1L’usage d’images dans la société est en pleine expansion. Cette observation vaut également dans les présentations de recherche ou dans les discussions de colloques universitaires. Cela n’échappe pas à la sociologie. Cependant, l’utilisation d’images et plus précisément de photographies dans les enquêtes de sciences sociales manque de justification scientifique. L’image est donc délaissée des enquêtes sociales. C’est de ce constat que partent Sylvain Maresca et Michaël Meyer pour écrire leur Précis de photographie à l’usage des sociologues, désireux de voir la photographie prendre une place centrale dans l’investigation en sociologie. Le but de leur ouvrage est de donner aux chercheurs qui souhaitent utiliser les images dans leur enquête des outils pratiques, de mener une réflexion sur la méthodologie et la technique, afin d’user de rigueur et d’à-propos dans leur travail photographique. L’introduction de l’ouvrage propose de fournir des réponses quant au manque de réflexion sur la photographie dans les manuels de sociologie. Des planches d’images en couleurs et en noir et blanc présentent les différentes utilisations de la photographie justifiées par des choix réfléchis.
2Le premier chapitre, intitulé « Du nouveau dans les sciences sociales », se construit autour de l’historique de l’usage de la photographie dans les sciences sociales. Maresca et Meyer, au détour d’exemples, montrent comment la photographie est passée du statut d’outil à l’observation par les travaux de Maurice Halbwachs (Topalov, 1997) à celui d’illustration chez Neil Anderson (1923), de photo documentaire dans les travaux de l’ethnologue Franz Boas (Milton Trasher, 1927), chez Bronislaw Malinowski (1985) ou encore chez Gregory Bateson et Margaret Mead (1924), jusqu’à devenir un réel outil d’analyse pour l’enquête grâce aux travaux d’Erving Goffman (1977).
3Plus que sur les travaux de l’école de Chicago, c’est sur les recherches de Douglas Harper (1988) que Maresca et Meyer se basent pour asseoir leur réflexion sur l’usage de la photographie. Le rapport que la sociologie entretient avec les images peut se placer sur trois niveaux : les images récoltées, les images réalisées et les images analysées. Autrement dit, « la sociologie sur les images » (la recherche se base sur des images en tant qu’objets), « la sociologie avec les images » (la recherche s’illustre par des photographies) et enfin « la sociologie en images » (les photographies sont présentes dans la phase d’analyse des résultats). Ces trois postures sont indissociables et doivent être assumées par le chercheur désireux de poursuivre un travail de recherche avec la photographie.
4Le deuxième chapitre, intitulé « Les usages possibles de la photographie dans les enquêtes sociologiques », s’engage à donner des conseils et des techniques pour que le futur chercheur puisse produire des photographies utiles à son enquête et à son analyse. Les auteurs construisent ce chapitre en se basant sur le travail de John Collier Jr (1986). Au départ de l’enquête, la photographie peut être une bonne entrée en matière auprès des enquêtés, en tant que familiarisation mais également de reconnaissance mutuelle des enquêtés. Étant le sujet de la photographie, les enquêtés s’intéresseront à l’objet de la recherche menée. L’utilisation de la photographie à chaque étape de l’enquête doit être pensée et réfléchie notamment par le choix de la prise de vue, la distance. Tout le chapitre est parsemé d’encarts présentant des exercices que le lecteur est encouragé à faire afin de se familiariser avec l’appareil, le regard des autres, son regard sur les autres et sur ses propres images. La posture du photographe/enquêteur est aussi soulevée et sujet d’une réflexion. La prise d’images permet la prise de distance au chercheur, en élargissant la vision de son terrain d’enquête en changeant le point d’observation. La multiplicité d’images prises à un même endroit à différents moments peut permettre une analyse statistique sur les relations interpersonnelles qui peuvent avoir lieu dans un même endroit. Le chapitre se termine par l’énumération d’éléments techniques de photographie comportant le choix du matériel, des conseils pratiques de prises de vue allant du flou de bougé à la mise au point, de la profondeur de champ à l’exposition. Ces éléments techniques permettent au chercheur d’établir un choix pertinent pour des données appropriées à sa recherche. La question d’archivage et de tri des images prises clôt le chapitre.
5Par un « Retour historique et épistémologique », le troisième chapitre porte sur la restitution des images et du droit à l’image des photographiés. Les deux auteurs préconisent aux photographes de s’assurer du consentement éclairé de leurs sujets. Il est nécessaire pour cela de bien questionner le sujet sur ce qu’il a compris de l’usage de ces photographies, de l’endroit de leur publication et des conséquences que cela engendrerait sur sa vie privée.
6Le quatrième et dernier chapitre fait état de la « Publication et de la restitution des images ». Maresca et Meyer font uniquement cas dans cet ouvrage de la photographie numérique. L’archivage est donc conseillé sur plusieurs supports informatiques en évitant le DVD, qui a une durée de vie limitée. La question est posée concernant la retouche photographique. Selon les auteurs, un retraitement de l’image est possible pour améliorer la communication, sauf si cela touche à l’essentiel de l’image. Plus largement, les questions posées portent sur la mise en valeur de l’usage de la photographie tout au long de l’enquête et de l’analyse des résultats. Dans une conclusion en forme d’interrogation, Maresca et Meyer évoquent des possibilités de restitution sur des plateformes numériques, sous forme de miniséries ou d’essais photographiques. Mais cette dernière possibilité n’est, selon eux, pas envisageable pour le moment dans la sphère universitaire.
7Ce livre parvient à son but : donner un guide pratique à tout chercheur désireux d’introduire la photographie au sein de sa recherche sociale. Le détour historique permet d’ancrer ses choix d’images et de prises de vue dans la lignée des sociologues de la « sociologie visuelle ». Les multiples exercices et considérations épistémologiques permettent au lecteur d’entamer sa réflexion et de la poursuivre durant son enquête tout en inscrivant, dès le début de son travail jusqu’à sa présentation, des observations sur les images et la photographie.