’homme public. En dénaturant ses fonctions l’homme perd en crédibilité. Ses manœuvres scandalisent, ses exubérances choquent et ceux qui hier l’encensaient feignent de découvrir sa véritable nature. Messier n’a donc plus sa place dans l’élite économique. J. Coenen-Huther explique que les modes de recrutement des élites et les processus de compétition pour les postes à responsabilité inculquent aux futurs dirigeants des manières de se comporter qui assurent l’ascension dans la hiérarchie. Mais ces normes de comportement acquises, elles deviennent des normes de conduites pour ceux qui ont atteint le sommet. Si les motivations de JM Messier pour atteindre ce poste étaient, comme le dit Laswell, « d’ordre privé et appliquées à des objets publics, ces motivations sont cependant inséparables d’une certaine conception du monde qui leur donne sens »18. Or, Messier, n’a pas respecté les règles du jeu, il a outrepassé ses prérogatives et dès lors menacé l’équilibre interne de l’élite. Ses pairs et ses réseaux prennent peu à peu leurs distances. Son départ est inévitable : Messier démissionne.

  • 19  Appel Violaine, Boulanger Hélène, Opus. Cit., p 672.

22Son successeur Jean-René Fourtou cherche à améliorer les finances du groupe. En novembre 2002, c’est la FGE qui est supprimée. Or, si tout le monde assure qu’elle jouait réellement son rôle, il n’en reste pas moins qu’aujourd’hui encore Vivendi est associé à JM Messier et que sa sur-médiatisation et sa capacité à endosser plusieurs casquettes n’ont jamais facilité le travail des journalistes. « L’un vient illustrer l’autre, si bien que les façons d’agir de Vivendi sont décrites comme un rapport de cause à conséquence »19. Ainsi, la perte de légitimité de l’un rejaillirait sur celle de l’autre, entraînant dans son sillage la remise en cause de choix stratégiques non pas tant parce qu’ils ne correspondent pas à l’intérêt général mais parce qu’ils sont empreints de l’influence du précédent dirigeant. La nouvelle direction a fait en sorte que la Fondation disparaisse avec le démantèlement du groupe.

  • 20  Girard Laurence, « Quand l’entreprise change de nom pour tourner le dos à son passé », in : Le Mon (...)
  • 21  Proglio Henri, « Etre capable d’anticiper les attentes et le besoins du monde futur », in : Site i (...)
  • 22  Communiqué de presse de Véolia Environnement du 3 juin 2004.
  • 23  Halimi Serge, Opus. Cit.
  • 24  Communiqué de presse de Véolia Environnement du 3 juin 2004.

23Et si les bénéficiaires de cette fondation sont inquiets, d’autres dirigeants du même groupe en profitent pour saisir les opportunités. C’est le cas d’Henri Proglio, PDG de Véolia Environnement, qui, désirant s’affranchir de l’héritage de l’ère Messier, procède, dès juillet 2002, au changement de dénomination sociale de Vivendi Environnement. « Une mise à distance qui coïncide avec la prise d’indépendance de cette filiale vis-à-vis du groupe. De toute façon une entreprise ne change jamais de nom par plaisir. C’est une décision du président car c’est sa carte de visite »20. Et quel symbole que cette dénomination « Véolia Environnement » qui évoque, selon le communiqué de l’entreprise, « le souffle nouveau de l’entreprise, une référence au vent propre et transparent, un flux qui symbolise l’ensemble de nos activités ». Et, à son tour, H. Proglio, va chercher à donner une légitimité sociétale à son entreprise, en la positionnant comme un acteur reconnu du développement durable. « Notre métier implique ainsi une prise de conscience profonde et sincère des enjeux environnementaux (….) L’expérience acquise renforce notre conviction que le choix que nous avons fait de placer le développement durable au cœur de la réflexion stratégique de l’entreprise constitue une formidable opportunité »21. Le 3 juin 2004, H. Proglio annonce le lancement de la Fondation d’entreprise Véolia Environnement dont « la vocation est d’aider des actions concourant au développement durable avec comme priorité : la solidarité, l’emploi (soutien à des projets permettant la création d’emplois de proximité) et la préservation de l’environnement »22. Une de ces dimensions ne couvre-t-elle pas au moins une partie de l’activité de feu la Fondation Vivendi ? Et, bien entendu, « comme l’implication des salariés dans le système va devenir d’autant plus utile que des sacrifices risquent de leur être demandés »23, H. Proglio ajoute que « cette fondation est d’abord et avant tout celle des collaborateurs de Véolia Environnement : c’est ce qui fait sa force »24.

