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Dossier

Controverses et convergences dans le champ de la communication organisationnelle

Controversies and convergences in the field of organizational communication
Aurélie Laborde, Valérie Carayol et Isabelle Cousserand-Blin
p. 11-18

Texte intégral

1La revue Communication & Organisation a pendant longtemps constitué le seul support de publication francophone spécialisé de la communauté des chercheurs en communication organisationnelle. Elle a ainsi accompagné la carrière de nombre de chercheurs aux préoccupations et aux orientations scientifiques très diverses. Aujourd’hui les revues susceptibles de publier les travaux du champ sont plus nombreuses, comme les chercheurs susceptibles de publier. À l’occasion des 30 ans de la revue, l’équipe éditoriale s’est interrogée sur les thématiques qui pourraient être utiles à la communauté, afin de contribuer à la progression de notre discipline en incitant les chercheurs à identifier plus clairement les points de controverse et de convergence susceptibles de nous permettre d’avancer dans la structuration du champ et d’aider les jeunes chercheurs à se positionner. Fidèle à l’esprit qui a prévalu lors de la naissance de la revue, ce numéro anniversaire a pour ambition d’identifier la place des controverses dans le champ de la communication organisationnelle, de nourrir une argumentation sur des divergences théoriques ou épistémologiques, des partis pris méthodologiques ou d’approfondir différentes façons d’aborder des thématiques spécifiques.

2Si les premières années de constitution du champ ont donné lieu à des débats assez vifs au sein de la communauté des SIC, les recherches en communication organisationnelle semblent aujourd’hui plutôt se structurer et se développer sur le modèle des studies anglo-saxonnes autour de thématiques communes. Les indices de polarisation des postures sont pourtant nombreux, on les retrouve dans plusieurs « arènes » (nous diraient les science studies) de notre discipline, comme les jurys de thèse ou d’habilitation à diriger des recherches, mais également dans les évaluations d’articles entre pairs.

3Le peu de publicité fait aux débats se déroulant au cours des jurys et l’anonymat de l’évaluation en double aveugle des revues scientifiques occultent cependant les discussions en empêchant leur divulgation dans des arènes publiques plus larges où elles pourraient donner lieu à de véritables controverses scientifiques. Les débats dans le cadre du conseil national des universités (CNU), à caractère confidentiel, qui contribuent à dessiner le périmètre de la discipline, manifestent également des convergences et des controverses qui ne sont pas publicisés.

4Le temps dédié aux échanges, de plus en plus contraint dans le cadre des colloques et autres événements scientifiques, augmente les difficultés à engager un dialogue qui pourrait nourrir des échanges argumentés sur le long terme.

5Dans les disciplines plus anciennes comme la sociologie ou la psychologie, les controverses sont identifiées, visibles, et structurent les communautés (Halpern, 2019 ; Marmion, 2018). Remettre la question des controverses scientifiques « sur la table » nous semble donc constituer une occasion de revivifier la longue tradition académique de la disputatio.

Un espace à investir

6Juliette Rennes définit la controverse comme une confrontation discursive, polarisée, argumentée, réitérable ou durable, à dimension publique (Rennes, 2016). De ce point de vue, la controverse peut être envisagée comme un « sous-genre » du débat, ayant pour caractéristique d’être « polarisée ». Elle s’oppose à la polémique en raison du travail d’argumentation qui l’accompagne. Si la controverse est moins polarisée, on pourra parler de dialogue ou de discussion. Si elle ne repose plus sur un jeu d’argumentation, on parlera alors de querelle, de dispute ou de polémique.

7La controverse a également pour caractéristique de s’inscrire et de se construire dans le temps. Cette dimension temporelle « va de pair avec le caractère fortement méta discursif et interdiscursif des échanges agonistiques qui la constituent : ses protagonistes tendent à inscrire ce qui les divise dans une histoire discursive, se référant, dans chaque débat, à d’autres débats antérieurs » (Rennes, 2016, paragr. 12).

8Les controverses scientifiques occupent une place particulière dans le champ d’étude des controverses. Les science studies présentent ainsi l’histoire des sciences comme jalonnée de controverses qui contribuent à structurer les disciplines. Leur analyse permet alors d’ouvrir « la boîte noire » des trajectoires scientifiques, comprendre la science en action, les enjeux de pouvoir et la constitution de réseaux d’influence. Pour Cécile Méadel, qui succède à Bruno Latour à l’école des Mines, « l’entrée par les controverses a une vertu heuristique : la controverse est un chantier ouvert qui oblige les acteurs à expliciter leurs positions, à faire connaître leurs preuves, à modifier leurs épreuves » (Méadel, 2015, paragr. 3).

