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La (re)construction de l’autorité informationnelle dans les pratiques des journalistes québécois sur Twitter

Olivier Gadeau

Résumés

Parmi les plus récentes technologies d’information et de communication, une part importante des journalistes ont choisi d’intégrer Twitter à leur palette d’outils professionnels. Twitter se présente comme l’un des outils qui permettent d’entretenir au mieux une relation de communication horizontale entre les informateurs et leurs publics selon les exigences et les préceptes de démocratie participative qui de plus en plus se développent et expriment un désir d’équité de publication entre public et médias. Le présent article montre, par l’analyse de leurs usages réels de Twitter, que les journalistes québécois adoptent ou reproduisent des postures d’autorité sur leur public.

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Texte intégral

1Depuis le début des années 2000, le développement des blogues — et des microblogues — élargit quelque peu les frontières de l’expression individuelle dans l’espace public et permet aussi bien à des producteurs aguerris au contenu informationnel — notamment les journalistes — qu’à des anonymes de mobiliser les « promesses de libertés d’expression [et] de mise en relation » (Jeanne-Perrier, 2012 : 105) véhiculées par ces outils, afin de minimiser les rapports de force entre informateurs et informés.

  • 1 http://obsweb.net. Page consultée le 8 décembre 2015.
  • 2 D’autres projets de recherche sur lesquels nous travaillons actuellement nous ont amené à mettre à (...)

2Les journalistes affichent même une préférence pour Twitter, où ils intègrent des réseaux plus professionnels que sur Facebook. En France, 60 % des 900 comptes Twitter « disséqués » par l’Observatoire du webjournalisme (OBSWEB)1 ont été créés entre 2007 et 2009 (Pignard-Cheynel et Mercier, 2012). En Angleterre, une étude a montré que « the most popular social media among UK journalists is Twitter (80 %) » (Cision, 2012). Au Québec, la vague d’intérêt est comparable : 59 % des journalistes titulaires d’un compte Twitter en mai 2013 se sont inscrits entre décembre 2008 et avril 2011. Après cet engouement (de départ), le nombre de comptes Twitter de journalistes ne cesse d’augmenter encore aujourd’hui2.

3Les motivations sont variées, mais le discours qui les exprime fait écho au nécessaire rapprochement entre publics et médias/journalistes, à propos duquel les nouvelles technologies de la communication se posent en outils incontournables. L’investissement de ces nouveaux espaces d’expression pour le public et de publication pour le journaliste mettrait sur un pied d’égalité ces deux parties réputées en tension dans les médias traditionnels, ce qui aurait pour effet de minimiser les postures d’autorité des professionnels de l’information d’actualité.

4Toutefois, une analyse de contenu menée aux États-Unis par le Pew Research Center (PRC, 2011) a observé que 93 % des tweets de 17 grands médias mainstream étaient du type promotionnel ou renvoyaient l’abonné vers du contenu en ligne externe. En s’intéressant également aux publications de 13 journalistes affiliés à ce corpus de médias, le PRC relève par ailleurs que seulement 3 % des publications adoptent des procédés interactionnels ou s’inscrivent dans une démarche de prospection journalistique. Les usages effectifs de Twitter dans les médias et chez les journalistes américains tendent donc à recouvrir des pratiques traditionnelles, notamment en matière d’interaction avec leurs publics. À travers ces usages, le « discours innovateur » (Marcotte, 2008) des journalistes qui cherchent à mettre en œuvre un dialogue riche avec le public est balayé en même temps que son « principe dominant […] de la réciprocité et de la symétrie entre les participants au processus démocratique » dans lequel l’information d’actualité est assimilée à « un droit démocratique indispensable à l’exercice de la citoyenneté » (George, 2004 : 152).

5Notre problématique propose de comprendre les écarts qui existent entre, d’une part, les recommandations d’un discours de légitimation journalistique qui puise son argumentation dans une meilleure prise en compte des contributions médiatiques et des attentes du public, voire un rapprochement dialogique entre les deux protagonistes, et, d’autre part, la réalité qu’affichent les médias socionumériques. Plus précisément, nous cherchons à savoir si l’autorité professionnelle des journalistes au Québec est touchée par les usages professionnels que ces derniers mettent en œuvre sur Twitter et, le cas échéant, de quelle manière elle l’est.

Appropriation et autorité journalistique

6La littérature scientifique en sociologie des usages fait état de deux « topiques » (Jauréguiberry et Proulx, 2011 : 78-97) à l’origine d’une troisième approche plus contemporaine dite de l’appropriation. À cet effet, plusieurs chercheurs produisent, depuis une quinzaine d’années, des points d’étapes (Akrich, 2010), des synthèses (Jauréguiberry et Proulx, 2011 ; Millerand, 1999a, 1999b) ou des « retours critiques » (Jouët, 2000) sur l’évolution de ce domaine de recherche.

7Pour la présente étude, ni l’approche de l’innovation (Akrich, 1992a, 1992b, 1993 ; Callon, 1992 ; Vitalis, 1994), dont les intérêts scientifiques sont centrés sur l’objet technologique et ses processus de création/amélioration, ni le modèle diffusionniste (Moore, 1995 ; Rogers, 1983), qui place l’usager au cœur de l’adoption/rejet social d’un dispositif technique, ne constituaient un cadre théorique adéquat. Les recherches qui s’inscrivent dans l’une ou l’autre de ces perspectives relèvent à des degrés divers soit d’un déterminisme trop technologique dans lequel les chercheurs postulent que les objets prescrivent des usages qui modifient la société et sa culture, soit d’un déterminisme trop humaniste, pétri par la capacité libre et autonome de l’usager à s’approprier ou à ignorer les dispositifs qu’il juge nécessaires.

8La réalité empirique de notre terrain d’observation nous invite à éviter cet écueil : en désignant Twitter en tant que dispositif technique de communication et le journaliste en tant qu’usager dudit dispositif, nous nous attendons à ce que les traces d’interactions que nous souhaitons relever soient hétérogènes, car propres à chaque journaliste et à chaque sollicitation de Twitter qu’il met en œuvre.

  • 3 Cette terminologie en apparence relative à l’approche diffusionniste de la sociologie des usages ap (...)
  • 4 Nous pensons notamment aux dispositifs logiciels que les développeurs conçoivent en outre comme des (...)

9Dans l’approche de l’appropriation, l’usager ne subit pas plus le dispositif technique qu’il ne le domine. Il est actif ; il « bricole » l’outil ; il « braconne » (De Certeau, 1980/1990) dans les zones floues des recommandations d’usages du dispositif, qu’elles soient techniques (mode d’emploi, design de l’objet, etc.) ou sociales (collègues de travail, impératifs professionnels, environnement social, etc.). En somme, l’usager « déplace », « adapte », « étend » ou encore « détourne » (Akrich, 1998)3 le dispositif et les usages prescrits qui lui sont relatifs en exploitant sa malléabilité. Parallèlement, le dispositif technique — par ses concepteurs — s’adapte aux besoins construits par ses usagers, améliore les services qu’il propose et cherche ultimement à se rendre indispensable, tant il est susceptible de servir d’autres intérêts que ceux de l’usager4. Dans un tel contexte, l’humain et la machine coconstruisent leurs pratiques — et finalement, le dispositif technique — (Latzko-Toth, 2010), à l’issue de négociations sans cesse renouvelées entre le dispositif technique, l’usager et l’environnement social dans lequel ils interagissent. C’est le système personne-machine et non l’une ou l’autre des parties qui nous livrera ainsi ces usages porteurs de sens social

10Cette théorie de l’appropriation éclaire au mieux la dynamique qui s’est installée entre les journalistes, leurs abonnés et Twitter dans un contexte professionnel où chacun compose avec la liberté de la presse, les contraintes économiques des modèles d’affaires des médias qui doivent être rentables et les attentes des publics en matière de démocratie. Ces tensions permanentes façonnent, au bout du compte, les pratiques professionnelles du journaliste et, par extension, la relation d’autorité avec son audience.

11L’autorité journalistique, en tant que concept théorique, est très peu mobilisée dans la littérature scientifique. En revanche, les études sur le journalisme citoyen (Demers, 2012 ; Pledel, 2006 ; Tétu, 2008 ; Touboul, 2010) ou participatif (Aubert, 2009 ; Bernier et al., 2008 ; Joannès, 2007 ; Rebillard, 2010 ; Rieffel et Watine, 2002 ; Toullec, 2010) font ressortir des transformations disparates de la figure d’autorité du journaliste ou du média et s’accordent pour observer un déclin de ce que plusieurs chercheurs ont désigné par l’expression « magistère journalistique ». Ils évoquent notamment son « repli sur la création d’images de journalistes-vedettes et de marques de commerce » (Demers, 2007 : 29), son refoulement « dans une simple fonction d’adjuvant à la création de marques commerciales » (Demers et Le Cam, 2007 : 40), « un effacement de la relation verticale de magistère entre journaliste et public » (Pignard-Cheynel, 2007 : 77) au profit d’« une relation plus horizontale avec les contributeurs internautes » (Noblet et Pignard-Cheynel, 2010 : 269).

12Ces glissements font notamment partie des préoccupations scientifiques du Groupe de recherche sur les mutations du journalisme (GRMJ), à l’Université Laval, qui propose d’« étudier l’évolution du journalisme, telle qu’on peut la <lire> à travers le contenu des médias et à travers le discours des journalistes sur leur pratique5 ». Pour plusieurs chercheurs, ces mutations sont révélatrices de transformations paradigmatiques du journalisme (Charron et de Bonville, 2004), dont les caractéristiques dominantes culminent à des périodes successives relativement précises de l’histoire du journalisme occidental, sans que soit nécessairement exclu leur chevauchement.

13Le premier paradigme fait état d’un journalisme de transmission essentiellement mis en œuvre avant le XVIIIe siècle par les artisans de l’imprimerie qui transcrivaient sur papier ce qu’on leur rapportait. L’art de la politique en quête de terrains fertiles en matière d’expression — particulièrement en France pendant la Révolution — adoptera sans tarder ces outils de diffusion rapides et qualitatifs, desquels émergera alors un deuxième paradigme, le journalisme d’opinion. Puis, avec la révolution industrielle mécanisant les procédés d’impression et avec l’apparition petit à petit de la publicité, l’objet journal tend à devenir un produit plus commercial, ce qui pousse également l’artisan qui le fabrique à tendre vers un modèle économique porté vers le profit. Le journalisme d’information naît, en fait, des premiers courants du libéralisme à partir de la fin du XIXe siècle, reposant ainsi sur sa capacité à être d’autant plus monnayable que la qualité de l’information qu’il propose est élevée. Enfin, au début des années 1970, une nouvelle crise économique qui n’épargne alors aucun marché embarque les médias d’information dans une dynamique de concurrence de plus en plus forte où le lecteur, l’auditeur et le téléspectateur sont devenus des consommateurs à part entière et dont on doit s’enquérir des désirs en matière d’information. C’est dans ce contexte que le « journalisme de communication » (Charron et de Bonville, 1996) fait son apparition ; il se distingue des paradigmes précédents notamment par l’émergence de zones de rapprochement et de communication entre médias/journalistes et publics.

