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Recherches

Relations publiques et dynamique d’interinfluence dans les organisations publiques

Alain Lavigne
p. 113-117

Texte intégral

1Dans le contexte d’une prise en compte croissante des organisations de leur environnement en tant que réseaux de relations multiples, de nature aussi bien économique que sociale et politique, la discipline des relations publiques (R.P.) a pris un essor sans précédent au cours des dernières décennies. Apparues concrètement au début du XXe siècle à titre de fonction limitée à influencer la presse (de Bonville, 1991 : 26-27), la discipline a adopté rapidement d’autres modèles de pratique. Du premier modèle d’agent de presse, elle a intégré celui de l’information du public, celui de la communication asymétrique bidirectionnelle et, enfin, l’idéal de la discipline, celui de la communication symétrique bidirectionnelle (Grunig et Hunt, 1984).

  • 1 Dont plusieurs font l’objet d’une spécialisation dans l’entreprise. À ce sujet, voir Durand (1999 : (...)

2De telle sorte que les R.P. recouvrent désormais un ensemble très varié de pratiques1 telles les relations gouvernementales et communautaires (affaires publiques), les relations de presse, la communication interne, la publicité institutionnelle, l’identité visuelle, la communication événementielle et la communication de crise.

  • 2 Nous retenons ici l’essentiel de la définition de l’International Public Relations Association.

3En marge de ces pratiques de communication plus ouvertes à l’interinfluence, tant dans les organisations privées, publiques que communautaires, force nous est de reconnaître que les grands concepts théoriques des R.P. souffrent d’un certain décalage avec la pratique. De fait, les écrits persistent à définir cette discipline2 comme une fonction de management des « relations » avec des « publics », dans un but essentiellement normatif qui est celui de chercher à obtenir et à maintenir la compréhension, la sympathie et le concours des publics à qui l’organisation a ou peut avoir affaire.

4Une telle définition plutôt positiviste (le transfert d’information) élabore bien peu les concepts de « relations » et de « publics », ironiquement au cœur même de l’appellation de la discipline. Si elle comporte un certain intérêt au plan normatif pour ses praticiens, elle est néanmoins bien décevante sur le plan de la conceptualisation communicationnelle, laquelle gagnerait, croyons-nous, à s’inspirer davantage de modèles systémiques (le système et ses interactions) et constructiviste (la construction collective du sens).

Influence, réseaux et coalitions

5Dans cette perspective, le premier objectif de notre recherche est d’élaborer un projet de nouvelle schématisation des R.P. en regard de concepts porteurs des sciences sociales, tels l’influence, les réseaux et les coalitions. Pareille relecture des R.P. nous permettra de dégager l’analyse de son cadre classique inspiré trop essentiellement du management. Pour ce faire, nous mettrons davantage en lumière la dynamique complexe d’interinfluence entre l’organisation et ses publics, tant à l’interne qu’à l’externe.

6En effet, les publics internes de l’organisation, vus comme des récepteurs passifs et dépendants des connaissances détenues par les autorités, sont devenus progressivement des acteurs qui accèdent directement à l’information, donc une nouvelle forme de pouvoir, d’influence et de décision (Maisonneuve et al., 1998 : 3). Quant aux publics externes de l’organisation, ils sont désormais au cœur de la planification stratégique et des processus décisionnels au sein de toutes les grandes organisations. Entre autres, par des relations gouvernementales et communautaires (affaires publiques) structurées et constantes, l’organisation peut faire valoir ses intérêts auprès des élus et des leaders sociopolitiques.

7Au plan méthodologique, ce premier objectif de recherche exigera un tour d’horizon des principaux concepts des R.P., à l’heure où son corpus universitaire tente de se dégager progressivement de la dimension anecdotique de la pratique (Maisonneuve, 1998 : xi). Notre démarche s’inscrit d’ailleurs tout à fait dans les préoccupations récentes de la discipline à la recherche d’une nouvelle définition (Gordon, 1997) et inspirée par le courant d’analyse du management relationnel (Ledingham et Bruning, 2000).

