Navigation – Plan du site

AccueilNumérosVol. 32/2RecherchesL’usage de l’argumentation en pub...

Recherches

L’usage de l’argumentation en publicité

L’argument publicitaire
Christian Desîlets et Gilles Gauthier

Résumés

Les professionnels de la publicité désignent par les locutions « argument publicitaire » ou « argument de vente » tout aspect du message ayant pour fonction de le livrer avec efficacité. L’a priori des auteurs est que cette conception très large est inadéquate en ce qu’elle ne permet pas de rendre compte de la spécificité de l’argumentation en publicité. Leur objectif est de cerner techniquement ce qu’est un argument publicitaire et, plus largement, l’usage de l’argumentation en publicité. Le corpus étudié est constitué de publicités du Ministère de la santé et des services sociaux du Québec.

Haut de page

Texte intégral

j’ai besoin d’être seul
je marche face à l’océan
pour faire le point
au contact des éléments
mais tout ce que j’en conclus
je dois pas être un poète
c’est que ça doit être chiant
très chiant d’être une mouette
BENABAR, Bon anniversaire.

1Quand il est question de l’argumentation en publicité, c’est le plus souvent en lui donnant une extension extrêmement large. Les professionnels du métier désignent par les locutions « argument publicitaire » ou « argument de vente » tout aspect du message ayant pour fonction de le livrer avec efficacité. Les guides ou manuels de conception en publicité rattachent à l’argumentation des techniques d’expression en déterminant par exemple comme « fondamentaux » la phrase courte, le vocabulaire simple et accessible et d’autres règles de même nature (Lavanant, 2006). Les analystes de l’argumentation en publicité y intègrent à peu près n’importe quel élément concourant à sa finalité persuasive. Ainsi, sa part informative ou cognitive est souvent définie comme étant de nature argumentative (Blair, 2012). C’est également le cas, plus curieusement, de ses composantes affective et conative (Sproule, 1980). Même le registre symbolique de la publicité, sa sollicitation des motivations et son appel à l’inconscient sont par certains considérés comme des lieux au moins potentiels d’argumentation. C’est sans doute cette grande amplitude donnée à l’argumentation publicitaire qui fait en sorte que, pour l’essentiel, son examen se déporte, d’une part, vers l’étude de procédés rhétoriques, narratifs ou stylistiques (Adam et Bonhomme, 2005) et, d’autre part, vers l’analyse de l’image (Davis, 2010 ; Cooper, 2009).

2L’a priori qui préside à la présente recherche exploratoire est que cette conception très large est inappropriée en ce qu’elle ne permet pas de rendre compte du caractère propre de l’argumentation en publicité. Elle la dilue ou la dissout à ce point dans des considérations tellement disparates, et pour certaines vagues, qu’on ne voit plus avec précision ce en quoi peut consister le recours à l’argument en publicité. Nous proposons d’éclaircir ici plus rigoureusement ce qu’il peut être. Notre objectif est donc de cerner techniquement ce qu’est un argument publicitaire et, plus largement, l’usage de l’argumentation en publicité. Nous espérons de la sorte établir ultérieurement les bases d’une analyse précise de l’argumentation publicitaire. L’un des présupposés heuristiques sur lequel nous nous reposons (et que nous serons amenés à valider) est que la publicité ne comporte pas nécessairement d’argumentation, mais qu’il arrive que ce soit le cas. Autrement dit, nous considérons que l’argumentation n’est qu’un outil optionnel, et parmi d’autres, auxquels la publicité peut avoir recours pour exercer une influence sur un public cible. De ce point de vue, il se peut qu’un message publicitaire donné soit totalement démuni d’argument et qu’un autre message, au contraire, soit constitué d’une teneur argumentaire élémentaire ou plus ou moins complexe. Ce sont les tenants et les aboutissants de cette pluralité de possibilités ainsi que leurs conditions d’exercice que nous nous donnons pour tâche d’explorer.

