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Lectures

Jacques LE BOHEC (2000), Les mythes professionnels des journalistes

Paris, Éditions L’Harmattan
Stéphane Olivesi
p. 163-165
Référence(s) :

Jacques LE BOHEC (2000), Les mythes professionnels des journalistes, Paris, Éditions L’Harmattan

Texte intégral

1Entreprendre une analyse des mythes journalistiques ne relève pas simplement d’une volonté de dévoiler quelques vérités, bien cachées et peu avouables. La visée critique de cette entreprise implique une mise à jour des éléments imaginaires, constitutifs de l’identité professionnelle, et des représentations que les agents sociaux partagent. C’est dire que le dernier livre de Jacques Le Bohec qui succède à un précédent ouvrage consacré aux rapports « presse-politique » publié chez le même éditeur, constitue une entreprise originale autant qu’ambitieuse.

2L’auteur part d’un constat initial : il existe un réel fossé entre les représentations très idéales que les journalistes partagent et se plaisent à donner, et la réalité même de leur pratique. Cet écart révèle l’existence de mythes qui structurent l’imaginaire collectif de la profession et remplissent diverses fonctions sur le plan psychologique (valorisation de soi au moyen de l’image idéalisée du groupe auquel on appartient) et social (renforcer l’identité collective et réguler les pratiques par leurs effets normatifs). L’analyse de ces mythes requiert un certain nombre de précautions méthodologiques que l’auteur explicite dans un long texte introductif qui précède son « Dictionnaire des mythes professionnels ». Une définition du mythe professionnel est alors proposée. Elle explicite les trois dimensions majeures de cet objet : « une image simpliste et illusoire ; l’adhésion à cette image fausse ; l’utilité sociale de cette vision ». Cette définition élémentaire, plus inspirée par N. Elias que par R. Barthes (victime par ailleurs d’attaques sévères, pour ne pas dire infondées), s’avère pleinement opérationnelle au fil des analyses. Elle permet de prendre l’exacte mesure du rôle joué par ces mythes professionnels dans leur extrême diversité. Elle contribue aussi à déranger la vision enchantée et illusoire du journalisme qui promet les jeunes journalistes, au sortir de leurs études, à des désillusions d’autant plus grandes qu’elles auront mûri sur ce terreau mythologique.

3Plus d’une quarantaine de mythes professionnels tombent ainsi sous le coup d’analyses patiemment argumentées, souvent illustrées d’exemples probants. Le lecteur ne sera peut-être pas totalement surpris de retrouver dans cette longue liste des mythes tels que la transparence, le scoop ou l’objectivité. Il sera certainement plus étonné à l’idée de devoir admettre que la liberté de la presse, le partage canonique faits/commentaires ou le rôle démocratique des médias puissent être appréhendés et traités comme des mythes. Il faut dire que l’ouvrage de Jacques Le Bohec ne s’accommode guère des idées convenues et convenables que distillent les contempteurs crypto-critiques du discours des journalistes sur eux-mêmes. Aussi, les analyses proposées éveilleront-elles peut-être le soupçon que le propos est mal intentionné, voire critique à l’encontre d’un certain nombre de lieux communs scientifiques. Il serait en tous cas trop long de restituer, dans le cadre d’une simple note de lecture, les logiques argumentatives déployées pour mettre à jour les fonctions remplies par de tels mythes qui légitiment les pratiques les plus critiquables et les intérêts les moins avouables à des yeux extérieurs comme au regard des journalistes. À terme, les analyses révèlent à quel point les considérations les plus neutres d’apparence, comme les discours souvent creux d’autocélébration, peuvent, par leur fonctionnalité mythologique, avoir des répercussions directes sur les pratiques.

4À titre d’illustration, on peut retenir l’analyse du mythe omniprésent de l’urgence. La démonstration ou, plutôt, le démontage de ce dernier s’attache d’abord à un présupposé, partagé au-delà du seul cercle des journalistes, par certains observateurs : l’information n’est pas soumise à l’Impératif exclusif de l’événement et de l’immédiateté, contrairement à ce que suggère une vision simpliste du temps médiatique. L’analyse démonte le travail de « naturalisation » qui consiste à faire apparaître comme une donnée naturelle, inhérente à l’information, ce qui s’avère être une contrainte socialement déterminée. Elle porte, à la suite, sur une autre dimension de ce mythe : la technique. Cette dernière est souvent présentée sous l’angle d’une contrainte externe à l’activité journalistique, alors même que tout prête à supposer que l’apport des technologies de l’information et de la communication a plutôt contribué à faciliter le travail des journalistes. À terme, l’urgence apparaît sous son vrai jour. Elle constitue souvent un prétexte pour faire valoir un argument d’autorité ou pour dissimuler à bon compte l’arbitraire de certains choix, sans oublier qu’elle véhicule aussi l’image valorisante de l’homme pressé.

5Par nature, un tel ouvrage ne peut pas susciter une adhésion inconditionnée. Le caractère didactique de certains développements qui se traduit par des citations d’auteurs (trop) fréquentes, de textes parfois connus, risque d’agacer le lecteur coutumier des manuels de sociologie. De même, l’idéalisation du travail du chercheur (qui constitue la véritable mythologie du chasseur de mythes) en contrepoint à la critique des mythes journalistiques, donne parfois une impression d’arbitraire, en ce qu’elle reproduit les idéaux les plus suspects à tout esprit critique, d’objectivité, de neutralité, de scientificité. On peut regretter aussi que le parti pris sociologique n’ait pas conduit à des analyses plus approfondies sur deux points : les stratégies mises en œuvre par les acteurs afin d’imposer ces mythes ou d’y résister ; les différents types de rapport aux injonctions mythologiques que les agents nouent selon leur statut et leur position sociale. Ces trois réserves s’avèrent mineures en regard de l’ampleur des investigations menées et du caractère très convaincant de l’argumentation. Ces qualités font dès à présent du dernier livre de Jacques Le Bohec un ouvrage de référence, à divers titres. Sur le plan académique de la recherche, il impose à tout travail consacré à l’activité journalistique un détour réflexif de nature à prendre en considération la nécessité d’une « démythologisation » des représentations qui accompagnent les pratiques. Sous l’angle de l’enseignement et de l’apprentissage, il éclaire, parfois au feu incendiaire de la critique, la réalité de cet univers social, terrain de toutes les dénégations. Enfin d’un point de vue professionnel, il avance une série de propositions, visant à faire évoluer les pratiques, qui mériteraient d’être discutées et approfondies afin d’examiner leurs conditions d’applications et leurs éventuelles conséquences.

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Pour citer cet article

Référence papier

Stéphane Olivesi, « Jacques LE BOHEC (2000), Les mythes professionnels des journalistes »Communication, vol. 20/2 | 2001, 163-165.

Référence électronique

Stéphane Olivesi, « Jacques LE BOHEC (2000), Les mythes professionnels des journalistes »Communication [En ligne], vol. 20/2 | 2001, mis en ligne le 22 août 2016, consulté le 14 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/communication/6598 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/communication.6598

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Auteur

Stéphane Olivesi

Stéphane Olivesi, Université Lyon 2. Courriel : stephane.olivesi@iut-valence.fr

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CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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