8Par ailleurs, la recherche puisera aux écrits classiques et récents sur l’influence (Dahl, 1973 ; Crozier et Friedberg, 1977 ; Bacharash et Lawler, 1980 ; Montmollin, 1977 et Mucchielli, Corbalan et Ferrandez, 1998), sur les réseaux (Monge et Eisenberg, 1987 ; Bakis, 1993 ; Degenne et Forsé, 1994) et sur les coalitions (Lemieux, 1998). De plus, les nouvelles méthodes d’études des communications (Mucchielli et Guivarch, 1998) seront aussi prises en compte dans notre projet de schématisation des R.P.

Regard sur les organisations publiques

9Le deuxième objectif de la recherche est d’évaluer notre projet de schématisation des R.P. en regard des spécificités des organisations publiques.

  • 3 Mentionnons néanmoins les contributions de Graber (1992), LeNet (1993), Loisier et Cossette (1993), (...)

10Trop peu d’auteurs3 ont traité des particularités de la communication dans les organisations publiques. Nous sommes d’avis, comme le souligne Zémor (1995 : 6), qu’il y a nécessité de distinguer, dans le foisonnement actuel de la communication, une communication de service public qui a peu à attendre des pratiques éprouvées du marketing des produits de consommation ou de la communication des entreprises concurrentielles, dans la mesure où les citoyens d’une démocratie sont à la fois utilisateurs et décideurs des services publics.

11Certains analystes (Loisier et Cossette, 1993 : 265-266) soulèvent d’ailleurs plusieurs interrogations pertinentes quant à l’influence de plus en plus marquée des pratiques du privé sur le public en matière de communication :

  • les organisations publiques entretiennent-elles le même type de relations avec l’environnement public que les organisations privées ?

  • l’apport d’informations sur l’environnement public (groupes d’intérêts, médias, population en général) n’affecte-t-il pas profondément la prise de décision, voire les suggestions d’orientations de programmes ?

  • la fonction de communication a-t-elle ou peut-elle avoir le même rôle et la même place au sein des organisations publiques qu’au sein des organisations privées ?

12Voilà autant d’interrogations qui seront prises en compte dans nos trois études de cas d’organisations québécoises du secteur public ayant une tradition de quelques décennies dans la communication. Cette méthodologie est privilégiée car elle permet d’aborder des processus complexes de stratégies de communication médiatisées et non médiatisées selon une approche qualitative. Notre recherche retiendra ainsi un ministère, soit le ministère de la Culture et des Communications, un établissement d’enseignement supérieur, soit l’Université Laval, et une municipalité, soit la ville de Québec, en tant qu’organisations publiques représentatives de trois importants secteurs d’activités.

13Ces études de cas seront réalisées à partir d’une analyse exhaustive des documents internes (organigrammes, missions, politiques et plans de communication, communiqués de presse, revues de presse, etc.) et d’entretiens semi-directifs auprès de gestionnaires, de praticiens de communication, d’employés relais et de représentants de groupes d’intérêts ou de coalitions.

14Les études de cas devraient nous permettre de jauger la dynamique d’interinfluence en marge des stratégies formelles de communication, selon la proposition de recherche suivante :

  • L’interinfluence, le réseautage et les coalitions d’intérêts sont au cœur des pratiques de relations publiques sans que cela soit supporté par une conceptualisation et des documents stratégiques de communication (plans et politiques). Ces pratiques se superposent à des stratégies d’information et de persuasion, lesquelles répondent davantage à une philosophie de marché qu’à une philosophie d’intérêt général.

Des suggestions aux gestionnaires de R.P.

15Enfin, le troisième objectif de notre recherche se veut essentiellement normatif. Il vise à dégager quelques suggestions afin d’aider les gestionnaires de R.P. à mieux intégrer l’interinfluence à leurs documents stratégiques de communication. Ces suggestions découleront de notre projet de schématisation, qui aura été confronté et réajusté en regard des pratiques observées dans les trois études de cas. La schématisation, inspirée des modèles systémique et constructiviste, devrait idéalement fournir aux gestionnaires, analystes et professeurs de la discipline un cadre d’analyse renouvelé, faisant notamment ressortir l’importance pour une organisation d’entretenir avec ses réseaux de publics internes et externes des R.P. multiplexes qui transcendent les finalités économiques et de visibilité institutionnelle.

