1La responsabilité sociale des entreprises ou RSE est devenue un sujet d’importance en management des organisations - tant pour les praticiens que pour les théoriciens. Les effets environnementaux et sociaux des systèmes de production sont actuellement significativement négatifs et la prise en considération de ces éléments est au fondement, depuis quelques années, d’un vaste mouvement militant pour l’adoption d’une logique de développement soutenable. C’est à cette question que répondent les démarches de communication sur la RSE entamées par les entreprises qui, confrontées aux risques d’une réglementation plus sévère de leur activité, et en réponse à la demande pressante des marchés – des investisseurs et des consommateurs – ainsi qu’à l’activisme d’organisations non gouvernementales affectant leur réputation, s’efforcent de légitimiter leurs actions en adoptant de nouveaux critères de décision : critères éthiques. L’entreprise cherche alors à communiquer le plus clairement possible les éléments clés de ses pratiques éthiques.
2Malgré l’engouement constaté pour l’utilisation des arguments de type RSE dans les entreprises (par exemple Shell, BP, The Body Shop), et dans les journaux, il est rare de trouver dans la littérature gestion des travaux sur, d’autant plus dans les revues et conférences de langue française. Sur le plan opérationnel, une meilleure connaissance des avantages et des inconvénients des outils de communication devrait permettre aux entreprises de mesurer l’efficacité de leurs actions qualifiées d’effort social, de saisir des opportunités liées au marché potentiel des produits labellisés et de construire un agenda décisionnel sur le plan de gestion de la RSE. Nous proposerons dans un premier temps d’explorer le cadre conceptuel de la RSE. Dans un deuxième temps, nous dresserons les principaux outils de communication que les entreprises ont développés pour s’adapter à cette problématique.
3La notion de RSE est actuellement souvent évoquée dans une perspective de triple résultats qui conduit à évaluer la performance de l’entreprise sous trois angles : environnemental (compatibilité entre l’activité de l’entreprise et le maintien des écosystèmes), social (conséquences sociales de l’activité de l’entreprise) et économique (performance financière), tendance qui paraît résulter de divers facteurs de contexte ayant significativement marqué ces dernières années - dont deux essentiels : 1) la mondialisation des produits et des marques ; 2) l’accroissement des écarts sociaux entre les populations et l’épuisement des ressources naturelles au profit des pays riches. Les entreprises se voient de plus en plus obligées de remplir leur rôle social et de combler les échecs du marché et des Etats dans la régulation des droits sociaux.
4L’idée la plus communément admise sur la RSE est que l’entreprise est tenue de répondre de l’ensemble des effets à court et long terme de ses actions sur la société et de s’assurer que ses pratiques sont congruentes avec les attentes sociétales actuelles, émergentes et futures. Le recours à des questions de RSE évoque souvent un retour à la moralité ou à un contrat explicite ou implicite avec la société. Ainsi, dans la perspective de l’approche moraliste, la RSE dérive directement de la responsabilité morale de l’entreprise : l’entreprise doit agir de manière socialement responsable parce qu’il est de son devoir moral de le faire ; alors que l’approche contractuelle suppose quant à elle que « l’idée principale de la RSE vient du fait que l’entreprise et la société sont en interaction et pas des entités distinctes, ainsi, la société a certaines expectations sur l’activité et le comportement approprié de l’entreprise » (Wood, 1991). En revanche, l’approche utilitaire explore le concept de RSE comme un facteur d’avantage concurrentiel. Dans cette perspective, l’entreprise s’engage dans une initiative de RSE car ceci est de son intérêt. La RSE ne sert pas un idéal, elle est simplement un moyen pour une fin donnée : la recherche d’une meilleure image et une plus grande rentabilité. La croyance que l’éthique est essentielle à la réussite commerciale est symbolisée par des slogans du type « Ethics Pays » ou « Ethics is good business ».
5La question est ainsi de mettre en valeur des actions qualifiées d’effort social de l’entreprise. Le respect de la RSE ne garantit pas à l’entreprise une réussite, force est de constater qu’il est nécessaire d’y adjoindre une politique de communication particulière. L’approche utilitaire met en évidence le double intérêt de la communication sur la RSE, en considérant que d’une part, elle informe les consommateurs sur les vertus d’un produit et que, d’autre part, elle permet de construire la légitimité sociale de l’entreprise. En effet, l’entreprise peut entamer des initiatives de RSE dans le but de réaliser une différenciation des produits, qui devient aujourd’hui une exigence cruciale et permet aux entreprises de gagner des opportunités offertes par le marché sensible à la RSE. Elle souhaite également imposer un standard dans l’esprit des consommateurs, de faire subir des coûts d’adaptation aux entreprises concurrentes et bénéficier donc d’un avantage concurrentiel. Par une démarche de RSE, l’entreprise désire envisager la vente des produits différenciés par la labellisation sociale, conquérir les consommateurs souhaitant faire des achats en fonction de l’évaluation de la responsabilité sociale de l’entreprise et éviter les risques de boycott.