3Notre entreprise est dénuée de toute prétention normative. Nous ne voulons absolument pas régenter, ni sur le plan pratique ni sur le plan théorique, les considérations développées sur l’argumentation en publicité. Nous concevons parfaitement que les artisans et les observateurs de la publicité utilisent les termes-concepts d’argument et d’argumentation dans des sens et suivant des acceptions qui leur sont utiles, même s’ils apparaissent flous et incertains du point de vue qui est le nôtre.

4Nous n’estimons d’ailleurs pas d’emblée que ces considérations larges et molles soient toutes erronées. Ainsi que nous en ferons plus loin une démonstration plus détaillée, nous pensons par exemple que l’information et l’image peuvent être parties prenantes de l’argumentation publicitaire. Toutefois, pour nous, cela ne va pas de soi et, surtout, nous pensons que ce peut être le cas uniquement dans des circonstances bien précises ou, si l’on veut, si sont remplies certaines conditions. Notre travail peut être reçu comme une tentative d’expliciter ces conditions et, plus généralement, de caractériser analytiquement l’usage de l’argumentation en publicité.

  • 1 Une autre limitation de notre corpus est que le MSSS a développé avec le temps un discours de marqu (...)

5Le corpus étudié est constitué de publicités du ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec (MSSS). Outre le fait que les campagnes du MSSS soient accessibles, y compris les publicités archivées, ce choix se justifie par deux raisons. D’abord, les publicités du MSSS portent sur des causes sociales. Elles investissent l’arène de la communication publique entendue au sens de l’espace d’intervention sur les débats publics et de discussion sur les enjeux sociaux. Par ailleurs, les campagnes du MSSS sont entièrement supervisées par des chercheurs du monde de la santé qui colorent le processus de production publicitaire de leurs approches théoriques et empiriques. Sous ce double aspect, les publicités du MSSS apparaissent être a priori favorables à un recours relativement important à l’argumentation, et on peut par conséquent s’attendre à y trouver un certain nombre d’arguments. Cependant, cet avantage marque aussi la limite heuristique de notre étude. À son terme, nous ne serons pas en mesure de généraliser ses résultats. Pour voir comment l’ensemble de la publicité utilise l’argumentation, il nous faudra ultérieurement examiner d’autres corpus, notamment en publicité commerciale où la présence d’arguments semble moins prégnante1.

6L’examen de ce corpus nous conduit à une démarche d’exposition en deux temps. Il nous révèle d’abord un certain nombre de traits généraux de la façon dont se présente l’argumentation en publicité. Nous en faisons état dans un ensemble de propositions établies au regard d’une « théorie de l’argumentation » en communication publique mise au point plus particulièrement au sujet de la prise de position éditoriale. La communication publicitaire est, bien sûr, d’un type tout à fait distinct. Il nous faut d’abord vérifier jusqu’à quel point l’aménagement de l’argumentation éditoriale vaut pour l’argumentation publicitaire et, surtout, clarifier les particularités de celle-ci. C’est l’objectif ici poursuivi.

7Ce premier coup de sonde nous amènera à discerner quelques caractéristiques plus générales du contexte d’usage de l’argumentation publicitaire et à formuler quelques hypothèses en conclusion de la présente recherche.

L’argumentation et l’argument

8Dans une série de travaux portant sur l’éditorial journalistique, nous caractérisons l’argumentation par quelques considérations théoriques et méthodologiques en les comparant partiellement à des actes de discours tels que définis par John Searle.

9La première est la reconnaissance de deux unités de base, l’argument et l’opinion, constituées d’une ou de deux composantes, la proposition et la justification. Une proposition est un point de vue mis en avant sur une question donnée. Elle peut plus précisément consister en un jugement, une évaluation, une prescription ou toute autre forme de prise de position. Quant à la justification, elle est une forme de soutien à la proposition : un motif, un mobile, une motivation ou quelque autre raison. L’argument comporte les deux constituants. Il est fait de l’assemblage d’un point de vue et de son fondement. Pour sa part, l’opinion est une proposition sans justification. Sont afférents à ces définitions des schémas logiques simples de l’argument et de l’opinion :
P […]
--------
J […]
pour l’argument et
P […]
--------
Ø
pour l’opinion.

