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Lectures

Jo M. KATAMBWE (dir.) (2011), Communication et lien social

Québec, Presses de l’Université Laval
Philippe Bernoux
Référence(s) :

Jo M. KATAMBWE (dir.) (2011), Communication et lien social, Québec, Presses de l’Université Laval

Texte intégral

1La communication est-elle créatrice de lien social ? Si oui, à quelles conditions ? C’est la belle et grande ambition de cet ouvrage que de chercher, sinon à répondre, du moins à esquisser des pistes de réponse à cette question. A priori, le lien social, fondateur des sociétés, passe par la communication. C’est en communiquant, sous une forme ou sous une autre, que nous entrons en relation avec les autres et que peut se créer un lien avec eux. Mais la question est réciproque : toute communication est-elle créatrice de lien ?

2Dès l’avant-propos, cette question est posée dans toute son ampleur : si le lien social est défini comme ce qui relie les acteurs au système et comme ce qui les relie entre eux, alors la distinction entre communication et information devient fondamentale. Informer et communiquer sont-ils des termes identiques ? Creuser cette question permettrait, par exemple, de comprendre pourquoi la société dite de communication a été incapable de promouvoir le « village global » que Marshall McLuhan (1968) présentait comme le résultat de la révolution de l’interdépendance totale, qui se faisait par l’intermédiaire des médias. Ceux-ci étaient créateurs d’une relation qualifiée d’interdépendante entre les hommes. Thèse qui n’accordait qu’une importance secondaire aux structures sociales, aux facteurs économiques, culturels ou politiques et faisait l’hypothèse que les médias suffisaient à créer le lien. Mais dans le village, le lien vient-il de l’information qui circule incontestablement très vite ou bien est-il fondé sur autre chose qui s’appellerait communication ?

3Cette question est au centre de cet ouvrage. D’où naît le lien social ? Est-il le résultat des communications dans les structures sociales fortes dans le village ? Le lien s’est-il créé spontanément à travers ces structures ? Ou bien a-t-il fallu autre chose ? Lorsque le monde devient un lieu où, par l’intermédiaire des médias, tous peuvent être informés de tout, ce fait suffit-il à créer un lien? Quel sens donner aux mots information et communication ? Suffit-il d’informer pour créer du lien ? Communiquer contient-il quelque chose de plus ? Finalement, qu’est la relation entre lien social et communication ?

4Plusieurs thèses s’affrontent sur ce sujet, bien résumées dans le premier chapitre. D’abord, une conception dite structuraliste du lien social. Les individus pour vivre ensemble doivent se lier et évoluer dans un système de relations stable et équilibré. Le lien est celui des structures, comme la famille, la communauté, l’appartenance à un groupe ou à un club. La division sociale du travail crée aussi des formes de solidarité qu’Émile Durkheim qualifiait de mécaniques. Ce sont les facteurs socioéconomiques, presque contraints (famille, travail), qui créent le lien.

5La conception cognitiviste des rapports communication-lien social analyse la création du lien social à partir des « explications naïves », des connaissances de sens commun, qui créent le lien social. Celles-ci sont constituées d’idées, de jugements, de valeurs qui deviennent des visions du monde et une manière commune de voir les choses. Ici, la communication n’est pas constitutive du lien, elle ne sert qu’à informer.

6Selon la conception interlocutoire, qui est celle de l’auteur, la communication constitue le lien social dans la mesure où elle est une action orientée vers autrui, où ses contenus significatifs anticipent les attentes des interlocuteurs, les reconnaissent et prennent en compte les attentes des autres. On a affaire à un processus volontaire d’identification, les acteurs convergeant dans la mesure où ils anticipent correctement les attentes des autres. Le lien social est « la conséquence de la reconnaissance et de la prise en compte par les acteurs des attentes les uns des autres comme prémisses de leur propre comportement » (p. 44). Les attentes jouent un rôle essentiel dans la mesure de leur réciprocité. Le langage est le véhicule qui permet « de savoir sur quoi compter ou à quoi s’attendre ». Le lien social se construit donc à partir d’un terrain d’entente qui se constitue dans la communication. Celle-ci est ce qui fait « tenir ensemble » la société (Luhmann, p. 56). Le premier chapitre, consacré à manière de concevoir la communication, nommée communication sociale, réponse à des attentes qui sont réciproques, introduit brillamment l’ensemble de l’ouvrage. Il sera appuyé par la suite par un chapitre du même auteur présentant un cas de négociation dans une grande firme, cas qui illustre de manière convaincante la conception interlocutoire de la communication et du lien social.