6Les initiatives de RSE sont expliquées par d’autres facteurs que de simples perspectives économiques de court terme. Les communications sur la RSE sont considérées comme un moyen de gestion des relations avec les parties prenantes (Roberts, 1992), un moyen d’établir et de protéger la légitimité (Patten, 1991, 1992) et l’image de l’entreprise (Abbott & Morsen, 1979). Ainsi, la diffusion des informations relatives à la RSE apparaît comme une réponse de l’entreprise aux pressions sociales en vue de légitimer son existence. L’entreprise cherche surtout à produire une congruence avec les normes et valeurs sociétales et à répondre à des déficits de légitimité à partir d’articles de presse hostiles (Guthrie & Parker, 1989). Elle tente d’exercer ses activités dans le cadre des normes et règles acceptées par les sociétés et de conserver une adéquation ponctuelle avec son environnement.
7Au début, les entreprises étaient nombreuses à refuser de communiquer vers l’extérieur de leur responsabilité, soit parce qu’elles n’y trouvaient pas d’avantages, soit parce qu’elles avaient peur de communiquer des informations dites confidentielles et sensibles. Le nouveau contexte les a poussées à penser à une communication plus ouverte et transparente. Plus qu’une méthode défensive contre les pressions sociales, la communication sur la RSE en particulier et la stratégie éthique en général offre des opportunités de marché aux entreprises. Ainsi, il convient désormais de présenter les différents moyens qui sont à la disposition de la politique de communication sur la RSE.
8Nous avons évoqué ci-dessus les intérêts de la communication sur la RSE. Ainsi, les efforts entrepris dans le cadre de la RSE peuvent être transmis, par le biais d’outils de communication, au public. Pour ce faire, alors que dans le passé, il était possible d’avoir recours tout simplement à la communication publicitaire, aujourd’hui il devient de plus en plus évident que d’autres outils de communication plus spécifiques sont privilégiés. En effet, la stratégie traditionnelle appliquée à la communication sur la RSE présente plusieurs inconvénients : le faible contrôle de la conformité de la communication avec la réalité des pratiques, la communication trompeuse ou la communication ambiguë. La nouveauté des thèmes ainsi que l’utilisation des termes spécifiques provoquent dans plusieurs cas la confusion dans l’esprit des consommateurs. Nous proposons de prendre en considération d’autres moyens de communication susceptibles de mieux informer les consommateurs, sans être jugés de « purement marketing » (communication par événement, labellisation sociale, code de conduite, rapport social). Ces programmes de normalisation, par leur fiabilité et leur cohérence avec les principes de l’auto-régulation des droits sociaux par les entreprises, nous semblent être les outils privilégiés pour la communication externe sur la RSE.
9En ce qui concerne les vecteurs de communication sur la RSE, les entreprises disposent i) au premier plan, d’outils traditionnels, surtout la publicité et ii) au deuxième plan, de supports spécifiques, surtout la labellisation sociale et la publication de codes de conduite, de chartes et rapports sociaux. L’analyse des choix retenus par certaines entreprises montre que la communication par l’événement et les publications non certifiées restent un choix privilégié pour combler les lacunes des démarches de labellisation, encore en leur première étape.
