1Au lieu de tirer parti des nouvelles technologies pour faire profiter le consommateur des gains de productivité, comme l’ont fait la plupart des industries manufacturières depuis la période des « trente glorieuses », la presse quotidienne française a surtout privilégié ses traditions. Ni le Minitel des années 1980, géré par une administration centrale qui voulait éviter tout blocage avec la presse, ni l’avènement des fonds documentaires et des banques de données des années 1990 n’ont vraiment changé la donne pour des lecteurs dont la curiosité devait se contenter de l’achat de leur journal quotidien. Ce temps de stabilité est en train de disparaître. La presse quotidienne n’échappe plus à l’obligation d’adopter les techniques de son temps. Les usages sont en train de changer sous l’influence de facteurs qui échappent à l’emprise des journaux : l’accès électronique en est la cause. Une navigation, sommaire mais opérationnelle, permet désormais de suivre l’information générale, sportive, économique ou politique avec un terminal de poche. Les défis des entreprises de presse, concurrencées, depuis longtemps, par l’information radiophonique et par les télévisions, se multiplient avec l’interactivité des nouveaux médias. En les relevant, nos journaux quotidiens peuvent-ils retrouver une nouvelle jeunesse, et comment ?
2Le journal français a tardé à intégrer les nouvelles technologies de l’information dans son fonctionnement quotidien : la saisie directe sur écran, la disparition des linotypes, l’impression offset ont été des occasions pour moderniser les journaux au fil du temps ; mais comme la majorité des salariés manifestaient leur réticence à l’informatisation de leurs métiers, l’innovation ne s’est imposée qu’après de longues tractations, au prix de généreuses conditions sociales. Ainsi, au sein de la presse parisienne, les coûts sont très élevés, notamment en raison des frais de main-d’œuvre que les nouvelles technologies n’ont guère permis de contrecarrer. Notre journal n’a donc guère changé en quarante ans, malgré les amendements de format ou de maquette qui le rajeunissent de temps à autre, et son prix reste élevé. L’innovation technologique n’a pas vraiment bénéficié jusqu’ici aux lecteurs. Or, Internet change la donne, car la curiosité du lecteur peut s’alimenter désormais autrement qu’en lisant un journal : les moteurs de recherche lui ouvrent un accès apparemment gratuit (c’est-à-dire financé par la publicité) à un extraordinaire spectre de renseignements et de commentaires au sein desquels il peut picorer à tout instant, selon sa disponibilité et son humeur ; des procédures de recherche et d’affichage de plus en plus accessibles à tout un chacun rendent ces sources très accessibles, sans délai ni souci de lieu ni d’heure. L’Internet mobile, celui dont les téléphones portables les plus récents nous ouvrent les portes, commence aussi à faire sentir ses effets.
3En résumé, la pratique numérique initie de nouveaux comportements : on s’informe autrement que par la lecture du journal ; on participe aux événements par le courrier électronique, par les listes de diffusion, par les blogs. Nos curiosités, sérieuses ou pas, s’alimentent de cette interactivité qui s’est répandue dans la population à une très grande vitesse, par des moyens commerciaux, sans rapport avec la presse, extérieurs à son influence et à ses règles. Ces nouveautés sont un défi réel aux journaux écrits ; une véritable concurrence qui menace les positions les mieux acquises. Nos quotidiens sont donc au pied du mur : que faire, avec quel objectif, quels hommes et quels moyens pour rebondir sur cette révolution, pour en tirer les leçons et, si possible, pour enfourcher les nouveaux moyens d’information qui sont en train de conquérir la planète ? C’est l’interrogation à laquelle aboutit la recherche de terrain sur laquelle repose cet article. Les résultats sont mitigés. C’est ce parcours que nous résumons en prenant Le Monde comme un symbole de l’approche du Web par les quotidiens nationaux français.
