Philippe VIALLON (dir.), Communication et médias en France et en Allemagne
Philippe VIALLON (dir.) (2006), Communication et médias en France et en Allemagne, Paris, L’Harmattan, Coll. « Communication et civilisation ».
Texte intégral
1Appréhender la façon dont les sciences de l’information et de la communication (SIC) sont identifiées et traitées dans différents pays européens est non seulement une contribution à la connaissance générale des SIC mais aussi un facteur de compréhension de la façon dont les identités politiques singulières influencent ou non la production scientifique et la construction du « territoire » de la discipline de l’information-communication. Le dialogue franco-allemand dans ce domaine, s’il ne remonte pas à 1957, s’institue de façon systématique, au-delà des échanges interpersonnels ou interuniversitaires, à partir de 1994 avec le premier colloque franco-allemand organisé conjointement par l’Institut français de presse (IFP) de l’Université Panthéon-Assas et l’Université Maximilian de Munich. Les travaux présentés ici s’inscrivent dans la continuité de cette réflexion comparative ; il s’agit des communications présentées lors d’un colloque organisé à Postdam les 8 et 9 mars 2001 sous l’égide de l’Université franco-allemande autour d’une problématique très pertinente à l’heure de la globalisation : « Une discipline est-elle identique dans deux cultures scientifiques différentes ? Approche comparative de la science de la communication en France et en Allemagne. »
2La culture scientifique d’un pays est reflétée par ses structures, par sa production « nationale » mais aussi par sa capacité à s’ouvrir aux autres pays par le biais des traductions, de l’internationalisation des enseignements et des échanges qu’il s’agisse de colloques ou de travaux de recherche conjoints. En choisissant de confronter systématiquement un texte français et un texte allemand sur chaque thème retenu, les organisateurs ont permis que se dessinent à la fois la comparaison épistémologique sur le domaine de l’information-communication entre les deux pays et l’identification des acteurs (chercheurs, laboratoires, départements universitaires) nouant ces dialogues dans chacun des deux pays. Ce choix conduit toutefois à un émiettement du dialogue épistémologique et à une juxtaposition des approches, chacune illustrée également par des recherches n’ayant pas toujours de lien direct les unes avec les autres et ne représentant pas de façon exhaustive la diversité des courants qui traversent la recherche dans chacun des deux pays. Toutefois, de nombreuses informations sur les institutions et l’organisation de la recherche en Allemagne et des bibliographies variées enrichissent, pour un lecteur français, l’ouvrage d’une dimension documentaire tout à fait pertinente.
3Si l’hétérogénéité des contributions illustre la richesse des approches relevant de l’information-communication, elle met aussi en évidence la tension permanente entre la recherche de cadres théoriques spécifiques et le développement de travaux plus empiriques empruntant aux disciplines plus anciennes des sciences humaines. Se croisent ainsi l’approche par les objets (les médias, les TIC, les images du cinéma ou de la télévision) et les approches plus théoriques autour de concepts centraux pour l’information-communication (l’espace public, le territoire, les politiques de communication) mais empruntant également à d’autres disciplines comme les sciences économiques, la philosophie, l’esthétique ou la linguistique.
4La première thématique concerne l’espace public et met en débat la lecture d’Habermas. B. Miège reconsidère la notion proposée par J. Habermas, en soulignant les apports et les limites. S. Dornadin, très au fait de l’approche « française » du concept d’« Offentlichkeit », insiste sur le problème soulevé par la traduction tant de l’ouvrage que de la notion qui a conduit, de son point de vue, à une réduction du sens du concept et donc à en figer l’interprétation et l’usage par les chercheurs français. La notion de territoire est associée à la question de l’espace public. Isabelle Paillart revient sur la construction de cette approche par le territoire depuis l’analyse classique de la presse quotidienne régionale jusqu’aux problèmes soulevés par l’aménagement du territoire. La question est d’ailleurs reprise plus loin par R. Decker et C. Bornemeyer dans un article intitulé « Médias et marketing urbain », mais dans une logique nettement économique et disons publicitaire, l’objectif étant de renforcer la dynamique économique et entrepreneurial des villes.
5Les TIC traversent plusieurs contributions mais font l’objet de deux analyses singulières. P. Moeglin présente les deux principaux courants de la recherche française sur les TIC, dans leurs dimensions essentiellement sociales. Les « continuistes » suggèrent que l’appropriation des innovations, donc des TIC, est un processus social qui inscrit l’innovation dans une généalogie antérieure de pratiques et donc que les usagers sont les acteurs principaux de la pénétration d’un système technique nouveau dans un espace social. Les « discontinuistes », plus proches du courant du déterminisme technique, considèrent les innovations comme des facteurs de rupture conduisant à des changements globaux, ce qui les conduit à minorer le rôle des acteurs sociaux dans la construction des effets des innovations. Pour sa part, M. Kunczik situe son cadre d’analyse des relations entre médias et sociétés dans une perspective clairement pluri-disciplinaire associant théories et pratiques. Il applique ce cadre à l’analyse des flux internationaux de capitaux et au rôle des agences de cotation dont les modèles d’analyse doivent, au-delà des modèles économétriques, prendre en compte la dimension « subjective » de l’opinion publique, en particulier l’image des pays concernés mais également la perception des activités des entreprises cotées.
