1Même avec des propos d’un très grand intérêt scientifique, tout conférencier se doit de relever le défi d’intéresser son auditoire et de se faire entendre et comprendre par ceux à qui sa présentation s’adresse. Or c’est loin d’être toujours le cas et c’est pour remédier à cette situation que Luc Desnoyers a choisi de partager sa compétence et ses connaissances, fruit d’une riche expérience de communicateur et d’enseignant. La communication en congrès constitue ainsi une contribution salutaire et audacieuse aux problèmes de communication des scientifiques qui veulent faire connaître leurs travaux. De surcroît, l’auteur entreprend de mettre de l’ordre dans un domaine de la communication qui déborde de conseils en tous genres et de pratiques plus ou moins basées sur le « système D », et de fournir des fondements plus pérennes.
2Dès le départ, Desnoyers cadre de façon précise et incontournable la situation visée :
D’un geste lent, le conférencier place un premier transparent sur le rétro, allume, vérifie derrière, d’un rapide coup d’œil, l’effet sur l’écran. Il se lance dans son exposé d’une voix qu’il voudrait plus assurée […] La salle s’est progressivement tue, elle est maintenant attentive et les yeux se sont braqués sur le conférencier (p. 1).
3Cette situation, que les chercheurs et plus généralement les conférenciers connaissent bien, est ici considérée du point de vue d’un ergonome qui cherche à établir « quelles sont les conditions requises pour que la communication soit performante », c’est-à-dire efficace.
4Après avoir, dans un premier chapitre, focalisé l’attention de son lecteur sur les redoutables enjeux et possibilités de la communication en congrès, et dégagé la spécificité de la communication scientifique, l’auteur consacre le chapitre suivant aux modalités de préparation de l’exposé. Le chapitre trois pose les bases d’une typologie des images et des fonctions qui leur sont assignées ; illustrer, montrer, démontrer. Le chapitre quatre établit des repères généraux dans la conception des images, y compris les conditions de lisibilité des signes typographiques et graphiques. Ces deux chapitres (3 et 4) sont ainsi introductifs à ce qui constitue le cœur de l’ouvrage, une typologie organisant les images en trois grandes classes, en fonction du type d’information qu’elles présentent. Les trois chapitres centraux de l’ouvrage décrivent en détail trois grandes catégories d’images, les typogrammes, les analogrammes et les cosmogrammes, en s’appuyant sur une iconographie abondante. Ce n’est qu’après, dans le huitième chapitre, que sont traités les aspects techniques et pratiques de la confection des images et les conditions matérielles de leur projection. Un dernier chapitre aborde de façon originale la situation de communication en présentant à l’aide d’une taxonomie zoologique les comportements des différents acteurs intervenants dans un dispositif de conférence.
5S’il identifie son ouvrage d’abord comme guide pratique, l’auteur n’est pas sans visée scientifique (observer, analyser et évaluer les pratiques) et critique, en confrontant ces pratiques aux « acquis des éducateurs, des épistémologistes et des psychologues », ainsi qu’à ceux « des designers-graphistes et des ergonomes ». Il resitue la communication de résultats scientifiques dans un ensemble de théories et de modèles qui ont marqué l’analyse de la communication des cinquante dernières années. Partant du modèle de Shannon et Weaver, visant la transmission de l’information, l’auteur dresse l’enrichissement progressif de l’analyse de la communication avec l’apport de la cybernétique, de la théorie générale des systèmes, de l’École de Palo Alto, de la linguistique et des études sur les médias. La spécificité de la communication scientifique est appréhendée plus particulièrement à partir, entre autres, de cinq tâches caractérisant les horizons de la recherche du sociologue Bruno Latour.
6Le point de vue pragmatique et empirique dominant s’ouvre ainsi dès le premier chapitre aux dimensions plus phénoménologiques et herméneutiques qui donnent à l’expérience de communication à la fois son attrait, sa profondeur et son irréductible imprévisibilité. Des propos évocateurs vont prolonger cette incursion, du type « … la communication est ici reçue par un participant, par un auditeur qui écoute, et l’écoute est beaucoup plus que la simple captation des sons » (p. 58) ; « La vision résulte en premier chef d’un processus actif de recherche de l’information » (p. 60) ; ou encore « Le spectateur ne photographie pas mentalement une image projetée sur un écran pour l’analyser ensuite, il la lit en temps réel » (p. 60).