4À l’occasion des élections présidentielles du printemps 1995, le journal Le Monde héberge quelques pages Web sur le site de France Télévision. Six mois plus tard, le site du journal affiche à l’adresse http://www.lemonde.fr/ la une du quotidien, quelques dossiers thématiques et permet la consultation payante des archives du journal. Près d’un an plus tard, en octobre 1996, un accord paritaire autorise la reprise des articles du journal écrit sur ce site moyennant le paiement d’un droit d’auteur complémentaire aux auteurs des articles qui deviennent dès lors accessibles en ligne à partir de janvier 1997, à titre payant. Au cours de cette première mise en ligne, le site du Monde paraît toutefois hésiter entre deux vocations : reproduire l’image du journal à l’écran ou rédiger un média proprement interactif pour cet accès en ligne ? Il est intéressant de souligner que la rédaction interactive du Monde est différente de celle du journal : les collaborateurs du Monde interactif ne cohabitent pas avec ceux du Monde ; leurs contrats de travail sont différents, moins avantageux que ceux des permanents du journal ; leur statut social est différent de celui des collaborateurs du journal ; l’équipe interactive n’est pas intégrée à la rédaction du journal qui ne cohabite pas avec ces nouveaux venus ; le cœur rédactionnel du Monde continue de vivre au rythme et dans les conditions classiques de la presse, tandis que la rédaction interactive est domiciliée loin du siège du journal qui changera deux fois d’adresse sans pour autant rapatrier l’équipe interactive au sein du siège social.
5Après cette opération s’engage une seconde étape : des évaluations examinent les approches du Web par d’autres grands quotidiens, notamment américains ; l’idée prend corps d’exploiter le potentiel d’Internet au profit de la société éditrice ; une filiale Le Monde interactif est constituée en juin 1998, avec la participation du groupe Lagardère. Le Monde SA rassemble dans cette filiale l’ensemble de ses investissements numériques ; il y regroupe diverses activités éditoriales consacrées aux nouveaux médias (CD-ROM, Internet et ce qui reste du Minitel) ; il s’agit d’exploiter sous ce chapeau commun des productions annexes qui peuvent adapter le journal, son savoir-faire et son style à de nouveaux canaux d’expression.
6Le site portail est enfin lancé en mai 2000, soutenu par une campagne de communication significative : 500 000 euros de faire-savoir et un budget d’exploitation annuel supérieur à 4,5 millions euros ! Ce site accueille de la publicité, élargit le contenu du journal, présente l’actualité en continu ; une partie du quotidien est accessible en ligne. Le portail décline également des centres d’intérêt thématiques, comme un magazine : sorties, interactivité, livres, finances, éducation, immobilier, voyages, emploi. Chacune de ces déclinaisons informe sur les hommes, sur les entreprises, sur l’offre disponible, sur l’actualité et tire parti des moyens éditoriaux propres au Web (images, animation, interactivité avec le correspondant). Par analogie avec l’expérimentation très coûteuse d’autres quotidiens (en France : Le Figaro ; à l’étranger : le New York Times, le Washington Post, en Irlande : l’Irish Times, etc.), la voilure devra cependant être réduite assez vite pour éviter de creuser le déficit d’une telle exploitation.
7Cette expérience suscite une série de tensions entre la direction du Monde SA et celle du Monde interactif. Dès janvier 2001, la mise en ligne du journal Le Monde est revue, avec deux objectifs explicites : garder le contrôle de la rédaction sur sa filiale et calmer le jeu vis-à-vis des journalistes du quotidien qui craignent manifestement que le nouveau bébé leur échappe ! Cette troisième étape se concrétise par une mise en tutelle de la rédaction électronique par la rédaction traditionnelle du journal : la production du Web est désormais inspirée directement par les équipes du journal ; les textes du Monde alimentent la rédaction interactive ; l’interface est assuré par une cellule multimédia, logée au siège du journal et directement rattachée à la rédaction en chef du quotidien ; c’est elle qui transfère le contenu du journal vers le site ; les rédacteurs du http://www.lemonde.fr/ peuvent certes enrichir et rafraîchir les nouvelles, coller à l’actualité immédiate, construire des dossiers propres au journal électronique ; mais ils agissent comme des auxiliaires de la rédaction centrale, pas comme une rédaction autonome.
8La combinaison entre le journal papier et le site Internet se stabilise : le Web est une seconde mise en valeur du quotidien, rapportant un complément de revenus aux rédacteurs du journal. Le site apporte au surplus des dossiers mensuels thématiques préparés par la rédaction Web ; des lettres électroniques de conjoncture, produites par cette même rédaction ; des forums ouverts aux abonnés qui consacrent l’option interactive du site. Géographiquement éloignées, les deux rédactions sont reliées par un interface humain (une nouvelle forme de médiateur ?) par lequel transitent les textes qui seront repris sur le Web et qui relaie les consignes du journal. Cette étape se poursuit en avril 2002 avec l’ouverture d’un abonnement Web complémentaire à 5 euros pour les abonnés au journal. Le journal électronique apparaît dès lors clairement comme une annexe du Monde et non comme un produit autonome, ce qui aurait pu être le cas lors de la première tentative de 1995.