9La question des controverses scientifiques est elle-même sujette à débat et controverses, opposant visions constructiviste et réaliste de la science. Les uns, à l’instar de Dominique Raynaud (Raynaud, 2018), voient dans les controverses scientifiques un débat sur la vérité, les autres, à la suite des travaux de la sociologie des sciences (Akrich et al., 2006), envisagent l’activité scientifique dans un jeu social et politique plus large. Nos collègues anglo-saxons emploient ainsi le terme de science wars pour évoquer les controverses épistémologiques outre-Atlantique opposant les partisans du réalisme scientifique et du postmodernisme.

10Les sciences de l’information et de la communication s’intéressent également à la question des controverses. Dans l’introduction d’un dossier de la revue Hermès de 2015 intitulé « Controverses et communication », Romain Badouard et Clément Mabi revendiquent « une approche communicationnelle des controverses », regrettant que « trop peu d’études prennent véritablement au sérieux le rôle structurant de la communication dans le déploiement des controverses, en tant qu’elle rend possible la circulation des arguments, l’expression des rapports de force et la structuration d’un débat public sur les choix scientifiques et techniques » (Badouard & Mabi, 2015, paragr. 6). Plusieurs auteurs de ce dossier montrent ainsi l’importance des processus de publicisation et de construction des cadrages médiatiques des controverses. Les stratégies de communication déterminent ainsi, en partie, « la trajectoire des arguments ou encore la matérialité des arènes qui conditionne la forme des échanges et des débats » (Ibid.).

11Les sciences de l’information et de la communication, s’attachant à la spécificité des espaces médiatiques et à leur absence de neutralité, nous invitent à les observer comme des acteurs à part entière des controverses qu’ils traitent. Ainsi, les « arènes » médiatiques de la science ne se valent pas toutes, et une thèse scientifique diffusée dans une revue ou une autre, dans une émission de télévision ou dans un cours, dans une conférence publique ou sur twitter, portera la trace de ces contextes de diffusion et de leurs spécificités énonciatives. De ce point de vue, les dispositifs de médiation éditoriaux et médiatiques « ne se limitent pas à faire circuler des productions et des énoncés, mais les travaillent et les transforment en permanence » (Le Marec & Babou, 2015, p. 116).

12Si nous reprenons la définition d’une controverse forgée plus haut (confrontation discursive, polarisée, argumentée, durable, à dimension publique), force est de constater que la communauté francophone des chercheurs en communication organisationnelle a encore eu assez peu recours à ce mode de développement et de structuration du champ scientifique. L’absence de débat prolongé entre chercheurs sur des problèmes identifiés ne favorise pas l’émergence de véritables controverses (Le Moënne, 2016). Les jeux de pouvoir, indissociables de toute activité scientifique, et les « conditions d’existence » des chercheurs, la prudence suscitée par la cooptation, la peur du jugement, les craintes en termes d’évolution de carrière, peuvent aussi expliquer le peu d’engouement pour des pratiques de « confrontation discursive polarisée ».

13Les discussions existent bel et bien en communication organisationnelle. Nous pouvons ainsi repérer certains phénomènes de « polarisation » dans le champ, qu’il s’agisse de divergences théoriques ou épistémologiques. On pourrait notamment évoquer la place accordée aux processus, aux activités, aux dispositifs et aux discours, les différentes manières d’aborder la question critique, ou encore la question des niveaux d’analyse.

Un nouvel élan scientifique

14La dimension sociale et politique de la recherche ne peut être gommée, mais nous faisons le pari qu’en réhabilitant les apports heuristiques de la controverse, leur capacité à mettre en lumière les polarités comme les convergences, et en leur donnant un espace de publicisation, les appréhensions des chercheurs et des collectifs à entrer dans la controverse pourront être réduites.

15Les auteurs de ce numéro anniversaire ont relevé ce défi et quatre textes sont présentés dans ce dossier, complétés par un entretien.

16Anne Piponnier ouvre le dossier avec un texte intitulé « De quoi la controverse est-elle le nom ? Usages et circulation de la notion dans un corpus d’articles de revues de recherche en communication ». La recherche originale proposée ici s’attache dans un premier temps à identifier la notion de controverse dans les revues en sciences de l’information et de la communication puis dans un second mouvement à l’examiner plus spécifiquement à l’aune des soixante numéros parus dans la revue Communication & Organisation de 1992 à 2022, afin d’interroger in fine son positionnement épistémologique en communication organisationnelle.

