1Les pratiques dites « éthiques » sont aujourd’hui au cœur du discours des entreprises qui doivent se mobiliser pour répondre aux nouvelles attentes et exigences des consommateurs, mais aussi des investisseurs et des leaders d’opinion, que ce soit en matière environnementale, sociale ou sociétale.
2Il paraît dans un premier temps important d’évaluer la perception et le jugement par les consommateurs sur l’attitude des entreprises, dans des domaines tels que le respect de la nature, la gestion des ressources humaines ou la responsabilité sociétale.
- 1 Thierry Fabre, « Consommateur final et pratique “éthique” des entreprises ) » – La revue des marque (...)
3Un début de réponse très prometteur a été obtenu par le cabinet d’étude Research International qui a développé en 2003 un baromètre auprès du grand public : l’observatoire des valeurs éthiques des entreprises1.
4Leurs travaux ont pu déceler les tendances suivantes :
-
La sensibilisation à la dimension éthique n’est pas l’apanage de micros-segments de clientèle mais au contraire se retrouve peu ou prou sur toutes les catégories de population. De plus, ces mêmes consommateurs sont d’autant plus préoccupés par une thématique qu’ils en sont proches ou qu’ils se sentent compétents dans le domaine.
-
Les consommateurs estiment que la première responsabilité d’une entreprise, c’est le respect de sa clientèle (santé/sécurité/satisfaction de ses clients).
-
Enfin, les critères « éthiques » sont perçus de façon différente par les consommateurs. Certains sont d’ailleurs mal compris et encore négligés comme l’économie d’énergie et la recyclabilité des produits. Cette subjectivité des évaluations est renforcée par les phénomènes de médiatisation et par la communication des entreprises elles-mêmes (par exemple l’enseigne Leclerc qui a communiqué la première sur des thèmes écologiques a eu un bon score environnemental). L’enquête prouve qu’une entreprise doit prendre position vis-à-vis du grand public sur l’éthique mais qu’il est difficile d’avoir à la fois une responsabilité « sociale » et « commerciale ».
5Plusieurs explications permettent de comprendre le développement de l’attente par le consommateur d’une dimension éthique de l’entreprise.
- 2 Frédéric Beigbedder 2000, 99 francs, Édition Grasset Paris. Noami Klein 2002, No logo, la tyrannie (...)
- 3 Mamou Mane. A, 2001, Le guide éthique du consommateur, Paris, Édition Albin Michel.
6C’est tout d’abord l’évolution de nos modes de vie, les progrès technologiques qui permettent l’accélération des échanges, la transmission des savoirs ainsi qu’un niveau de plus en plus élevé d’éducation des populations. Il faut aussi intégrer la mondialisation des échanges initiés par les grandes entreprises qui dans l’imaginaire collectif vont représenter à tort ou à raison une puissance symbolique ou une autorité allant bien au-delà de leur pouvoir ou rôle économique avec poids ou une influence supérieure à ceux d’un État (CA de WalMart = PIB de la Suisse). Cette situation explique la montée en puissance de groupes de pression de tout bord qui obligent les entreprises à s’adapter à de nouveaux critères. Aujourd’hui, les mouvements de défense du consommateur ont des antennes dans le monde entier et l’utilisation des outils de communication actuels leur confèrent une puissance forte2 (2 et 3). Les différents médias vont aussi jouer un rôle de procureur en braquant les feux de leurs enquêtes sur des relations et des affaires douteuses, accentuant le scepticisme des consommateurs. De ce fait le développement de produits et de services n’est plus la seule finalité de l’entreprise qui doit devenir un acteur moral et civique. Celle-ci doit opter pour un positionnement de plus en plus responsable et « citoyen » en renforçant sa transparence en termes de financement et d’activités et en se dotant d’une véritable vocation sociale par l’intermédiaire de fondations et d’actions de mécénat social (Fondations Danone et Auchan par exemple). Mais aussi en s’associant aux travaux d’organismes comme l’observatoire de l’éthique3.
- 4 Drumwright M.E., 1994, Socially responsible organizational buying : environmental concern as a none (...)
7Pour finir ce phénomène est indissociable de l’accroissement des exigences des consommateurs avec l’entreprise et ses activités. Plus encore, derrière le produit, les consommateurs portent une attention de plus en plus interrogative, sceptique et critique aux activités plus larges des entreprises. L’éthique d’entreprise doit requérir une transparence et une clarification des règles du jeu vis-à-vis des partenaires, c’est-à-dire des actionnaires, des travailleurs, des clients et des collectivités dans lesquelles interviennent les entreprises et ce, quelle que soit la région du monde concernée4.