10Dans la mesure où tous deux peuvent être mobilisés dans la discussion et où l’expression d’une proposition tend à se réclamer d’une force de conviction, l’opinion et l’argument peuvent être considérés comme les deux modes de l’argumentation : l’argument se présentant comme une démonstration, l’opinion prétendant au bien-fondé de la position faisant son objet sans qu’il apparaisse nécessaire de lui fournir quelque élément de preuve ou d’évidence.

11Les définitions de l’argument et de l’opinion en termes de proposition et de justification leur confèrent une double identité logique et pragmatique qui commande une conception à la fois de différenciation et d’une certaine forme de subordination au langage (c’est essentiellement en cela que les arguments et les opinions peuvent être caractérisés sur le modèle des actes de discours). D’abord, l’argument et l’opinion sont des contenus de pensée. Leur teneur est tout aussi abstraite que celle des concepts. Pour le dire en usant d’une expression philosophique, ce sont des représentations de l’esprit. À ce titre, ce sont des entités formelles et ils ne se confondent pas à des énoncés ou à quelques autres matériaux linguistiques, énonciatifs, sémiologiques ou iconiques. Pour le dire à l’inverse, les énoncés, les signes et les images ne sont pas des arguments ou des opinions dans la mesure où ils ne sont pas en tant que tels des propositions ou des justifications.

12D’un autre côté, les arguments et les opinions sont des opérations effectuées par des acteurs. La mise en avant d’un point de vue et l’invocation d’un fondement ne sont pas des propriétés d’entités mais des actions. Selon cette dimension pragmatique, c’est l’usage des arguments et des opinions qui est primordial. L’argumentation ne se réalise pleinement que dans son déclenchement pratique visant la persuasion.

13La question qui se pose est alors de savoir comment la nature logique des arguments et des opinions peut donner lieu à une réalisation effective ou, plus précisément, comment des agents peuvent mettre en œuvre des contenus abstraits sous la forme de propositions et de justifications. C’est là que se noue un lien de nécessité de l’argumentation au langage. Si les arguments et les opinions ne sont pas des énoncés, leur réalisation en dépend néanmoins. À défaut d’être convoyés ou pris en charge par des énoncés, les arguments et les opinions restent purement virtuels et ne sont pas accomplis. Sans qu’il soit indispensable de le définir plus finement, le concept d’expression peut commodément servir à dénoter le rapport un peu mouvant des arguments et des opinions aux énoncés. Nous pouvons dire que, bien qu’ils ne s’y réduisent pas, les arguments et les opinions sont exprimés par des énoncés ou tout autre constituant « langagier » (au sens large).

14C’est en quelque sorte en vertu de cette relation d’expression que les arguments et les opinions, pourtant de nature abstraite, peuvent être activés par des agents. Ils doivent être incarnés dans quelque matérialité discursive. Il s’agit là d’une contrainte qu’on peut désigner comme le principe de la nécessité expressive des arguments et des opinions. Tel qu’entendu ici, ce principe stipule simplement que les arguments et les opinions doivent être extériorisés ou manifestés dans des énoncés. Le terme d’énoncé ne doit pas conduire à penser que l’expression des arguments et des opinions est limitée au seul mode linguistique compris au sens strict. Il se trouve que l’argumentation est le plus souvent exprimée dans les langues naturelles (sans doute parce que c’est le canal le plus commode pour formuler des propositions et des justifications). Mais, en principe, tout système sémiologique ou iconique peut remplir le même office. Ce que pose le principe de la nécessité expressive, c’est que les arguments et les opinions doivent être exprimés par quelque chose (énoncé, signe, image ou quelque autre entité) munie d’une capacité expressive.