17Anne Piponnier propose une mise en visibilité de la controverse à travers une approche bibliométrique de la littérature dans les revues relevant des SIC, via Cairn et OpenEdition Journals. Les recherches en SIC sont ici présentées comme susceptibles d’apporter « une contribution originale à la controverse en sciences sociales ». Il s’agit en premier lieu de faire émerger « le champ d’expression » associé, puis de s’attacher plus précisément à son « usage discursif ». Si les taux d’occurrence liés à la controverse sont plus saillants dans les revues interdisciplinaires ou généralistes en SIC indépendamment de leur orientation éditoriale, la revue Communication & Organisation occupe néanmoins une position médiane au regard du corpus analysé.

18L’analyse de l’auteur montre que, dans l’ensemble des revues du champ, les controverses sont plus nettement associées aux thématiques d’actualité. À cet égard, le regard porté sur les articles de la revue Communication & Organisation fait apparaître 159 occurrences et une accélération de la fréquence d’apparition sur les dix dernières années avec une prééminence pour les dossiers qui « se font l’écho d’urgences sociétales et recoupent les domaines de la pratique sociale au sein desquels la controverse se déploie (…) ».

19Dans le prolongement de ces analyses, Anne Piponnier interroge le positionnement épistémologique de la controverse en communication organisationnelle, qui se dérobe au profit d’approches critiques ou au profit d’une « catégorie » relative « à la qualification de l’objet étudié alors que les modalités mêmes de son observation peuvent faire l’objet de controverses ». Elle établit une comparaison avec la notion de risque telle qu’évoquée par Françoise Bernard (Bernard, 2014, n° 45), importante à la compréhension de la vie des organisations. Ce qui n’est pas sans renforcer la valeur heuristique de la controverse, que l’on peut retrouver aussi dans un article de Catherine Loneux et Jean-Luc Bouillon sur la communication constitutive des organisations (CCO) et les approches communicationnelles des organisations (ACO) (Bouillon, Loneux, 2021, n° 59) et celui d’Aurélia Dumas proposant une réflexion sur les émotions (Dumas, 2018, n° 53). L’article se conclut sur une proposition de constitution de nouveaux corpus issus de travaux de recherche émergents ou de revues étrangères afin de favoriser de plus amples développements.

20Jean-Luc Bouillon nous livre, dans un texte intitulé « L’incommunication et la désorganisation dans les recherches en communication organisationnelle. Exploration d’une controverse invisibilisée », une analyse sur les mouvements de convergence, de tensions et de controverse qui parcourent le champ de la communication organisationnelle, sans être toutefois discutés, ni même identifiés par les auteurs du champ d’étude. Les controverses seraient, selon lui, invisibilisées sur la scène académique française, une scène qu’il explore à partir d’une relecture personnelle d’un certain nombre de travaux choisis. Les points d’accroche qu’il s’emploie à déployer concernent plusieurs aspects : le premier, la définition même de l’organisation, qui oscillerait selon les travaux, sans être véritablement l’objet de discussions, entre des conceptions empruntées à des disciplines connexes et des définitions fragmentaires encore peu stabilisées. Dans la majorité des cas, ces dernières semblent faire la part belle à l’action collective, et aux interactions individuelles construisant l’organisation, dans la lignée des travaux de Karl Weick, (Weick et alii, 2015) en laissant de côté des questions qui gagneraient selon l’auteur à être discutées, notamment la différenciation des différents types d’action, qu’il emprunte quant à lui à Pierre Livet et Laurent Thévenot (Livet, Thévenot, 1993) mais aussi la question de la désorganisation.

21Le second point d’accroche évoqué relève paradoxalement, plutôt que d’une controverse, d’une forte convergence, elle aussi jusque-là invisibilisée, des travaux autour de ce que l’auteur dénomme l’incommunication, comme figure majeure des travaux actuels dans le champ. À partir de ce concept, développé notamment par Pascal Robert (Robert, 2005) et Dominique Wolton (Wolton, 2014) l’auteur s’emploie à montrer que les travaux du champ de la communication organisationnelle en France s’organisent en accordant aux difficultés de communication voire à son impossibilité, une place différente. Il définit ainsi deux grandes familles de travaux qui tous traitent « des modes de conjuration de l’incommunication et des difficultés à construire de l’organisation », prenant plus ou moins en compte l’action individuelle, les communications interpersonnelles, les structures sociales et institutionnelles encadrant l’action organisée. La discussion pourra s’engager sur cette typologie et il n’y a pas de doute sur le fait qu’elle fera réagir les collègues, entraînant de ce fait des controverses possibles, sur la place de la recherche critique, celle non évoquée ici de l’individualisme méthodologique dans la première famille distinguée. Mais nous vous laissons découvrir plus avant, sans en dévoiler toutes les facettes, cette proposition originale de Jean- Luc Bouillon qui nous invite à la réflexivité et au débat.