- 5 Ballet J. et Bry (de) F. 2001, L’Entreprise éthique, Paris Point Inédit Économe.
8L’éthique conduit à raisonner en fonction d’un but utilitaire, celui du bien-être du groupe (sur le plan étymologique, « éthique » vient du mot grec « ethos », qui signifie les mœurs et les manières d’agir). Sur le plan entrepreneurial, les premières chartes éthiques se sont développées dans les années 1960 sous la forme d’un contrat entre la société et l’entreprise de façon plus ou moins formalisées. La première remet à la seconde le pouvoir de dégager des profits et de réaliser la production, mais, en contrepartie, cette dernière doit se montrer responsable envers la collectivité5.
- 6 Mercier S. 1999, L’éthique dans les entreprises, Paris, La Découverte.
9L’éthique dans l’entreprise est relative. Ses règles sont en effet établies par chaque organisation en fonction de sa culture, de ses objectifs spécifiques et des moyens mis en œuvre avant d’être écrites et rendues publiques6.
- 7 Hunt S.D. Wood Van R. et Chonko L.B., 1989, Corporate ethical values and organizational commitment (...)
10Les chartes éthiques vont permettre de structurer le comportement des employés de l’entreprise mais aussi de ses diverses filiales et sous-traitants qui, avec la mondialisation des échanges sont de plus en plus situés dans des pays aux habitudes commerciales différentes7. Ces chartes sont aussi utilisées par l’entreprise comme garantie en termes de responsabilité si certains employés agissent de façon illégale.
- 8 Isaac H., 2000, Éthique individuelle, déontologie professionnelle et management ; faut-il créer un (...)
11Les codes d’éthique peuvent donc être considérés comme des outils d’acculturation cadrant les relations entre l’entreprise et ses partenaires afin de réduire les incertitudes et d’optimiser le temps de négociation8.
- 9 Janvier 2002 – Auckentbaler Brice et Maillon Hervé « Éthique et Marketing PACS ou mariage de raison (...)
12À l’issue de ces réflexions de quelles façons peut-on définir cette éthique dont la demande va croissant9(10) On peut considérer que l’éthique en entreprise est en fait une combinaison de trois dimensions dynamiques :
-
Une éthique préventive regroupant les notions de sécurité ; d’environnement et de santé.
-
Une éthique interne centrée sur un respect rigoureux des normes juridiques ainsi que sur l’émergence d’un code interne de déontologie et de la notion d’employabilité.
-
Une éthique externe impliquant une plus grande transparence vis-à-vis de ses partenaires (actionnaires quels que soit leur importance, clients, fournisseurs, et autres groupes de pression).
13L’entreprise devient socialement responsable, ce qui implique la prise en compte d’une fonction politique en plus de sa fonction économique.
14De plus il ne faut pas oublier que le consommateur est devenu un « expert » en marketing capable de décoder les messages pour y adhérer ou les rejeter.
- 10 Joël de Rosnay, 1998, Une vision du futur : la coévolution entre technologie et société, Société, R (...)
- 11 Michèle Bargadaa, 2004, « Évolution de l’épistémé économique et sociale : proposition d’un cadre de (...)
15Ce dernier apprend à évoluer avec de nouveaux paradigmes communicationnels et commerciaux10 qui le pousse à trouver un sens à sa consommation, à se positionner comme un véritable acteur du changement de plus en plus respectueux de son environnement11.
16Néanmoins, comme le souligne M. Bergadaa (dic-cit) l’instauration d’une charte éthique dans l’entreprise peut se heurter en France à des problèmes spécifiques.
17Une des difficultés évoquées est que trop de codifications nuisent à la créativité des individus et à la flexibilité de l’organisation.
18Pourtant, les derniers scandales, comme ceux d’Enron et d’Elf, conduisent à s’interroger sur la nécessité de renforcer a priori le principe des chartes d’éthique ou a posteriori leur contrôle et les éventuelles sanctions.
- 12 G. Charreaux, 1997, Le Gouvernement des entreprises, Paris, Economica.
19Le deuxième écueil auquel se heurte la mise en place de telles chartes au sein des entreprises est la pression de la « gouvernance d’entreprise »12 sur l’éthique commerciale pouvant entraîner un décalage entre le comportement réel de certaines multinationales et leurs codes d’éthique de centaine de pages.
- 13 R. Massé, 2000, « Les limites d’une approche essentialiste des éthnoéthiques. Pour un relativisme é (...)