14Les médias d’aujourd’hui s’inscrivent à la fois dans les règles et les observations qui définissent les deux paradigmes les plus contemporains : le journalisme d’information et celui dit de communication. Une ambivalence qui s’illustre, notamment au Québec, dans la recherche d’un équilibre soutenu par un double discours professionnel :

[…] celui, noble, qui invoque les besoins du citoyen politique en matière d’information, sérieuse, vérifiée et centrée sur le bien public [et] celui, honteux (hors des salles de rédaction), qui pointe les lacunes du public réel assoiffé « de sport, de sexe et de sang » afin de justifier des choix éditoriaux qui fournissent ce que le public veut savoir plutôt que ce qu’il doit savoir (Demers, 2012 : 16-17).

15Ce double discours fait écho au clivage qui existe entre les journalistes « traditionnels » et « innovateurs » que distingue Philippe Marcotte (2008), mais dont le discours majoritaire arrive finalement à jongler à la fois avec « les fondamentaux du métier » (Manier, 2011) et la nécessité d’« établir avec le public une communication totale inspirée par la communication interpersonnelle » (Marcotte, 2008 : 12).

16Au sein de ces tensions, le magistère journalistique, signe fort du journalisme d’information, tente toujours de dire l’autorité sociale d’un métier et de ses praticiens avec tout ce qu’ils revendiquent de savoir-faire, de statuts sociaux et de réputation. De la même manière que le médecin fait autorité sur ses patients et sur la société en matière de santé, le journaliste fait autorité sur son public et sur la société en matière d’information d’actualité, bénéficiant alors d’une « confiance a priori » (Joannès, 2007 : 101-102). Néanmoins, dans un secteur où la communication transversale entre le système médias/journalistes et le public semble être privilégiée en même temps que se multiplient des outils d’autopublication sur le Web, l’autorité journalistique perd de sa solidité : le professionnel qu’est le journaliste n’est plus le seul à dire l’information d’actualité, tout comme il doit renoncer, sur les médias en ligne, à la quasi-exclusivité de la commenter, de la redécouper, de l’enrichir, voire de la contredire.

17Du point de vue des pratiques professionnelles, l’effritement du magistère journalistique relèverait ainsi de deux raisons principales. La première est que le journaliste est contraint de se soumettre à la perte de l’exclusivité de l’autorité informationnelle dont il peut encore jouir dans les médias traditionnels, mais dont le modèle économique tend à disparaître. La seconde est que les caractéristiques qui déterminaient l’autorité informationnelle dans les médias traditionnels ne sont pas transposables aux médias numériques. Les usages quant à la consommation de l’information publiée par les médias en ligne ont modifié les manières de prendre connaissance de l’actualité. Le lecteur/auditeur/téléspectateur de médias prénumériques qui s’adonnait à la consultation passive — et finalement homogène — d’un support à l’autre se transforme lui aussi en « webacteur » (Pisani et Piotet, 2008/2010) mobilisant des pratiques diversifiées, allant de la consultation d’informations à partir de recommandations déjà en ligne (Gallant, Latzko-Toth et Pastinelli, 2015) à la curation de sujets d’actualité précis en passant par la recherche active ou la réception automatisée de thèmes d’actualité prédéfinis (Épée, 2012). Dans cette zone de mutation des usages de l’information, les développeurs de moteurs de recherche du Web se sont emparés de l’autorité informationnelle en écrivant notamment, chacun à leur manière, leur opérationnalisation algorithmique.

  • 6 Google, Yahoo ! Bing, parmi les plus connus.

18C’est en produisant précisément ce constat qu’Évelyne Broudoux (2007) a jugé nécessaire de redéfinir la notion d’autorité informationnelle sur le plan scientifique. Elle s’est employée justement à la sortir des amalgames couramment observés dans les moteurs de recherche du Web les plus populaires6 qui ne distinguent pas la plupart du temps la popularité de l’autorité en introduisant notamment, dans leurs résultats produits d’après une requête, des paramètres comme le vote (PageRank), les indicateurs d’autorité (Hits) ou l’indicateur de confiance (TrustRank). Pour elle, « les moteurs de recherche font autorité par opacité ou omission d’informations ». Il s’agit là d’un manque de transparence préoccupant, lorsqu’on tient compte de l’« écrasante majorité d’utilisateurs [qui] considère que les résultats donnés par les moteurs de recherche sont fiables et [qu’elle] questionne peu la pertinence des résultats » (Broudoux, 2007 : 1).

Méthodologie

19En ce qui concerne notre étude, deux approches méthodologiques classiques ont guidé nos analyses : d’une part, l’analyse de contenu des médias (de Bonville, 2006) pour les aspects statistiques de la population de journalistes usagers de Twitter que nous avions recensée et, d’autre part, l’analyse de discours (Amossy, 2000 ; Charaudeau, 1997 ; Maingueneau, 1984) quant au contenu des publications auxquelles chacun d’entre eux est associé.

20Si la première approche, l’analyse de contenu, pose rarement des problèmes d’application tant que les données à comptabiliser restent homogènes, la seconde nous invite à tenir compte de ce que l’analyse du discours entend par autorité. En sociologie interactionniste, l’analyse de postures discursives distingue, en la matière, deux composantes à l’autorité :

[…] l’autorité montrée [qui] se manifeste dans le face-à-face [et qui] est attachée à la source du message selon divers codes sémiologiques (expressifs, comportementaux, vestimentaires…) [et] l’autorité citée qui fonctionne en appui du discours tenu par un locuteur L1, pour légitimer, vis-à-vis de son interlocuteur L2, un dire ou une façon de faire en les référant à une source tenue pour légitimante (Plantin, 2002 : 85-86).

21Ainsi, l’opérationnalisation que nous avons construite à propos du concept d’autorité informationnelle journalistique s’apparente à un croisement entre l’approche de l’analyse du discours et la conception de l’autorité informationnelle de Broudoux.

Opérationnalisation de l’autorité informationnelle journalistique

22Retraçant le parcours de l’évolution sémantique du concept même d’autorité, Broudoux analyse les acceptions nouvelles de l’autorité informationnelle par sa propension à tendre vers une dimension plus cognitive. Elle distingue ainsi l’autorité cognitive de l’autorité informationnelle « susceptible d’être portée par un individu ou un groupe, un objet ou un outil cognitif ou encore un média, [laquelle] n’a pas pour fonction principale l’influence mais celle d’informer (donner une forme) », ce qui la conduit à proposer l’opérationnalisation suivante :

« l’autorité énonciative où la figure de l’auteur (individuel/collectif) se manifeste parmi d’autres acteurs de la création (compilateur, commentateur, interprète, etc.) ;

l’autorité institutionnelle ou groupe régulé par des règles hiérarchiques séparant strictement la fonction au sein du groupe et la personne qui l’occupe (éditeur, distributeur, etc.) ;

l’autorité de contenu du document :

- genre : littéraire, musical, graphique, éditorial ;
- qualité : précis, utile, volatil/pérenne, micro/macro, panoramique/angle restreint, érudit/vulgarisé ;
- sources : auteur(s), compilation ;
- paratexte : éditeur, autres médiateurs, fabricant ;

l’autorité du support de publication :

- type : imprimé-cd-cassette, etc. ;
- caractère de la publication : périodicité, unique, quotidien, hebdomadaire, à éditions multiples, etc. »
(Broudoux, 2007 : 5)

23Ce modèle nous a semblé juste et pertinent pour définir l’autorité informationnelle des journalistes en tant que position de surplomb sur le public, car il mobilise à la fois des savoir-faire professionnels en matière de traitement de l’information et les paramètres qui déterminent l’information d’actualité. Sur cette base, nous avons construit le modèle opérationnel suivant :

L’autorité montrée dont les traces sont essentiellement localisées dans les profils Twitter des journalistes comprend notamment des manifestations relevant de

- L’autorité institutionnelle du journaliste, notamment par la mise en scène de signes d’appartenance à un média ou une reprise à son compte d’informations en provenance du média pour lequel il travaille ;
- L’autorité de support, par la mention d’autres espaces de diffusion en complément du support spécifiquement observé comme des indications appelant à découvrir un contenu plus développé (titre, manchette…) sur un support externe ou le renvoi, dans la présentation du journaliste, vers un autre espace d’expression médiatique ;

L’autorité citée dont les traces sont essentiellement localisées dans les fils de discussion Twitter des journalistes comprend notamment des manifestations relatives à

- L’autorité énonciative du journaliste, par une (ré)utilisation de publications existantes et désignées comme émanant de son groupe d’appartenance (médias, journalistes, sources reconnues). Elle peut comprendre la reprise à son compte d’informations en provenance de confrères journalistes, la citation ou la référence à des sources médiatiques ou journalistiques, un dialogue public entre confrères ou acteurs du groupe d’appartenance ;
- L’autorité de contenu dans les publications du journaliste et qui correspondent à des éléments d’autorité traditionnelle ou de magistère journalistique, comme le recours aux sources officielles ou la production de nouvelles en temps réel dans le dispositif.

24Cette catégorisation des traces d’autorité laissées par les journalistes sur leur compte Twitter nous a permis de concentrer nos observations sur deux zones de publication distinctes. Les manifestations d’autorité montrée ont ainsi été l’objet d’exploration dans les profils en ligne des journalistes, alors que les signes d’autorité citée ont principalement été localisés dans leurs fils de discussion.

Population et échantillonnage

  • 7 Le nombre total de tweets publiés est, pour des raisons techniques, limité par Twitter inc. à 3 200 (...)

25Les services en ligne qui proposent de la collecte d’archives de médias socionumériques ne manquent pas sur la Toile. La plupart d’entre eux destinent leur activité aux professions du marketing et proposent des services d’analyse clés en main, lesquels répondent très peu à nos besoins. Le choix de Twitonomy repose sur trois raisons principales : d’abord, la technique d’aspiration des archives qu’il met en œuvre se déroule instantanément et en quelques secondes, ce qui permet de travailler sur un corpus de données synchrones. De plus, la restitution de cette collecte se fait au moyen d’un tableau de données exploitable dans n’importe quel tableur ou logiciel de base de données et ne comporte que très peu d’éléments d’interprétation ou d’analyse qui pourraient influencer notre propre construction analytique. Enfin, cette collecte est quasi exhaustive7. L’analyse de ces traces peut donc s’envisager sur une base de données hors ligne et sur laquelle on peut entreprendre de nombreuses approches quantitatives ou qualitatives.

26Néanmoins, notre collecte de traces ne pouvait pas s’envisager sans passer par un recensement des journalistes québécois titulaires d’un compte Twitter. Pendant un an, par l’intermédiaire de plusieurs requêtes successives dans le moteur de recherche avancée de Twitter8, puis en examinant au cas par cas les suggestions d’abonnement que nous proposaient les algorithmes, nous avons recensé, en mai 2013, 566 journalistes professionnels travaillant pour le compte de médias québécois.

