THEVIOT Anaïs (dir.). Médias et élections. Les campagnes 2017 : primaires, présidentielle et législatives françaises
THEVIOT Anaïs (dir.). Médias et élections. Les campagnes 2017 : primaires, présidentielle et législatives françaises. Villeneuve-d’Ascq : Presses universitaires du Septentrion, 2019. ISBN : 978-2-7574-2806-1, 25 €.
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1Après tant d’études sur les médias et les élections qui ont contribué à fonder notre analyse théorique du pouvoir supposé des médias, fallait-il une étude de plus ? Qu’y a-t-il eu de si particulier en 2017 pour justifier que onze chercheurs décident de réinterroger cette thématique ? La réponse à cette question se trouve dans l’introduction générale qui donne sens et cohérence aux neuf textes rassemblés : le contexte. Anaïs Theviot, coordinatrice de cet ouvrage collectif dévide tour à tour les éléments qui composent le contexte particulier de l’année électorale 2017 et qui en font une spécificité par rapport aux autres depuis le début de Cinquième République. On peut les regrouper cependant en trois principaux. Tout d’abord la suprématie du « prêt à médiatiser » que les professionnels de la communication politique réussissent à imposer aux journalistes. Rien de bien vraiment nouveau par rapport à 2012, par exemple. Mais la « petite phrase » a trouvé un support providentiel qui bat tous les records de la temporalité médiatique : Twitter. Dans ce contexte, le « jeu » prime sur « l’enjeu » (p. 12). Ensuite, la défiance vis-à-vis des médias classiques et des journalistes. Là encore, rien de bien nouveau par rapport à 2012. Mais ici les candidats trouvent une alternative dans les médias sociaux. YouTube et Facebook leur permettront de contourner « le filtre médiatique pour parler directement aux électeurs » (p. 17). Enfin, la rumeur. La bonne vieille rumeur qui jadis circulait plus ou moins rapidement de bouche-à-oreille, mais qui, dans les réseaux sociaux, rencontre une industrie pour non seulement la produire, mais surtout en faciliter et accélérer la circulation.
2On l’aura compris, ce qui change vraiment, c’est « la montée en puissance de la communication numérique des candidats et de sa médiatisation » (p. 18). L’ère de la « petite phrase » coexiste avec celle du « tous journalistes » et la rumeur vient compléter le tableau. Tout ceci justifie que l’on porte à nouveau le regard sur la communication électorale afin, notamment, d’identifier les reconfigurations et les permanences de certaines manières de faire à l’ère des réseaux sociaux.
3L’organisation de l’ouvrage obéit à cet objectif. La première partie se centre sur la campagne électorale dans les médias traditionnels. Les auteurs tentent de montrer les mutations par rapport au passé. Rémi Lefebvre revisite « la campagne «ratée» » de Ségolène Royal en 2007 (chapitre 1), Jacques Gerstlé décortique onze débats télévisés de la campagne présidentielle de 2017 pour en montrer les spécificités (chapitre 2) et Éric Treille analyse le nouveau genre télévisuel consacré par les débats des primaires pour la présidentielle de 2017 (chapitre 3).
4La seconde partie couvre la campagne de 2017 dans les réseaux sociaux numériques et relève les « reconfigurations des «rôles» » que les acteurs ont dû endosser grâce ou à cause des réseaux sociaux. Marie Heihouser montre dans le chapitre 4 comment les politiques, plus exactement les candidats, ont tenté de se passer des journalistes et des médias classiques pour devenir eux-mêmes producteurs de contenus médiatiques. Ils se sont emparés de Facebook pour en faire « un média personnel », « un journal de campagne en ligne ». Les candidats s’adressent ainsi directement aux citoyens, à leurs publics, tout en formatant des contenus que les médias classiques n’ont plus qu’à reprendre. Mais en même temps, la page Facebook relaie les contenus favorables issus des médias classiques. La volonté de gérer personnellement son image est ainsi clairement affichée en plus de celle de maîtriser son propre discours.
