1La compilation d’un dictionnaire est en général l’aboutissement d’un travail assidu et prolongé. Ce dictionnaire ne déroge pas à la règle, puisqu’il consacre la carrière bien remplie de son auteur. Claude Cossette est en effet à la fois publicitaire de renom et professeur à l’Université Laval.
2En 1962, il fonde un studio d’art graphique à Québec, qui devient une agence de publicité en 1969. Le Groupe Cossette Communication s’est depuis imposé comme la plus importante firme de communication-marketing du Canada et s’illustre parmi les 30 premières firmes au monde. En 1982, Claude Cossette quitte cependant la présidence de l’agence pour occuper un poste de professeur de publicité sociale au Département d’information et de communication de l’Université Laval, qu’il occupe aujourd’hui encore.
3Cette riche carrière est jalonnée par de nombreux ouvrages sur la publicité, parmi lesquels l’ouvrage de référence Les images démaquillées, en 1983, ou encore La publicité, déchet culturel (2001), qui présente un regard plus acerbe sur cette pratique. Quant à La publicité de A à Z, il n’est certes pas le premier dictionnaire bilingue du domaine, mais il rassemble tout de même 3 200 termes récents employés en publicité. Or, quand on sait le rythme auquel la terminologie publicitaire évolue, quand on sait aussi les variations culturelles de ces termes, des dictionnaires plus anciens et plus euro-centrés, comme celui de Fabienne Duvillier (1990) ou celui de Wolfgang J. Koschnick (1994), ne font pas de ce nouveau dictionnaire un doublon. Bien au contraire, cet outil de référence permet de rassembler, autour d’une communauté de termes, tous les professionnels qui gravitent autour du monde de la communication publicitaire.
4Au chapitre de ses qualités, il faut donc saluer le bilinguisme, qui permet notamment de découvrir des dénominations françaises dans un milieu où le recours à l’anglais est omniprésent. Un regard européen ne manquera d’ailleurs pas d’être amusé tant par certaines traductions (l’entrée « shockvertising » est traduite par « provocapub ») que par certaines contorsions traductionnelles (l’entrée « benchmarketing » est traduite par « balisage »), teintées parfois d’une touche d’exotisme québécois (l’entrée « commandite », plus connue sous nos latitudes par des termes comme parrainage, sponsoring, voire mécénat). Enfin, dictionnaire illustré et « encyclopédique », il ne se contente pas de donner des définitions rigoristes des entrées retenues, mais complète occasionnellement les définitions par des commentaires plus documentés.
5Au chapitre des critiques, on pourrait regretter l’absence de références bibliographiques, même si ce « genre » n’est en principe pas soumis à un tel exercice, même si l’auteur signale, en introduction, les principales sources dont il s’est inspiré. Plus sérieusement, certains termes sont assez pauvrement définis (par exemple, l’entrée « sémiologie ») et d’autres ne mériteraient peut-être pas la place qui leur est accordée. Ainsi, l’entrée « iconème » pose des problèmes théoriques de fond et il est aujourd’hui assez largement abandonné. En cause, les fausses équivalences qu’il semble instaurer avec le terme linguistique de « morphème ».
6Mais – et nous quittons ici les critiques – ce dictionnaire pose surtout un problème de fond, qu’il s’agit de rappeler, même s’il paraît bien difficile à surmonter. L’un des intérêts majeurs d’un dictionnaire est de stabiliser et d’institutionnaliser un certain nombre d’entrées. La publicité répond quant à elle aux règles de l’économie de marché, avec en point de mire le positionnement sur un marché concurrentiel. Un écueil difficile à contourner, lorsqu’il s’agit d’un dictionnaire de la publicité, consiste donc à trouver un compromis entre la compilation de termes techniques stabilisés et un secteur d’activité où le champ terminologique est mou, mouvant et éphémère.