27Si, techniquement, les analyses quantitatives relatives aux signes d’autorité montrée ont pu être envisagées à l’échelle de la population des 566 journalistes recensés, il était irréaliste de tenir le même raisonnement en ce qui concerne l’autorité citée, puisqu’il en aurait résulté une analyse de contenu des publications de chaque journaliste. Même si l’application en ligne Twitter se limite à restituer les 3 200 derniers tweets publiés par chaque journaliste, le total agrégé des tweets nous aurait commandé une analyse de plus d’un million de publications.

28Ainsi, nous avons jugé pertinent d’extraire de cette population de journalistes un échantillon raisonné que nous avons fixé à 50 individus et que nous avons construit en fonction de deux axes : l’antériorité de l’usage (selon l’ancienneté du compte Twitter) et l’intensité de l’usage (selon la fréquence de publication). Cet échantillon a ainsi été mobilisé lorsque l’analyse à l’échelle de la population de journalistes recensés était techniquement impossible.

29Parce qu’elles sont propres à chaque analyse, nous expliciterons, au fur et à mesure de la présentation des résultats, les techniques que nous avons mobilisées pour faire émerger, à partir des profils et des fils de discussion sur Twitter des journalistes au Québec, les différentes composantes de l’autorité informationnelle.

Analyse des traces d’autorité informationnelle

Afficher le métier par l’autorité montrée

30Nous avons choisi de mesurer l’autorité montrée par l’observation et l’analyse de quatre champs de données de chaque profil Twitter qui apparaissent notamment sur l’en-tête de la page profil : la photo (figure 1, 1), le pseudonyme (2), la description de profil (3) et l’URL (4). Les trois premiers contiennent des informations qui permettent de documenter l’autorité institutionnelle ou de groupe par la présentation de liens sociaux entre les usagers observés et l’institution journalistique — qu’il s’agisse des médias ou des confrères. Le dernier champ, l’URL qui renvoie le visiteur de la page vers un autre site Web, relève de l’autorité de support par la diversité d’espaces de publication que l’usager affiche dans son profil.

Figure 1. Exemple d’en-tête de la page de profil Twitter de Tristan Péloquin

Figure 1. Exemple d’en-tête de la page de profil Twitter de Tristan Péloquin
  • 9 Jusqu’en mars 2014, l’application Twitter générait une photo — une forme ovoïde sur un fond de coul (...)

31En matière d’autorité montrée, cette population de 566 profils montre une grande hétérogénéité : les plus spartiates présentent seulement un pseudonyme, un patronyme et une photo générée par l’application9 ; les plus complets montrent une photo de profil réalisée spécialement pour ce genre d’application, une description des activités professionnelles, des liens hypertextes vers d’autres sites internet, des données de géolocalisation, en l’occurrence la ville ou la région où le journaliste travaille le plus souvent.

Autorité institutionnelle

32L’autorité institutionnelle ou de groupe peut notamment se manifester par l’expression de signes d’affiliation avec un ou plusieurs médias pour lesquels le journaliste travaille ou, plus largement, avec le groupe professionnel des journalistes. Nos recherches nous ont permis de relever deux types de signes d’affiliation : l’affiliation professionnelle qui cherche à marquer une appartenance au groupe professionnel des journalistes et l’affiliation médiatique qui, quant à elle, relève plus de l’identification au média qui emploie le journaliste observé.

33Nous ne pouvions pas en rester aux autodéclarations du statut de « journaliste » ou de « reporter » des usagers que nous observions. En effet, comme nous avons construit notre population de journalistes ayant un compte Twitter au Québec en grande partie par des requêtes, dans le moteur de recherche de l’application, contenant cette terminologie dans le champ « description de profil », nos résultats auraient été tautologiques. Aussi avons-nous dirigé notre quête de signes d’affiliation professionnelle uniquement dans les champs « photo » et « pseudonyme » de chaque profil.

34La photo de profil peut être interprétée comme le résultat d’un choix du titulaire du compte Twitter, lequel peut être plus ou moins influencé par l’entourage professionnel, les politiques de l’entreprise pour laquelle il travaille, inspiré par différentes manières de se mettre en scène des autres usagers ou souhaitant se distinguer de celles-ci.

35Nous reviendrons plus loin sur les mises en scène de photos qui font état d’une affiliation médiatique, c’est-à-dire qui présentent un logo de l’entreprise pour laquelle le journaliste travaille et qui — signalons-le immédiatement — sont les plus nombreuses. Nous avons néanmoins constaté, parmi la vingtaine de photos de profils (3,5 % des journalistes recensés) qui ne présentent pas de signe d’affiliation médiatique, des mises en scène qui relèvent, selon notre interprétation, de l’autorité institutionnelle ou de groupe.

36Elles optent en effet pour une certaine originalité au milieu de l’immense majorité de leurs confrères qui, quant à eux, ont choisi un format de photo rappelant sans ambiguïté celles des chroniqueurs et des reporters de la presse écrite ou des présentateurs de nouvelles des journaux télévisés, signes ostensibles d’un désir de recouvrement des manifestations d’autorité des médias traditionnels.

Figure 2. Sélection de profils et de photos dont l’ensemble illustre une spécialisation journalistique

Figure 2. Sélection de profils et de photos dont l’ensemble illustre une spécialisation journalistique

Figure 3. Sélection de photos de profils montrant le journaliste dans un contexte professionnel ou illustrant ce contexte

Figure 3. Sélection de photos de profils montrant le journaliste dans un contexte professionnel ou illustrant ce contexte

37Parmi cette vingtaine d’exceptions, environ la moitié illustre une spécialisation journalistique (figure 2) ou montre le journaliste dans un contexte de travail (figure 3). Ces dernières illustrations proviennent d’ailleurs d’usagers qui annoncent clairement, dans leur description de profil Twitter, une collaboration régulière avec des médias nationaux (Radio-Canada, Le Devoir, TVA, Voir…) et dans lesquels ils bénéficient déjà d’une certaine visibilité, contrairement à leurs confrères qui travaillent dans des contextes un peu plus confidentiels (hebdomadaires régionaux, médias spécialisés…).

38Ces quelques exceptions supposent une posture discursive marquant l’insistance de la part des journalistes qui les mettent en ligne. Près d’un quart des journalistes que nous avons recensés n’hésitent pas en tout cas à mettre en œuvre une redondance par l’image, afin d’affirmer leur affiliation au monde du journalisme québécois.

39Cette redondance de signes d’autorité institutionnelle, au sein d’un seul et même profil, vise selon nous à atteindre deux objectifs de visibilité qui se rejoignent. Elle permet d’abord de s’assurer que l’affiliation professionnelle, autrement dit faire partie de la communauté journalistique, apparaît non seulement dans la présentation de soi sur la page profil, mais également dans les fils d’actualités des abonnés : n’oublions pas qu’un tweet, lorsqu’il est publié et qu’il « tombe » sur le fil de lecture d’un abonné, est justement accompagné de la photo de profil et du pseudonyme de son auteur (figure 4). La description de profil où sont éventuellement visibles les autres signes permanents d’autorité institutionnelle ou de groupe n’apparaît pas immédiatement. Pour les voir, l’abonné doit effectuer, sur la plupart des applications mobiles ou fixes qui mobilisent l’ensemble des fonctionnalités de Twitter, une ou plusieurs actions supplémentaires : balayage de l’écran ou d’un champ sur un appareil mobile, quelques clics, appuyer sur un ou plusieurs boutons sur un ordinateur, etc.

Figure 4. Exemple de deux tweets apparaissant sur le fil d’actualité d’un compte Twitter

Figure 4. Exemple de deux tweets apparaissant sur le fil d’actualité d’un compte Twitter

40Le journaliste qui souhaite mettre en avant son métier non seulement sur son profil, mais également dans ses publications a donc tout intérêt à insérer ces signes d’affiliation professionnelle dans les champs « photo » et « pseudonyme ».

41Cette même logique semble guider les quelques journalistes qui ont créé des pseudonymes plus évocateurs de leurs activités professionnelles que de leur patronyme. Ces derniers sont cependant très rares — 6 sur 566 journalistes recensés —, ce qui nous indique que les deux formules d’affichage de l’affiliation professionnelle par des éléments de mise en scène évocateurs du métier de journaliste dans la photo ou dans le pseudonyme d’un compte Twitter ne sont pas la pratique la plus répandue chez les journalistes québécois pour signifier une certaine autorité professionnelle et inviter ainsi le public à suivre leurs publications.

42Les signes d’affiliation médiatique sont en revanche mobilisés bien plus fréquemment pour manifester une autorité institutionnelle ou de groupe. Ces éléments sont suffisamment nombreux pour nous permettre de produire quelques statistiques pertinentes. En validant, pour chaque profil, la présence ou l’absence d’un signe d’affiliation médiatique, nous avons pu calculer le taux de journalistes qui manifestent un, deux, trois ou quatre signes d’affiliation à leur média. Les signes que nous avons choisi de compter sont les suivants :

  • La présence ou l’absence d’un logo de média sur la photo du profil ;

  • La présence ou l’absence d’un sigle accolé au nom d’usager du journaliste aisément reconnaissable pour le public ;

  • La présence ou l’absence de marques ou de noms de médias, dans la description de profil, avec lesquels généralement le journaliste collabore ;

  • La présence ou l’absence d’une adresse internet dont le libellé affiche clairement sa destination (exemple : http://www.radio-Canada.ca/​midiinfo).

43La synthèse du comptage de ces quatre types de signes d’affiliation médiatique montre que 83 % des journalistes recensés sur Twitter manifestent leur affiliation médiatique en énonçant le ou les médias pour lesquels ils travaillent dans leur description de profil, ce qui constitue le moyen le plus simple et le plus clair de faire état des liens qui existent entre journaliste et média employeur. Soulignons que 41 % des journalistes indiquent une adresse internet redirigeant l’internaute vers la page d’accueil de leur média ou vers un espace de publications régulières autre que Twitter hébergé par le média — blogue, chronique, billet d’humeur, éditorial, etc. Un quart environ (23 %) des journalistes incrustent le logo du média pour lesquels ils travaillent dans leur photo de profil. Enfin, 14 % des journalistes seulement accolent le sigle de leur média à leur pseudonyme.

44La préférence des journalistes pour exprimer leur affiliation médiatique va donc à l’énonciation claire du média pour lequel ils travaillent. Sans doute faut-il comprendre que la redondance des signes d’affiliation médiatique que nous avons observés exprime notamment la force de la relation qui associe le journaliste à son employeur. Cet attachement est d’autant plus important que les journalistes qui font preuve de la plus grande autorité institutionnelle sont ceux qui manifestent dans leur profil plus de deux — le minimum pour exprimer une redondance — signes d’affiliation professionnelle.

45Pour aller plus loin dans cette analyse à partir d’une collecte exploratoire de traces d’autorité, nous avons réparti les journalistes en fonction du nombre de signes d’affiliation professionnelle qu’ils affichent dans leur profil.

