François COOREN et Alain LÉTOURNEAU (dir.) (2012), (Re)presentations and Dialogue
François COOREN et Alain LÉTOURNEAU (dir.) (2012), (Re)presentations and Dialogue, Philadelphia (PA), John Benjamins Publishing Company
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1(Re)presentations and Dialogue reprend l’essentiel des contributions à la treizième Conférence de l’Association internationale pour l’analyse dialogique (2011). Une sélection de 18 articles invite à articuler la notion de dialogue à celle de représentation. La présente note de lecture évoque principalement les débats autour d’un dialogue éthique, considéré comme une forme d’interaction idéale exempte de jeux rhétoriques.
Une conception platonicienne du dialogue
2L’opposition entre la « sagesse du dialogue » et « l’illusion rhétorique » remonte à la contradiction fondamentale entre Platon et les sophistes. Dans la scène d’ouverture du Protagoras, Socrate met en garde son ami Hippocrate contre l’enseignement prétendument exceptionnel du fameux sophiste. Pourtant, les Dialogues de Platon ne mettent-ils pas en scène un Socrate qui persuade, rejoignant de ce fait la pratique du rhéteur ?
3Comme le dit Edda Weigand dans le premier chapitre, « [i]l n’y a pas de consensus commun concernant le terme <dialogue> » (p. 1). Sa définition la plus simple le désignant comme un échange verbal entre deux ou plusieurs personnes ne permet pas de déceler ce que le dialogue a de particulier par rapport à tout autre type d’interactions verbales — dont celles qui requièrent les outils propres à la rhétorique. Plusieurs auteurs de l’ouvrage usent d’ailleurs de la notion de dialogue comme de quasi-synonymes aux termes de discussion ou de conversation.
4S’appuyant sur l’appareil conceptuel de Francis Jacques, Éric Grillo s’attelle quant à lui à ce travail de distinction. Il met l’accent sur la dimension relationnelle du dialogue qu’il estime être « une relation interlocutive symétrique » (p. 88), capable, par l’entendement mutuel, de modifier le contexte des interlocuteurs. Heidi L. Muller fait aussi référence à la qualité de la relation lorsqu’elle considère le dialogue comme un état d’ouverture à l’expression de chacun. Bien entendu, l’art de persuader inhérent à la rhétorique est difficilement compatible avec une relation symétrique.
5Outre la relation, c’est aussi la finalité du dialogue qui en ferait sa particularité : ainsi, selon Alain Létourneau, le dialogue aide à résoudre des différences ou à prendre des décisions — deux objectifs moraux et éthiques. Or, ces objectifs supposent une dimension rhétorique, car s’il y a des perceptions différentes qui doivent se rencontrer, il y a nécessairement des interlocuteurs prêts à défendre leur point de vue par l’argumentation. Est-il alors concevable de poser le dialogue comme vierge de rhétorique ?
6Comme le rappelle Dominique Ducard, les parties prenantes au dialogue devraient être considérées, face à une question (un dilemme, par exemple), comme des partenaires et non comme des antagonistes. Au contraire, la négociation (mais aussi la polémique, la controverse, etc.) suppose un affrontement entre les points de vue. Pour le dire autrement, on dialogue l’un à côté de l’autre, mais on argumente face à face ! Par conséquent, chacun des participants tient réellement compte de l’avis de l’autre dans le dialogue éthique, sans tromper ni cacher, ce qui représente autant de comportements « admissibles » pour le sophiste dont le but n’est pas tant le bien commun que la persuasion. La construction logique qui consiste à ce que chaque proposition s’appuie sur un terrain partagé et la bonne foi des interlocuteurs complètent les conditions sous lesquelles le dialogue serait, selon Grillo, la meilleure « stratégie discursive » pour passer « d’une vérité non reconnue à un accord commun » (p. 86).
Le dialogue comme lieu de controverses
7Une autre perspective, plus proche de Mikhaïl Bakhtine, voit le dialogue non pas comme l’ouverture à l’opinion de l’autre, mais comme la présence au sein d’un texte (écrit ou non) du riche assortiment des mots des autres : le texte est dialogique. Dans ce dernier cas, la dimension éthique paraît moins que le caractère émergent et créateur du dialogue. L’article de Karen Tracy montre ainsi comment, contrairement à ce que dicterait une première impression, le caractère dogmatique du discours judiciaire convient parfaitement à la tâche qui lui est assignée : une justification pour laquelle la dimension argumentative est capitale.
8Lorsque Wolfgang Teubert interroge le concept habermassien de démocratie délibérative à travers le prisme du dialogue, il montre également les limites d’une vision de la rationalité qui serait « aussi universelle que les mathématiques » (p. 103). Si le caractère rationnel d’une parole se discute, c’est qu’il en est autant de la valeur des arguments qui la fonde. Face à l’idéal d’une démocratie délibérative, il y a la réalité des cénacles de députés où se joue un autre dialogue, le dialogue parlementaire. Ce cadre formel, bien qu’encore dirigé vers un but (représenter le peuple, légiférer, etc.), exclut la prise en compte attentive et déférente des autres interlocuteurs. Ce qui est en jeu n’a plus rien d’éthique, comme le montre Cornelia Ilie, qui voit dans la façon dont les députés s’adressent la parole l’illustration des inégalités de genres. Le dialogue devient un « dialogue de sourds » où même les arguments peuvent être sans effet tant il est acquis que la majorité l’emporte naturellement sur l’opposition.
Conclusion
9Le dialogue éthique envisagé théoriquement se heurte aux dialogues observés empiriquement sur le terrain. Cependant, le premier peut servir d’horizon aux seconds. Les applications sont multiples, comme le montre l’expérience de Muller avec des discussions dans une classe et la présence d’un « facilitateur de dialogue ». D’autre part, même le dialogue envisagé sous une forme « pure » ne peut se concevoir sans un recours, même mineur, aux outils de la rhétorique.
10C’est ainsi que Létourneau puis Katia A. Lima opèrent une heureuse réconciliation : les divergences d’opinions, la recherche de solutions ou encore la prise de décisions pourraient s’établir au sein d’un dialogue qui ne récuse pas la rhétorique. Pour ce faire, la rhétorique comme art de la persuasion devrait opérer un « glissement éthique » qui tient compte des particularités propres au dialogue « idéal ».
Pour citer cet article
Référence électronique
Emmanuel Wathelet, « François COOREN et Alain LÉTOURNEAU (dir.) (2012), (Re)presentations and Dialogue », Communication [En ligne], Vol. 33/1 | 2015, mis en ligne le 18 février 2015, consulté le 14 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/communication/5306 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/communication.5306
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