15Par ailleurs, le rapport entre arguments et opinions d’une part et énoncés d’autre part n’est pas bidirectionnel. À l’évidence, tous les énoncés n’expriment pas des arguments ou des opinions. Le langage sert à maints autres usages que celui d’avancer un point de vue dans une discussion et de l’appuyer sur quelque considération. Comment, alors, déterminer si un énoncé exprime ou non un argument ou une opinion ? Comment, sur un plan plus général, repérer les arguments et les opinions d’un texte ou d’un discours ? Comment les localiser correctement, c’est-à-dire les repérer en totalité sans en reconnaître à tort ? Le problème se pose avec acuité du fait que la relation d’expression entre les énoncés et les arguments et opinions n’est pas stable. Tout au contraire, l’expression des arguments et des opinions est sinueuse : elle prend place dans un espace ouvert à de nombreuses possibilités. Elle peut être littérale, quand les énoncés correspondent au plus près au contenu des propositions ou des justifications. Elle peut aussi prendre diverses formes de non-littéralité, quand la signification des énoncés et la teneur des arguments et des opinions ne coïncident pas intégralement. L’un des cas les plus fréquents d’expression non littérale en communication publique est celui qui met en jeu un processus d’indirection. Un exemple clair est celui d’une affirmation formulée au moyen d’une question purement rhétorique. La forme sans contredit la plus radicale de non-littéralité est celle de l’enthymème dans lequel une partie d’un argument n’est tout simplement pas exprimée.

  • 2 Une procédure à cet effet peut être établie et comprendre, parmi d’autres éléments, un principe d’« (...)

16Les expressions littérale et non littérale des arguments et des opinions sont toutes deux multiples : différents énoncés ou ensembles d’énoncés peuvent exprimer littéralement et non littéralement le même argument ou la même opinion. En dépit de cette élasticité, il est tout de même possible, en principe, de déterminer s’il y a expression d’arguments et d’opinions2.




L’argumentation et la publicité

17Comment, relativement aux considérations qui précèdent, l’argumentation publicitaire se présente-t-elle globalement ? Quelques-unes de ses caractéristiques peuvent être dégagées de l’étude du corpus de publicités du MSSS mentionné en début d’article. Cette étude sera menée sur un échantillon de publicités diffusées en 2011 et ayant trait à une variété de sujets : les dépendances (toxicomanie et tabagisme), le port du condom, la Journée mondiale du sida, le jeu excessif, le cancer du sein, la vaccination contre la grippe et une campagne originale baptisée Vigilance. Au regard de la théorie de l’argumentation qui vient d’être exposée, l’examen de ces publicités permet de faire des observations menant à des constats généraux au sujet de l’argumentation en publicité et alimentant des pistes de recherche à creuser plus systématiquement.

L’argumentation, une option en publicité

18Un message publicitaire ne comporte pas inévitablement un argument ou une opinion. Cette possibilité a été admise d’entrée de jeu en début d’article et se trouve rapidement confortée par l’examen de quelques publicités.

19Certes, il ne s’agit pas là d’une bien grande découverte : il semble à tous évident que la plupart des formes de publicité n’ont pas forcément de teneur argumentative. C’est d’ailleurs également le cas de toutes les formes de communication publique. L’argumentation n’est qu’un moyen parmi d’autres de faire valoir un point de vue et d’atteindre un objectif de persuasion. C’est un outil aujourd’hui fortement valorisé en bonne partie en raison du haut crédit octroyé à la raison ou à la rationalité. Mais une considération le moindrement attentive de tous les modes d’intervention dans les débats sociaux, dès lors qu’elle procède d’une définition relativement précise comme celles de l’argument et de l’opinion en termes de proposition et de justification, conduit à reconnaître que l’argumentation y occupe une place plutôt congrue. Les messages de toutes sortes lancés dans l’espace public portant sur les enjeux sociaux qui l’agitent ne comportent pas toujours, tant s’en faut, d’arguments et d’opinions. Il n’y a donc pas de caractère de nécessité à l’argumentation en communication publique, pas plus en publicité que dans ses autres pratiques. Les arguments et les opinions y sont présents dans des proportions variables, totalement ouvertes même, allant en principe de 0 à 100 %.