6Inscrite également dans une approche plus économique de la communication, la contribution de L. Rolke porte sur la communication d’entreprise en Allemagne. Il pose la communication comme un élément important de la gestion et une composante du pilotage financier de l’entreprise, articulant les quatre partenaires que sont les clients, les actionnaires/analystes, l’opinion publique et les médias et, enfin, les collaborateurs de l’entreprise. Pour sa part, P. Delcambre pose la recherche française sur la communication d’entreprise du côté d’une « ethnographie » de la communication au travail, privilégiant la fonction de la communication dans les relations sociales au travail.
7Le débat sur l’image met à nouveau en évidence les différences profondes de conception des objets de communication et des cadres d’analyse. M. Joly inscrit la réflexion sur l’image dans la lignée des réflexions de R. Barthes et de la construction progressive du champ de la sémiotique comme clé dominante de compréhension des signes propres à tout dispositif de communication. U. Koch, s’attachant à la généalogie des travaux sur la caricature politique en Allemagne, montre quelle ressource constitue l’image pour les historiens et les politistes et comment l’image s’inscrit largement dans des projets interdisciplinaires de recherche, y compris au sein des grandes instances de financement de la recherche allemande.
8Les divergences semblent moins nettes dans le « dialogue » instauré entre J. F. Tétu et W. Settekorn. J. F. Tétu oriente sa contribution plutôt sur l’histoire de « l’analyse française du discours » depuis les bases proposées par l’analyse de contenu et l’explication de texte jusqu’aux pratiques actuelles qui étendent la réflexion aux enjeux sociaux des discours, ce qui conduit à prendre en compte à la fois les conditions de la production et les conditions de la réception de ces discours, en particulier médiatiques. L’exemple du naufrage du navire Pallas analysé par W. Settekorn montre bien comment l’analyse du discours déconstruit le processus journalistique de construction et de médiatisation de l’événement.
9On revient à l’image avec un ensemble de contributions portant sur le cinéma et la télévision. Le cinéma, tant en France qu’en Allemagne, semble ne pas s’inscrire naturellement dans le champ de l’information-communication. L’approche par l’esthétique a longtemps dominé les recherches françaises (R. Odin) alors qu’en Allemagne, le cinéma s’est inscrit dans le champ des sciences de la communication (K. Hicketier) grâce à une approche plus rapidement pluridisciplinaire associant la sémiologie, la psychologie et les sciences cognitives, l’esthétique bien sûr et l’histoire. La recherche allemande s’étend alors rapidement à la dimension européenne permettant la confrontation avec le cinéma hollywoodien.
10Sur la télévision, là encore, les recherches françaises proposées (N. Nel) sont essentiellement inscrites dans le champ de la sociologie mais surtout de la sémiotique, considérant les genres télévisuels, les discours et les modes d’énonciation comme reflétant les valeurs sociales et les régimes de croyance des publics. U. Hasebrink s’attache à montrer comment les chercheurs en sciences de la communication en Allemagne (en particulier au sein de la DGPuk – Société allemande pour la science du journalisme et de la communication) ont construit la télévision comme objet de recherche en partant du modèle de la communication publique incluant l’ensemble des acteurs concernés.
11Les quatre dernières contributions sont des ouvertures épistémologiques confrontant la communication et les médias aux questions esthétiques (L. Engell), philosophiques (J. P. Esquenazi et T. Weber) et politiques (G. Vowe, J. Mouchon). Au-delà des médias et de la communication, ce sont les réflexions sur l’évolution des sociétés occidentales qui apparaissent en filigrane : qu’est-ce que la société de communication ? Quelles interactions entre médias et politiques, entre communication et action politique ? Les évolutions de la télévision reflètent-elles la réalité des évolutions du rapport au politique ?
Pour citer cet article
Référence papier
Christine Leteinturier, « Philippe VIALLON (dir.), Communication et médias en France et en Allemagne », Communication, Vol. 26/2 | 2008, 284-287.
Référence électronique
Christine Leteinturier, « Philippe VIALLON (dir.), Communication et médias en France et en Allemagne », Communication [En ligne], Vol. 26/2 | 2008, mis en ligne le 03 août 2009, consulté le 20 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/communication/532 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/communication.532
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