22Pierre Delcambre nous donne à lire un texte intitulé « En attendant les controverses ? Une analyse du champ français des communications organisationnelles ». Il propose une analyse réflexive, sur les travaux du champ d’étude, à l’aune de sa participation au groupe d’étude et de recherche Org&Co, travaillant sur la communication organisationnelle au sein de la Société française des Sciences de l’Information et de la Communication (SFSIC). L’auteur a suivi les activités de ce groupe qui a contribué à l’institutionnalisation du champ d’étude, et qui rassemble, encore régulièrement aujourd’hui, les chercheurs lors de rencontres et de colloques. Il avance un argument qu’il développe sur plusieurs plans : il n’y aurait pas eu dans cette arène scientifique de controverses au cours des trente dernières années. Bien sûr, cette affirmation pourra, tout comme pour les positions précédentes développées par Anne Piponnier ou Jean-Luc Bouillon, celles de controverses invisibilisées mais latentes, donner lieu, elle aussi à débats. L’analyse que fait Pierre Delcambre, à la suite de sa participation à des échanges scientifiques en présence ou liés à la circulation de textes scientifiques, s’attache à distinguer les conditions et les formes d’échange, les modalités de leurs mises en œuvre et des conditions de travail des chercheurs pour essayer de comprendre ce qu’il envisage comme une absence de controverses, et l’existence de clivages ou de décalages « permettant difficilement des discussions publiques ».

23L’auteur analyse les conditions de travail des chercheurs, leur environnement intellectuel au sein des SHS et les modes d’organisation collective à trois moments charnières de la constitution du collectif Org&Co. Pour ce faire, il propose une périodisation sur la base des modes de relation privilégiés, des formes et des modalités d’échange. Il distingue une période de constitution du collectif, (1996-2005) où les divergences n’avaient pas lieu d’être, « la co-présence bienveillante » étant la règle, l’objectif du petit groupe constitué étant de faire valoir sa spécificité. Vient ensuite une période de maturation (2006-2013) avec la multiplication des membres du groupe, parallèlement à la mise en œuvre d’une pression à la publication impliquant des formats de rencontres courts. Le manque de temps long pour la discussion et l’approfondissement épistémologique et théorique a engendré à ce moment-là une forme de diffraction des centres d’intérêt peu propice aux discussions et controverses approfondies. Dans la troisième période qui s’est ouverte en 2014, le pilotage de la recherche par projet va entrainer la « multiplication de thématiques dites « porteuses », appuyées sur des enjeux de développement ayant leur propre actualité », accentuant encore la thématisation ou sous-thématisation du champ au gré des opportunités de financement et la diffraction entamée lors de la décennie précédente, freinant l’apparition de controverses structurantes. La période pandémique a été aussi difficile accentuant « les transformations des conditions de travail des enseignants-chercheurs ». L’auteur rappelle en conclusion l’importance des « formes de discussion collective publique » et le temps qu’elles nécessitent pour voir éclore de futures controverses.

24Jusqu’où l’affectivité peut-elle être caractérisée comme objet d’étude des SIC et en communication organisationnelle ? Dans leur article intitulé « Le tournant affectif en communication : vers une convergence des approches en organisations », Aurélia Dumas, Valérie Lépine et Fabienne Martin-Juchat proposent de « penser les affects comme inhérents aux environnements organisationnels, à la fois constitutifs et instituants des organisations ». Ce thème, évoqué dans l’article d’Anne Piponnier et relayé notamment par la psychologie sociale, s’est plus particulièrement développé au 21e siècle à l’aune des pratiques numériques. Les autrices discutent cette généalogie au prisme de « l’économie capitalistique » tournée vers « la captation de l’attention et du désir ». Il s’agit donc d’objectiver la place dévolue aux affects à travers la narration propre à la communication. Cet objet présenté comme émergent, peut susciter la controverse. D’autant que les autrices identifient une vingtaine d’articles publiés dans la revue Communication & Organisation, susceptibles de traiter cette question. Cette proportion qui pourrait sembler singulière s’explique, pour les chercheuses, par un glissement vers le terme de reconnaissance qui apparaît comme le subsumant : « Les recherches réalisées dans le champ de la communication organisationnelle n’ont pas nécessairement ciblé immédiatement ou prioritairement l’étude du registre émotionnel – notamment parce que la préoccupation des enquêtés s’exprime souvent autrement qu’affectivement, mais plutôt dans le registre social et professionnel de l’attente de reconnaissance. » Des travaux récents (thèses, programme de recherche, journée d’étude) proposent des analyses qui lient notamment situations professionnelles, émotions, valeurs, ce qui conduit les autrices à constater que les SIC ont forgé des outils méthodologiques et théoriques sur ces aspects.