20On peut avancer l’hypothèse que l’argumentation, sous la double figure de l’argument et de l’opinion, sied moins bien à la publicité qu’aux autres formes de communication publique. À vue de nez, il apparaît en effet que l’argumentation est moins indispensable à la publicité que, par exemple, à la prise de position éditoriale, à certains types de discours politique ou à certaines opérations de relations publiques. Mais encore faudrait-il documenter plus précisément cette intuition. Ce que permettraient de faire les définitions de l’argument et de l’opinion en ouvrant à leur localisation dans les discours des diverses pratiques de communication publique. Plus fondamentalement, il faudrait aussi expliquer bien précisément, eu égard à sa nature et à son fonctionnement, en quoi la publicité peut, jusqu’à un certain point, faire l’économie de l’argumentation et, dans le cas contraire, pourquoi elle y a recours. Les choses semblent se présenter comme si la publicité ne recourrait pas naturellement à l’argumentation mais, pour ainsi dire, qu’elle s’y résoudrait à l’occasion, de manière accessoire et par souci essentiellement utilitaire. Pourquoi plus précisément ? Quelles sont les conditions de cette utilisation apparemment « contrainte » ou « affectée » des arguments et des opinions ? Des indications partielles peuvent être dégagées de certaines des observations qui suivent.

La prégnance de l’opinion en publicité

21Beaucoup de publicités mettent en avant une proposition sans lui fournir de fondement. Une forte prédominance des opinions sur les arguments semble être un trait distinctif de la publicité par comparaison aux autres pratiques de communication publique. La prise de position éditoriale, la communication politique et les diverses formes de communication d’intérêt comportent aussi une bonne proportion d’opinions. Par exemple, différents calculs sur les éditoriaux de quotidiens font voir des ratios arguments/opinions variant dans une fourchette de 40 à 60 %. La prise de position éditoriale semble ainsi animée d’une certaine tension à la démonstration, comme si elle ne pouvait pas se contenter de faire valoir gratuitement un point de vue. La publicité apparaît moins marquée par cette disposition. Encore ici faudrait-il étayer cette intuition par une mesure des arguments et des opinions à partir de leur définition respective, c’est-à-dire quantifier, dans des corpus larges de publicités, les articulations de proposition et de justification ainsi que les propositions isolées.

La discrétion formelle de l’argument et de l’opinion publicitaires

22Souvent, l’argument et l’opinion apparaissent dans une publicité de manière très sobre, tendant presque à un effacement prémédité.

23Dans certains cas, la superficie qu’ils occupent dans la composition du message est tout à fait réduite. C’est le cas d’une série de publicités sur le jeu (publicités 1 et 2).

Figure 1. Publicité sur le jeu

Figure 1. Publicité sur le jeu

Figure 2. Publicité sur le jeu

Figure 2. Publicité sur le jeu
  • 3 Dans deux des publicités, la proposition est réduite à une simple indication, « Jeu : aide et référ (...)

24Celles-ci comprennent l’argument :
P : [Appelez votre intervenant]3
J : [Pour ne pas perdre des moments de vie]
L’argument est littéralement écrasé par les rangées de cartes cachant des moments perdus. L’image de ces cartes ne participe pas à l’argument, mais vient seulement l’illustrer ; elle n’est pas démonstration, mais uniquement monstration. À elle seule, elle pourrait difficilement être porteuse du message de la publicité. C’est cependant elle qui occupe la plus grande surface de la publicité alors que l’argument se voit relégué à la marge.

  • 4 L’illustration n’a ici de valeur qu’esthétique, au même titre que le choix de la police de caractèr (...)