10La publicité est l’un des outils majeurs permettant à une entreprise de transmettre des informations persuasives sur le marché. Le choix de la RSE comme nouvel axe de communication publicitaire implique une reformulation du message suivant de nouveaux principes de codification. Ainsi, la RSE serait l’idée principale que l’entreprise cherche à transmettre à travers ses messages publicitaires, la représentation essentielle qu’elle désire suggérer dans l’esprit du consommateur vis-à-vis du produit. Le message, bâti autour du thème de la RSE, appuyé sur un raisonnement ou une vérification scientifiques, doit être vérifiable et ne doit pas comporter d’allégation ambiguë ou équivoque. Il faut surtout modifier les idées reçues tendant à dire que la publicité ne dit pas toujours la vérité et qu’il ne s’agit que de tactiques de communication des entreprises sans engagement véritable, ni vérifiable. Une publicité fondée sur le respect des normes sociales présente toutefois des risques de confusion dans l’esprit du public du fait du caractère simplificateur de l’annonceur. Les qualificatifs de type « respectueux des droits de l’Homme » demeurent souvent confus pour les consommateurs qui ne savent pas toujours ce que cache cette épithète. Elle peut également être jugée peu informative ou même trompeuse. Le cas de publicité « verte » pourrait également nous fournir des leçons. En effet, les récents sondages révèlent que seulement 6 % des consommateurs identifient les publicités vertes comme « très crédible » alors que 90 % affirment que ces messages sont « n’importe quoi », « pas très crédibles » ou bien « pas du tout crédibles » (Chase et Smith, 1992). Ce constat explique pourquoi peu de programmes publicitaires entamés par les entreprises ne portent pas directement sur la RSE, sauf certains affichages faisant savoir la politique de développement durable de l’entreprise.
11Par auto-déclarations, nous entendons les communications sur la RSE ne donnant pas lieu à une certaine certification. Cette approche volontaire montre quelques limites. Les effets à attendre de ces pratiques d’auto-déclaration demeurent à ce jour faibles dans la mesure où leur dimension de communication externe prédomine sans prouver une relation étroite avec les pratiques, et en raison de l’imprécision du contenu normatif des engagements. La communication est souvent incomplète car elle n’englobe pas l’ensemble des droits fondamentaux du travail, le droit à la libre association et à la négociation collective étant tout particulièrement absent. De plus, l’auto-déclaration n’est pas assortie d’un système de contrôle d’application et présente une faible crédibilité. L’audience risque de ne pas être convaincue de la cohérence entre les bonnes intentions affichées et la mise en œuvre des moyens de vérification et de correction des pratiques Il reste encore la question de la non-objectivité des résultats : peu d’entreprises font état de leurs échecs, les pratiques abusives ne sont pas divulguées, ce qui est évidemment dans l’intérêt de l’entreprise. La portée publique des informations reste donc très superficielle et souvent biaisée puisque l’on n’y inclut que les données positives et acceptables.
12La communication par l’événement est souvent considérée comme l’art de communiquer avec le consommateur en dehors des espaces publicitaires classiques (radio, TV, presse, affichage…) et sans que celui-ci ne s’aperçoive vraiment de la nature commerciale du contact. La communication peut concerner les produits ou les services, mais aussi tout message susceptible d’influencer favorablement sur le développement global de l’entreprise. Tandis qu’une publicité fondée sur la RSE présente des risques de confusion dans l’esprit du public, et de représailles de la part des concurrents craignant d’être chassés du marché, la communication hors média offre l’opportunité d’acquérir, en matière sociale, une image positive plus large et moins agressive.
13Lorsqu’elle est axée sur le thème éthique, la communication hors média s’investit d’une mission de sensibilisation et d’information pertinente. Nous avons, à côté du parrainage et du mécénat, les relations publiques qui peuvent être très variées : la participation ou organisation de colloques, de réunions, d’exposés, de congrès, de conférences, de débats axés sur les thèmes sociaux ; la collection de brochures de prestige, de plaquettes d’information comportant un volet éthique ; la distribution d’invitations à des visites d’entreprises, destinées à faire apprécier l’installation d’un nouveau matériel de production écologique ou de bonnes conditions de travail des employés ; la participation à des foires, concours et salons à thèmes concernant ; ou bien l’instauration d’un dialogue avec les populations voisines des usines de production et des sites industriels pour leur expliquer et les assurer quant aux risques d’accidents écologiques.
14Pour le parrainage, l’entreprise cherche des reconnaissances en termes sociaux par le biais des activités spécifiques. Un programme de parrainage contribue significativement à la construction de l’image de l’entreprise socialement responsable. Une telle alliance a été créée entre S.C.Johnson et WWF : S.C.Johnson s’engage de contribuer 10 cents par un coupon retourné par les consommateurs à un programme environnemental de WWF intitulé « We care for America ».
15Le mécénat est jugé également comme un outil efficace parce qu’il offre aux individus l’adhésion à un projet, à un événement vécu auxquels ils peuvent participer réellement. Les initiatives de ce type se révèlent être de bonnes opportunités pour les entreprises de communiquer, parfois au moindre coût, leur foi en matière de responsabilité sociale.