5Le fait est que les candidats ont réussi, ce faisant, à contraindre les journalistes à s’alimenter sur leurs médias personnels. Tant et si bien que les journalistes ont pris garde de ne pas se laisser entièrement embobiner. Jérémie Nicey et Laurent Bigot montrent ainsi dans le cinquième chapitre comment les journalistes se sont alors coalisés pour tenter de faire du journalisme avec ces contenus, c’est-à-dire de prendre du recul critique par rapport à ces contenus durant la campagne présidentielle de 2017. Le fact-checking ne visait pas uniquement à vérifier les informations avant de les reprendre. Il visait aussi à combattre les fausses informations savamment colportées dans ces propagandes personnelles diffusées sur des « médias personnels ». On remarquera au passage que les politiques resteront les sources des journalistes, mais des sources désormais professionnalisées.
6La troisième partie analyse les mutations, mais à partir de la réception. Les médias personnels ont l’avantage de ne pas inscrire la campagne dans la temporalité réglementaire, les règles existantes ne s’appliquant qu’aux médias classiques, notamment audiovisuels. Ceci contribue, comme l’indiquent Alexandre Borrell et ses collègues (chapitre 7), à brouiller la distinction entre le « «longtemps à l’avance» (c’est-à-dire indépendamment de la campagne) » et le « durant la campagne », ce qui perturbe le rapport personnel de l’électeur vis-à-vis de l’offre politique.
7Julien Boyadjian et Anaïs Theviot observent quant à eux les usages et l’exposition aux nouveaux médias durant la primaire de la droite et du centre en novembre 2016 (chapitre 8) ; ils révèlent combien les militants ont plébiscité le choix des candidats de s’adresser directement à eux sans « la médiation des journalistes jugés partiaux et arbitraires » (p. 198). Plus théorique et moins ancré dans la temporalité analytique de cet ouvrage, le texte de Colette Brin (chapitre 9) prend du champ pour élargir l’analyse des pratiques de réception de l’information à l’ère du numérique en en rappelant quelques théories et paradigmes analytiques. Dans la conclusion, Christian Le Bart prolonge cette dimension réflexive et théorique en la faisant plus critique. Il apporte une hauteur de vue qui, en complément de l’introduction, contribue à faire ressortir l’esprit de cet ouvrage et en même temps son nécessaire dépassement.
8Dans l’ensemble, on a donc affaire à une œuvre collective, en ce sens où l’agencement des textes et la progression des idées ont une complémentarité naturelle, sauf peut-être pour le chapitre 9 qui détonne un peu parce que sa vocation semble quelque peu ratée. En effet censé rappeler le contexte général de la communication politique pour permettre de comprendre la communication électorale, la synthèse proposée a finalement peu éclairé le sujet. Par ailleurs, le fait d’avoir une bibliographie commune renforce cette cohérence éditoriale. L’on peut saluer enfin la dimension pédagogique de l’ouvrage avec, notamment, de nombreuses illustrations, synthèses et représentations graphiques.
9Sur le fond, on notera que malgré la linéarité du raisonnement logique qui traverse les trois parties, les choses ne sont pas aussi simples. Les ruptures ne sont finalement pas aussi brutales qu’on l’aurait imaginé au premier regard et la communication numérique n’a pas éclipsé la communication médiatique classique. C’est la leçon de cet ouvrage. Le texte de Jacques Gerstlé dans le chapitre 2 montre, par exemple, que l’élection de 2017 en France s’est sans doute faite, plus que d’habitude, dans les médias classiques, notamment à la télévision. Des primaires à l’entre-deux tours, les débats télévisés ont réuni des millions de personnes et ont semble-t-il décidé de l’issue des élections, les gagnants des débats ayant ensuite gagné les scrutins (Fillon pour la droite et le centre, Hamon pour les socialistes et Macron contre Le Pen). On en conclut que l’activisme en ligne a beau avoir atteint un niveau insoupçonné, finalement son effet a été relatif. On est donc loin du bouleversement politique par le numérique que les médias eux-mêmes agitent fréquemment. Les candidats ont beau avoir contourné les médias classiques et les journalistes, ceux-ci leur ont imposé leur logique. Bref, les médias classiques ont damé le pion aux médias sociaux sans probablement le savoir.
