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Lectures

Judith Karafiáth et Marie-Claire Ropars (dir.), Pluralité des langues et mythe du métissage

Saint-Denis, Presses universitaires de Vincennes, Coll. « Créations européennes », 2004
Toni Ramoneda
p. 249-252
Référence(s) :

Judith KARAFIáTH et Marie-Claire ROPARS (dir.) (2004), Pluralité des langues et mythe du métissage, Saint-Denis, Presses universitaires de Vincennes, Coll. « Créations européennes ».

Texte intégral

1Cet ouvrage est composé de 13 articles issus d’une rencontre franco-hongroise organisée en France en 2001. Comme tout ouvrage collectif, le travail de direction réside essentiellement dans la mise en forme d’une structure cohérente. Le lecteur peut en ce sens avoir une certaine crainte à la lecture d’une préface qui pose de manière succincte une problématique générale, celle de l’apparente opposition entre la pluralité de la langue et l’identité de la culture, sans aller plus loin dans la présentation des auteurs, des textes, voire du fil conducteur proposé pour l’aborder. Or, la structure de l’ouvrage (trois parties regroupant de manière équilibrée les différentes contributions) ainsi que la distribution des textes en son sein présentent une cohérence plutôt rare, et très bienvenue, pour ce type de livres. Les trois parties – « Migrations », « La langue plurielle » et « Duplicité du métissage » – se succèdent de manière dialectique à l’image du titre de l’ouvrage : à la thèse de la pluralité des langues s’oppose celle d’un mythe du métissage et les deux sont dépassées par l’idée d’un « parcours européen ». Nous proposons donc une lecture d’ensemble, reprenant dans l’ordre chacune des contributions, afin de rendre compte de l’argumentation déployée dans ce parcours entre des langues et des cultures.

2La première partie, « Migrations », est composée de cinq articles. Cristopher Lucken, qui se présente lui-même comme partagé entre une langue maternelle (le français) et une langue paternelle (l’anglais), interroge l’idée de langue identitaire rattachée à la notion de langue maternelle et il se sert, pour ce dessein, des rapports au latin dans le processus de nationalisation des langues au Moyen Âge. Tivadar Gorilovics, avec un regard sur la présence du latin dans la presse hongroise, prolonge la problématique de la langue maternelle avec la question d’une « culture maternelle » : qu’est-ce que l’apprentissage du latin peut comporter comme sens au-delà du constat que « la langue de Ciceron, ou plutôt d’Horace, est décidément apte à tous les usages » (p. 47) ? Ildiko Lörinszky poursuit la réflexion avec une étude de cas : l’influence de Cervantès (et plus précisément du don Quichotte) dans l’approche de la littérature chez Flaubert. Ce à quoi succède une autre étude, celle d’Ilona Kovács, où l’objet n’est plus la production d’une œuvre mais sa réception (celle des Mémoires de Casanova) dans différents contextes culturels. Zineb Ali-Benali clôt enfin cette partie « migration » avec un retour à la notion de langue maternelle (« j’ai grandi entre deux langues, le berbère et l’arabe parlé » – p. 74) et une ouverture vers la question de l’écriture : « Comment expliquer ce phénomène ? La langue française reste cet espace où l’on peut toujours se mettre hors du verbe tribal, où l’on se fait étranger au collectif, qu’il soit familial ou national » (p. 80).

3La langue comme moyen d’expression (Lucken), la langue comme lieu d’ancrage culturel (Gorilovics ou Ali-Benali) et la littérature comme lieu de mémoire linguistique (Lörinszky et Kovács). Trois approches différentes qui contribuent à poser la question du mythe : comment la parole-de-l’autre-en-soi (la langue) pourrait ne pas être métisse ? Mais qui permettent par la même occasion de préciser la problématique du métissage : elle ne concerne pas l’étrangéité de la parole, mais au contraire, l’impossibilité d’y reconnaître un étranger. Les migrations de la langue (au sein d’un même sujet, au sein d’une même culture ou entre plusieurs cultures) ouvrent la voie à l’idée d’une parole, au fond, jamais étrange.