16Le produit-partage apparaît comme de nouvelle forme de promotion et de communication. Il s’agit de « produits ou de l’industrie dont le prix de vente contient une part réservée à une association ou plusieurs, en vue de mettre en œuvre des actions d’intérêt général » (Piquet, 1995). L’objectif affiché de la campagne de produit-partage est de faire augmenter successivement les ventes pendant toute la durée de l’opération. Son caractère commercial est mis en évidence par le fait que l’engagement de consommateur n’est pas gratuit. Le produit-partage ne peut être assimilé à une action de parrainage ou de mécénat, parce que ni la marque, ni l’entreprise ne sont associées à la manifestation d’un événement de caractère sportif, culturel ou humanitaire. Ainsi, American Express s’engage au programme contre la pauvreté suite à laquelle la firme contribue, pour chaque vente de carte de crédit, 3 cents à l’organisation Share Our Strength. (Crane, 2001). Le produit-partage ne concerne pas directement les pratiques socialement responsables et pourrait être jugé comme une simple action de marketing et de relation publique visant à évacuer le vrai thème, tenant compte de ses aspects commerciaux. Son efficacité est limitée ainsi dans plusieurs cas, surtout si l’entreprise devrait faire face à des opinions négatives portant sur ses activités.
17En résumé, la communication par l’événement reste un bon choix pour plusieurs entreprises. Il est clair que ces programmes dépassent les limites d’une communication purement marketing pour offrir à l’entreprise l’opportunité d’acquérir une image sociale positive plus large et moins agressive. Or, ces travaux comportent une majeure difficulté par le fait que le consommateur n’est pas en mesure d’évaluer directement la communication et ne compte que sur la seule bonne foi de l’annonceur. La question de la défiance envers le message proposé par l’annonceur devrait attirer une plus grande attention. A cela s’ajoute le fait que ces communications ne concernent de façon indirecte, qu’une audience limitée. Cette démarche s’éloigne des activités de l’entreprise et ne satisfait pas les exigences en termes de transparence et pourrait être jugée comme une simple action de marketing et de relations publiques visant à évacuer le vrai thème, tenant compte de ses aspects commerciaux. Elle se confronte surtout à des idées reçues de type que ce n’est pas en établissant un service de relations publiques ou en versant des contributions financières à des événements de solidarité que les entreprises pourront prétendre s’acquitter convenablement de leur rôle social. Le rôle de la communication, comme nous l’avons précisé dès le début de cette partie, consistant à convaincre les consommateurs et les ONG sur les pratiques de commerce éthique et équitable de l’entreprise, suivant une logique de gouvernance des droits sociaux et le principe Trade not aid, ne nous semble pas être satisfaisant.
18Ces remarques nous conduisent ainsi à la recherche des outils plus spécifiques pour la communication de la RSE. Elles devraient d’une part se justifier comme des engagements certifiés, et donc crédibles, et d’autre part permettent à l’entreprise de toucher directement sa clientèle ciblée. Il nous semble que la communication (à travers les démarches de normalisation sociale) satisfera ces critères. Parmi les outils spécifiques de la communication liée à la RSE, quelques grandes techniques sont considérées privilégiées pour le sujet de RSE. Il s'agit d’abord de la publication des audits et des rapports sociaux. Vient ensuite le recours aux codes de conduite et à la labellisation sociale des produits. Nous analyserons les avantages et les inconvénients de ces outils dans les paragraphes qui suivent.
19La publication d’un rapport de développement durable est choisie par certaines entreprises comme une porte d’entrée dans la démarche de communication sur la RSE. C’est un rapport d’activité sur l’impact économique et social de l’activité de l’entreprise et qui résume les engagements, les processus de mise en place et les résultats. Outre ses fonctions de pilotage stratégique (définition de la stratégique de responsabilité sociale de l’entreprise), de communication interne (qui sert à transmettre les valeurs de l’entreprise aux collaborateurs et aux filiales et à les sensibiliser à leurs responsabilités individuelles et sur leurs attentes légitimes en matière de développement durable), ce rapport constitue également un outil de communication externe. La publication de ce rapport s'inscrit dans le contexte d'un intérêt croissant des pouvoirs publics pour la présentation des résultats des entreprises dans ce domaine, dont témoignent : i) le développement de l'investissement « socialement responsable » (multiplication des fonds et indices boursiers « éthiques » : Dow Jones Sustainability Index, ASPI d'ARESE, FTSE4GOOD) ; ii) le développement de la Global Reporting Initiative, un standard international en matière de rapports de développement durable mis au point par le Programme des Nations-Unies pour l'Environnement, des entreprises multinationales et différentes ONG ; iii) la loi sur les Nouvelles Régulations Economiques qui rendra obligatoire pour les entreprises la publication d'informations sur les conséquences sociales et environnementales de leurs activités ; et iv) la publication du Livre vert de la Communauté européenne sur l’initiative de responsabilisation des entreprises. Les rapports peuvent être diffusés de manière traditionnelle, c’est-à-dire, sous forme de papier envoyé directement aux actionnaires et aux intéressés ou par l’Internet. Toutefois, la diffusion sur le Net, malgré les avantages (un coût de production et de distribution raisonnable, une audience globale et facile à toucher) reste toujours jugée comme alternative à des moyens plus traditionnels et ne peut les remplacer absolument.
