1Cet ouvrage collectif est le quatrième volume issu des travaux du XXe congrès de la Société française des sciences de l’information et de la communication (SFSIC), tenu en juin 2016 sur le temps, les temporalités et les sciences de l’information et de la communication (SIC) et qui s’est déroulé à l’Université de Lorraine (Metz) en partenariat avec le Centre de recherche sur la médiation (CREM). Ce dernier recueil de travaux s’interroge sur les transformations induites par les temporalités, longues ou raccourcies (présent, à venir et passé), des technologies numériques dans les pratiques et les méthodes de recherche en SIC. Les contributions des différents auteurs débouchent sur « une réflexion épistémologique de la discipline sur les temporalités en SIC permettant de prendre en compte la dimension historique ainsi que l’ancrage social des phénomènes info-communicationnels » (p. 12) dans leur écosystème numérique autour de deux axes principaux : concepts et méthodes.
2En introduction, les responsables scientifiques de la publication, Jean-Claude Domenget, Bernard Miège et Nicolas Pélissier, reviennent sur les principes épistémologiques et méthodologiques d’analyse des temporalités en SIC pour faire des temporalités « une ambition d’intelligibilité, des phénomènes info-communicationnels analysés, inscrite dans une approche temporaliste » (p. 13). Dans ce sens, l’objectif est de préciser les notions ainsi que les concepts mobilisés. En reprenant donc la définition de Claude Dubar (2015), ils envisagent la notion de temporalité comme un ensemble d’objets scientifiques concrets (modes d’organisation temporelle des champs sociaux tels le travail ou la famille), quantitatifs et qualitatifs. L’autre particularité est celle de l’existence de concepts temporalistes (formes diverses d’agencement du passé du présent et de l’avenir) importables d’approches interdisciplinaires. Selon eux, la notion de temporalité est appréhendée comme une construction sociotechnique. Les chapitres de cet ouvrage sont ainsi regroupés en deux parties : une première qui propose une conceptualisation du temps et des temporalités ; une seconde qui synthétise et met en évidence les méthodes et pratiques mobilisées par les auteurs de cet ouvrage sans négliger l’importance sociale sur laquelle repose cet écosystème numérique.
3En survolant la première partie de cet ouvrage, on constate que la notion de temporalité est centrale. Gabriel Gallezot et Emmanuel Marty donnent le ton dans « Le temps des SIC ». À travers une étude exploratoire basée sur la fouille et la caractérisation des artefacts textuels, ils cherchent à appréhender les notions liées au temps dans les recherches en SIC ainsi que les éventuelles évolutions de ces approches dans une perspective diachronique. Les auteurs se réfèrent aux travaux de Max Reinert (1983) (analyse classificatoire) et adoptent une classification hiérarchique descendante (CHD) et une analyse factorielle des correspondances (AFC). Ils aboutissent à la proposition selon laquelle il convient de posséder un lexique de référence exogène au corpus constitué (Types généralisés [Tgen]), c’est-à-dire un ensemble de formes lexicales regroupées sur la base de critères prédéfinis. Ce travail a permis de repérer une inscription du temps quantitativement disparate au sein des différents champs de recherche en SIC.
4S’intéressant à l’évolution des industries culturelles canadiennes du cinéma et de la télévision devant les nouveaux services d’intermédiation, Éric George et Michel Sénécal s’appuient sur deux notions, celles de filière et de modèle, qui se fondent sur des considérations socioéconomiques, culturelles et sociotechniques, pour montrer l’importance de la « longue durée » dans les études en communication. Selon eux, « il faut prendre en compte la temporalité de la recherche en elle-même ainsi que l’échéancier de sa réalisation » (p. 56). Faire le choix de la temporalité dans la « longue durée » s’avère être un exercice complexe, surtout que les dispositifs sociotechniques sont en perpétuelle évolution.
5S’appuyant sur la théorie du design des strates des techniques, des objets numériques et de leur usage, Nicole Pignier et Thierry Gobert se demandent si les technologies numériques rendent le temps chronologique, physique, habitable, et comment elles opèrent. Pour ce faire, ils proposent une approche sémiotique leur permettant de questionner les temporalités sous l’angle de la perception et de distinguer ainsi les temps chronologiques, énonciatifs et passionnels. Les expériences de terrain conduisent les auteurs à faire l’hypothèse que « pour que le temps de l’énonciation algorithmique soit compatible avec le temps social, il est nécessaire qu’il ouvre la place au temps de l’énonciation humaine qu’il le précède » (p. 71). Ils montrent que le design des objets numériques masque le temps de la technique.
