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Lectures

Constantin SCHIFIRNEŢ (2016), Modernitatea tendenţială. Reflecţii despre evoluţia modernă a societăţii

Bucarest, Éditions Tritonic
Odile Riondet
Référence(s) :

Constantin SCHIFIRNEŢ (2016), Modernitatea tendenţială. Reflecţii despre evoluţia modernă a societăţii, Bucarest, Éditions Tritonic

Texte intégral

1Le professeur Constantin Schifirneţ enseigne à l’École de Sciences Politiques et Administratives Bucarest. L’expression de « modernité tendancielle » cherche à caractériser l’évolution de la Roumanie après la période communiste et son intégration à l’Union européenne. Les publications antérieures de Schifirneţ manifestent les diverses voies de sa réflexion (la sociologie de la Roumanie, l’éducation des adultes, la genèse moderne de l’idée nationale, la jeunesse entre permanence et innovation), qui trouvent leur synthèse dans cette expression.

2L’ouvrage se déploie en quatre grandes parties. La première est un travail sur le concept de modernité, ses caractéristiques, son application aux domaines social et politique. La deuxième est une réflexion sur le processus de modernisation. La troisième présente différents modèles de modernité en fonction des contextes historiques. La quatrième montre comment le concept de modernité tendancielle s’avère explicatif des sociétés contemporaines.

3Les termes de modernité et de modernisation sont présents dans nombre de sciences humaines. La modernité y est le plus souvent présentée comme un phénomène typiquement européen. Cette partie veut précisément se centrer sur ces deux aspects : la notion de modernité elle-même et son rattachement à la culture européenne, notamment à l’Europe occidentale.

4Selon les définitions les plus courantes, la modernité est caractérisée par l’esprit scientifique, l’industrialisation, l’urbanisation, l’individualisation, les structures démocratiques et l’affirmation d’une universalité des aspirations humaines pour ce modèle. Marx, Durkheim et Weber peuvent être considérés comme des penseurs de la modernité, au sens d’un progrès technique et économique manifesté par l’industrialisation, un progrès né en Europe et s’étendant au reste du monde. La modernisation est alors le fait de suivre ce chemin. Leur influence a été visible jusque dans les années 1960. Plus récemment, pour Habermas, la modernité européenne s’est étendue à tous les domaines de l’existence (culture, société, institutions), elle est même devenue explicitement un projet de société. Mais le modèle reste clairement celui de l’Europe occidentale. Or, précisément, jusqu’où ces caractéristiques sont-elles universelles ? Toutes les sociétés qui se modernisent adoptent-elles ce modèle, avec cette succession ? La formulation de ces doutes est relativement récente.

5L’auteur se réfère alors à des chercheurs issus d’autres continents, et tout d’abord des auteurs latino-américains. Enrique Dussel propose d’analyser la modernité occidentale comme l’un des aspects possibles d’un mouvement mondial de modernisation. Un historien indien, comme Dipesh Chakrabarty, relie la modernité occidentale à une philosophie particulière, notamment l’importance de l’individu, les notions de citoyen, de société civile, de sujet, de démocratie, de justice sociale, tous des thèmes caractéristiques de la pensée européenne. La séparation des domaines religieux et politique est l’un des facteurs à ne pas sous-estimer dans ce processus. Peter Wagner estime que le XXe siècle a vu se développer trois modèles de modernité : celui de l’Europe, celui des États-Unis et celui de la Russie. Pour le Chilien Jorge Larrain, la modernité a pris des chemins différents en Europe, aux États-Unis, en Asie, en Afrique et en Amérique latine.

6Comment comprendre alors la modernisation des sociétés non occidentales ? Le projet de modernité peut émerger dans des sociétés agraires et une économie majoritairement rurale ou dans une société fortement hiérarchique, voire un régime totalitaire. On peut avoir ainsi aujourd’hui un pays comme l’Argentine, développé économiquement et socialement, mais sous-développé sur le plan politique ou des pays sans développement politique et administratif comme le Congo. Si nous nous référons au modèle d’Europe occidentale, il est plus juste alors de parler d’un processus en cours dans ces pays, d’une dynamique de modernisation non aboutie. On peut proposer une série de dénominations pour identifier tous les types de modernité. Après celle défendue par Marx, Durkheim et Weber, que l’on peut considérer comme la première modernité, le phénomène peut être précisé par des qualificatifs. La modernité peut être dite tardive (Beck), réflexive (Giddens), organisée (Wagner) ou encore comprimée, régionale, alternative, globale, selon différents auteurs. La première modernité était nationale, la modernité contemporaine est transnationale et cosmopolite. Elle était portée par une capacité à prendre des risques, elle devient mentalité d’une société dont la préoccupation première est la prévention du risque. Elle était vue comme un état stable ou allant inévitablement vers un progrès, elle devient un effort constant pour stabiliser des situations changeantes. Elle était considérée comme inévitable, elle rencontre des résistances et des contestations.