20Le rapport social, en identifiant les attentes d’information spécifiques à chaque groupe de parties prenantes et en y apportant des réponses, satisfait la demande de transparence de l’information en termes sociaux tout en inspirant une confiance accrue chez le public. Il permet aussi au marché des capitaux d’évaluer la performance et le risque social et environnemental des projets d’investissement. Les effets de communication publique des rapports de développement durable ont été reconnus : si les principes de rédaction des rapports sont bien suivis, ces publications s’assurent de la transparence de l’information et permettent aux intéressés d’évaluer la performance et le risque social associés à toute décision concernant l’entreprise (investissement, achat). Malgré ces efforts, il faut reconnaître que les rapports sociaux ne sont pas usités souvent dans la gestion éthique de l’entreprise. Depuis les années 2000, juste quelques grands distributeurs français ont commencé à publier leurs rapports de développement durable. L’explication vient du fait que le rapport social, tout comme le rapport financier, vise en première instance les actionnaires de l’entreprise et attire un faible intérêt d’autres parties prenantes. L’efficacité des rapports de développement durable, en tant qu’outil de communication externe n’est pas justifiée, cet outil ne semble pas être apprécié par tous les managers.
21La publication des résultats d’audit social constitue aussi un moyen utilisé par les entreprises pour renforcer la fiabilité des messages liés à la RSE. Un audit social consiste à rendre compte dans des sites de production des conditions de travail des salariés et permet donc de comparer la réalité constatée avec les exigences inscrites dans le référentiel de l’entreprise. L’audit permet de réaliser les bénéfices considérables :
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1) il est comparatif : il permet aux divers publics de comparer la qualité sociale de l'entreprise avec les standards externes et avec celle de ses concurrents. De même que la diffusion du rapport financier permet aux actionnaires d'évaluer la performance financière de l'organisation avant de prendre une décision d’investissement, la publication de l'audit éthique et social remplit ce rôle auprès de divers publics ;
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2) il est complet et prend en compte toutes les facettes de l'activité de l'entreprise, pour être sûr de ne pas exclure ni « oublier » des points faibles ou « douteux » ;
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3) il est dans plusieurs cas régulier et est conduit la plupart du temps chaque année, en phase avec l'audit financier ;
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4) il est soumis à une vérification extérieure et permet de garantir l'objectivité des résultats et la crédibilité de la démarche, notamment vis-à-vis des publics extérieurs à l'entreprise.
22Ces arguments expliquent les avantages des démarches d’audit social. Les entreprises engagées dans cette voie sont perçues par les consommateurs différemment de celles qui ne font que parler de leur RSE. A cela s’ajoute le fait que l'audit social permet à l'entreprise de se donner des objectifs de progrès et, en l'amenant à surveiller particulièrement certains aspects de son activité, il aide l'entreprise à contrôler son propre développement, en accord avec ses engagements. L’entreprise surveille mieux ses activités et ses pratiques, reconnaît elle-même ses « failles » et devient ainsi dans l'avenir moins vulnérable aux attaques extérieures qui pourraient profiter de ces faiblesses.
23Les entreprises peuvent adopter trois positions différentes face à l’audit social : 1) elles peuvent décider de ne conduire aucune forme d’audit ; 2) elles peuvent constituer un comité qui fait la vérification sur les politiques, objectifs et connaissances internes de l’entreprise ; 3) elles peuvent réquisitionner les compétences d’auditeurs d’une firme de consultants externes spécialisés. Les audits externes sont souvent menés à l’intervalle d’une année ou juste quand le besoin s’en fait sentir. Les auditeurs choisis varient d’une année à l’autre et d’une organisation à l’autre.