Tableau 1. Répartition des journalistes selon le nombre de signes d’affiliation professionnelle

Tableau 1. Répartition des journalistes selon le nombre de signes d’affiliation professionnelle

46Nous avons constaté qu’une large majorité (40 + 15 + 4 = 59 %) des journalistes font état d’au moins deux signes d’affiliation professionnelle, ce qui montre l’intention assez répandue, chez les journalistes québécois usagers de Twitter, de manifester une forme d’autorité institutionnelle auprès du public.

47Notre attention a été également retenue par les 7 % (38 sur 566) des journalistes qui n’affichent apparemment aucun signe d’affiliation médiatique dans leur profil. Il s’agit pour la plupart d’entre eux de pigistes travaillant pour plusieurs médias et dont l’irrégularité des contrats ne suscite pas chez ces professionnels d’affiliation particulière à un employeur. Mais on trouve également dans cette petite proportion de journalistes des noms comme Paul Larocque, Martin Pelchat, Nathalie Petrowski, Richard Martineau ou encore Vincent Marissal, éditorialistes ou figures emblématiques de la chronique journalistique québécoise et qui jouissent de ce fait d’une reconnaissance publique soutenue. Il s’agit là d’une posture certes marginale, mais elle nous indique que le patronyme du journaliste, dans une certaine mesure, peut également être considéré comme une manifestation d’autorité montrée ; fait rare, mais d’autant plus évocateur que le champ « description » des cinq profils cités, par exemple, est entièrement vide.

Autorité de support

48Pour déceler des manifestations d’autorité de support, nous avons observé plus particulièrement des zones de notre terrain de recherche où le journaliste indique de façon constante les autres espaces en ligne où il produit un travail journalistique. Pour cela, nous avons examiné les profils dont la description contenait une URL redirigeant l’internaute vers un autre site. Nous avons également cliqué sur chacun de ces hyperliens afin de déterminer à quel type de site le journaliste faisait référence : les pages d’accueil général des médias pour lesquels il travaille, les pages d’accueil propres à son genre journalistique (rubrique de spécialisation, chronique, éditorial, etc.) hébergé par le média et les sites indépendants entièrement administrés par les journalistes eux-mêmes (blogues, sites de dossiers spécifiques, etc.).

Tableau 2. Répartition des pages Web pointées par les URL figurant dans les profils de journalistes sur Twitter

Tableau 2. Répartition des pages Web pointées par les URL figurant dans les profils de journalistes sur Twitter

49Le tableau ci-dessus fait la synthèse de ces résultats : 318 journalistes — 56 % de la population recensée, soit une majorité relative — ont recours à une adresse URL et manifestent donc, selon notre méthodologie, une autorité de support. Une petite moitié d’entre eux (46 %) invite l’internaute à consulter la page d’accueil général du média avec qui ils collaborent. Les deux quarts restants — constituant chacun 27 % — renvoient vers une compilation en ligne de leur travail sur un site indépendant ou sur une page hébergée par le média.

50Ces rapports montrent qu’il n’y a pas d’usages homogènes lorsqu’il s’agit de montrer des signes d’autorité de support. En donnant la possibilité au public de préciser lui-même la nature du lien qui associe le praticien et le média qui l’emploie, les journalistes indiquent leur degré d’appropriation du dispositif technique Twitter, car ces URL indiquent presque toutes une thématique journalistique ou une manière de faire du journalisme : les pigistes et travailleurs indépendants renvoient vers les sites qu’ils ont eux-mêmes construits au même titre qu’ils construisent leur travail quotidien ; les chroniqueurs, les éditorialistes et les blogueurs « chaperonnés » par un média renvoient vers la compilation de leurs textes d’opinion ; les reporters qui travaillent principalement l’actualité au jour le jour redirigent l’internaute vers la page d’accueil des médias, laquelle fait généralement la part belle à l’information en direct.

51L’autorité de support est donc majoritairement exprimée ici par la diversité des espaces de publication sur lesquels ils sont capables de faire état de leur travail. L’autorité institutionnelle ou de groupe se manifeste majoritairement, elle aussi, par la redondance des liens que les journalistes et les médias laissent paraître sur leur profil. Toutefois, ces deux tendances fortes n’ont pas forcément de liens entre elles. Les journalistes qui font montre d’autorité institutionnelle ou de groupe n’affichent pas nécessairement de signes d’autorité de support et réciproquement. Une première piste semble se dégager de ces analyses : les journalistes transposent dans Twitter les cadres de fonctionnement des médias de support prénumérique, notamment celui qui circonscrit le magistère journalistique.

Dire le métier par l’autorité citée

52Après avoir mis en évidence plusieurs signes d’autorité montrée, nous avons concentré nos recherches sur les fils de discussion de journalistes. C’est précisément dans cette zone de notre terrain d’observation que se trouve la part la plus riche des usages de Twitter par les journalistes, mais aussi la plus fluctuante, puisqu’elle varie au jour le jour.

  • 10 Écrite par les développeurs, puis mise en œuvre par les algorithmes qui constituent l’application T (...)
  • 11 Il s’agit de l’application ou des moyens mis en œuvre par l’utilisateur pour publier sur son propre (...)

53Le fil de discussion d’un usager de Twitter — et a fortiori d’un journaliste — est constitué de tweets listés du plus récent au plus ancien. Chaque tweet transporte avec lui deux catégories d’information : d’une part, des données de contenu (le message informatif des tweets, les interlocuteurs à qui ils sont adressés, des hashtags éventuels, des liens qui renvoient vers un contenu externe, etc.) et, d’autre part, des métadonnées qui font état notamment du type10 de tweet, de ses données éventuelles de géolocalisation, de sa plateforme de composition11. La logique nous indique de documenter l’autorité de contenu avec les données de contenu et l’autorité énonciative avec les métadonnées de chaque publication.

54À ce titre, il a été nécessaire de connaître la nature des relations qui s’affichent entre les journalistes et leurs interlocuteurs, c’est-à-dire toute personne qui, parmi les abonnés et les abonnements du compte Twitter du journaliste, se distingue par une ou plusieurs interactions interpersonnelles : échanges conversationnels, sources de retweets, interpellations, mentions, etc. En effet, si la publication d’un tweet à destination d’une audience — ici, les abonnés ordinaires à un compte Twitter — peut s’apparenter à une communication de masse telle qu’on l’observe sur les médias de support traditionnel, les autres usages de Twitter qui permettent d’établir une communication interpersonnelle entre deux utilisateurs ne relèvent plus de ce modèle. Ils s’inscrivent davantage dans une logique d’échange informationnel, d’interaction, d’une communication où les rapports d’autorité sont minimisés par les points communs que les deux interlocuteurs vont afficher, et que nous avons notamment repérés dans leurs traces respectives d’autorité montrée. De telles relations s’installent plus facilement entre les membres d’une communauté d’intérêts communs (Casilli, 2010) qu’entre des personnes qui doivent mettre en œuvre des processus de reconnaissance mutuelle, lesquels passent inévitablement par des manifestations d’autorité de la part de l’un ou de l’autre des interlocuteurs.

55L’autorité citée que nous cherchions à faire émerger de ces publications devait ainsi être d’autant plus forte que l’absence d’interactions interpersonnelles entre les journalistes et leurs abonnés ordinaires serait importante. Le corollaire à cette hypothèse est que si les interactions interpersonnelles auxquelles les journalistes prennent part sur Twitter sont plus fréquentes avec leurs pairs ou les personnes appartenant à leur milieu professionnel qu’avec des interlocuteurs ordinaires, l’autorité citée du journaliste sur son public — ses abonnés — sera d’autant plus forte.

56Pour rappel, l’autorité citée comprend deux paramètres : l’autorité énonciative qui se caractérise notamment par la (ré)utilisation de publications existantes et désignées comme émanant de son groupe d’appartenance (médias, journalistes, sources reconnues) et l’autorité de contenu dans les publications du journaliste et qui correspondent à des éléments d’autorité traditionnelle ou de magistère journalistique, comme le recours aux sources officielles ou la production de nouvelles en temps réel dans le dispositif. Ce sont ces deux composantes que nous allons maintenant évaluer, à la hauteur de notre échantillon raisonné de 50 journalistes.

Autorité énonciative

57Les traces d’autorité énonciative sont localisées dans les opérations de retweet et dans les échanges conversationnels qui ont lieu sur Twitter, rappelons-le, en public.

Légitimation du professionnalisme par le retweet

58Dans quelques descriptions de profils, l’idée qu’« un retweet n’est pas une caution12 » est clairement annoncée. Ce n’est donc pas une manifestation d’autorité puisque ce retweet peut se faire à propos de tout ou de rien. On « retweete ce qui peut être important ou pas13. » Ils sont moins de 10, sur la population de 566 journalistes recensés, à préciser ainsi dans leur description de profil le sens qu’ils donnent à ce geste de republication très circonscrit par les usages prescrits de l’application, ce qui indique par ailleurs que la très grande majorité des journalistes considère le recours au retweet — ou RT — comme une pratique répandue et connue n’exigeant pas d’explication particulière à l’égard de leur audience.

  • 14 Le taux de retweets d’un usager est le rapport en pourcentage du nombre de retweets publiés sur le (...)

59En outre, l’usage du retweet n’est pas mobilisé par la majorité des journalistes québécois. Si nous divisons l’échantillon raisonné que nous avons constitué en deux groupes, rassemblant, d’une part, les journalistes affectés d’un taux de RT14 inférieur à 50 % et, d’autre part, les journalistes affectés d’un taux de RT supérieur à 50 %, le déséquilibre entre les deux groupes est presque maximal : 96 % (48 journalistes sur 50) retweetent moins un message sur deux qu’ils reçoivent. La tendance dominante est donc de publier de l’information nouvelle sur Twitter plutôt que de reprendre des tweets déjà diffusés.

60De plus, les journalistes ne retweetent pas les publications de n’importe qui. Pour faire cette analyse, nous avons catégorisé les 10 sources que chacun des 50 journalistes de notre échantillon retweete le plus, en les classant dans deux groupes de proximité professionnelle : les anonymes, c’est-à-dire les usagers ordinaires de Twitter qui ne semblent pas entretenir de liens soutenus avec le monde des médias et les blogueurs indépendants dont les publications ne s’affichent pas sous la bannière d’un média d’actualité, et les pairs ou assimilés socioprofessionnels que représentent les journalistes, les médias, les attachés de presse et employés de relations publiques, les personnalités publiques qui constituent par ailleurs pour la plupart des sources officielles.

61Nous avons ainsi observé que 72 % de ces journalistes (36 sur 50) retweetent exclusivement des messages dont la source est liée à leurs pairs. Cette tendance fait écho à plusieurs prescriptions d’usages professionnels — guides de déontologie, manuels de journalisme, etc. — qui invitent les journalistes à réserver aux sources d’informations indiquées dans les publications des médias sociaux numériques le même traitement qu’ils leur accorderaient dans le cadre de pratiques prénumériques (CBC/Radio-Canada, 2013 ; Fédération professionnelle des journalistes du Québec, 2010 : 10).

  • 15 La curation consiste à collecter des informations sur le Web autour d’un ou plusieurs thèmes, à les (...)

