Florian SAUVAGEAU, David SCHEIDERMAN et David TARAS, La Cour suprême du Canada et les médias. À qui le dernier mot ?
Florian SAUVAGEAU, David SCHNEIDERMAN et David TARAS (2006), La Cour suprême du Canada et des médias. À qui le dernier mot ?, Québec, Presses de l’Université Laval.
Texte intégral
1Le public manifeste un grand intérêt pour les faits divers en tous genres, et particulièrement les histoires de crimes et, en conséquence, leur suivi judiciaire. C’est là une constante que l’on retrouve pratiquement dans tous les pays. Qu’il s’agisse de rendre compte de l’actualité ou d’œuvres de fiction, le traitement de ces affaires dans les médias assure les succès d’audience de ces derniers. Cela s’arrête cependant lorsque, au-delà du caractère spectaculaire de ces questions, le sujet devient trop technique et complexe. Le droit ne retient pas pareillement l’attention. Il en est ainsi des décisions de la Cour suprême du Canada qui ne présentent pas le même attrait, ni pour les journalistes ni pour les lecteurs, les auditeurs et les téléspectateurs. Selon leur objet, elles ne trouvent donc pas un égal écho dans les médias.
2« La couverture médiatique influence grandement la façon dont la Cour est perçue ». Ladite Cour suprême « est à la merci des journalistes qui présentent les décisions au public et les interprètent à leur façon » (p. 10). Telle est l’idée générale, ainsi résumée, qui ressort de l’étude, faite par une équipe d’universitaires (juristes et spécialistes de la communication et des médias) canadiens, de la manière dont les médias de ce pays rendent comptent des décisions prises par la plus haute juridiction nationale. On en dégagera ici quelques éléments concernant son objet ainsi que diverses explications et préconisations.
3La présente étude porte sur le traitement, par un certain nombre de médias écrits et audiovisuels canadiens, des décisions rendues, par la Cour suprême du pays, entre le 1er septembre 2000 et le 31 août 2001. Une analyse approfondie est faite de la couverture médiatique de quatre affaires nationales importantes. S’y ajoutent les opinions de divers journalistes et de certains des magistrats, mais cela relève déjà des explications et appréciations sinon des préconisations adressées tant aux professionnels des médias qu’aux membres de la haute juridiction.
4Le constat général est celui du peu d’attention accordée, par les professionnels des médias eux-mêmes, aux décisions rendues dès lors que par leur technicité celles-ci perdent de leur caractère sensationnel ou qu’elles ne paraissent pas avoir d’implication politique. Elles ne permettent pas la mise en scène nécessaire notamment à l’information audiovisuelle. Elles sont supposées ne pas intéresser l’opinion. Il est, à cet égard, fait mention des « contraintes de l’entreprise » et des « attentes présumées du public » (p. 80).
5L’étude relève que « les valeurs qui sont au cœur du journalisme entrent souvent en conflit avec les principes qui guident les juges et la communauté juridique en général. Les décisions sont généralement complexes et comportent des questions de principe abstraites. Elles ne se résument pas aisément en cinq paragraphes ou en dix secondes. Les affaires importantes offrent rarement les images excitantes que la télévision préfère. Les motifs sont souvent ignorés ou mal expliqués » (p. 35-36).
6Les caractéristiques requises d’une information journalistique et celles d’une décision judiciaire ne sont pas les mêmes. Pour la plupart d’entre eux, les journalistes n’ont généralement pas les compétences nécessaires pour expliquer et analyser les textes juridiques. Les préoccupations d’audience des médias ne les y poussent pas. Est-on donc condamné à ce qu’il en soit toujours ainsi de l’information judiciaire et particulièrement de l’écho donné, par les médias, aux décisions de la Cour suprême ? Ne s’agit-il pourtant pas là d’informations auxquelles le public a droit dans une société démocratique ? Au Canada et ailleurs !
7Une plus grande ouverture de la justice à l’égard du public et une meilleure connaissance de l’institution, de ses contraintes et de son fonctionnement s’imposent. Cela ne pourra être atteint que grâce à l’effort de chacun : professionnels de la justice, personnel des médias et public.
8L’étude relève que « ce n’est que lentement et avec circonspection que la Cour suprême a fait son entrée dans le domaine des relations publiques et des relations avec les médias ». S’agissant de la Cour suprême du Canada, cela s’est manifesté notamment, au milieu des années 1990, par la création du « poste d’adjoint exécutif juridique (AEJ) […] responsable de présenter les décisions aux journalistes et de répondre à leurs questions » (p. 13-14). Il appartient à celui-ci d’expliquer, aux journalistes, le sens et la portée de la décision rendue et d’en souligner certains aspects, de façon à ce qu’ils s’en fassent l’écho auprès du public.
9Pour ce qui est des journalistes, l’interrogation est celle de leurs compétences en la matière. Leur trop grande ignorance des questions juridiques est souvent dénoncée, par les magistrats notamment. L’étude relève cependant que « la plupart des journalistes […] sont d’un tout autre avis et contestent vivement la prétendue ignorance qu’on leur reproche. Pour eux, le bon journalisme demande une personne aux aptitudes et aux points de vue différents de ce qu’on retrouve dans la communauté juridique » (p. 274). Une journaliste à laquelle, dans le cadre de cette enquête, il a été demandé s’il était nécessaire d’avoir une formation juridique pour rendre compte de l’activité de la Cour suprême a répondu : « Non, pas du tout. Il faut avoir de la rigueur et de la capacité à vulgariser » (p. 275), compétences supposées requises de tout journaliste !
10Posant la question du « journalisme spécialisé », les rédacteurs de l’étude relèvent que « la situation des journalistes qui couvrent l’actualité juridique est, jusqu’à un certain point, similaire à celle d’autres journalistes spécialisés ». Ils « doivent tous traduire des connaissances complexes et poussées dans une langue que les citoyens ordinaires comprendront. Les entreprises de presse et les écoles de journalisme doivent se demander comment préparer les journalistes à découvrir ce monde spécialisé » (p. 293).
11N’aboutit-on pas à un constat assez pessimiste ?
Les juges et les journalistes sont les produits de deux cultures différentes. Les deux professions sont guidées par des routines et des impératifs souvent contraires. La complexité de la jurisprudence, le silence des juges sur les affaires en cause, la nature instantanée du journalisme, le manque d’expertise de nombreux journalistes et la demande télévisuelle pour des images fortes engendrent tensions et distorsions (p. 282).
12Y a-t-il quelque volonté et possibilité d’en sortir ou cela est-il inéluctable ? Se satisfera-t-on du fait que cela n’est nullement une spécificité nationale canadienne et que la même appréciation peut pratiquement être formulée dans tous les pays… même dans ceux – qui ne sont pas les plus nombreux – qui connaissent une justice indépendante et des médias libres !
Pour citer cet article
Référence papier
Emmanuel Derieux, « Florian SAUVAGEAU, David SCHEIDERMAN et David TARAS, La Cour suprême du Canada et les médias. À qui le dernier mot ? », Communication, Vol. 26/2 | 2008, 281-283.
Référence électronique
Emmanuel Derieux, « Florian SAUVAGEAU, David SCHEIDERMAN et David TARAS, La Cour suprême du Canada et les médias. À qui le dernier mot ? », Communication [En ligne], Vol. 26/2 | 2008, mis en ligne le 03 août 2009, consulté le 12 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/communication/528 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/communication.528
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page