24Si l’audit social vient rehausser la vraisemblance, la crédibilité et la plausibilité des renseignements rapportés en matière sociale, il est aussi à noter qu’il n’est pas un outil de communication facile à mettre en œuvre. Outre un coût associé à son exercice (entre 3 800 et 4 600 euros), la question de sa portée d’accessibilité à un grand public constitue aussi une barrière. La construction d’un tel audit est complexe, d’autant plus dans certain contexte comme celui de la grande distribution où le distributeur pourrait avoir des relations avec une centaine de fournisseurs installés partout dans le monde.
25Les codes de conduite des entreprises sont définis largement comme les engagements souscrits volontairement par les entreprises, associations ou autres entités, qui fixent des normes et des principes pour la conduite des activités des entreprises sur le marché (l’OCDE). Les codes sont alors très multiformes : les codes élaborés et publiés par une entreprise individuelle ; les codes publiés par des associations professionnelles ; les codes élaborés par des partenariats d’intérêts et ; les codes résultant de négociations ou consultations intergouvernementales (OIT, CNUCED ou OCDE). Le rapport de l’OCDE fait savoir également que sur un échantillon de 233 codes de conduite examinés, 107 émanent d’entreprises, surtout des entreprises multinationales ; 89 d’associations professionnelles ; 33 de partenariats d’intérêts et 4 d’organisations intergouvernementales. Beaucoup de codes émanent d’entités opérant dans le secteur de services (63 codes) et dans l’industrie légère (46 codes). Un grand nombre de ces entreprises produisent des vêtements, des chaussures et des jouets ou bien exercent des activités de distribution/commerce de détail.
26Le contenu des codes est fortement conditionné par les pressions exercées sur les entreprises du secteur par les consommateurs et les ONG. Un grand nombre de codes publiés par les entreprises de grande distribution mettent l’accent sur les normes sociales relatives aux droits fondamentaux au travail et s’appuient pour la majorité des cas sur les principes de base du commerce éthique et équitable. Ceci contraste, par exemple, avec certains codes de conduite élaborés par les entreprises du secteur du pétrole et de la chimie où les questions relatives à la protection de l’environnement prédominent. Le secteur d’activité constitue ainsi une variable expliquant la communication liée à la RSE. Si une entreprise chimique ne devrait pas nier les aspects écologiques de ses activités, la confection s’intéresserait à des questions de conditions de travail et droits humains, les entreprises de grande distribution dont la responsabilité est liée directement à celle de leurs fournisseurs de l’industrie légère cherchent à illustrer leur responsabilité à travers ces thèmes.
27Les codes de conduite se référencent, explicitement ou implicitement, par rapport à certaines conventions de l’OIT sur les droits sociaux fondamentaux de l’homme : 1) le respect de l’âge minimum d’admission à l’emploi (convention n° 138) ; 2) la non-discrimination à l’emploi et au travail (Convention n° 111) et l’égalité de rémunération (Convention n° 100) ; 3) le respect du salaire minimum (conventions n° 26 et n° 131) ; 4) le temps de travail (convention n° 1) ; 5) la santé et la sécurité au travail (convention n° 155). Toutefois, certains sujets sont plus abordés que d’autres. Les codes établis par les entreprises de distribution des produits de textile et de jouets contiennent des engagements relatifs au travail des enfants, sujet qui a fait l’objet d’une large couverture médiatique ces dernières années. En revanche, la liberté d’association et le droit de négociation collective sont rarement mentionnés, bien qu’ils constituent un préalable indispensable au respect des droits fondamentaux au travail.
28Ainsi se pose la question du caractère sélectif des codes et leur rôle réel dans le processus de régulation des droits sociaux. Si la liberté d’association et le droit de négociation collective restent ignorés, c’est parce que les entreprises considèrent, à juste titre, que faire référence à ces sujets pourrait poser des problèmes de mise en œuvre, notamment avec les sous-traitants implantés dans certains pays en développement. De plus, la mise en œuvre des codes de conduite, qui conduit les entreprises à s’engager au changement réel de leurs pratiques, nécessite la mobilisation de ressources techniques, humaines et financières non négligeables. Les entreprises sont nombreuses à se contenter de solutions plus simples, dont les rapports et audits sociaux.