25La même retenue argumentative se retrouve dans une publicité de la Journée mondiale du sida (publicité 3) où l’argument :
P : [Utilisons le condom]
J : [Pour contrer le VIH]
occupe une place nettement restreinte par rapport à l’affirmation « Le VIH est populaire » et est imprimé dans les mêmes taille et police de caractères que l’assertion « Au Québec, 2/3 des nouvelles infections par le VIH se retrouvent chez les hommes gais ». Cette fois-ci, l’argument est spatialement comprimé par des éléments informatifs du message4.

Figure 3. Publicité de la Journée mondiale du sida

Figure 3. Publicité de la Journée mondiale du sida

26Un phénomène semblable mais sous une forme différente se trouve dans une publicité du programme de dépistage du cancer du sein (publicité 4).

Figure 4. Publicité du programme de dépistage du cancer du sein

Figure 4. Publicité du programme de dépistage du cancer du sein

27L’argument :
P : [Informez-vous]
J : [Afin de faire un choix éclairé]
est à peu près totalement dissimulé sous le jeu-questionnaire de huit questions à réponses à choix multiples.

28Dans ces trois exemples, l’argument n’est pas joué, sur le plan formel, comme un atout déterminant de la publicité. Son rôle apparaît au contraire plutôt marginal dans la mesure où sa présence physique et sa portée sémantique restent limitées. Il ne faudrait néanmoins pas en conclure que son statut dans la publicité est accessoire. En dépit de son faible poids apparent, l’argument n’en est pas un élément auxiliaire. Du fait que sa proposition consiste en une prescription, c’est bien lui qui donne son sens aux trois messages. S’il n’y figurait pas, les rangées de cartes de la campagne sur le jeu, les affirmations de la campagne sur la Journée mondiale du sida ainsi que les questions de la campagne du programme de dépistage du cancer du sein resteraient, en pratique, incompréhensibles, au sens où l’on ne saurait trop comment les interpréter dans le cadre d’un message publicitaire. L’argument fournit en quelque sorte l’axe de lecture des trois campagnes publicitaires à défaut duquel leurs messages n’auraient pas de véritable consistance. Si, donc, la disposition de l’argument dans la publicité est plutôt secondaire, celui-ci n’y exerce pas moins une fonction cruciale.

  • 5 C’est là une perspective propre à l’argumentation. Du point de vue du publicitaire, les choses se p (...)

29Il y a peut-être ici un paradoxe fournissant une clé d’interprétation de l’usage de l’argumentation en publicité. Tout se passe comme si, contrainte de recourir à un argument pour livrer convenablement le contenu du message, la publicité cherche en même temps à le mettre en retrait5. Elle le cantonne alors à une représentation étroite en l’entourant massivement d’éléments autres. Se pourrait-il qu’il s’agisse là d’une régularité ? Qu’en publicité, l’argumentation s’exprimerait le plus souvent comme un trope, in absentia plutôt qu’in praesentia, la conversion tropique visant à rendre plus économique et séduisant un argument dont l’énonciation littérale serait jugée trop complexe et rébarbative ? Ce serait ainsi presque à son corps défendant que la publicité aurait recours à l’argumentation.

30La discrétion argumentative se présente dans une autre publicité qui, par ailleurs, pose un problème d’un ordre différent.

Figure 5. Publicité de la Journée mondiale du sida

Figure 5. Publicité de la Journée mondiale du sida

31Dans un deuxième message de la Journée mondiale du sida (publicité 5), la proposition [Utilisons le condom] est, comme dans les cas précédents, relativement occultée par les autres éléments de la publicité : le déroulement séquentiel d’un condom venant, petit à petit, cacher l’affirmation que le VIH est populaire. L’image exprime manifestement l’idée que l’usage du condom a pour résultat de faire régresser le VIH jusqu’à l’éradiquer. Comme dans les publicités précédentes, l’espace accordé à l’argumentation est inférieur à la fonction centrale qu’elle exerce. Sans la proposition, qui est encore une prescription, le message risquerait de se lire comme un simple constat dénué de toute intention explicite d’inciter au port du condom. Le problème différent que pose cette publicité est que le déroulement séquentiel du condom se prête à deux interprétations distinctes. Selon la première, il ne viendrait pas en appui à la proposition, laquelle aurait alors un statut d’opinion : 
P = [Utilisons le condom]
Ø

  • 6 Cette justification pourrait bien sûr être formulée différemment.