7Progressivement, l’auteur installe les contraintes que l’intelligibilité va imposer au concepteur des images, avec obligation de lisibilité et de qualité. Les multiples références aux propos de Tufte (2001), de Bertin (1967) et à de nombreux autres auteurs ayant acquis une notoriété dans le domaine, contribuent toutes à construire ce repère capital pour la compréhension qu’est une conception réussie et que Le Corbusier résumait ainsi : « Une bonne conception rend visible l’intelligence. » Les multiples indications et conseils de l’auteur visent ainsi à rendre visible et intelligible le sens des informations que veut communiquer le conférencier. En somme, on rejoint le projet artistique que Paul Klee (1998) définissait ainsi : « L’art ne reproduit pas le visible, il rend visible. »
8S’appuyant sur une observation soutenue des activités qu’il analyse, l’auteur souligne les nombreux enjeux, des plus évidents aux plus souterrains, de cette pratique. Communiquer en congrès est une pratique dont la maîtrise devrait s’acquérir très tôt dans le cursus des chercheurs, car c’est dès le statut d’étudiants qu’ils y sont rapidement confrontés :
[…] l’étudiant doit communiquer pour contribuer au savoir collectif mais peut-être surtout pour montrer, par sa représentation, qu’il fait partie de la confrérie de ceux qui ont les qualités requises pour produire une contribution significative (p. 51).
9Ce n’est pas simplement la manifestation des résultats d’une recherche qui se joue dans une communication, mais un ensemble d’éléments que l’auteur a systématiquement observés et analysés, « selon la méthodologie chère à l’ergonomie ». Le lecteur est ainsi introduit dans les différents sous-systèmes du « système congrès » : sous-systèmes régulateur, de communication, sociopolitique, médiatique, logistique, de contrôle financier, commercial, de gestion de carrière et enfin social.
10L’élément organisateur de l’ouvrage est sans conteste la typologie des images, établie à partir des formes visuelles mises en jeu. L’auteur met en place trois grandes catégories d’images et définit à l’intérieur de chaque catégorie une nouvelle classification hiérarchique ; il fait ensuite correspondre chaque type d’image soit avec une des activités d’information, de monstration ou de démonstration auxquelles se livre le conférencier, soit avec le type d’information qu’elle peut le mieux traduire. L’auteur fonde ces correspondances sur quelques « principes généraux qu’il est possible d’extraire de cette somme hétéroclite de savoirs » que sont les résultats de « certaines expérimentations », les « théories de la perception » et « les fruits du tâtonnement et de l’expérience de nombre de scientifiques et de graphistes ».
11À cette typologie innovante s’ajoutent les repères ergonomiques que l’auteur propose pour la conception des images ainsi que pour leur confection. L’ouvrage est basé sur un préalable implicite, à savoir que la mise en place de repères ergonomiques va améliorer la communication des scientifiques et autres usagers d’images. L’auteur plaide pour la mise en place de fondements scientifiques en remplacement de fondements pragmatiques et expérimentaux auxquels se réfèrent habituellement les « ouvrages traitant de graphisme et d’iconographie scientifiques ».
12C’est donc dire que Luc Desnoyers fait à la fois œuvre de pionnier et de défricheur. Il a une très bonne connaissance des différents types d’images et de la spécificité de chacune quant au type d’information qu’elle peut le mieux donner à voir. L’auteur procède par description et par appariement entre un type d’image et un type d’information, en se basant tantôt sur les pratiques dominantes, tantôt sur des recommandations se démarquant des pratiques habituelles. Il est vrai que le domaine est déjà riche de nombreuses propositions pour l’organiser : il est possible de partir des capacités perceptives avec les 6 variables visuelles de Jacques Bertin (1986), ou des fonctions explicatives, avec par exemple les cinq grand types de Zelazny (1989), ou des paramètres de la conception avec par exemple les 10 règles pour concevoir des illustrations de Bénichoux, Michel et Pajaud (1985), ou des 5 principes pour présenter des informations de Tufte (2001). Desnoyers se réfère à certaines de ces approches, soit pour y fonder ses prises de position, soit pour offrir au lecteur de nouveaux horizons pour compléter sa propre présentation. Son propos s’agrémente de nombreuses références à des situations pratiques et à des difficultés réelles que des conférenciers ont dû affronter. Les conseils expérimentés de l’auteur n’en sont que plus pertinents, permettant à l’apprenti conférencier de pouvoir préparer son intervention de façon à éviter les écueils courants auxquels il risque d’être confronté.