24Bien qu’appartenant au niveau politique du groupe, les dispositifs communicationnels semblent donc avant tout traduire les orientations stratégiques prises par un dirigeant et de ce fait pouvoir fluctuer au gré des successions et sous l’influence des tendances sociétales du moment.

  • 25  Nathan Hervé, « Un banc d’essai pour Sarkozy », in : Libération, vendredi 27 août 2004.
  • 26  Ibid.

25Enfin, l’actualité de l’été 2004, remet Vivendi sur le devant de la scène. « A nouveau le groupe est promu au rang de meilleur partenaire du pouvoir politique. Au temps faste de JM Messier, et de la gauche, le groupe soignait son image de marque en participant à la lutte contre l’exclusion. Aujourd’hui, Vivendi sert de laboratoire à Nicolas Sarkozy »25. Vivendi bénéficie d’un régime fiscal mondialisé dont seules une quinzaine d’entreprises en France bénéficient, et s’engage, en échange, à implanter des sites et donc à créer des emplois dans des zones géographiques victimes de catastrophes industrielles. « De quoi répondre à la polémique qui enfle sur la menace des délocalisations et presse le gouvernement, et de quoi réjouir la direction de Vivendi qui affirme que  l’obtention du bénéfice mondial justifie la stratégie de Fourtou de maintenir le groupe comme un conglomérat, avec des activités bénéficiaires qui financent celles en perte»26.

  • 27  Coenen-Huther, Jacques.- Opus. Cit., p 143.

26J. Coenen-Huther parle d’arrangement entre élites, « par lequel elles réorganisent leurs relations et négocient des compromis. De cette façon, elles arrivent à une unité consensuelle »27. Elles découvrent alors les avantages de cette coalition et protègent ainsi leurs intérêts respectifs.

27JM Messier en perdant sa légitimité a nui au groupe qu’il dirigeait, mais d’autres membres des sphères économiques et politiques se sont engouffrés dans la brèche, en réponse à la loi de l’offre et de la demande. La légitimité sociétale de Vivendi est récupérée par des dirigeants et des hommes politiques qui s’en servent alors pour asseoir leur propre légitimité et influence.

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Bibliographie

Appel Violaine, « Le dépassement de l’objectif économique par la « valeur sociale » - Analyse des représentations de l’entreprise citoyenne : le cas de la Fondation Générale des Eaux (Vivendi) », in : Communication, volume 19, n° 2, hiver 1999/2000, pp 145-154.

Appel Violaine, Boulanger Hélène, « Internationalisation et représentations du dirigeant : une problématique de la communication des organisations », in : Questionner l’internationalisation : cultures, acteurs, organisations, machines. Société Française des Sciences de l’Information et de la Communication. Actes du XIVème congrès national des sciences de l’information et de la communication, Université de Montpellier III (campus de Béziers), 2-4 juin 2004, pp 665-673.

Bourdieu Pierre, « Raisons pratiques. Sur la théorie de l’action ». Paris, seuil, coll. : Points/Essais, 1994.

Coenen-Huther Jacques, « Sociologie des élites ». Paris : Armand Colin, Cursus, mars 2004, 172 p.

Girard Laurence, « Quand l’entreprise change de nom pour tourner le dos à son passé », in : Le Monde, mercredi 16 avril 2003.

Gremillet Muriel, « La Fondation Vivendi menacée par Fourtou », in : Libération, mardi 26 novembre 2002, p 26.

Halimi Serge, « Les fous du roi », in : Le Monde Diplomatique, juin 2002.

Lemaître Frédéric, « Messier la guigne », in : Le Monde, 2 juillet 2002.