32Selon la deuxième interprétation, nous serions plutôt devant un argument dont la teneur pleinement énoncée serait :
P = [Utilisons le condom]
J = [Parce que plus son usage sera populaire, moins le VIH le sera]6
Dans l’un et l’autre cas, l’unité argumentative est discrète, mais centrale.

33Dans d’autres publicités, une partie de l’argument est réitérée par l’image, l’illustration étant utilisée comme un procédé de renforcement.

Figure 6. Publicité appelant à la vaccination contre la grippe

Figure 6. Publicité appelant à la vaccination contre la grippe

34C’est le cas d’une publicité appelant à la vaccination contre la grippe (publicité 6) dont l’argument est explicitement exprimé : 
P = [Faites-vous vacciner pour vous et vos proches]
J = [Parce que la grippe se propage facilement]
Cette justification est aussi exprimée graphiquement par des dessins qui suggèrent la multiplication des cellules virales. L’image décentre l’attention de la seule expression énonciative de l’argument et, par là, réduit d’une autre façon l’importance de sa présence formelle dans le message.

35Un autre trait saillant de la discrétion de l’argumentation publicitaire, peut-être l’un des plus percutants, est mis en évidence par une série d’affiches sur la prévention de la toxicomanie où le slogan « Y a tellement mieux à faire que de consommer » est illustré par les photographies d’une jeune femme jouant de la guitare (publicité 7) et d’un groupe mixte de jeunes jouant au basketball (publicité 8).

Figure 7. Publicité sur la prévention de la toxicomanie

Figure 7. Publicité sur la prévention de la toxicomanie

Figure 8. Publicité sur la prévention de la toxicomanie

Figure 8. Publicité sur la prévention de la toxicomanie

36Pour décoder le message, l’interprétation spontanée est probablement la plus simple et la plus évidente. Il suffit d’associer le slogan à l’image pour convenir que le tout exprime les opinions suivantes : 
P = [Jouer de la guitare, c’est tellement mieux que de consommer]
Ø
et
P = [Jouer au basket, c’est tellement mieux que de consommer]
Ø

  • 7 Nous avons mis en évidence l’usage étendu de ce procédé dans l’éditorial que signe Bernard Descôtea (...)

37Ces deux exemples illustrent de manière assez nette que l’image peut être un élément constitutif de l’argumentation publicitaire indispensable à son intelligibilité plutôt qu’une addition plus ou moins accessoire au décodage comme dans le cas des publicités sur le jeu et la Journée mondiale du sida. En fait, dans les deux affiches, l’image vient préciser une proposition qui, autrement, resterait trop abstraite. En lui-même, le slogan « Y a tellement mieux à faire que de consommer » est d’un très haut niveau de généralité. Les photographies sont un procédé d’exemplification par lequel la proposition gagne en pertinence : la pratique d’un loisir sain, tel que la guitare ou le basketball, est une activité bien meilleure que la consommation. En quelque sorte, l’image vient fixer exactement la proposition et ainsi délimiter l’opinion à laquelle elle concourt. Ce phénomène de particularisation du message n’est pas propre à l’argumentation publicitaire. On le retrouve, sous d’autres formes, en argumentation éditoriale (et sans doute aussi en argumentation politique) où, par exemple, une affirmation universelle peut servir à exprimer un point de vue sur une situation singulière ou ponctuelle7. La caractéristique des publicités sur la prévention de la toxicomanie est que c’est l’image qui donne impulsion à ce mécanisme argumentatif. Le procédé est coutumier en publicité, domaine où il y a peu de concepteurs-rédacteurs (dont l’approche est textuelle) et surtout des directeurs artistiques (dont l’approche est visuelle), mais la prédominance du texte ou de l’image peut être conditionnée par maints autres facteurs, comme l’approche particulière d’une industrie (la parfumerie privilégie l’image) ou celle d’une discipline (le marketing direct privilégie le texte).