9Bien que le Monde interactif emploie une cinquantaine de personnes, dont une trentaine de journalistes dirigés par un rédacteur en chef Web, cette rédaction secondaire est affiliée au quotidien : financièrement puisqu’il s’agit d’une filiale ; administrativement par son pilotage rédactionnel à distance ; et humainement puisque la rédaction Web comprend des journalistes d’un autre niveau statutaire que ceux de la rédaction du journal. La technologie électronique est ainsi au service principal du journal ; elle met en valeur les textes produits par la rédaction écrite et la forme traditionnelle du quotidien. Les autres productions interactives (dossiers, lettres, forums, etc.) sont des faire-valoir du journal qu’ils entourent de leurs soins sans lui porter d’ombre !
10Le Monde interactif valorise le journal : ses rubriques rappellent celles du journal ; ses dossiers sont calqués sur l’imprimé (livres, sortir, éducation, interactif) ; transmises aux abonnés par courrier électronique, ses lettres d’information reprennent les rubriques du journal, etc. Il n’y a donc pas de projet éditorial autonome pour Le Monde interactif ; il épaule le journal qui lui a permis d’exister. L’intermédiaire humain, médiateur entre les deux rédactions, est au service du journal où il est logé et dont il est, en pratique, le mandataire. Un autre intermédiaire technologique (la cellule multimédia) est aussi logé au journal ; ces deux facilitateurs convertissent en partie le journal en un service électronique, une tâche parfaitement définie par ce témoignage de l’un d’entre eux : « Le site est le miroir du Monde ! » Les règles, les normes, les arbitrages applicables à la vie quotidienne des deux rédactions proviennent du journal, qui est le modèle et le juge du produit dérivé sur Internet.
11Le cas du Monde est-il caractéristique de la presse quotidienne et sa stratégie est-elle éclairante pour d’autres quotidiens Les médias électroniques qui agitent les organes de presse et d’édition depuis des années peuvent-ils non seulement perturber les projets éditoriaux mais aussi les institutions qui encadrent en France les métiers de l’information ? Nous poursuivons par ces questions que se posent tous les journaux, en France et ailleurs dans le monde.
12La première question (comment un journal peut-il aborder Internet ?) n’a reçu de réponse unanime ni en France, ni ailleurs. La circonspection du Monde était donc compréhensible et elle n’a pas été isolée. Aucun grand quotidien européen n’est allé vite en besogne : tous gardent un œil circonspect sur le Net tout en continuant de pousser les feux pour entretenir la clientèle du journal écrit. Les quotidiens américains n’ont pas non plus « crevé l’écran » des ordinateurs de leurs abonnés ! Pour la majorité des journaux occidentaux, l’approche du Web a été circonspecte : ils tiennent à maintenir le média historique tout en admettant que le nouveau média puisse s’inscrire en rupture avec le passé. Mais il fallait pour cela disposer de forces solides et durables que seule l’exploitation du journal peut fournir !
13Une telle tactique est toutefois coûteuse : elle impose des moyens humains et matériels significatifs (investissement minimum pour un journal : de l’ordre de 10 M euros ; couramment supérieur à 30 M euros pour un service vraiment interactif) ; de s’entourer des meilleurs conseils ; de mettre en œuvre des équipes entreprenantes et motivées ; de durer assez longtemps pour intéresser d’abord, pour fidéliser ensuite une chalandise qui découvre le nouveau média en même temps qu'il se fabrique ; c’est une loi d’airain qui impose non seulement d’accepter le risque mais surtout de supporter un échec éventuel ! De plus, le penchant du public pour Internet ne se traduit pas nécessairement par l’abandon du journal, mais à condition évidemment que ce journal ait encore des lecteurs ! La percée des quotidiens « gratuits » venus de Suède ou de Norvège où ils sont nés (20 minutes et Métro), présents depuis 2002 en France, fut une surprise pour de nombreux spécialistes de la presse ; elle a toutefois ranimé des espoirs, car ce succès démontre qu’il peut exister encore une réserve de lecteurs pour la presse quotidienne ! Mais sans doute des lecteurs d’un autre genre. Une question existentielle doit donc être posée : si l’effondrement du lectorat de la presse quotidienne française depuis plus de quarante années ne s’explique ni par le désintérêt des lecteurs, ni par l’oubli de la lecture, quelle est donc la cause du désamour des Français pour leurs quotidiens traditionnels ? Le succès des journaux gratuits semble démontrer qu’un potentiel important de lecteurs français était en friche. Sur une longue période, les lecteurs quotidiens furent-ils écartés du journal par un prix excessif ? Pour conserver des lecteurs, un journal quotidien doit-il rester très accessible, à défaut d’être gratuit ? La presse gratuite, réveillant rapidement une clientèle fidèle et nombreuse, révèle peut-être une évidence trop longtemps oubliée en France !