62Il faut donc comprendre que la republication d’un tweet lorsqu’elle a lieu, et a fortiori lorsque ledit tweet provient d’un journaliste, est considérée par le retweeteur comme une tâche à part entière de son métier qu’il justifie comme une attente du public : il relaie des informations qui ont une valeur journalistique puisqu’elles émanent d’une source en laquelle il a confiance. Dès lors, le retweet, geste de réédition de l’information, s’apparente de près à une pratique traditionnelle du journalisme, constat déjà produit par le Pew Research Center (2011 : 11-13), qui invoque à ce sujet des opérations de curation15 endogène : sélection d’informations en provenance de confrères journalistes, citation ou référence à des sources médiatiques ou journalistiques, échanges discursifs publics entre confrères... Dans ce contexte, les possibilités techniques du dispositif Twitter invitent le journaliste à adapter ses usages en matière de curation des sujets d’actualité, ce qui lui permet en retour de réaffirmer publiquement son autorité informationnelle — ici, par la composante énonciative — en adoptant des postures codifiées et interprétées comme telles par le public, puisque déjà mises en œuvre dans les médias de support traditionnel.

63Cette curation est en fait une acception contemporaine de ce que les journalistes appellent, dans leur jargon et en interne, leur « revue de presse » personnelle. Nous ne parlons pas ici des exercices éditoriaux que nombre de grandes radios généralistes pratiquent dans leurs séances matinales d’actualité ; cette « revue de presse » personnelle relève d’un travail de fond et traditionnellement silencieux du journaliste. Elle est le point de démarrage de son quotidien informationnel, la prise en compte de « ce qu’a produit la concurrence », le bouillon d’actualité dans lequel il puise ses idées de reportages, de suites à donner, de dossiers et d’enquêtes qui seront diffusés le soir, le lendemain, dans une ou plusieurs semaines.

64Si de nombreux journalistes n’ont pas accès à un micro pour partager leurs lectures, il faut reconnaître que Twitter, par ses fonctionnalités facilitant le partage d’information, n’a pas de mal à se forger une place non négligeable dans les pratiques journalistiques. Cette interprétation que nous faisons de l’usage du retweet journalistique comme constitutif d’une curation que formalise finalement un travail à haute voix (Bonneau, 2013) s’est confirmée sur notre terrain d’observation.

65Twitter semble en effet inciter certains journalistes à extérioriser un travail traditionnellement endogène. Afin de mieux comprendre comment cette tâche confidentielle pour la plupart des journalistes est devenue publique, nous nous sommes intéressé aux profils et aux tweets des trois journalistes qui se détachent nettement du reste de l’échantillon et qui tiennent la tête de ce classement des retweeteurs les plus prolixes.

  • 16 Cette curation est effectivement agrémentée de ce qu’on peut qualifier de « plaisanteries de couloi (...)
  • 17 Il s’agit d’un site d’actualités gratuit et autofinancé, lancé en 2009 par le journaliste lui-même (...)

66Le premier, Hugo Prévost (@HugoPrevost), culmine avec 60 % de retweets depuis le début de son inscription au service de microblogue. En explorant attentivement son fil de discussion, nous avons justement découvert l’exercice minutieux d’une curation personnelle16 et quotidienne qui constitue l’essentiel de sa journée sur Twitter. Prévost se présente comme un « journaliste à la Presse Canadienne et rédacteur en chef de Pieuvre.ca17 » dont l’activité professionnelle quotidienne est justement de citer d’autres sources que le média pour lequel il travaille. La curation prend notamment chez lui la forme de retweets assortis parfois d’un commentaire ou celle de l’entretien de quelques conversations sur l’actualité avec ses interlocuteurs, lesquels font partie de sa liste d’abonnements.

  • 18 Soit quatre journalistes, quatre institutions médiatiques, un expert et un organisme de relations p (...)

67La deuxième journaliste de ce classement, Anne-Louise Despatie (@annlilou), travaille à la télévision de Radio-Canada et retweete environ un message sur deux (52 %) qu’elle reçoit, mais selon une fréquence de publication très faible (moins de 11 tweets par mois). Si l’on examine exclusivement le fil chronologique de ses retweets, on se rend compte qu’ils sont concentrés par grappe, allant de quelques-uns à une vingtaine en une seule journée, soit jusqu’à deux fois sa moyenne mensuelle de publication. Par ailleurs, seule une infime partie (5 %) de ses retweets s’abreuvent à la source de son employeur @RadioCanadaInfo ; 95 % des retweets font référence à une source médiatique extérieure, et les 10 usagers que Despatie retweete le plus sont exclusivement des pairs et assimilés18. Là encore, tous ces signes indiquent la pratique d’une curation, cette fois-ci à caractère occasionnel, que les journalistes trouvent souvent le temps de produire lorsqu’ils préparent des dossiers d’information plus conséquents et qui demandent plus de temps et d’investigation que les reportages quotidiens diffusés dans un téléjournal.

68Le troisième journaliste de ce groupe de retweeteurs, Louis Lemieux (@LouisLemieux), alors présentateur des téléjournaux du week-end sur RDI, publie presque un retweet sur deux publications (46 %), lesquelles sont essentiellement constituées (80 % de ses tweets) des messages que diffuse @RDImatinWeekEnd, le compte officiel de l’émission télévisée qu’il présente à l’époque. Comme la grande majorité des médias le font sur Twitter, les retweets de Lemieux sont principalement les manchettes du jour. À l’évidence, ce journaliste ne pratique pas la revue de presse comme ses deux confrères @HugoPrevost et @annlilou. En revanche, il s’inscrit parfaitement dans la catégorie dominante des journalistes que l’étude du Pew Research Center (2011) avait définis comme des relais plutôt fidèles des tweets déjà publiés par les comptes des médias pour lesquels ils travaillent ont déjà publiés.

69En outre, cette dernière posture renvoie sans ambiguïté à celles que les médias ont adoptées depuis longtemps sur les supports prénumériques : les manchettes, les affichettes sur les présentoirs des commerces, les titres au début d’un bulletin radiodiffusé ou télédiffusé font état d’autant d’informations qu’ils montrent de signes d’autorité journalistique par leur énonciation ou leur mise en forme. Tout cela annonce également que des professionnels de l’information d’actualité présentent au public sur Twitter une production experte et donc crédible, une forme de plus d’autorité énonciative.

Maîtrise de l’interaction dans les échanges conversationnels

  • 19 Il s’agit d’une analyse exploratoire de contenu thématique que nous avons produite sur 128 textes. (...)

70Nous venons de le souligner, les journalistes retweetent plus facilement les publications des sources faisant partie de leurs pairs que celles d’anonymes. Toutefois, comme nous l’avons soulevé dans notre problématique, une partie des usagers d’internet — et a fortiori de Twitter — réclament une meilleure équité de publication, jusqu’à revendiquer un véritable dialogue avec les journalistes. Ce souci de mieux connaître ce que l’industrie médiatique appelle souvent « les attentes du public » fait également partie des changements bénéfiques que Twitter semble apporter, si l’on se fie aux arguments que nous avons relevés dans le discours de légitimation du travail journalistique, analyse que nous avons entreprise au début de ce projet par un codage de citations de journalistes dans Projet-J et Le Trente19.

  • 20 Depuis la refonte du site de Projet-J (http://projetj.ca), les archives sont devenues inaccessibles (...)

71C’est en effet dans une perspective comparable que la journaliste Anne-Caroline Desplanques, alors rédactrice en chef de Projet-J, conclut son article sur le « Guide d’utilisation de Twitter pour les journalistes » en soulignant que « le journalisme ne doit donc pas se résumer à la simple transmission de la nouvelle ou des faits. Il doit viser le renforcement de la société, des communautés et de la démocratie grâce à l’échange d’informations et d’idées »20.

72Plus qu’une invitation, il y aurait dans ce discours public de légitimation du travail journalistique une forte recommandation aux journalistes

à ne plus rester assis derrière leur bureau sans parler aux lecteurs. C’est crucial qu’ils soient sur Twitter ou Facebook pour échanger avec eux. Cette réalité n’existait pas auparavant, c’est pourquoi tant de journalistes sont mal à l’aise avec cette situation. Les lecteurs veulent connaître les journalistes derrière les reportages, car ils accordent de plus en plus leur confiance aux journalistes et pas juste aux organisations (Normand, 2011).

73Nous nous attendions donc à trouver dans les échanges conversationnels entre les journalistes et le public sur Twitter sans doute une relation d’une plus grande proximité, conformément à ce qui est défini dans le paradigme du « journalisme de communication » (Charron et de Bonville, 1996). Ainsi, pour comprendre à quel groupe social appartiennent les 10 usagers auxquels les journalistes répondent le plus, nous avons mobilisé le même modèle de catégorisation — pairs comparés à anonymes — que pour les 10 usagers de Twitter que les journalistes retweetent le plus. Il apparaît donc que la plupart des conversations que les journalistes entretiennent sur Twitter se déroulent plus souvent avec des usagers appartenant à leurs pairs et assimilés (82 %) qu’avec des blogueurs ou des anonymes (18 %).

74La plus grande proximité entre journalistes et public à laquelle nous nous attendions, qui serait facilitée par l’intermédiaire des médias socionumériques, n’est donc pas là où elle aurait pu se manifester. La dichotomie entre les deux groupes, pairs et anonymes, est si importante qu’il nous semble difficile pour l’anonyme ou le blogueur de s’insérer, même avec finesse, dans les conversations intramédiatiques qui, ne l’oublions pas, se déroulent publiquement sur Twitter.

Autorité de contenu

75Nous avons également repéré seulement quatre journalistes (8 %) dont le taux de tweets du type « réponse » est supérieur ou égal à la moitié de l’ensemble de leurs publications. Cela signifie qu’une très large majorité des journalistes (92 %) semblent ne pas donner de priorité à la réponse aux attentes conversationnelles des consommateurs d’actualité en ligne, une posture qui peut s’expliquer par le fonctionnement des rédactions des médias de masse.

76Les médias de support traditionnel ont en effet toujours placé, entre journalistes et public, des barrières physiques ou communicationnelles. Le média-employeur construit des barrages qui ont notamment pour fonction de filtrer le public : une ou plusieurs personnes responsables de l’accueil avant d’accéder à la rédaction, un dépouillement sélectif du courrier des lecteurs, un tri draconien des appels par les assistants-réalisateurs d’une émission de radio de ligne ouverte, une sélection des spectateurs dans un talkshow télévisé, etc. En d’autres termes, ces paravents techniques tombent : le journaliste peut se faire vertement interpeller par ses abonnés, voire se faire corriger publiquement ; personne ne filtre ou ne trie les messages qui lui sont adressés… bref, « sur Twitter, le journaliste est à poil devant ses lecteurs » (Gaucher, 2011). Livrés à eux-mêmes et à l’espace public, les journalistes doivent « accepter de se mettre (un peu) en danger » (Gaucher, 2011), ce qui les pousse à mettre en œuvre d’autres techniques de filtrage. Nous supposons ici que ces techniques expriment un certain nombre de marques d’autorité.

