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Lectures

Mira FALARDEAU (2014), Femmes et humour

Québec, Presses de l’Université Laval
Éric Dacheux
Référence(s) :

Mira FALARDEAU (2014), Femmes et humour, Québec, Presses de l’Université Laval

Texte intégral

1Femme publiant des dessins d’humour, mariée à un caricaturiste et docteure en sciences de l’art, Mira Falardeau a, tout naturellement, consacré un ouvrage aux femmes « cartoonistes », c’est-à-dire aux femmes qui font au moins une des activités suivantes : caricature de presse, bande dessinée, dessin animé.

2Cet ouvrage, qui propose des portraits de femmes œuvrant dans ces domaines artistiques, se décompose en réalité en deux parties distinctes. Ce que l’on peut considérer comme une première partie propose de dresser le portrait de 50 de ces artistes en les classant par aires géographiques : les Américaines (chapitre 1), les Canadiennes et les Québécoises (chapitre 2), les Françaises, les Belges et les Suisses (chapitre 3), les dessinatrices du Moyen-Orient (chapitre 4). Une seconde partie, plus analytique, est formée de l’introduction et de la conclusion, mais aussi du chapitre 5, intitulé « Trois exemples de renforcement positif », du chapitre 6, consacré aux rapports entre l’humour et les femmes, et du chapitre 7, qui propose une synthèse des propos rapportés dans les portraits.

3Disons-le tout net, ce livre laisse sur sa faim. En effet, si la thématique abordée (l’humour des femmes) et la problématique de l’ouvrage (pourquoi les femmes cartoonistes sont-elles aussi peu nombreuses ?) sont passionnantes, le traitement, lui, est décevant tant d’un point de vue scientifique que d’un point de vue journalistique. Décevant, tout d’abord, d’un point de vue scientifique, parce que ce livre ne correspond pas aux canons universitaires. Certes, Pierre Bourdieu, par exemple, est souvent cité, et l’auteure prend soin d’expliciter ses partis pris dès l’introduction. Mais, problème majeur, si ces partis pris sont explicités, ils ne sont aucunement justifiés. Deux exemples. Premier exemple : le choix des auteures présentées dans cet ouvrage s’est fait selon le critère des « premières » : première femme bédéiste dans un pays, première réalisatrice à gagner un prix, etc. Soit, mais pourquoi s’intéresser aux premières plutôt qu’aux dernières ? Pourquoi ne pas s’intéresser aux « plus » (celles qui ont le plus vendu d’albums, eu le plus de spectateurs, etc.) ou aux « moins » ? De la même façon, pourquoi s’intéresser aux femmes américaines et ignorer les auteures anglaises ? Pourquoi traiter le Moyen-Orient et pas le Japon, pays pourtant très important par sa presse, sa culture de bande dessinée et le dynamisme de son cinéma d’animation ? Toujours dans ce déficit d’explication du choix, pourquoi regrouper bandes dessinées, caricatures et dessins animés ? Certes, l’auteure précise qu’« [e]nviron la moitié des cartoonistes présentées dans cet ouvrage ont combiné au moins deux activités connexes dans leur carrière » (p. 4), mais cet argument se retourne, car il signifie aussi qu’environ la moitié des personnes présentées n’ont pas fait ce choix. Pourquoi ?

4Falardeau ne le dit pas et impose ses choix sans les discuter. Bien entendu, ce procédé ne nuit pas à la clarté du texte, mais souligne que l’ouvrage s’inscrit plus dans une visée de vulgarisation que dans une perspective savante où l’on défend ses choix méthodologiques de constitution du corpus.

5Deuxième exemple qui confirme ce jugement : l’utilisation délétère des chiffres. Pour montrer que les femmes sont sous-représentées dans les métiers du dessin, Falardeau cite de nombreux chiffres. Certains sont parlants, comme le fait qu’en France, en 2004, 7 % seulement de noms de femmes apparaissent sur les titres de bandes dessinées, mais d’autres sont des hypothèses très aléatoires ne reposant sur aucun fondement scientifique, comme l’illustre — hélas ! — la phrase suivante : « Les chiffres consultés concernent le Canada et le Québec, mais tout porte à croire que ces chiffres sont identiques dans les pays occidentaux » (p. 11). Or, « tout porte à croire » est tout sauf un argument savant rigoureux. On l’aura compris, ce livre n’est pas un ouvrage scientifique.

6Certes, mais reste un ouvrage qui se lit facilement, avec des illustrations abondantes, des encadrés présentant le point de vue des femmes étudiées, la présence d’un historique bienvenu présentant le contexte (américain, francophone, etc.) dans lequel évoluent ces artistes, un éclairage original sur le courage des dessinatrices du Moyen-Orient, etc. Alors pourquoi ce livre grand public est-il décevant d’un point de vue journalistique ? Pour deux raisons principales. D’abord, parce que l’ouvrage proposé est plus le fruit d’un journalisme de salon, une compilation de données récoltées sur Internet, que d’un journalisme d’enquête où l’auteure interroge directement les personnes touchées. Certes, Falardeau connaît personnellement beaucoup des artistes dont elle fait le portrait et utilise, parfois, ses propres entretiens, mais la majorité des encadrés témoignant de la difficulté des femmes dans le monde de la création sont de sources indirectes (blogues, mémoires, entrevues données à d’autres journalistes, etc.). Du coup, et c’est la deuxième raison de notre déception, la réponse à la question posée (pourquoi si peu de femmes sont-elles cartoonistes ?) est décevante : parce que les hommes ne leur laissent pas la place ! Ce qui est, d’une part, contesté dans l’ouvrage même par la dessinatrice F. Cestac et, d’autre part, largement insuffisant pour expliquer pourquoi la présence féminine est plus faible dans le dessin humoristique que dans le dessin de l’intime, pourquoi si peu de femmes percent dans le dessin alors que beaucoup réussissent dans la littérature.

7Un livre militant qui attire l’attention sur un phénomène trop peu étudié, mais une enquête bâclée.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Éric Dacheux, « Mira FALARDEAU (2014), Femmes et humour »Communication [En ligne], Vol. 33/1 | 2015, mis en ligne le 18 février 2015, consulté le 09 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/communication/5330 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/communication.5330

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Auteur

Éric Dacheux

Éric Dacheux est professeur à l’Université Blaise Pascal (Clermont-Ferrand) où il dirige l’équipe Communication, innovation sociale et économie sociale et solidaire au sein du laboratoire Communication et solidarité (EA 4647) qu’il a fondé. Courriel : eric.dacheux@univ-bpclermont.fr.

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