7On oublie trop souvent que la publicité, soumise aux lois du marché, doit constamment renouveler son vocabulaire. Ainsi, sans vouloir retracer toute l’histoire de la dénomination sociologique de l’homme – il en va de même des termes désignant les stratégies publicitaires (voir par exemple Marcenac, Milon et Saint-Michel, 1998) –, cette dernière décennie a vu fleurir le bobo (pour bourgeois-bohême, valable tant pour les hommes que pour les femmes), l’adulescent (adulte n’ayant pas grandi), le Himbo (version masculine et adolescente de la Bimbo), le métrosexuel (formé sur « métro » pour métropolitain et « sexuel » pour l’homme dans sa recherche d’attirance sexuelle : homme urbain, au sens de l’esthétique très développé, qui assume sa part de féminité), le métrosensible (un métrosexuel à la sensibilité exacerbée), l’übersexuel (s’opposant au métrosexuel dans la mesure où il est « au-dessus » : il attache moins d’importance à son apparence, est moins centré sur lui-même et assume sa virilité tout en considérant la femme comme son égale). Pour une liste non exhaustive, voir Salzman, Matathia et O’Reilly (2005). Or, ces dénominations sont autant des réalités sociologiques que des constructions « publicitaires » formatées par les sociétés de tendances. On redécouvre ici la force des mots et du langage : les sociétés de tendances et les agences de publicité doivent constamment créer de nouveaux « labels » pour prouver leur dynamisme et affirmer leur originalité, dans une société qui se veut en constante évolution et se doit de l’être (depuis qu’elle a quitté, avec le Siècle des lumières, les principes de copie littérale et de reproduction soumise des sociétés traditionnelles).
8L’enjeu d’un dictionnaire, qui a pour principe de stabiliser un certain vocabulaire, est ainsi en contradiction avec ceux du lexique publicitaire, marqué du sceau de l’inconstance. Le conflit entre ces deux enjeux antagonistes se concrétise par la place accordée à un terme du langage courant, que l’on rencontre dans les dictionnaires de référence, mais qui est mis aux oubliettes dans le présent dictionnaire : le « logo ». Dans le Nouveau Petit Robert 1 (1993), le « logo » est défini comme un « symbole formé d’un ensemble de signes graphiques constituant une marque pour un produit, une firme ». Cette définition est validée par nombre d’ouvrages (Caron, 1992 ; Chevalier et Mazzalovo, 2003 ; Delorme, 1991 ; Heilbrunn, 2001…) qui maintiennent ce terme. Dans le présent dictionnaire, l’entrée « logo » n’existe pas ; sous l’entrée « logotype », « logo » est présenté comme une simple abréviation ; quant à l’entrée « logotype », sans définition, elle renvoie le lecteur à l’entrée « symbole ».
9On n’est enfin pas dupe du fait qu’un lexique spécialisé vise aussi à créer une communauté, en l’occurrence celle des publicitaires, qui, recourant à un langage spécialisé (mais souvent sans aucune véritable plus-value), recherchent une reconnaissance par l’édification d’un vocabulaire qui témoignerait des spécificités de la profession. De ce point de vue, il n’y a pas une grande différence entre le lexique publicitaire et les rituels d’insultes des banlieues, comme l’a très bien montré Labov (1976, 1978) : chaque communauté instaure son propre vocabulaire pour asseoir une identité langagière.
10On comprend donc la triple finalité du lexique publicitaire : il doit à la fois permettre de s’entendre grâce à un vocabulaire spécialisé, se démarquer de la concurrence en démontrant ses ressources d’innovation et se constituer en groupe face aux non-initiés.
11Mais en guise de mot de la fin, on peut hypothéquer que Claude Cossette aura encore l’envie (et le devoir) d’enrichir cette première édition par nombre de nouvelles entrées, tout en reconsidérant cette difficile réconciliation entre enjeux terminologiques et finalité publicitaire. On peut alors se demander si, à l’ère d’Internet, ce média plus flexible ne serait pas plus adapté pour faire face à la versatilité terminologique de ce secteur, tout en laissant le loisir à son auteur de faire évoluer à sa guise cet excellent outil de travail.