10L’autre élément contre-intuitif qui traverse cette étude est que finalement les médias sociaux ne suffisent pas à faire l’opinion. Comme le montre Marie Neihouser dans le chapitre 4, 55 % des contenus Facebook des candidats étaient issus de médias locaux et nationaux. La rupture recherchée n’a donc pas eu lieu et cela constitue une célébration de la légitimée des médias et des journalistes. Même les données chiffrées des principales modalités de suivi de campagne, présentées par Julien Boyadjian et Anaïs Theviot dans le chapitre 8, indiquent que la télévision demeure le média privilégié par les électeurs pour suivre cette campagne. Le recours aux moyens numériques (site Internet, Facebook, Twitter) par les électeurs n’a été que de 55 % contre 80 % pour la télévision. La fréquentation du numérique était en revanche supérieure à la participation aux rencontres militantes (35 %).
11On voit bien donc que l’idée d’une révolution numérique dans la communication électorale n’est pas corroborée. L’un des mérites de cet ouvrage est donc de mettre le doigt sur ce fantasme et de montrer par ailleurs que la réalité est complexe, que les simplifications peuvent induire en erreur. Autre point important qui suscite l’intérêt, le rappel dans la conclusion des limites inhérentes à ce travail et qui sont un appel à la vigilance du lecteur.
12Cependant, au-delà des éléments ressortis dans la conclusion par Christian Le Bart après sa lecture critique des neuf chapitres, on peut regretter que les dynamiques de post-réception ne soient pas prises en compte ici. Les auteurs ont fait le choix d’analyser la campagne électorale à travers sa médiatisation en prenant en compte la production, les produits médiatiques et la réception. Ce n’est pas souvent qu’on voit cette démarche. Ce regard pluridimensionnel permet de déplier la réalité, comme disait Deleuze, pour en percevoir toutes les courbures. En revanche, la post-réception dont les dynamiques rendent compte de ce que font les gens des contenus médiatiques après l’exposition aux médias est oubliée. Les interactions multiples (discussions en famille, entre amis et collègues, analyses collectives lors de rencontres physiques et dans le monde virtuel) provoquées par les contenus médiatiques sont passées sous silence. Alors que souvent, et encore plus en période de campagne, de nouveaux circuits de diffusion de ces contenus, enrichis d’apports issus des discussions, se créent et nourrissent l’engagement individuel et collectif.
- 1 MORLEY David, 1986, Family television : Cultural power and domestic leisure, Londres, Comedia, 184 (...)
- 2 Cf. LIVINGSTON Sonia, LUNT Peter, 1993, « Un public actif, un téléspectateur critique », Hermès, 19 (...)
- 3 Cf. PASQUIER Daniel, 2003, « Des audiences aux publics : le rôle de la sociabilité dans les pratiqu (...)
- 4 Cf. DAYAN Daniel, 2000, « Télévision : le presque public », Réseaux, 2000/2 : 100. 427-456.
- 5 Cf. GRIPSRUD Jostein, 2002, « Fans, viewers and television theory », dans P. Le Guern, Les cultes m (...)
13Pourtant plusieurs auteurs1 ont essayé d’attirer notre attention sur le fait que tout ne s’arrête pas à la médiatisation, c’est-à-dire au circuit production-diffusion-réception. Pour être tout à fait complet, il faudrait chercher à identifier ce que les gens font des contenus médiatiques reçus, en observant d’une part les lieux où les publics que Sonia Livingstone et Peter Lunt nomment actifs2 trouvent les ressorts de leur engagement. C’est un peu ce que Daniel Cerfaï et Dominique Pasquier3 ont fait en observant comment les expériences médiatiques singulières se transforment en engagement collectif. Il s’agit d’analyser les conditions d’émergence d’un engagement faisant suite à l’interaction avec les médias et à l’exposition aux médias. Daniel Dayan4 et Jostein Gripsrud5 ont montré, par exemple, combien les interactions en situation de réception et de post-réception constituent des ressources individuelles et collectives de mobilisation. Il semble donc important d’analyser les expériences post-réception en visitant les espaces où les publics des médias traduisent leur interprétation des messages et prennent position sur les sujets d’actualité.