20Enfin il existe un danger réel de confondre le relativisme méthodologique qui permet de comprendre et de respecter les fondements socioculturels de conduites spécifiques par rapport à un contexte social, culturel et historique spécifique13 avec le relativisme éthique pouvant impliquer une non-existence dans la pratique de normes morales valables pour tous.
21Cette confusion peut entraîner une neutralité bienveillante vis-à-vis de formes locales de la corruption. Ainsi, une multinationale autorisera le travail des enfants dans ses unités de production asiatiques où cette pratique serait culturellement normale. Parallèlement, de plus en plus de groupes de pression, relayés par la presse, attendent des réponses précises de la part des entreprises les plus emblématiques.
22Il convient donc d’établir et de communiquer de nouvelles règles du jeu. Une éthique professionnelle, un code éthique signé par le président, qui engage tous les acteurs de l’entreprise, un corps central de valeurs constituant de nouveaux repères pour les collaborateurs. La transparence sera de savoir-faire état, publiquement, de l’éthique qui anime les décisions de l’entreprise.
23En termes de communication externe l’entreprise doit en plus de sa mission traditionnelle traiter et justifier sa mission « éthique ».
24Il faut à ce niveau prendre en compte deux dimensions importantes en termes de communication : la communication de marque et la communication institutionnelle.
25À l’heure actuelle les consommateurs attendent et exigent de plus en plus du produit. Les stratégies de communication approfondissent les motivations rationnelles conduisant à l’achat d’un produit tout en renforçant la valeur ajoutée émotionnelle de la marque. À ce niveau les marques doivent être de plus en plus l’expression de l’éthique et des valeurs morales de l’entreprise. Le consommateur sera de plus en plus sensible à la valeur ajoutée morale des produits qu’il choisira, qui deviendra un élément de différenciation suffisamment attractif pour en faire un point central des messages de la publicité.
26La publicité pourra montrer et mettre en scène cette fonction, et un produit devenir l’acteur d’un lien social autour de valeurs communes entre les consommateurs.
27Pour l’éthique, les marques vont trouver de nouveaux territoires d’expression et leur publicité mettront en scène des rôles sociaux bien définis à travers une atmosphère et une ambiance communautaire. Les marques devront refléter les aspirations du consommateur pour le bon choix, la valeur morale de l’achat contre la consommation égoïste et narcissique ; pour une consommation responsable d’un citoyen soucieux d’informer, de comparer, d’évaluer l’impact environnemental et social d’un véritable engagement personnel dans le choix d’un produit.
28La communication des marques doit être plus cohérente et ne pas avoir un discours différent selon que l’on s’adresse à un client, un actionnaire ou encore un salarié. Le modèle du discours publicitaire purement réducteur sans interaction est dépassé et les responsables des marques doivent découvrir ou redécouvrir le sens de l’écoute afin de pouvoir anticiper et comprendre les demandes de la société.
29La mondialisation des échanges internationaux a fait évoluer les intérêts d’appréciation de l’image de l’entreprise. L’entreprise performante est celle qui réussit mondialement, qui est en situation de force pour se développer dans un marché global à l’échelle de la planète et qui est assise sur une situation financière qui la met à l’abri de la sanction des marchés. À l’heure actuelle les entreprises doivent comprendre qu’elles n’échapperont pas à un risque de sanction (boycott, blocage des décisions) par les consommateurs ou par les actionnaires si elles développent un comportement « non éthique ». Il faut de ce fait s’adapter et formaliser cette volonté éthique.
30À ce niveau, nous pouvons envisager deux voies d’actions importantes sur lesquelles l’entreprise devra communiquer.
-
La mise en place d’un contrat passé entre l’entreprise et son management ainsi que son environnement, en vue d’établir une relation de confiance pour mettre cette entreprise en cohérence dans son image, dans sa posture, dans son discours avec ce que l’on attend d’elle.
-
L’établissement d’une charte des valeurs permettant à l’entreprise non seulement de se retrouver autour de la nécessité de la réussite et de la performance incarnées par le management, mais aussi autour d’autres valeurs donnant un sens à son activité par rapport à la société dans laquelle elle l’exerce. La constitution d’une image éthique se révèle d’autant plus essentielle pour l’entreprise qu’à n’importe quel moment sa vie peut basculer, et l’accident éthique avec son corollaire qui est l’accident médiatique est une menace que les entreprises doivent apprendre à gérer en communication.
31Ces deux voies d’action doivent être présentées et expliquées à ses parties prenantes et notamment aux consommateurs par une communication didactique, informative voire ludique symbolisant l’engagement moral de l’entreprise concernée au niveau des générations futures.
- 14 Moussé J, 2001, Éthique des affaires : liberté, responsabilité. Paris, Dunod.