25Aurélia Dumas, Valérie Lépine et Fabienne Martin-Juchat proposent des orientations qui montrent l’intérêt de s’intéresser aux relations par le prisme de « leur substance sensible ». Il s’agit de mettre en visibilité la place des dynamiques affectives et celle de la mise en récit des émotions, constitutives des organisations. L’observation de ces interactions, de cette « culture affective » n’est pas sans difficultés pour le chercheur et suppose de construire des relations partenariales de recherche dans la durée. Elle l’amène aussi à s’inscrire plus particulièrement dans une démarche réflexive, associée à une approche compréhensive : « Le récit d’affects peut être considéré comme un récit de vie ou plutôt de parcours mais appliqué à des situations professionnelles qui mobilisent des agents humains et non humains. ». Il s’agit ici de faire émerger « les signes affectifs circulants » dans une approche multimensionnelle, ce qui n’est d’ailleurs pas sans risque d’un point de vue managérial.

26L’article permet de saisir toute la complexité de cette approche, tant d’un point de vue méthodologique qu’éthique, dans des contextes de transformations des organisations qui questionnent aussi le rapport au collectif. La controverse prend ici sa juste place dans « un dialogue ouvert entre disciplines ».

27Nous proposons, pour clore ce dossier, un entretien avec Béatrice Fleury et Jacques Walter à propos de la rubrique « Echanges » de la revue Questions de communication. Cette rubrique existe depuis le premier numéro de la revue et est entièrement consacrée aux débats d’idées pluridisciplinaires sur des objets et réflexions épistémologiques qui intéressent les SIC. Plusieurs débats parus dans ces colonnes font aujourd’hui partie des références dans notre discipline (voir notamment les « Échanges » sur les perspectives critiques en SIC à partir d’un texte de Fabien Granjon, ou ceux sur l’engagement du chercheur, ou plus récemment sur les valeurs à partir d’un texte de Nathalie Heinich).

28Les fondateurs de la revue reviennent, à l’occasion de cet entretien, sur les origines et l’intention de cette rubrique, sa ligne éditoriale, ainsi que sur l’importance mais également les difficultés liées à l’organisation du « débat pacifique d’idées ». Le choix éditorial de Questions de communication est celui de la pluridisciplinarité. La revue propose ainsi ses colonnes à des intervenants de disciplines différentes qui partagent des questionnements communs ce qui, dans une certaine mesure, évite les postures disciplinaires.

29Béatrice Fleury et Jacques Walter partagent un constat qui anime également l’équipe éditoriale de la revue Communication & organisation : « loin de fragiliser la discipline, la disputatio la renforce et contribue à lui donner de la légitimité ». Pour parvenir à la mise en œuvre de débats féconds, qui ne soient pas des reproductions de débats déjà anciens ou des « postures », les chercheurs doivent alors « gagner en liberté et assumer la prise de risque ».

Un numéro anniversaire pour engager le dialogue

30La revue Communication Organisation accompagne depuis 30 ans le développement des recherches en communication organisationnelle, avec une volonté d’ouverture, pour proposer un espace de publicisation qui mette en valeur la diversité et la richesse des approches, des thématiques et des points de vue. Un retour rapide sur les 61 numéros publiés à ce jour montre à quel point cette visée initiale a été féconde en termes de production académique et de valorisation des travaux de notre champ d’études. Ce sont plus 830 autrices et auteurs différents et 1 041 articles qui ont pu être publiés dans Communication & Organisation depuis 1992. Ce sont 25 000 articles qui sont consultés, en moyenne par an sur les six dernières années. Ce succès nous oblige à rechercher les moyens d’améliorer en permanence la qualité scientifique des contributions, à renouveler nos approches et à innover pour répondre aux attentes des jeunes chercheurs.