- 6 Cf. DAMOME Étienne, 2015, « Pratiques radiophoniques et dynamiques communautaires des jeunes à l’èr (...)
14Car, on sait que c’est dans ces processus que les contenus des médias classiques réapparaissent dans l’espace public, notamment via les réseaux sociaux numériques. En effet, il est indéniable que le réseautage fonctionne de façon active et encore plus durant une période de campagne ; que les dispositifs numériques y jouent un rôle fondamental en offrant à ceux qui souhaitent s’organiser en communauté d’intérêts, des outils adaptés au partage ou aux interactions, facilitant le fonctionnement des communautés déjà formées et permettant l’émergence de nouveaux groupes. L’observation des processus de post-réception sous le prisme des contextes communautaires qui les sous-tendent apporte donc une variante dans l’analyse des publics des médias6.
15D’autre part, c’est en observant les dynamiques post-réception qu’on se rend compte que l’opposition médias classiques et médias sociaux numériques ne fonctionne pas du point de vue du récepteur. Les deux participent de son expérience de réception. Il est en situation de coprésence par rapport aux contenus et aux dispositifs et les mobilise ensemble ou à tour de rôle, en fonction des besoins du moment. Mieux, il peut être récepteur d’un côté et producteur de l’autre, ce qui explique cette continuité observée entre les deux univers, l’un nourrissant l’autre.
Notes
1 MORLEY David, 1986, Family television : Cultural power and domestic leisure, Londres, Comedia, 184 p. ; ELIASOPH Nina, 2003, « Publics fragiles », dans D. Cerfaï et D. Pasquier, Les sens du public, Paris, Presses universitaires de France, 225-268 ; ELIASOPH Nina, 1998, Avoiding politics. How Americans produce apathy in everyday life, Cambridge, Cambridge University Press, 344 p. ; DAHLGREN Peter, 2003, « À la recherche d’un public parlant. Les médias et la démocratie participative », dans, D. Cerfaï et D. Pasquier, Les sens du public, Paris, Presses universitaires de France, 291-312.
2 Cf. LIVINGSTON Sonia, LUNT Peter, 1993, « Un public actif, un téléspectateur critique », Hermès, 1993/1-2 : 11-12. 145-157.
3 Cf. PASQUIER Daniel, 2003, « Des audiences aux publics : le rôle de la sociabilité dans les pratiques culturelles », dans O. Donnat et P. Tolila, Le(s) public(s) de la culture, Paris, Presses de Sciences Po, 109-119.
4 Cf. DAYAN Daniel, 2000, « Télévision : le presque public », Réseaux, 2000/2 : 100. 427-456.
5 Cf. GRIPSRUD Jostein, 2002, « Fans, viewers and television theory », dans P. Le Guern, Les cultes médiatiques. Culture fan et œuvres cultes, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 113-131.
6 Cf. DAMOME Étienne, 2015, « Pratiques radiophoniques et dynamiques communautaires des jeunes à l’ère du numérique », Réseaux, 194 : 6, 2015, 229-263.
Top of pageReferences
Bibliographical reference
Etienne Damome, “THEVIOT Anaïs (dir.). Médias et élections. Les campagnes 2017 : primaires, présidentielle et législatives françaises”, Communication et organisation, 60 | 2021, 194-198.
Electronic reference
Etienne Damome, “THEVIOT Anaïs (dir.). Médias et élections. Les campagnes 2017 : primaires, présidentielle et législatives françaises”, Communication et organisation [Online], 60 | 2021, Online since 10 January 2022, connection on 08 December 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/communicationorganisation/10847; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/communicationorganisation.10847
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