32Afin de mieux appréhender la notion de responsabilité de l’entreprise nous pouvons reprendre la définition donnée par Moussé14 « être responsable » exige que l’entreprise soit à même de relativiser sa propre vision en s’ouvrant aux réalités des autres, tout en conservant son authenticité et sa force de conviction.
- 15 Roozen N. et van der Hoff F., 2001, L’aventure du commerce équitable, Paris, Lattès.
33Cette démarche peut par exemple expliquer les nouvelles formes de commerce solidaire qui se développent peu à peu15.
34Comme nous l’avons vu précédemment la responsabilité de l’entreprise se situe non seulement vis-à-vis de ses consommateurs, mais également de l’emploi dans sa région, du pays dans lequel elle s’est développée, du tissu industriel et économique, de la sécurité et de la santé, de l’environnement de la formation à long terme de ses propres collaborateurs, de l’information de tous ses publics.
35Lorsque l’on évoque la communication responsable, il s’agit avant tout d’une communication plutôt institutionnelle devant faire réagir la conscience civile de la personne et portant sur des éléments d’information (performances, conduite, stratégie, culture, gouvernance, éthique, valeur).
36La communication de marque doit relayer la communication institutionnelle à travers ses territoires d’expression tout en développant des notions de valeur ajoutée émotionnelle, de statut, d’innovation, etc.
37Il existe donc bien deux postures interactives de communication, selon que l’on parte de l’entreprise ou de la marque. Différents exemples de communication responsable sont possibles et combinables :
-
Communiquer sur leur responsabilité immédiate (la performance pour les banques, la confiance dans l’assurance, la santé dans l’alimentaire, etc.).
-
Soutenir et communiquer sur des actions externes louables et vertueuses en lien avec l’entreprise avec par exemple le Mécénat et le sponsoring incarnant les valeurs de l’entreprise, visibles et appréciables par les cibles choisies (L’Oréal, Auchan, etc.).
-
Récupérer des valeurs éthiques et les promouvoir pour montrer qu’elles s’inscrivent sans sa logique d’entreprise (Carrefour et ses filières qualités avec des informations transparentes et complètes).
38Il faut aussi que l’entreprise ne présente pas une action obligatoire et nécessaire à son activité comme un geste généreux ou un don par exemple en repackageant des initiatives existantes dans un rapport « développement durable » ou au contraire, en présentant comme une « bonne action » de l’entreprise ce qui est, en fait une obligation imposée par la loi.
39Il ne faut pas oublier non plus le décalage existant entre les déclarations d’intention des consommateurs sur le fait d’acheter des produits d’entreprises « éthiques » moyennant un surcoût et la réalité de leur comportement en grande distribution multi spécialiste ou spécialisée ou ils vont acheter souvent sans intentions « éthiques » (prédominance de la marque, du style recherché, du goût, du prix…).
40L’entreprise se retrouve dans une situation étrange ou la communication doit rester responsable même si elle a affaire à de citoyens qui ne seront pas toujours des consommateurs responsables surtout s’il y a un prix à payer.
- 16 Chauveau A, Lumières P., juillet 2001, « Les pionniers de l’entreprise responsable », Édition d’Org (...)
41Pour une entreprise la communication sera responsable en respectant les éléments suivants16 :
-
Ne pas sortir du territoire de légitimité naturelle de l’entreprise, c’est-à-dire son activité économique quand elle annonce des actes responsables quand elle respecte ses interlocuteurs et leurs diverses sensibilités, quand elle adopte le ton juste au bon moment avec les bons supports de communication et le bon émetteur et quand elle partage avec le client citoyen la responsabilité de son action.
-
Donner à l’éthique sa juste place, c’est-à-dire comme un supplément de sens par rapport à la qualité objective des produits et services qu’elle développe mais non pas en espérant compenser par cela un produit déficient.
-
Communiquer pour rassurer et surtout prendre ses responsabilités notamment en période de crise ou il ne faut pas hésiter à parler vite et fort mais de façon cohérente tout en sachant opportunément se taire, pour ne pas menacer une politique de long terme par une exposition prématurée ou abusive.
- 17 Kohlberg L., 1976, Moral stages and moralization: the cognitive-developmental approach, Moral devel (...)
42Toutefois cette compétence éthique et responsable se développe par palier17 (20) et il paraît difficile de demander à une entreprise d’être à la fois productrice de biens et services, créatrice de valeurs, et distributrice de ces valeurs mais aussi d’être créatrice de sens pour remplir un vide qui devrait être comblé par d’autres institutions tout en restant nécessairement compétitive dans une guerre économique, sans merci.