4La deuxième partie, « La langue plurielle », interroge dès lors la langue dans sa matière pour la décomposer en plusieurs langues : écrire en langue plurielle (l’hétéroglossie de Pessoa) ; changer de langue et changer de récit (le parcours de Koestler) ; être travaillé par la langue (le poète Blatny) ; et enfin se traduire et traduire sa propre langue (le philosophe Németh). La notion d’hétéroglossie appliquée à la poésie de Pessoa sert à Patrick Quillier pour rendre compte des langues qui composent la langue du poète. Judith Karfiáth propose, elle, un parcours par les inquiétudes et les contradictions de l’écrivain (Koestler) lorsqu’il se découvre multilingue. La troisième contribution de cette partie, celle de Xavier Galmiche, aborde la question de la langue plurielle à partir de la pathologie. Ces trois contributions recouvrent les trois aspects de la langue : son aspect signifiant où l’hétéronomie devient un signe d’une hétéroglossie, son aspect symbolique où l’on découvre le sens (les sens) des langues chez un auteur comme Koestler et son aspect imaginaire enfin, celui du poète tchèque Ivan Blatny lorsqu’il écrit dans un asile psychiatrique. La contribution de György Tverdota sur l’essayiste hongrois Andor Németh rassemble alors ces trois aspects à partir de la problématique de la traduction : « en quelle langue pense celui qui formule de telles phrases ? » (p. 147) se demande-t-il à propos de l’usage par Németh de concepts ancrés dans des cultures linguistiques diverses (le dassein de Heidegger, l’être de Sartre et l’adjectif « à la hussarde » proprement hongrois). L’impossible traduction permet ainsi à la fois de rendre compte de l’unicité de la langue plurielle et d’ouvrir la porte à l’objet de la troisième partie : le rapport de la langue au territoire.

5La langue plurielle est de ce fait devenue unique. Serait-ce le sens de « métissage » ? C’est la question soulevée par les deux directrices de l’ouvrage dans leur préface : « Imaginaire, le métissage relève de la métis : soit d’une ruse qui pour mieux absorber l’autre feindrait de lui donner toute la place » (p. 7). Mais absorber l’autre, c’est aussi disparaître soi-même sous le mythe d’une communication universelle vouée à l’implosion identitaire d’une parole-de-soi-en-soi. Migrante et plurielle, la langue est donc également dialogique.

6La troisième partie, « Duplicité du métissage », s’ouvre ainsi avec une contribution de Gergely Angyalosi qui recourt à la notion d’idiome (l’idiome désigne la relation d’une langue avec sa communauté d’expression) pour proposer une « philosophie de la traduction » (p. 162). Les références à Derrida et à Lukács à partir desquelles s’articule le texte apparaissent en effet comme une plaque tournante entre la problématique « idéale » de la traduction qui fermait la deuxième partie de l’ouvrage et le rapport au territoire (celui auquel on peut rattacher une communauté d’expression) qui s’ouvre avec cette contribution et qui devient central dans le texte d’Anne-Rachel Hermetet (« Trieste, un mythe culturel pour le XXe siècle ? »). Trieste comme expression des deux visages du territoire : le territoire imaginaire et imaginé et le territoire réel et vécu. Ainsi, la contribution de Marc Martin, partant de l’anecdote historique d’un groupe d’Aryens installés en Uruguay et refusant tout mélange avec les autochtones pour éviter la contamination raciale, reprend la notion de métissage (le groupe d’Aryens, à force de relations de consanguinité, s’anéantit de manière inexorable) et en fait l’objet, par son existence, de la quête des origines chez le poète Yvan Goll : pas d’origine sans métissage. Le livre se referme avec une contribution de Bruno Clément portant sur deux textes d’Ismaïl Kadaré, pour rappeler que sans métissage il n’y a pas de tristesse non plus : ni celle des origines, ni celle d’Eschyle « d’un métissage manqué, peut-être impossible » (p. 206).

7Pas d’émotion en somme sans métissage, mais point de langue si la ruse de métis parvenait à effacer la présence de l’autre. Le mythe du métissage ne concerne donc pas la construction d’une parole multiple, mais au contraire, l’illusion d’une parole commune.

8C’est pourquoi ce livre ne propose pas une vision plurielle des cultures européennes, il ne vise pas à construire une culture commune qui ne serait qu’un mythe, mais il nous propose un parcours. « Ainsi ce livre a voulu recueillir – à travers les migrations, les échanges et les rêveries par où l’Europe ne cesse de s’inventer – l’écho dialogique d’un devenir européen, où la différence, parce que multiple et mobile, ne pourrait être elle-même que plurielle » (p. 7). Pari réussi.

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Pour citer cet article

Référence papier

Toni Ramoneda, « Judith Karafiáth et Marie-Claire Ropars (dir.), Pluralité des langues et mythe du métissage »Communication, Vol. 26/2 | 2008, 249-252.

Référence électronique

Toni Ramoneda, « Judith Karafiáth et Marie-Claire Ropars (dir.), Pluralité des langues et mythe du métissage »Communication [En ligne], Vol. 26/2 | 2008, mis en ligne le 15 septembre 2013, consulté le 17 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/communication/511 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/communication.511

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Auteur

Toni Ramoneda

École Doctorale Éducation Psychologie, Information et Communication, Équipe de recherche de Lyon en sciences de l’information et de la COmmunication (ELICO), Équipe d’Accueil (EA4147), Université Jean Moulin Lyon 3. toni.ramoneda@univ-lyon2.fr

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Droits d’auteur

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