77C’est la raison pour laquelle nous avons voulu examiner plus en détail les fils de discussion de ces quatre journalistes de notre échantillon dont les tweets du type « réponse » représentent plus d’une publication sur deux et dont la fréquence de publication est supérieure à une moyenne d’un tweet par jour, cela afin de s’assurer d’observer des journalistes qui conversent régulièrement. Nous avons esquissé leur portrait à partir de l’analyse et de l’interprétation des statistiques de leur fil de discussion et de leur profil.

Cas 1 : Marc Cassivi, le coureur de mots

78Avec plus de 47 000 abonnés, @MarcCassivi jouit d’une importante visibilité sur Twitter, laquelle est sans aucun doute fortement liée à ses activités de journaliste culturel. Se présentant d’abord comme « chroniqueur aux Arts, La Presse », il officie régulièrement dans l’émission de Marie-France Bazzo à Télé-Québec et annonce, dans sa description de profil et de nombreuses fois sur son fil de discussion, « animer prochainement » une nouvelle émission de cinéma sur cette même chaîne dès 2014.

79Par rapport à la totalité des tweets qu’il a publiés, ce journaliste a certes le plus fort taux de « réponses » (65 %), mais ses interlocuteurs sont très dispersés : les 10 usagers à qui il a le plus répondu ne sont destinataires que de 14 % de ses réponses. Par ailleurs, @parleduc15, journaliste à qui @MarcCassivi a le plus répondu, n’a reçu que 92 tweets sur les 2 089 réponses du chroniqueur. Cassivi tendrait ainsi à répondre à la moindre interpellation sur Twitter. Deux anonymes seulement figurent à ce palmarès des 10 interlocuteurs à qui le journaliste répond le plus, @PhilRunners et @desmart_, usagers avec lesquels il partage une passion commune pour le marathon et ses formes dérivées ; les discussions entre eux sont exclusivement relatives à ce thème.

80En examinant de plus près ses publications, nous avons constaté d’autres éléments pertinents pour notre étude. En fait, les « nouveaux » tweets de ce journaliste déclenchent presque toujours une ou plusieurs réactions de ses abonnés, qu’ils soient pairs ou anonymes. Que Cassivi réponde à une interpellation ou tweete une nouvelle information, sa publication débouche presque immanquablement sur une discussion.

81Nous avons donc décidé d’examiner en profondeur une journée choisie de façon aléatoire, mais qui contenait un nombre de tweets au moins supérieur à sa moyenne de publications quotidienne, pour collecter suffisamment de matériel d’analyse. Le 26 novembre 2013 s’est révélé être un choix pertinent : Cassivi a publié ce jour-là 5 « nouveaux » tweets et 19 « réponses ». Nous avons ainsi retracé les déclenchements de toutes ses publications : elles sont toutes partie intégrante de 6 fils de discussion — dont les origines et les conclusions débordent sur la veille et le lendemain du jour observé.

82Nous avons noté dans un premier temps un fait récurrent : la chronologie (figure 5) des débuts et des fins de ces conversations montre en effet clairement que le journaliste optimise le nombre de discussions simultanées auxquelles il participe : dès que l’enchaînement des propos échangés par ses interlocuteurs tend à clore une conversation, le journaliste tweete un nouveau message sur un tout autre sujet, lequel va générer — du moins, il semble l’espérer — une nouvelle conversation sur son fil d’actualités.

Figure 5. Chronologie des discussions auxquelles Marc Cassivi a participé le 26 novembre 2013

Figure 5. Chronologie des discussions auxquelles Marc Cassivi a participé le 26 novembre 2013

83Cette maîtrise de la conversation et du débat passe bien évidemment par une culture personnelle de la rhétorique, mais également dans le cas présent par une appropriation experte de l’outil Twitter. Comme nous allons le voir en détaillant le contenu des conversations que nous avons observées, les arguments entre les interlocuteurs s’enchaînent rapidement et montrent une certaine maîtrise des sujets abordés. Qui plus est, les insultes et les commentaires irrespectueux font également partie du lot de tweets que le journaliste reçoit, certes, mais qu’il publie également. Entre légères provocations et commentaires à rebrousse-poil, les tweets de Cassivi montrent une certaine affection pour la polémique et des usages de Twitter en conséquence.

84Le premier fil de discussion est d’ordre relativement personnel. Les interlocuteurs y évoquent avec humour des souvenirs personnels passés, photos à l’appui. La conversation indique à quiconque la lirait sans y participer que les interlocuteurs se connaissent depuis longtemps.

85La deuxième conversation que nous avons retenue débute le 25 novembre à 23 h 07 par une comparaison un peu provocatrice de Cassivi entre les International Emmy Awards21 et l’UFC (Ultimate Fighting Championship) : « Les International Emmy Awards, c’est un peu comme le UFC. S’il n’y avait pas de Québécois, on n’en entendrait jamais parler...22 ». Cinq interlocuteurs prennent position immédiatement derrière le tweet du journaliste dans l’heure qui suit ; il répondra — sur le même ton — à deux d’entre eux.

86Le lendemain matin, avant que trois autres nouveaux commentaires tombent à la suite de cette discussion, Cassivi lance un troisième sujet de conversation à 8 h 20 (figure 5, début 3) : « @SimonJodoin T’ai lu en diagonale (c’était long). Eu l’impression de lire une chronique récente d’un ancien rédac chef de Voir...23 »

87Ce tweet fait référence à des textes publiés dans La Presse et Voir et dans lesquels Cassivi et Simon Jodoin — alors rédacteur en chef de l’hebdomadaire culturel Voir — se livrent bataille à coup de chroniques interposées. L’interpellation de Cassivi est très claire, mais son adversaire ne réagira jamais. Mieux encore, ce sont d’autres journalistes/chroniqueurs/blogueurs de Voir qui vont intervenir, mais deux heures seulement après le tweet de Cassivi. Entre-temps, une autre consœur l’interpelle (figure 5, début 4) au sujet de la Guignolée des médias, une action caritative. Il répond sur un ton humoristique. Ce quatrième échange s’arrêtera là.

88Moins d’une heure après, les réactions à la tentative 3 n’apparaissent toujours pas sur le fil Twitter de notre polémiste. Il lance donc une nouvelle sommation (figure 5, début 5) : « Rester calme pendant un débat, c’est une belle qualité. Surtout pour les auditeurs... #CPTT24. » Ce tweet fait ici référence à l’émission en direct présentée par Bazzo sur la première chaîne radio de Radio-Canada — « C’est pas trop tôt », d’où le hashtag #CPTT — où Cassivi officie en tant que chroniqueur et où un autre chroniqueur du Journal de Montréal, Mathieu Bock-Côté, vient apparemment de s’exprimer bruyamment. Les réactions sont presque immédiates et par ailleurs simultanées avec celles qui sont relatives au troisième sujet de discussion, la polémique engagée avec Jodoin.

89Le journaliste tiendra ces deux conversations de façon simultanée. Puis, lorsque la discussion 3 tendra vers la fin — non sans être passée par un échange de paroles méprisantes de la part des deux camps —, Cassivi tweetera presque deux heures plus tard un nouveau sujet (figure 5, début 6) sur un ton plus personnel et moins susceptible, celui-ci, de créer un quelconque débat : « Se demander si on a les jambes trop vieilles pour jouer au soccer. Attendre la réponse avec appréhension...25 » Quelques réactions au sujet du débat de Bazzo viendront clôturer le précédent sujet en milieu d’après-midi. Cassivi mettra fin, quant à lui, au sujet « soccer » en fin de soirée.

90Cette mise à plat chronologique des activités conversationnelles du journaliste sur Twitter donne l’occasion de se rendre compte qu’en plus de faire état de ses productions journalistiques sur Twitter, Cassivi domine non seulement l’art du débat, mais maîtrise également l’outil de communication qui lui permet de conserver son statut dans la sphère très médiatisée des chroniqueurs. En conjuguant les savoir-faire de la rhétorique et ceux d’un dispositif technique pour parvenir à ses fins, les postures d’autorité de contenu que manifeste Cassivi sont d’un ordre tout à fait comparable à celles qu’expriment des médias de masse lorsque leurs manchettes ou leurs teasers tentent d’attirer le chaland par des formulations déjà polémiques. Cette réalité peut difficilement échapper à des journalistes tels que Cassivi, dans la mesure où il ne peut ignorer qu’il tweete chaque fois à plus de 47 000 abonnés.

Cas 2 : Jean-François Labrie ou tweeter à son rythme… cardiaque

  • 26 http://twitter.com/jefftictac. Page consultée le 17 mai 2013 ; le contenu du profil de @jefftictac (...)
  • 27 Les huit autres sont journalistes (quatre), salariés de médias (deux) et relationnistes (deux).

91« Ex-journaliste aux faits divers26 » mis au repos pour des raisons de santé, @Jefftictac publie des tweets dont 57 % sont catégorisés comme « réponses ». Autrement dit, il réplique en moyenne à deux ou trois messages par jour. « Greffé du cœur », il signale cette particularité très personnelle dans la description et la photo de son profil qui affiche un ruban vert, le symbole des « greffés d’organes », selon ses propres mots. Ce détail prend de l’importance lorsqu’on constate que, parmi les 10 interlocuteurs à qui Jeff Labrie répond le plus, figure @philly, une personne bénéficiaire elle aussi d’une transplantation, l’un des deux interlocuteurs anonymes27. Leurs discussions sont bienveillantes, peu soutenues, se limitant à quelques échanges mensuels et relèvent, sur le ton, plus du compagnonnage et de l’encouragement que des débats d’actualité. Notons que @Jefftictac et @philly font la promotion du don d’organe et que leurs conversations participent souvent d’une telle publicité. L’autre interlocutrice de Labrie du type anonyme, @karinecouz, a protégé son compte Twitter, ce qui le rend inaccessible au public sans son autorisation. Nous avons toutefois pu relever que 125 des 1 818 réponses (7 %) publiées sur Twitter par @Jefftictac étaient destinées à @karinecouz, laquelle ressort malgré ce faible pourcentage comme l’utilisatrice avec qui il a le plus échangé.

92À l’instar de Cassivi, les interlocuteurs de Labrie sont très épars et Twitter a pour lui une fonction essentiellement conversationnelle. Cette analyse se confirme si l’on examine ce que nous appelons des interpellations, soit des tweets du type « nouveau » qui mentionnent nommément un autre usager de Twitter. On en compte 146 sur 626, soit plus de 23 %, ce qui indique que ce journaliste sollicite également les échanges conversationnels. Les quelques exemples que nous avons choisis au cours de notre exploration, et que nous avons littéralement retranscrits ci-dessous, illustrent parfaitement les techniques d’interpellation que Labrie mobilise pour créer des dialogues avec ses interlocuteurs, qui font en majorité partie des pairs :

@poirieryves il va tu rester des maires dans le coins de mtl????28

@cathbachand tu as une super belle question régis rajoute toujours du stock au colisé, mais ça coûte toujours 400m.... Bizzard29.

@nicoduretour à cause de toi j’ai la toune informer de snow dans tête depuis vendredi soir.... Grrrrrr30.