7On peut alors parler plus justement d’une modernité multiple, qui correspond à la mondialisation des échanges. L’idée de modernisation remplace celle de modernité. Elle détache l’idée de modernité du modèle occidental, même si celle-ci reste un point de référence, car on parlera de modernité tardive en faisant référence à celle de l’Occident. Mais en même temps, il est des adaptations créatives de la modernité sur les différents continents. Il est clair que l’Asie, dont l’expansion économique a débuté dans les années 1960, est porteuse d’un autre modèle, mêlant l’histoire coloniale, la culture propre, les traditions indigènes et un effort d’adaptation. Les intellectuels de ces pays estiment d’ailleurs qu’ils représentent un modèle spécifique de modernisation. Ils insistent notamment sur la mentalité engendrée par le confucianisme, les modes de relation et la perception de la politesse dans les rapports sociaux, y compris les relations économiques ou le sens de la collectivité. Le Japon est particulièrement intéressant de ce point de vue, en tant que pays d’Asie ayant décollé économiquement le plus tôt, sans avoir adopté les institutions de l’Occident. En Corée du Sud, on peut parler d’une modernité comprimée, au sens où les changements économiques et politiques se sont succédé en un temps très court (30 ans), tandis que les paramètres sociaux ou culturels restaient inchangés. Le cas de la Chine est fascinant. Son régime actuel peut se comprendre par une histoire politique, philosophique et religieuse qui n’encourageait ni l’État de droit ni l’exercice de la responsabilité individuelle. On peut parler d’une « modernité antimoderne », mélange de capitalisme et d’oppression politique. Mais d’une certaine manière, la Chine a produit un modèle alternatif, posant sa réalité en face du modèle occidental.

8Lorsque l’on dit qu’une chose est tendancielle, cela désigne à la fois une orientation majoritaire, une direction de développement, mais aussi une tendance encore non aboutie. La notion de modernité tendancielle ne concerne pas que les autres continents, car l’auteur a ciselé cette notion pour parler de son pays, la Roumanie. Il existe bien une modernité roumaine dans une société traditionnelle et patriarcale, une modernité qui est parvenue à construire une nation, une modernité construite par à-coups depuis le XVIIIe siècle, et bien sûr à partir de 1859, lors de la première tentative d’unité territoriale, et pendant l’intervalle entre les deux guerres mondiales. Comment alors parler de la spécificité roumaine : dans ce pays majoritairement rural, la modernité est-elle exclue presque par nature des villages, ou est-elle une question de richesse ? demande Dumitru Sandu. La Roumanie a toujours été une économie périphérique du continent européen.

9Aujourd’hui, l’intégration européenne est pour la Roumanie une modalité importante de transition, elle instaure une manière de régler les questions juridiques et politiques, venue de l’extérieur, s’appliquant à une société qui avait une autre dynamique. On pourrait parler d’européanisation tendancielle. Ces évolutions ne modifient pas pour autant immédiatement les mentalités. Lorsqu’on parle de modernisation, les aspects culturels ne sont pas analysés. Or, toutes les composantes de la modernité ne s’enchaînent pas quand la modernité n’est pas entraînée par la société civile. En ce qui concerne la Roumanie, il y a une élite au comportement occidental et une structure socioéconomique agraire, des élites cosmopolites et une société majoritairement attachée à ses lieux de vie, une modernité indigène qui s’oppose à une modernité mondialisée. Cette tension n’est pas résorbée, mais elle est clairement ressentie, car les élites qui s’identifient comme européennes souhaiteraient dans le même temps exprimer une modernité autochtone difficile à modéliser.

10L’une des difficultés est liée à l’histoire roumaine : le processus de modernisation technologique a été décrété par l’univers politique. La bureaucratie ne s’est pas développée comme une conséquence d’un développement économique, une nécessité liée à un besoin gestionnaire. En Occident, ce sont les limites économiques qui ont stabilisé les limites politiques et non l’inverse. En Europe orientale, l’État a fonctionné selon un modèle clientéliste. Et la question actuelle reste de savoir si les élites politiques et administratives roumaines ont la capacité de provoquer un développement social compétitif ou si les politiciens s’intéressent au bien public et non à la production de biens propres.

11En Occident, c’est la rationalisation et l’économie de marché qui ont construit les États nationaux et le système institutionnel avec sa bureaucratie. La modernité a émergé lentement, mais non comme un projet volontariste. Cette modernité s’est répandue pourtant et les autres pays s’en sont inspirés peu ou prou. Il existe bien un paradigme de la modernité, mais il est possible d’inventer une modernité en variant les paramètres. Le concept de modernité tendancielle veut rendre compte de cette tension entre un standard et le processus dans lequel toute une société accepte d’entrer ou qu’elle interroge. En Roumanie, ce sont les structures politiques à l’occidentale qui ont été adoptées sur une société rurale et prémoderne. Or, ce ne sont pas des institutions qui vont convaincre les citoyens d’adopter un mode de vie. Le concept permet ainsi l’analyse des sociétés qui vivent des changements rapides et dans lesquelles l’idée de modernité joue le rôle d’un objectif à atteindre. Il pose un cadre de compréhension des sociétés modernes, mettant en évidence la multiplication des formes à partir du même modèle. On peut parler de modernité tendancielle aussi au sens où il existe bien une aspiration au modèle européen de modernité. En ce sens, la modernité est bien universelle, mais il ne faut pas sous-estimer sa complexité, car elle reconfigure l’organisation sociale et institutionnelle en fonction du contexte historique et politique. La modernité comme société libre et ouverte est donc à la fois attirante et vulnérable.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Odile Riondet, « Constantin SCHIFIRNEŢ (2016), Modernitatea tendenţială. Reflecţii despre evoluţia modernă a societăţii »Communication [En ligne], vol. 35/2 | 2018, mis en ligne le , consulté le 17 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/communication/8182 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/communication.8182

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Auteur

Odile Riondet

Odile Riondet est rattachée au CIMEOS-3S, Université de Bourgogne Franche-Comté. Courriel : odile.riondet@wanadoo.fr

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