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Mills Charles Wright, « L’élite du pouvoir », trad. f., Paris : Maspero, 1969 (1ère édition américaine, 1956).

Nathan Hervé, « Un banc d’essai pour Sarkozy »., in : Libération, vendredi 27 août 2004.

Proglio Henri, « Etre capable d’anticiper les attentes et le besoins du monde futur », in : Site internet de Véolia Environnement., mai 2004.

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Notes

1  Coenen-Huther Jacques, « Sociologie des élites ». Paris : Armand Colin, Cursus, mars 2004, p 52-53.

2  Mills Charles Wright, « L’élite du pouvoir », trad. f., Paris : Maspero, 1969, p 8.

3  Ibid. p 23.

4  Ibid. p 19.

5  Lemaître Frédéric, « Messier la guigne », in : Le Monde, 2 juillet 2002.

6  Coenen-Huther Jacques, Opus. Cit., p 18-19.

7  Bourdieu Pierre, « Raisons pratiques. Sur la théorie de l’action ». Paris, seuil, coll : Points/Essais, 1994, p 53-57.

8  Coenen-Huther Jacques, Opus. Cit., p 22.

9 Appel Violaine, « Le dépassement de l’objectif économique par la « valeur sociale » - Analyse des représentations de l’entreprise citoyenne : le cas de la Fondation Générale des Eaux (Vivendi) », in : Communication, volume 19, n° 2, hiver 1999/2000, p 147.

10  Le Monde, « Entreprise citoyenne », in : Dossiers Initiatives, mercredi 17 mai 1995, pp 1-4.

11  Gremillet Muriel, « La Fondation Vivendi menacée par Fourtou », in : Libération, mardi 26 novembre 2002, p 26.

12  Appel Violaine, Opus. Cit., p 148.

13  Ibid. p 153.

14  Gremillet Muriel, Opus Cit., p 26.

15  Appel Violaine, Boulanger Hélène, « Internationalisation et représentations du dirigeant : une problématique de la communication des organisations », in : Questionner l’internationalisation : cultures, acteurs, organisations, machines. Société Française des Sciences de l’Information et de la Communication.- Actes du XIVème congrès national des sciences de l’information et de la communication, Université de Montpellier III (campus de Béziers), 2-4 juin 2004.

16  Ibid. p 671.

17  Halimi Serge, « Les fous du roi », in : Le Monde Diplomatique, juin 2002.

18  Lasswell cité par Coenen-Huther Jacques, Opus. Cit., p 142.

19  Appel Violaine, Boulanger Hélène, Opus. Cit., p 672.

20  Girard Laurence, « Quand l’entreprise change de nom pour tourner le dos à son passé », in : Le Monde, 16 avril 2003.

21  Proglio Henri, « Etre capable d’anticiper les attentes et le besoins du monde futur », in : Site internet de Véolia Environnement, mai 2004.

22  Communiqué de presse de Véolia Environnement du 3 juin 2004.

23  Halimi Serge, Opus. Cit.

24  Communiqué de presse de Véolia Environnement du 3 juin 2004.

25  Nathan Hervé, « Un banc d’essai pour Sarkozy », in : Libération, vendredi 27 août 2004.

26  Ibid.

27  Coenen-Huther, Jacques.- Opus. Cit., p 143.

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Pour citer cet article

Référence papier

Violaine Appel, « Légitimité sociétale de l’organisation et stratégie d’influence du dirigeant »Communication et organisation, 26 | 2005, 68-78.

Référence électronique

Violaine Appel, « Légitimité sociétale de l’organisation et stratégie d’influence du dirigeant »Communication et organisation [En ligne], 26 | 2005, mis en ligne le 19 juin 2012, consulté le 13 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/communicationorganisation/3275 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/communicationorganisation.3275

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Auteur

Violaine Appel

Maître de Conférences en Sciences de l'Information et de la Communication, IUT Nancy-Charlemagne. Membre du Groupe de Recherche Information, Communication et Propagandes, elle travaille actuellement sur la figure communicationnelle du dirigeant d'entreprise. Université Nancy 2. Mail : violaine.appel@univ-nancy2.fr

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