29La labellisation sociale constitue un support de communication intéressant pour les entreprises. Elle combine les avantages de plusieurs outils de communication avec : 1) la formalisation d’un code de conduite devant aboutir à la production d’un référentiel international, validé par une instance multilatérale telle que l'O.I.T ; 2) l'accréditation de cabinets d'audit social contrôlant, tant chez les fournisseurs que chez les sous-traitants, l’application des engagements pris ; 3) la délivrance, par cet organisme indépendant, d’un label social, c’est-à-dire, un label constitué des mots ou symboles apposés sur un produit garantissant que l’entreprise respecte les clauses sociales et environnementales prédéfinies dans le cahier des charges. Elle assume alors les fonctions d’information sur l’emballage, permettant de transmettre directement le message aux consommateurs.
30En cela donc, la labellisation présente des qualités fondamentales : 1) la fiabilité des informations car elle permet aux consommateurs de faire la différence entre les produits respectant les critères sociaux et ceux supposés ne pas les respecter (Robert-Demontrond, 2002) et 2) l’efficacité de communication car elle favorise l’accessibilité des consommateurs à l’information. En ce sens, les labels agissent comme des marques en offrant aux consommateurs un moyen facile de reconnaître un produit éthique et de repérer le produit à choisir parmi une multitude d’autres options. Ils réduisent les coûts de recherche et d’information des consommateurs en limitant le temps qu’ils consacrent à la recherche d’un produit éthique.
31De ce fait, la labellisation sociale dépasse les limites d’une politique de communication pour être de pair avec les pratiques de l’entreprise. Or, encore très peu d’entreprises s’engagent à la démarche de labellisation et ceci pour plusieurs raisons. Premièrement, la labellisation sociale, compte tenu de sa nouveauté, est confrontée à plusieurs défis, notamment la question de l’harmonisation des références. La crédibilité des labels est strictement liée à cette question car cette palette de critères tend à semer la confusion chez les consommateurs, destinataire principal de l’outil. Or, l’enquête menée en 2000 par l’OIT montrait que si de nombreux labels reprenaient dans leurs références le travail des enfants, un pourcentage bien inférieur prenait en compte la liberté syndicale. De plus, la multiplication des programmes de labellisation dans un petit nombre de secteurs ainsi que l’absence des normes définissant la qualité des certificateurs et leurs méthodes de certification a nui à sa transparence. Elles provoquent une hausse des frais d’information pour les producteurs, une perte de confiance des consommateurs et une érosion des labels. Ainsi se pose la question de l’harmonisation des initiatives de labellisation et du soutien de ces initiatives par des campagnes d’information et d’éducation auprès des consommateurs. Cette implication devient d’autant plus évidente que l’efficacité des labels, dans leur aptitude à transmettre une information sur la qualité du produit, est limitée par la capacité et la volonté des consommateurs de lire un label et d’en analyser les détails dans l’ambiance d’une surface de vente, en présence de nombreux produits et ne disposant que d’un temps limité pour faire des achats. Une information trop détaillée sur les exigences liées au label diminue souvent la lisibilité de celui-ci. Seuls les labels clairs et précis semblent capables de modifier le comportement des consommateurs.
32Deuxièmement, nous constatons que la labellisation sociale ne concerne qu’un certain type de produits. En effet, les programmes de labellisation sont limités à des produits spécifiques, ce qui s’explique par : 1) le caractère très étroit du champ du commerce éthique et équitable - les principaux labels sociaux apparus sur le marché ne concernent ainsi que les produits agricoles et artisanaux ; 2) la complexité des réseaux de sous-traitance et de la difficulté d’apposer un label crédible contrôlable dans l’ensemble de la filière ; et 3) les interactions entre les labels sociaux et les marques. Pour les produits des petites marques ou celles des secteurs où la fidélité à la marque intervient peu (le cas des bananes ou café vendus dans le cadre du commerce équitable ou des tapis dont la fabrication ne fait pas appel au travail des enfants), les labels peuvent influencer positivement les consommateurs. Tel est le facteur qui explique le succès relatif sur le marché des bananes vendues dans le cadre du commerce équitable et des tapis dont la fabrication ne fait pas appel au travail des enfants. Au contraire, les marques solidement implantées chez les consommateurs ont peu de raisons pour s’équiper encore d’un label. Cette constatation est renforcée par le fait que la présence d’un label sur certains produits offerts par l’entreprise laisse supposer que ses autres articles non labellisés ont des répercussions sociales négatives. Les grandes marques sont davantage prêtes à promouvoir l’image éthique de leur propre nom par l’adoption d’un code de conduite qu’à favoriser un label social général pouvant être utilisé par leurs concurrents. Ainsi, très peu d’entreprises de textile, d’habillement et de chaussures par exemple sont prêtes à entamer une démarche de labellisation sociale. A l’autre bout de la chaîne, les enseignes de distribution ne comptent pas seulement sur la labellisation, elles sont plus nombreuses à avoir recours à des codes de bonne conduite.