14L’information par le Web pousse à réfléchir également sur la transformation des métiers de la presse, c’est-à-dire sur le journalisme, sur la fabrication et sur la distribution de la presse. Longtemps protégés par un statut protecteur mais très conservateur, les journalistes de la presse écrite parisienne sont peut-être en train de découvrir que leur métier continue à changer très vite : beaucoup de leurs confrères de province et de l’étranger sont désormais des hommes-orchestres, à la fois reporters de l’écrit, du Web et de l’image ; tous saisissent leurs textes et leurs illustrations sur un ordinateur ou sur une station de travail reliée directement à la fabrication du journal, à une radio et au site Internet. Les catégories professionnelles héritées du siècle passé, verrouillées dans des frontières définies à l’avance, ont probablement vécu.
15La fabrication du journal s’est transformée également : le maintien d’une imprimerie intégrée au journal apparaît comme une survivance d’un autre temps, celui où la composition et le tirage du journal se situaient naturellement au même lieu que sa rédaction. Or cette conjonction n’est plus nécessaire avec les télécommunications qui permettent une parfaite interaction à distance et un « bon à tirer » virtuel ! Ce que le métier a perdu en romantisme ouvriériste (qu’est devenu le marbre de Citizen Kane ?), il l’a gagné en productivité et en souplesse. Comme le roman ou l’essai, dont la saisie est faite par l’auteur, le journal se fabrique désormais à la rédaction.
16Quant à la distribution de la presse, elle est aussi remise en cause par le changement technique et par les usages de la clientèle : le maintien de nombreux points de vente en kiosque, comme la distribution postale, sont en partie désuets ; le retour à l’éditeur des exemplaires invendus est notamment un boulet lourd à tirer ; le portage à domicile (pour les abonnés urbains en particulier) et la distribution gratuite des journaux (dans les avions, les universités, les hôtels, les manifestations, etc.) sont au contraire dictés par des méthodes proprement commerciales qui s’imposent pour mettre la presse à la portée de ses lecteurs ; la péréquation réglementée qui a régi la distribution des journaux depuis plus d’un demi-siècle en France apparaît dès lors comme la survivance d’un monde en voie de disparition.
17Ces adaptations des métiers, de la fabrication et de la distribution ne sont certainement pas faciles à vivre ; mais elles s’imposent parce qu’elles sont une condition de survie. Elles font partie des contraintes actuelles de la presse, comme la manipulation du plomb faisait partie des contraintes de la presse de nos pères ! Les impératifs du Web s’ajoutent aux précédents : ce média est d’abord apte à gérer le flux instantané des nouvelles (comme une radio ou une télévision d’information) sans jamais « boucler » le média à un instant donné. Il possède au surplus l’aptitude d’exploiter sélectivement le stock ancien (du journal ou d’autres sources) grâce aux services rétrospectifs. Cette double fonction poursuit deux démarches distinctes : répondre à la curiosité instantanée de chacun, comme le journal ou la radio ; et satisfaire un besoin documentaire ; la première fonction est facilement financée par un tiers (par un annonceur, pour faire simple) ; la seconde est souvent solvable comme telle !