@felixseguin @hbourgoin @max_landry @Philippetei font une foutue bonne job pour nous faire vivre l’emeute31.

@maridrou tu es bien silencieuse depuis le dernier quart et la fin du match :D32.

@albertladouceur @Meojdeq me semble que je déménagerais floride habiter près terrain de basseball à l’année pour les camps d’entreinement33.

  • 34 Une mention est un tweet de n’importe quel type qui contient le pseudonyme d’un autre usager.

93Le suivi d’actualité de Labrie reste toutefois celui d’un praticien de l’information d’actualité : ses retweets et même ses mentions34 ont pour source exclusive des journalistes, des médias, des sources officielles et des personnalités. C’est lorsqu’on examine ses tweets du type « réponse » qu’on constate que ses échanges conversationnels adoptent un ton plutôt amical et même parfois gouailleur.

94Par ailleurs, d’autres recherches nous ont permis de remarquer que @Jefftictac a en effet été interviewé à plusieurs reprises par ses confrères au cours de reportages sur les transplantations cardiaques. Une grande part des échanges conversationnels qu’il a menés par la suite sur Twitter est liée à ces événements personnels. Labrie entretient donc peu de relations avec des anonymes sur Twitter, à l’exception de ceux qui partagent une communauté d’intérêts avec lui, notamment les personnes qui ont subi une transplantation d’organe. Ainsi, ses interactions avec ses abonnés serviraient des intérêts plus émotifs — et donc personnels — que professionnels. Son taux élevé de « réponses » par rapport à ses confrères et le ton conversationnel très léger auquel il a recours la plupart du temps font osciller son fil de discussion de façon très récurrente entre les échanges d’ordre privé et une forte « éditorialisation » de l’actualité par la formulation de commentaires personnels, souvent ironiques. De ce point de vue, on peut considérer que les usages que @Jefftictac fait de Twitter sont loin des promesses d’équité interactionnelle des médias socionumériques. Les signes d’autorité informationnelle sont bien présents dans ses gestes d’interpellation, mais ils s’effacent au profit d’une autorité plus personnelle et expérientielle dès lors qu’il engage le dialogue.

Cas 3 et 4 : le communautarisme recréé autour du journalisme sportif

95@LangloisMario est journaliste sportif à la radio — le 98,5 FM à Québec — et sur RDS, le Réseau des sports — une chaîne de télévision spécialisée de la Société Radio-Canada. Plus d’un tweet sur deux (52 %) qu’il publie constitue une réponse à un interlocuteur selon une moyenne quotidienne de deux tweets/jour. Mais cette moyenne est trompeuse : il faut regarder le fil de discussion de Mario Langlois pour s’apercevoir que, dans les faits, il ne tweete pas tous les jours. Ses publications se concentrent même plutôt en soirée, jusque tard dans la nuit, parce qu’il y commente essentiellement des compétitions sportives, particulièrement des matchs de hockey.

  • 35 Nombre d’abonnés relevés au 15 avril 2014.

96Langlois est reconnu par le public. Les très nombreux messages de remerciements à destination spécifique de l’un ou l’autre de ses 17 06135 abonnés ont piqué notre curiosité lors de notre exploration. En retraçant l’origine de ces mini-conversations, nous avons constaté qu’il recevait, à l’issue de ses interventions radiophoniques ou télévisées, un nombre inhabituel pour un journaliste de félicitations (figure 6) ou de participations d’anonymes à son travail de journaliste sportif (figure 7), contributions auxquelles il semble mettre un point d’honneur de répondre dans des termes qui, toutefois, n’invitent pas à poursuivre la conversation.

Figure 6. Exemple de tweet de reconnaissance à l’égard de Mario Langlois

Figure 6. Exemple de tweet de reconnaissance à l’égard de Mario Langlois

Figure 7. Exemple de tweet participatif relatif à une information énoncée par Mario Langlois sur un autre média

Figure 7. Exemple de tweet participatif relatif à une information énoncée par Mario Langlois sur un autre média

97On peut compter 5 anonymes ou blogueurs parmi les dix interlocuteurs à qui Langlois répond le plus, ce qui représente une forte proportion par rapport à ses confrères. Là encore, le ton des conversations est assez cordial, parfois humoristique. Si l’humilité est réellement l’une des caractéristiques principales de ce journaliste, son fil de discussion montre en tout cas qu’il sait la mettre en scène, distillant remerciements et messages bienveillants par l’intermédiaire d’une majorité de tweets au contenu sportif, lesquels génèrent de nombreux commentaires d’amateurs de sports.

  • 36 Contraction de professionnel-amateur.

98Il faut noter ici que les journalistes sportifs forment, depuis que l’industrie médiatique consacre des espaces spécifiques à ce type de journalisme, une communauté à eux seuls dans la plus vaste communauté des journalistes et de leurs pairs. Par la nature même de leur spécialisation (Papa et Collet, 2013) et la spécificité du récit qu’ils mettent en œuvre (Derèze, 2009), les journalistes sportifs attirent parmi leurs abonnés de nombreux passionnés de sports dont le niveau d’expertise rivalise avec celui des journalistes professionnels, plus que dans les autres spécialisations journalistiques. Notons à ce sujet que, sur Twitter par exemple, la principale activité de ces usagers « pro-am36 » (Flichy, 2010) est également de commenter, d’analyser, de pronostiquer, de critiquer, d’applaudir ou même de s’indigner devant l’événement sportif. Si la conversation soutenue et souvent théâtralisée entre ces anonymes et les journalistes sportifs existait bien avant le développement d’internet, elle s’est sans aucun mal transposée sur les médias socionumériques.

  • 37 La description de profil de Maxime Morin a quelque peu changé et est notamment devenue par la suite (...)

99C’est, selon nous, ce même contexte qui invite Maxime Morin à s’ouvrir manifestement à la conversation, ne serait-ce qu’à la lecture de sa description de profil : « Fier Abitibien. Producteur pour Sport 30 à RDS. Imitateur de la voix de Louis Bertrand. Détenteur d’un doctorat en jeux de mots plates. Sarcastique37. » Les 10 interlocuteurs à qui Maxime Morin a le plus répondu sont distribués selon deux groupes de 6 usagers pairs et de 4 anonymes ; ces derniers semblent avoir noué des relations amicales en dehors de Twitter, si l’on en juge par le ton et le contenu des conversations qu’il entretient avec eux. Mais ces échanges ne représentent que 8 % des tweets du type « réponse » que Morin a publiés sur Twitter. Présentant en grande majorité un contenu sportif, ils sont comparables à ceux de son confrère Mario Langlois et relèvent ainsi de liens qui cimentent une communauté d’intérêts, en l’occurrence le sport.

100Si les journalistes sportifs — cas 3 et 4 — n’ont aucun mal à reproduire leurs habitudes dialogiques entre eux et un public souvent passionné de sport, leurs confrères dans les autres spécialisations ne peuvent pas ainsi prétendre à la même richesse d’échanges : soit leurs pratiques interactionnelles sur Twitter sont majoritairement monologiques, soit ils — cas 1 et 2 — font montre d’une appropriation du dispositif Twitter par une maîtrise rhétorique ou technique des fonctions du dispositif, lesquelles permettent de « fabriquer de l’autorité » (Merzeau, 2013).

Conclusion

  • 38 Ces dernières années, l’édition québécoise du Huffington Post, l’hebdomadaire Voir et le Journal de (...)

101Cette exploration des pratiques informationnelles des journalistes québécois dans Twitter a mis en évidence des formes diverses et parfois inattendues d’autorité montrée et d’autorité citée, dont certaines font écho à des postures déjà observées dans les médias prénumériques (Balle, 2002 ; Le Cam, 2005 ; Payette, Brunelle et Labonté, 2011) et qui ont notamment contribué à définir le magistère journalistique. Nous avons découvert que les signes d’affiliation médiatique ou professionnelle sont distribués en fonction des champs d’expertise et/ou des spécialisations des journalistes, lesquels sont manifestement plus nombreux à faire ressortir le nom de leur média et à préciser le rôle qu’ils y jouent. L’autorité de support s’illustre quant à elle comme étant la préférence des chroniqueurs, des éditorialistes, des blogueurs « officiels » des médias38, sans oublier les pigistes en quête permanente de travail et donc de visibilité.

102Pour ce qui est de l’autorité citée, là encore, des distinctions apparaissent entre les spécialités journalistiques. Le journalisme sportif, traditionnel producteur prolixe d’analyses et de commentaires d’experts, d’amateurs et de sportifs eux-mêmes, a réinstallé son esprit conversationnel dans Twitter au point de créer une communauté de passionnés qui croisent certains de ses membres avec la communauté des journalistes et de leurs pairs. Toutefois, si, dans le sport, ce « journalisme de conversation » (Watine, 2006) est légion en matière de dialogue possible et plus serré entre les journalistes et leurs abonnés sur Twitter, il est peu courant dans le reste de la profession.

103Par leurs usages professionnels sur Twitter, les journalistes au Québec semblent donc vouloir recouvrer une autorité professionnelle dont le magistère s’efface au fil des conversions techniques que connaissent les médias de support traditionnel lorsqu’ils cherchent à pérenniser leur existence dans l’espace public. En outre, les journalistes qui « braconnent » (De Certeau, 1980/1990) dans les zones floues des recommandations d’usages coconstruisent leurs propres usages avec le dispositif Twitter en renforçant leur présentation de soi, en mobilisant leurs aptitudes à la rhétorique, en entretenant publiquement des relations soutenues avec leurs pairs ou en « travaillant à haute voix » (Bonneau, 2013) lorsqu’ils partagent entre eux leurs ressources professionnelles (sources, outils, etc.).

104Ces opérations de négociation, d’une part avec le dispositif technique et d’autre part avec le public, ne sont pas sans rappeler la métaphore théâtrale d’Erving Goffman explicitée dans La mise en scène de la vie quotidienne (1973/2009a, 1973/2009b), dans laquelle les journalistes-acteurs se donnent en spectacle sur la scène-Twitter devant un public d’abonnés, lui faisant profiter de temps à autre, lorsqu’il n’y a personne sur scène, des conversations en coulisse, de la construction de la pièce, des bruits derrière le rideau, etc. Tout cela contribue à tendre vers la maîtrise du théâtre de l’actualité où les usages « bricolés » (De Certeau, 1980/1990) de Twitter par les journalistes révèlent en fait une intention de surplomb dans la relation qu’ils entretiennent avec le public.

105C’est notamment dans cet esprit que Louise Merzeau (2013) a globalement assimilé Twitter à « une machine à fabriquer de l’autorité », non seulement sur le plan de l’autorité informationnelle — concept proposé par Broudoux (2007) et que nous nous sommes approprié —, mais également en ce qui concerne la « structure rhizomique » que construit le microblogue. Merzeau voit émerger de Twitter de nouvelles formes d’autorité dans une « fabrication continue de circuits d’influence et d’échelles de légitimité qui se transforment à mesure qu’ils régulent les flux d’information. La figure traditionnelle de l’autorité, on le sait, suppose un surplomb et une continuité qui s’incarnent dans un ordre hiérarchique » (2013 : 39).