33En résumé, la mise en œuvre des labels sociaux, des codes de conduite et des rapports certifiés par l’audit implique la définition universelle acceptée des normes, les analyses, la surveillance et la certification. Dans cette perspective, aucun programme répond aux exigences de normalisation, même les Principes Directeurs de l’OCDE et les systèmes de certification, d’évaluation et de reporting d’origine anglo-saxonne très souvent cités tels que SA 8000 et GRI. Les normes ne sont pas bien définies et varient en fonction des programmes, elles pourraient exposer les entreprises à des accusations sur la base des critères qu’elles croyaient respecter. Ainsi, malgré leurs avantages (la fiabilité des programmes, la contribution à la promotion du respect des droits sociaux), ces outils dits spécifiques, encore récents et peu normalisés, ne peuvent pas être utilisés de façon séparée. Les techniques plus proches des relations publiques et de la communication publicitaire viennent combler ces lacunes. Chacune des initiatives présentées ci-dessus n’est que l’un des instruments stratégiques disponibles pour transformer le marché, et pour réussir, il doit être soutenu par d’autres mesures.
34Les développements précédents ont mis en évidence le recours à des outils de communication dans l’objectif de mieux informer les intéressés sur la RSE. L’analyse fait savoir que la RSE constitue une tendance de la gestion et du marketing des entreprises du XXIe siècle. La RSE n’est pas seulement une mode éphémère mais le résultat de la conjonction de divers facteurs de contexte que nous avons présentés dans le corps de l’étude. Les entreprises tentent donc de s’adapter à ces nouvelles exigences du marché en essayant d’en tirer le meilleur parti.
35Dans ce cadre, nous posons la question de savoir dans quelle mesure et de quelle manière, les activités éthiques de l’entreprise peuvent leur être bénéfiques par les effets des outils de communications utilisés. Ainsi, la portée d’une politique de communication liée à la RSE est menée au travers d’un ensemble de moyens. Il est important donc de souligner qu’au-delà de la variété des outils employés dans la communication éthique, tout décalage entre l’image diffusé par l’entreprise et son appréhension par le public crée une confusion et un effet généralement contraire à celui recherché. Les tentatives d’instrumentalisation de l’éthique (ex : une entreprise peu citoyenne développe une image éthique du fait de ses aptitudes en communication) suscitent dans la plupart des cas des analyses très critiques.
36La labellisation sociale et les codes de conduite certifiés devraient être des outils spécifiques pour ce type de communication, car ils permettent de distinguer les entreprises qui auront fait l’effort en domaine de responsabilité sociale et de révéler ceux qui se prétendaient socialement responsables alors qu’ils ne le sont pas. Malgré les avantages indiscutables de ces démarches et le fait qu’elles sont soutenues par les ONG et d’autres groupes de la société civile dans l’objectif de promouvoir l’auto-régulation des droits sociaux, elles n’excluent pas le recours à des outils plus habituels et plus faciles à mettre en œuvre, mais doivent toujours être ancrés dans une politique plus large de la communication et du commerce éthique.
37Les perspectives de recherche ouverte par cette recherche sont de deux ordres. Il s’agit tout d’abord d’étudier les outils dits spécifiques de communication sur la RSE. Ce type de communication étant nouveau et faute d’attention des chercheurs à ce sujet, les entreprises se contentent jusqu’à l’heure actuelle, à des outils de communication dits traditionnels qui sont, comme nous l’avons indiqué précédemment, peu appréciés en termes d’efficacité. Une autre question-clé est relative aux impacts des initiatives de labellisation sociale en tant qu’instruments de communication. Les travaux précédents justifient une relation positive entre ces mécanismes et la promotion des pratiques de commerce éthique et équitable au niveau mondial. Une analyse du point de vue de l’entreprise et pour les intérêts de l’entreprise reste encore ignorée. Les pistes de recherche consistent donc à étudier, pour le plus grand nombre de catégories possibles, les relations entre ces communications et les réactions des consommateurs ainsi que les freins actuels à l’adoption de telles démarches.