31Pour l’équipe éditoriale, ce numéro anniversaire participe d’une nouvelle impulsion. Il est une incitation à engager le dialogue, à encourager les controverses scientifiques, pour mettre en lumière les divergences comme les convergences dans notre champ. Une journée de rencontres viendra enrichir cette parution et permettra d’échanger sur les questions qui auront été soulevées dans ce numéro.

32Une nouvelle étape de maturation de notre domaine d’études est en marche, et elle devrait nous permettre d’avancer collectivement vers des débats toujours exigeants, nourris des lectures de nos pairs.

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Bibliographie

Akrich, M., Callon, M., & Latour, B. (2006). Sociologie de la traduction : Textes fondateurs. Presses de l’École des Mines.

Badouard, R., & Mabi, C. (2015). Introduction. Hermes, La Revue, n° 73(3), 11-14.

Bernard, F. (2014). Imaginaire, participation, engagement et empowerment. Revue Communication & organisation, n° 45.

Bouillon, JL., Loneux, C. (2021). De la constitution communicationnelle des organisations a l’organisation du social : enjeux et perspectives pour les ACO et la CCO. Revue Communication & organisation, n° 59.

Dumas, A. (2018). Injonctions à la promotion numérique de soi et recrutement interne : logiques de responsabilisation du salarié et enjeux organisationnels. Revue Communication & Organisation n° 53.

Halpern, C. (2019). Les grandes controverses de la philosophie. Sciences Humaines, 57.

Le Moënne, C. (2016). Quelques questions concernant les recherches sur les processus d’information-communication organisationnelle. Revue française des sciences de l’information et de la communication, 9.

Marec, J. L., & Babou, I. (2015). La dimension communicationnelle des controverses. Hermes, La Revue, n° 73(3), 111-121.

Marmion, J.-F. (2018). Psychologie : controverses en série. Sciences Humaines, 50.

Méadel, C. (2015). Les controverses comme apprentissage. Hermes, La Revue, n° 73(3), 45-50.

Raynaud, D. (2018). Sociologie des controverses scientifiques : De la philosophie des sciences. Éditions Matériologiques.

Rennes, J. (2016). Les controverses politiques et leurs frontières. Études de communication. langages, information, médiations, 47, 21-48.

Robert, P. (2005). De la communication à l’incommunication ? Communication & langages, (146), 3-18.

Weick, K. E., Sutcliffe, K. M., & Obstfeld, D. (2005). Organizing and the process of sensemaking. Organization science, 16(4), 409-421.

Wolton, Dominique. « Incommunication et altérité. Entretien », Hermès, La Revue, vol. 68, no. 1, 2014, p. 212-217.

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Pour citer cet article

Référence papier

Aurélie Laborde, Valérie Carayol et Isabelle Cousserand-Blin, « Controverses et convergences dans le champ de la communication organisationnelle »Communication et organisation, 62 | 2022, 11-18.

Référence électronique

Aurélie Laborde, Valérie Carayol et Isabelle Cousserand-Blin, « Controverses et convergences dans le champ de la communication organisationnelle »Communication et organisation [En ligne], 62 | 2022, mis en ligne le 01 décembre 2022, consulté le 08 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/communicationorganisation/11560 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/communicationorganisation.11560

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Auteurs

Aurélie Laborde

Aurélie Laborde est chercheure en communication organisationnelle et maître de conférences HDR en sciences de l’information et de la communication à l’Université Bordeaux Montaigne et au laboratoire MICA. Elle est responsable éditoriale de la revue Communication & Organisation.

Articles du même auteur

Valérie Carayol

Valérie Carayol est professeur émérite des Universités à l’Université Bordeaux Montaigne, au sein du laboratoire MICA. Ses recherches portent notamment sur les transformations numériques des pratiques de communication au travail. Elle a été directrice du MICA, Présidente de l’association Européenne de chercheurs en communication EUPRERA, déléguée scientifique de l’HCERES et Vice présidente du CNU 71. Elle est directrice de la publication de Communication & Organisation.

Articles du même auteur

Isabelle Cousserand-Blin

Isabelle Cousserand-Blin est Directrice de l’IUT Bordeaux Montaigne jusqu’en décembre 2022, maître de conférences en Sciences de l’Information et de la Communication. Elle est chercheur au sein du laboratoire Médiations, Informations, Communication, Arts (MICA), axe Communication, organisation et société (COS).

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Droits d’auteur

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