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Lectures

Tim MARKHAM (2017), Media and the Experience of Social Change: The Arab World

Londres, Rowman et Littlefield International
Anne-Hélène Le Cornec Ubertini
Référence(s) :

Tim MARKHAM (2017), Media and the Experience of Social Change: The Arab World, Londres, Rowman et Littlefield International

Texte intégral

1Tim Markham, professeur de journalisme à Birkbeck, Université de Londres, aborde la question du changement social à travers le prisme de journalistes du Moyen-Orient. Il nous entraîne dans un courant de la philosophie phénoménologique à la suite du philosophe allemand Martin Heidegger (1889-1976). Son principal argument est que nous ne pouvons saisir correctement le changement social dans toutes ses dimensions que si nous travaillons en permanence sur la clarification des limites de l’intelligibilité de notre expérience consciente de la vie de tous les jours. C’est donc dans la banalité de l’expérience quotidienne que nous pouvons puiser la sensibilité politique nécessaire pour saisir les changements systémiques à l’œuvre. L’auteur considère que les journalistes sont les mieux placés, au regard de leurs compétences personnelles et professionnelles, pour appréhender l’ampleur et la signification du changement social. Il regrette que le printemps arabe ait été commenté par les journalistes occidentaux avec une grille de lecture trop occidentale et prend donc le parti d’interviewer quelques journalistes du Caire en Égypte en 2012 et de Beyrouth au Liban en 2014. Le changement social est double : il concerne le changement politique et le développement des réseaux sociaux. En Égypte, le candidat des Frères musulmans Mohamed Morsi a succédé au dictateur déchu Hosni Moubarak. Les réseaux sociaux, entendez le peuple, sont crédités par les observateurs occidentaux d’un rôle majeur dans l’avènement du printemps arabe, alors que les journalistes sont considérés comme des serviteurs, volontaires ou pas, du pouvoir en place. Markham note qu’historiquement nos modèles d’analyse des politiques et des médias ont été fortement biaisés par la continuité des dysfonctionnements institutionnels menant plutôt à la sclérose qu’à la révolution. Il analyse 370 tweets de 13 journalistes sur deux événements, la nomination de Mohamed Morsi et la visite de Kofi Annan au nom de l’Onu en Syrie. Il s’agit pour lui non pas de mener une étude statistique du type expérimental, de faire une analyse de discours ou d’adopter une démarche proprement ethnographique, même s’il nous donne des éléments chiffrés (ce qui ne sera pas le cas pour le Liban), mais plutôt de confirmer que les idées reçues sur les journalistes du Moyen-Orient sont fausses. Markham affirme qu’à la différence des journalistes occidentaux, les journalistes arabes sont plus motivés par la politique que par le sens d’un service public d’information : trois fois plus disent que leur objectif est un changement politique plus qu’une envie de relater des faits.

2Les journalistes interrogés caractérisent leur vie professionnelle comme très active. Ils n’ont plus une minute à eux depuis que Moubarak est tombé et que les réseaux sociaux se sont développés. Ils sont néanmoins satisfaits de leur emploi et ils ne se sentent pas précarisés par les changements sociaux. Toutefois, l’ère post-Moubarak génère du stress en raison du flou qui entoure désormais les lignes rouges à ne pas franchir par rapport aux éditorialistes et au régime politique. Les journalistes se définissent comme étant au centre des événements et pas comme des descripteurs de ce qui s’est passé dans les 24 dernières heures, car ils rendent compte aussi des changements systémiques qui se produisent. Leur mission, selon eux, consiste à parler à l’homme de la rue, à vulgariser l’information avec le plus de sérieux possible, ce qui ne les empêche pas de déplorer la naïveté de cet homme du peuple, notamment par rapport aux Frères musulmans. Pour les journalistes, en effet, le nouveau régime est le même que le précédent, la barbe en plus (p. 77). Ils analysent la soif de pouvoir des Frères musulmans comme une obsession, une volonté de tout contrôler, y compris les gens.

3Au Liban, deux ans plus tard, les conséquences de l’instauration de l’État islamique en Irak et en Syrie se font sentir. Malgré l’insouciance affichée par la population, une culture de la consommation à l’occidentale, Markham décrit le Liban comme instable à la fois parce que la guerre est à ses portes et qu’il y règne une forme de déni, les problèmes laissés en suspens après la guerre civile et l’assassinat du premier ministre Rafiq Hariri ayant été non pas réglés mais occultés. Les journalistes sont différents de ceux du Caire, car les deux pays ont une culture et des régimes différents. Pour Markham, le sens de leur travail est essentiellement donné par des facteurs extérieurs au champ journalistique, contrairement à celui des Égyptiens. Au Caire, les journalistes tiraient leur confiance en eux à la fois de leur croyance en eux-mêmes, de leurs lecteurs et de leurs confrères, tandis qu’au Liban, la reconnaissance des journalistes passe par d’autres communautés que la leur, qui ont leur propre culture, leurs règles et leur vocabulaire.

4Dans tous les cas, les journalistes sont très actifs sur les réseaux sociaux et très suivis, car ils ont de l’expérience et un savoir-faire transposable aux réseaux sociaux. L’image qu’ils y construisent est importante sur le plan de l’estime de soi et de la carrière professionnelle.

5L’auteur égratigne les médias occidentaux dans leur propension à insister sur les différences entre « les gens comme nous » et « les gens comme eux » (p. 204), à distinguer les groupes sociaux, alors que le journalisme devrait être la volonté de faire se rencontrer et se comprendre des communautés différentes. Le journalisme devrait permettre de créer du dissensus (Rancière, 2010), c’est-à-dire la capacité de chacun à changer le cadre de ses représentations.

6L’approche philosophique de Markham ne permet pas de valider scientifiquement ses affirmations initiales. Bien que le courant phénoménologique rapproche la philosophie de l’étude de terrain, le travail mené n’est pas comparable à une analyse scientifique, ce qui peut générer de la frustration chez le lecteur cartésien. L’ampleur du sujet, ou plutôt des sujets, rendait impossible la réalisation de ce type d’étude en un seul ouvrage, mais le travail réalisé étoffe l’argumentation de l’auteur, il permet de lui donner corps et de devenir une heuristique utile. Markham crée du dissensus en apportant un nouvel éclairage sur le journalisme au Moyen-Orient.

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Bibliographie

RANCIÈRE, Jacques (2010), Dissensus: On Politics and Aesthetics, Londres, A&C Black.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Anne-Hélène Le Cornec Ubertini, « Tim MARKHAM (2017), Media and the Experience of Social Change: The Arab World »Communication [En ligne], vol. 36/1 | 2019, mis en ligne le 16 avril 2019, consulté le 15 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/communication/9414 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/communication.9414

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Auteur

Anne-Hélène Le Cornec Ubertini

Anne-Hélène Le Cornec Ubertini est maître de conférences, Laboratoire d'études et de recherche en sociologie (LABERS), Université de Bretagne Occidentale. Courriel : ubertini@unice.fr

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