18Toutes les combinaisons entre gratuité et paiement ont été ou sont en cours d’expérimentation dans les journaux français et étrangers. Bien des journaux facturent l’accès à leurs archives tandis qu’une partie de leur site Web reste gracieusement accessible, financé qu’il est par la publicité. On voit ainsi poindre deux usages différents du Web : l’un, subventionné par des tiers ; l’autre, financé par des ventes en ligne ou par des abonnements. Mais, comme l’ont appris des générations d’étudiants en économie, dans un tel cas « la mauvaise monnaie ne chasse-t-elle pas la bonne » ? Or laquelle de ces monnaies serait, dans le cas présent, une bonne monnaie pour l’éditeur ? Et le serait-elle aussi pour le lecteur ? Privilégier l’information payante, c’est prendre le pari que les clients sont prêts à la payer vraiment : c’est le choix des journaux économiques d’usage quasi professionnel comme Les Échos en France et le Wall Street Journal en Amérique. C’est aussi le choix d’un quotidien régional comme Ouest France pour ses informations locales les plus fines http://www.maville.com/. La documentation payante suppose, de plus, que la demande ne soit pas tuée par d’autres sources gratuites comme les bibliothèques de lecture publique dont le rôle dans le paysage Internet est loin d’être clair pour le moment ! Cette difficile équation économique est celle que les éditeurs de presse ont à résoudre ; ils ne peuvent le faire que par essais successifs. Le Monde a ouvert plusieurs pistes ; d’autres ont été explorées par ses confrères.
19En tout état de cause, la concurrence sur le Web est désormais internationale, multilingue et très solidement équipée en hommes, en savoir-faire et en capitaux. Cela nous conduit à notre dernière question : comment tout cela se combine-t-il avec les institutions de la presse française, figées dans une réglementation nationale d’ordre public ? Car la vie des journaux, comme celle des autres médias, est encadrée par des règles qui dérogent nettement aux pratiques marchandes du commerce et de l’industrie : la loi de 1881 sur la presse ; les régimes juridiques de la carte de journaliste et des journaux d’information ; le droit de l’audiovisuel, si couramment amendé depuis ses textes fondateurs de 1982 et de 1986 ; les lois sur les télécommunications de 1995, elles aussi amendées à plusieurs reprises sous l’influence des directives communautaires.
20L’audiovisuel et les télécommunications qui mènent la révolution numérique éclaireront cette réflexion conclusive. Une première chose paraît probable : « l’exception française », traduite dans les textes qui encadrent chacun des médias et leur marché, continuera de s’adapter. L’assouplissement régulier du cahier des charges des diffuseurs audiovisuels au cours des vingt dernières années, l’illustre bien ; dernier avatar : l’autorisation, en 2007, de la publicité pour la distribution à la télévision où elle fut longtemps interdite pour protéger les entreprises de presse d’une possible concurrence publicitaire. Autre exemple : grâce aux récentes modifications des textes relatifs aux télécommunications, les services d’information interactifs ne sont plus l’exclusivité de la presse comme la période révolue du Minitel avait pu nous le faire croire ; les entreprises comme France Telecom-Orange investissent dans les services d’information multimédias ; les groupes audiovisuels aussi ; les producteurs de jeux vidéo étudient très sérieusement le prolongement des programmes multi-joueurs sur le Web et sur les mobiles ; les grands distributeurs commercialisent des services de communication ; les opérateurs de casino comme Partouche envisagent même de se convertir en opérateurs virtuels pour s’ouvrir au marché international !
21Sur des marchés qui convergent, les technologies permettent de sauter d’un service à l’autre très facilement : c’est le règne de la « convergence » tant annoncée depuis vingt ans qui commence enfin ; il prépare des lendemains très différents de notre passé : les protections, qui furent celles des supports de presse, s’évanouissent, on l’a très bien vu en ce qui concerne les annonces classées qui se sont répandues sur le Web ; l’époque qui s’ouvre est celle de l’adaptabilité éditoriale, des alliances trans-frontières et trans-médias. Le projet, plusieurs fois amendé, d’une directive communautaire élargira bientôt la « télévision sans frontières » aux nouveaux médias ! Les réglementations de la presse devront tenir compte de ce contexte ; elles seront délicates à transformer, tant la charge affective qu’elle porte depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale reste forte. Mais il faudra qu’elles s’adaptent au cadre compétitif et aux technologies nouvelles. C’est à ce prix que les journaux comme Le Monde pourront tirer parti d’Internet, sauver ce qui leur reste d’originalité, sur le Web comme sur le papier. Il leur faudra beaucoup de réalisme, une claire vision du marché et des moyens importants pour assumer le risque à venir : s’adapter en y mettant le prix ou dépérir définitivement !