6De son côté, Mikael Chambru propose une approche méthodologique multisituée à la fois dans l’espace et dans le temps pour analyser les temporalités des mouvements sociaux oppositionnels. L’auteur met l’accent sur la reconfiguration de l’espace public, pour penser la normativité en pratique. Il favorise ainsi une distance critique pour conduire une enquête multisituée. Dans son article, Bernard Idelson analyse le rapport au temps des journalistes (temps de la pratique journalistique) et celui des chercheurs sur le journalisme (temps du savoir savant). Il se limite à la présentation de focales. À travers les diverses enquêtes qu’il a menées, il montre comment ces derniers sont de plus en plus marqués par l’accélération technique et sociale et restent liés à des apprentissages ainsi qu’à la transmission de pratiques spécifiques. Alors que dans le métier journalistique, « c’est le paradigme de l’actualité qui s’impose » (p. 94) tout en induisant des routines d’écriture (règle des 5W, phrases courtes…).
7S’appuyant sur des marqueurs principaux (temps, famille et caste), Olivier Arifon montre comment le temps contribue à définir une forme culturelle spécifique de la communication entre les individus de cultures différentes. Les résultats de son travail ainsi que les différentes dimensions d’un même marqueur (temps linéaire, spirale) montrent que chaque culture a sa propre vision du temps et que le tout est en lien avec la religion. Ils mettent en évidence l’existence d’une culture indienne dite de « l’obligation » marquée par les croyances religieuses.
8Axée sur les approches et innovations méthodologiques, la deuxième partie s’ouvre sur une contribution de Brieuc Conan-Guez, Alain Gely, Dario Compagno et Arnaud Mercier qui présente les résultats d’une analyse portant sur différentes échelles temporelles de pertinence (minute, heure, journée…) de tweets associés aux hashtags. L’horodatage (date et heure) des tweets a permis aux auteurs non seulement d’étudier la distribution temporelle de ce hashtag, mais aussi de dégager une typologie basée sur leur cycle de vie.
9Pensant que le temps peut être considéré comme un artefact médiateur, Manuel Zacklad et Gayoung Kim distinguent deux types de temporalités : temps objectif (composante essentielle de la construction sociale d’une réalité partagée) et temps subjectif (lié à l’activité réalisée et dépendant des individus et de leurs champs d’intérêt) intervenant dans la remédiation des services de l’économie collaborative. À partir des travaux de Dominique Bouiller, les auteurs distinguent quatre catégories de temps subjectif, à savoir le « temps évènement » (programmé et organisé), le « temps hasard » (imprévu), le « temps routine » (connu) et le « temps d’expérience » (exploratoire et inconnu). Selon eux, cette accessibilité temporelle joue un rôle important pour la construction de nouveaux services communs ainsi que pour l’enrichissement de l’expérience subjective.
10De leur côté, Laurent Morillon et Bruno Péran mènent une observation participante dans un laboratoire commun entreprise-université dans le but de repérer les interactions liées à la mise en œuvre des diverses temporalités (le temps long et l’urgence). À la suite de leur travail d’observation, les auteurs confirment le rôle central du temps et démontrent ainsi que le temps a priori long de la recherche s’accommode d’une multiplicité de temps courts et même d’urgences obligeant le scientifique à une réorganisation permanente de son activité. Jérôme Valluy s’interroge dans son texte sur les enjeux de temporalité de la communication savante et des reconsidérations des formes d’écriture numérique. Selon l’auteur, « le numérique ne fait qu’archiver et révéler un magma de communications » (p. 175). C’est ainsi qu’il insiste sur les modifications des sens de la communication savante à long terme.
11Margot Georges et Magalie Moysan s’interrogent sur le rapport entre temporalités et archives à travers le regard des chercheurs en sciences du vivant. De la trace à l’oubli en passant par la mémoire, les auteures concluent « qu’en tant que médias les archives sont associées aux notions de mémoire et d’histoire et perçues comme une permanence du passé. Mais les chercheurs les conjuguent au présent lors du moment de l’archivage et au futur, en envisageant leurs usages potentiels » (p. 187-188).
12La présentation de ces travaux variés ainsi que l’importance de la prise en compte méthodologique du contexte et des cultures temporelles propres à certaines catégories professionnelles et culturelles montrent leur richesse et, pour certains, le rôle de renouvellement de pratiques joué par les nouveaux médias, dispositifs et technologies. Les questions du temps et de la temporalité y sont bien exploitées et des pistes bibliographiques intéressantes sont données à qui souhaite poursuivre l’exploration de ce thème.