13Il n’est pas anodin que l’auteur hésite entre typologie (p. 86) et taxonomie (p. 87) pour nommer ce travail de définition et de classification des types d’images et de leur regroupement en catégories hiérarchiques (classes, ordres et familles). La typologie, ou regroupement des images en trois catégories à partir des types d’informations représentées (représentation alphanumérique, réaliste ou analogique), ne s’appuie pas sur les mêmes critères que la taxonomie, qui à l’intérieur de chaque type d’images les organise en fonction des formes visuelles mises en œuvre.
14La spécificité de cet ouvrage, la mise en place d’une organisation hiérarchique novatrice des images en classes, ordres et familles, en constitue à la fois la richesse et la limite. Cette typologie très élaborée s’appuie sur une nomenclature inédite qui risque fort de rebuter le conférencier à la recherche de solutions pratiques pour mettre en forme ses données. Le vocabulaire utilisé par l’auteur (voir le tableau récapitulatif de la page 109) peut s’avérer sibyllin, n’étant pas basé sur des pratiques familières, même si l’auteur tente de le justifier en invoquant la confusion que génère l’absence de terminologie convenue. Malgré une présentation méthodique, il s’avère en effet difficile de se repérer entre les « punctigrammes stériques » (points présentés en 3D), les « cellulogrammes dendritiques » (matrice de données ayant la forme d’un histogramme à bandes horizontales) ou encore les « domogrammes photographiques » (photographies de lieux ou d’espaces).
15La proposition de Desnoyers n’est sans doute pas la dernière en la matière, notamment parce qu’il ne prend pratiquement pas en compte les nouveaux outils numériques de traitement des données et de visualisation. On peut se référer ici au plaidoyer très convaincant que faisaient, il y a déjà près de vingt ans, Friedhoff et Benzon (1989) pour la reconnaissance de la « visualisation », ou la pensée visuelle, comme « discipline à part entière » ou aux nombreux sites en ligne ayant pour thème la visualisation de l’information, par exemple visual-literacy.org, avec la table des méthodes de visualisation de Lengler et Eppler (2007). Cette approche a l’avantage d’ouvrir la réflexion sur de nouveaux processus cognitifs et d’identifier de nouvelles dimensions, avec l’activité cognitive visuelle, qui se développent avec les techniques de numérisation des données et les outils de visualisation qui leur sont associés. Ces initiatives visent à documenter la « pensée visuelle », dimension cognitive attestée par de nombreux scientifiques comme capitale dans la construction de modèles et la compréhension de problèmes complexes.
16La communication en congrès est une pratique distinctive des chercheurs et les y préparer est sans aucun doute une activité porteuse d’avenir, surtout si l’on considère la prolifération des colloques : à titre d’exemple en 2006, le congrès de l’ACFAS (Association francophone pour le savoir) comportait plus de 150 colloques, et l’IEEE (Institute of Electrical and Electronics Engineers) en ayant organisé quant à lui plus de 300. Bien que l’expérience et la participation à des colloques permettent une certaine amélioration des présentations, la prestation de la majorité des conférenciers laisse encore beaucoup à désirer sur le plan de la qualité de la forme de la communication, plan sur lequel se place l’auteur. À défaut d’entrer de plain-pied dans la numérisation, l’auteur apporte cependant avec cet ouvrage un large panorama des enjeux de la communication en congrès, et un guide informé pour le conférencier qui veut réussir sa communication en l’accompagnant de documents visuels.
17En conclusion, l’auteur a accompli avec cet ouvrage un important travail de mise en ordre des différentes dimensions de l’illustration graphique dans les pratiques de communication des scientifiques. L’ouvrage comporte une importante dimension graphique, 189 illustrations parsèment principalement les chapitres quatre, cinq, six et neuf de cet ouvrage de 454 pages. Présentes en noir et blanc dans l’ouvrage, les figures sont reproduites en couleur, et facilement repérables grâce à une liste numérotée par chapitre, dans un CD-ROM accompagnant l’ouvrage et pouvant être lu avec Windows® 98 et supérieur. Configuration minimale : Pentium 200 mhz, 32 Mo de RAM, 800 600 pixels. Macintosh OS 9.0 et supérieur.