106En outre, les traces que nous avons choisi d’analyser sur Twitter peuvent également être constitutives d’une autre construction relative à la personne de l’usager, en tenant compte de deux dimensions que nous avons effleurées dans notre survol des usages journalistiques de Twitter au Québec : la première, d’ordre rhétorique, pourrait être mise en évidence par les outils d’analyse de l’organisation du discours relatif à l’ensemble des publications de l’utilisateur. La seconde, d’ordre technique, relèverait d’une « écriture de soi » (Foucault et al., 2001 : 1234-1249) telle que l’a mobilisée Laurence Allard (2007, 2009), par exemple, pour faire ressortir divers degrés d’expressivité par les usages effectifs de dispositifs techniques mobiles.

107Il y a ici matière à formuler de nouvelles hypothèses. Elles renvoient par exemple à d’autres études qui, cette fois, visent à analyser les performances artistiques ou publiques — interviews, actions publiques, etc. — de chanteurs populaires (Auslander, 2004 ; Lacasse, 2006). Les chercheurs qui s’y intéressent distinguent, pour ce faire, trois entités qui expriment chacune une facette de l’artiste : la personne qui relève de l’identité civile, la persona qui relève de la présentation de soi et donc d’un travail ininterrompu de la mise en scène de la personne et, enfin, les personnages, incarnations fictives construites par les deux autres entités. Cette trichotomie fait écho, selon nous, aux études sur les avatars (Georges, 2013) et plus largement aux projets de recherche qui portent sur les technologies numériques du soi (Dervin et Abbas, 2009).

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WATINE, Thierry (2006), « De la multiplication des procédés interactionnels dans les contenus de presse : vers un journalisme de conversation », Les Cahiers du journalisme, 16 : 70-103.

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Notes

1 http://obsweb.net. Page consultée le 8 décembre 2015.

2 D’autres projets de recherche sur lesquels nous travaillons actuellement nous ont amené à mettre à jour cette comptabilité : à l’automne 2014, notre propre recensement au Québec comptait environ 750 journalistes titulaires d’un compte Twitter, ce qui représenterait environ un quart de la profession.

3 Cette terminologie en apparence relative à l’approche diffusionniste de la sociologie des usages apparaît dans la littérature, à la fin des années 1990, au moment où Madeleine Akrich remet en question le déterministe technologique dans lequel le Centre de sociologie de l’innovation (CSI), à l’École des mines, s’était inscrit jusqu’ici. Elle choisira explicitement par la suite (Akrich, Callon et Latour, 2006 ; Akrich et Méadel, 2004) de remettre l’usager au centre de ses préoccupations scientifiques.

4 Nous pensons notamment aux dispositifs logiciels que les développeurs conçoivent en outre comme des vecteurs de publicité : les intérêts financiers qui sont en jeu dans ces applications (Google+, Facebook, Twitter…) sont tels que leur appropriation par le plus grand nombre d’usagers possible devient essentielle à leur pérennité.

5 Extrait de la page de présentation du site du GRMJ : http://www.com.ulaval.ca/recherche/groupes-de-recherche/groupe-de-recherche-sur-les-mutations-du-journalisme-grmj/. Page consultée le 8 décembre 2015.

6 Google, Yahoo ! Bing, parmi les plus connus.

7 Le nombre total de tweets publiés est, pour des raisons techniques, limité par Twitter inc. à 3 200. Si, depuis le début de son inscription au service, l’utilisateur a publié moins de 3 200 tweets, le contenu de son fil de discussion est entièrement aspiré. À l’inverse, l’outil n’aspirera que les 3 200 derniers tweets en date de la collecte.

8 https://twitter.com/search-advanced. Page consultée le 8 décembre 2015.

9 Jusqu’en mars 2014, l’application Twitter générait une photo — une forme ovoïde sur un fond de couleur — lorsque l’usager n’en fournissait pas. De récents changements dans la présentation des profils ont modifié cette image, qui est désormais plus significative : un signe « + » à l’emplacement de la photo invite l’usager de façon plus insistante à téléverser une photo sur son profil, lorsque cela n’est pas encore fait.

10 Écrite par les développeurs, puis mise en œuvre par les algorithmes qui constituent l’application Twitter à des fins d’archivage, cette typologie des tweets est fonction des intentions de publication de l’utilisateur. En appuyant sur l’un des boutons qui déclenche l’action de répondre à un tweet, de retweeter ou de composer un nouveau contenu, le tweet est automatiquement associé à l’un des trois types : réponse, retweet ou nouveau.

11 Il s’agit de l’application ou des moyens mis en œuvre par l’utilisateur pour publier sur son propre fil Twitter, lesquels sont très largement diversifiés si l’on tient compte non seulement des sites d’informations qui — dans leur propre intérêt de visibilité — mettent à la disposition des internautes des services de publication directe sur Twitter, mais également de toutes les applications de gestion de médias socionumériques (TweetDeck, HootSuite…), des agrégateurs de nouvelles (Flipboard, Pulse, Zite…) qu’elles soient sur des dispositifs fixes (ordinateurs de bureau, téléviseurs numériques, etc.) ou mobiles (téléphones dits intelligents, ordinateurs portables, tablettes numériques, etc.).

12 http://twitter.com/MessierSRC. Page consultée le 17 mai 2013 ; la description de profil de François Messier a, depuis, été modifiée.

13 http://twitter.com/PierreTremblay. Page consultée le 8 décembre 2015.

14 Le taux de retweets d’un usager est le rapport en pourcentage du nombre de retweets publiés sur le nombre total de tweets publiés par cet usager.

15 La curation consiste à collecter des informations sur le Web autour d’un ou plusieurs thèmes, à les stocker afin de les annoter, à les commenter, à les mettre en perspective les unes par rapport aux autres, puis à les partager en ligne.

16 Cette curation est effectivement agrémentée de ce qu’on peut qualifier de « plaisanteries de couloirs » qui, dans les médias traditionnels, n’auraient sans doute jamais été échangées en public. Il s’agit là d’une autre caractéristique récurrente des discussions entre journalistes usagers de Twitter : échanger publiquement ce qui traditionnellement était de l’ordre du cercle professionnel.

17 Il s’agit d’un site d’actualités gratuit et autofinancé, lancé en 2009 par le journaliste lui-même et Mathieu Labrie, un autre journaliste québécois.

18 Soit quatre journalistes, quatre institutions médiatiques, un expert et un organisme de relations publiques.

19 Il s’agit d’une analyse exploratoire de contenu thématique que nous avons produite sur 128 textes. Nous avons ainsi pu catégoriser plusieurs paroles de journalistes qui formulaient certaines recommandations quant à une utilisation dite journalistique de Twitter. Le magazine Le Trente est publié par la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) et Projet-J est un site d’informations spécialisées sur le journalisme au Canada (en anglais et en français).

20 Depuis la refonte du site de Projet-J (http://projetj.ca), les archives sont devenues inaccessibles à ce jour (8 déc. 2015). On trouve toutefois une reproduction exacte du texte de Anne-Caroline Desplanques — bien que son nom ne soit pas cité — sur le site de l’Association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ) à l’adresse : http://www.ajiq.qc.ca/bulletin-independant/guide-dutilisation-de-twitter-pour-les-journalistes.php (page consultée le 8 décembre 2015).

21 Une compétition internationale qui récompense des productions télévisuelles venues du monde entier.

22 https://twitter.com/MarcCassivi/status/405170816309927936. Page consultée le 8 décembre 2015.

23 https://twitter.com/MarcCassivi/status/405310040946790400. Page consultée le 8 décembre 2015.

24 https://twitter.com/MarcCassivi/status/405329723804614656. Page consultée le 8 décembre 2015.

25 https://twitter.com/MarcCassivi/status/405403006562480128. Page consultée le 8 décembre 2015.

26 http://twitter.com/jefftictac. Page consultée le 17 mai 2013 ; le contenu du profil de @jefftictac a été modifié depuis cette date.

27 Les huit autres sont journalistes (quatre), salariés de médias (deux) et relationnistes (deux).

28 https://twitter.com/Jefftictac/status/275634300454576129. Page consultée le 8 décembre 2015.

29 https://twitter.com/Jefftictac/status/227518970071240705. Page consultée le 8 décembre 2015.

30 https://twitter.com/Jefftictac/status/219946112432349184. Page consultée le 8 décembre 2015.

31 https://twitter.com/Jefftictac/status/193434575710584833. Page consultée le 8 décembre 2015.

32 https://twitter.com/Jefftictac/status/166498815438880768. Page consultée le 8 décembre 2015.

33 https://twitter.com/Jefftictac/status/158674662572818433. Page consultée le 8 décembre 2015.

34 Une mention est un tweet de n’importe quel type qui contient le pseudonyme d’un autre usager.

35 Nombre d’abonnés relevés au 15 avril 2014.

36 Contraction de professionnel-amateur.

37 La description de profil de Maxime Morin a quelque peu changé et est notamment devenue par la suite « Fier Abitibien. Producteur pour l’émission ‪@hockey360‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬ à RDS. Détenteur d’un doctorat en jeux de mots plates. Sarcastique ». Celle que nous avons insérée dans le texte était encore en ligne au 28 novembre 2013, date de notre collecte de données détaillées sur l’échantillon de journalistes que nous avons constitué.

38 Ces dernières années, l’édition québécoise du Huffington Post, l’hebdomadaire Voir et le Journal de Montréal ont par exemple embauché — parfois sans rémunération — des plumes connues qu’ils mettent en avant dans leurs publicités.

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Table des illustrations

Titre Figure 1. Exemple d’en-tête de la page de profil Twitter de Tristan Péloquin
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Titre Figure 2. Sélection de profils et de photos dont l’ensemble illustre une spécialisation journalistique
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Titre Figure 3. Sélection de photos de profils montrant le journaliste dans un contexte professionnel ou illustrant ce contexte
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Titre Figure 4. Exemple de deux tweets apparaissant sur le fil d’actualité d’un compte Twitter
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Titre Tableau 1. Répartition des journalistes selon le nombre de signes d’affiliation professionnelle
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Titre Tableau 2. Répartition des pages Web pointées par les URL figurant dans les profils de journalistes sur Twitter
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Titre Figure 5. Chronologie des discussions auxquelles Marc Cassivi a participé le 26 novembre 2013
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Titre Figure 6. Exemple de tweet de reconnaissance à l’égard de Mario Langlois
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Titre Figure 7. Exemple de tweet participatif relatif à une information énoncée par Mario Langlois sur un autre média
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Pour citer cet article

Référence électronique

Olivier Gadeau, « La (re)construction de l’autorité informationnelle dans les pratiques des journalistes québécois sur Twitter »Communication [En ligne], vol. 33/2 | 2015, mis en ligne le 04 février 2016, consulté le 15 mai 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/communication/6043 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/communication.6043

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Auteur

Olivier Gadeau

Olivier Gadeau est doctorant en communication publique et membre du Laboratoire de communication médiatisée par ordinateur (LabCMO), à l’Université Laval. Courriel : olivier.gadeau@com.ulaval.ca

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