7Les chapitres qui suivent, sans être liés directement au premier, ce qui est dommage, utilisent de fait le concept de communication dans ce sens interlocutoire abordé au premier chapitre. Mais ils ne le disent pas de manière claire. La confiance est présentée dans le cadre du rapport de réciprocité. Elle émerge aujourd’hui avec la montée de l’individualisme, basée sur des valeurs partagées ou sur un calcul rationnel. La montée de l’individualisme va donc aussi de pair avec une plus grande attention portée à la coopération (chapitre 3), au phénomène de la transaction. Le lien social serait le résultat d’une composition entre l’intérêt personnel, la réciprocité et la capacité d’ajustements intersubjectifs, minorant ainsi la force de la définition à partir des attentes d’autrui. Le chapitre présentant une modélisation en lien avec une méthode pratique d’intervention s’appuie sur le postulat empirique des peurs, de l’attrait et de la tentation, en référence à des travaux antérieurs. Méthode développée de manière didactique sans que les fondements théoriques en soient explicités et sans référence à l’analyse du lien entre communication et lien social. Le cinquième chapitre traite de l’émergence du Sujet, acteur social à part entière, analysé dans la tension entre individualisme méthodologique et interactionnisme symbolique. L’organisation en mode projet, apparue ces dernières décennies, permettrait de recomposer le lien social à la lumière de la coopération au travail. Ce qui est en effet une piste de réflexion et d’action qui permet une réflexion pragmatique sur le lien entre communication et lien social.

8La deuxième section de l’ouvrage contient une présentation d’études empiriques sur la dynamique du lien social. Soit il s’agit d’études de cas, comme celle de l’économie sociale ou de la contribution des médias de masse, soit il s’agit de réflexions sur la communication politique, la légende urbaine, la famille à l’âge de l’adolescence. Ces chapitres illustrent de manière intéressante la thèse de la conception interlocutoire sans vraiment la discuter ou la conforter.

9La troisième section commence par un cri, une protestation véhémente contre la situation réservée dans les pays développés aux étrangers, victimes d’un manque d’hospitalité (« hospitalité absolue », est-il écrit) dans des sociétés où l’autre est mis entre parenthèses, sinon dénié, rejeté de lien, où les individus se replient sur leurs biens et dans leurs communautés. Qui conduit au désengagement civique, porte ouverte au tyran.

10Le livre se termine par un court chapitre de Pierre Bouvier (Le lien social, 2007). L’auteur y dresse rapidement l’histoire du lien social, des mouvements cénobitiques des premiers siècles aux réflexions sur l’état de nature, au moment de la Renaissance et des Lumières pour aboutir au désappointement actuel et à la difficulté de créer du lien social. Recomposer des échanges personnels et retrouver le sens des rapports de proximité semble à l’auteur une voie pour recomposer les liens sociaux.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Philippe Bernoux, « Jo M. KATAMBWE (dir.) (2011), Communication et lien social »Communication [En ligne], Vol. 33/1 | 2015, mis en ligne le 18 février 2015, consulté le 10 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/communication/5346 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/communication.5346

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Auteur

Philippe Bernoux

Philippe Bernoux est rattaché au Centre Max Weber, CNRS-Université Lyon 2. Courriel : philippe.bernoux@wanadoo.fr.

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Droits d’auteur

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Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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