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Bibliographie

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BAKIS, Henry (1993), Les réseaux et leurs enjeux sociaux, Paris, Presses universitaires de France.

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DAHL, Robert A. (1973), L’analyse politique contemporaine, Paris, Éditions Laffont.

DE BONVILLE, Jean (1991), « Le développement historique de la communication publique », dans Michel BEAUCHAMP (dir.), Communication publique et société, Boucherville, Gaëtan Morin éditeur, p. 1-49.

DEGENNE, Alain et Michel FORSÉ (1994), Les réseaux sociaux. Une analyse structurale en sociologie, Paris, Armand Colin.

DURAND, Virginie (1999), Les métiers de la communication d’entreprise, Paris, Presses universtaires de France, Coll. « Major ».

GORDON, Joye C. (1997), « Interpreting definitions of public relations: Self assessment and symbolic interactionism-based alternative », Public Relations Review, 23(1) : 57-67.

GRABER, Doris (1992), Public Sector Communication: How Organizations Manage Information, Washington, Congressional Quarterly Inc.

GRUNIG, James E. et Todd HUNT (1984), Managing Public Relations, New York, Hillsdale, N.J., Rinehart and Winston.

LEDINGHAM, John A. et Stephen D. BRUNING (2000), Public Relations as Relationship Management, Mahwah, N.J., Lawrence Erlbaum Associates Publishers.

LEMIEUX, Vincent (1998), Les coalitions, liens, transactions et contrôles, Paris, Presses universitaires de France, Coll. « Le sociologue ».

LENET, Michel (1993), Communication publique. Pratique des campagnes d’information, Paris, Les études de La documentation française.

LOISIER, Jean et Marie-Nicole COSSETTE (1993), « Communication publique et processus démocratique », Administration publique du Canada, 36(2) : 263-284.

MAISONNEUVE, Danielle, Jean-François LAMARCHE et Yves ST-AMAND (1998), Les relations publiques dans une société en mouvance, Québec, Presses de l’Université du Québec.

MONGE, Peter R. et Éric M. EISENBERG (1988), « Emergent communication networks », dans Gerald M. GOLDHABER et George A. BARNETT (dir.), Handbook of Organizational Communication, Norwood, New Jersey, Ablex Publishing Corporation.

MONTMOLLIN, Germaine de (1977), L’influence sociale. Phénomènes, facteurs et théories, Paris, Presses universitaires de France.

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MUCCHIELLI, Alex et Jeannine GUIVARCH (1998), Nouvelles méthodes d’étude des communications, Paris, Armand Colin.

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ZÉMOR, Pierre (1991), Le sens de la relation. Organisation de la communication de service public, Paris, La documentation française.

ZÉMOR, Pierre (1995), La communication publique, Paris, Presses universitaires de France, Coll. « Que-sais-je ? ».

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Notes

1 Dont plusieurs font l’objet d’une spécialisation dans l’entreprise. À ce sujet, voir Durand (1999 : 108-144).

2 Nous retenons ici l’essentiel de la définition de l’International Public Relations Association.

3 Mentionnons néanmoins les contributions de Graber (1992), LeNet (1993), Loisier et Cossette (1993), Saint-Pierre (1995) et Zémor (1991 et 1995).

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Pour citer cet article

Référence papier

Alain Lavigne, « Relations publiques et dynamique d’interinfluence dans les organisations publiques »Communication, vol. 20/2 | 2001, 113-117.

Référence électronique

Alain Lavigne, « Relations publiques et dynamique d’interinfluence dans les organisations publiques »Communication [En ligne], vol. 20/2 | 2001, mis en ligne le 12 août 2016, consulté le 21 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/communication/6567 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/communication.6567

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Auteur

Alain Lavigne

Alain Lavigne est professeur adjoint au Département d’information et de communication, Université Laval. La recherche qu’il présente fait l’objet d’un financement de trois ans (2000-2003) de la part du Conseil de recherche en sciences humaines du Canada (CRSH).

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