La visée perlocutoire de l’argumentation publicitaire

38Par ailleurs, l’examen de ces mêmes affiches permet de faire émerger un autre trait saillant de l’argumentation en publicité. Dans les premières (1 à 6), l’argument ou l’opinion correspond à la visée recherchée : inciter les joueurs à appeler un intervenant (Jeu : aide et référence), les femmes à s’informer du programme de dépistage du cancer du sein, les personnes actives sexuellement à utiliser le condom. Cette coïncidence s’explique par le fait, déjà noté, que la proposition est une prescription. L’argument ou l’opinion précise explicitement l’objectif poursuivi par la publicité. Ce n’est pas ce qui se passe dans le cas des dernières publicités sur la prévention de la toxicomanie. L’opinion est une assertion stipulant que jouer de la guitare ou jouer au basketball est mieux que consommer. La reconnaissance du contenu de cette assertion n’est très certainement pas la visée des publicités. Le résultat qu’elles tentent d’atteindre ne peut pas être la propagation des idées selon lesquelles jouer de la guitare et jouer au basket font partie des activités tellement mieux à faire que de consommer. L’objectif des publicités est plutôt d’amener les adolescents à s’abstenir de consommer. On peut d’ailleurs penser que, dans son contexte persuasif le plus habituel, la publicité n’a jamais pour but de seulement mettre en avant des assertions ou, si l’on veut, d’uniquement affirmer ou informer. Quand elles y sont présentes — ce qui n’est pas forcé —, les assertions sont au service d’une incitation à adopter un certain comportement ou à développer une certaine attitude.

39Dans le cas des publicités sur la prévention de la toxicomanie, l’objectif que les adolescents s’abstiennent de consommer n’est ni mentionné ni évoqué d’une manière le moindrement explicite. Autrement dit, il n’est le sujet d’aucune expression. Par conséquent, suivant le principe de la nécessité expressive, on ne peut considérer qu’il constitue une proposition et, par suite, un argument ou une opinion.

40Quelle est donc alors sa nature ? Il peut être assimilé à ce que l’on peut considérer comme une dimension perlocutoire de la publicité. Dans la théorie des actes de discours, un effet perlocutoire est un résultat exogène qui peut être produit par l’accomplissement d’un acte. Par exemple, une promesse peut susciter de la satisfaction et un ordre de la peur. Le propre d’un effet perlocutoire est qu’il ne relève pas de la réglementation interne de l’acte de discours et qu’il n’est donc pas garanti par l’accomplissement de celui-ci. Contrairement à l’effet illocutoire dont la réalisation est automatique parce qu’inhérente à l’accomplissement de l’acte (par exemple, une promesse réussie et accomplie sans défaut met le locuteur dans l’obligation d’effectuer la chose promise et un ordre réussi sans défectuosité impose à l’interlocuteur de faire l’action ordonnée), l’atteinte d’un effet perlocutoire reste toujours hasardeuse. Il n’est pas du tout assuré qu’une promesse entraîne de la satisfaction et un ordre de la peur : on peut vouloir susciter ces effets sans y parvenir et ils peuvent être produits sans qu’on le veuille.

  • 8 Une indication très forte du fait que la visée de persuasion n’est ainsi jamais marquée dans le con (...)

41On peut avancer l’hypothèse que l’objectif de persuasion de la publicité (et de l’ensemble des pratiques de communication publique) relève, eu égard à son contenu, d’un ordre perlocutoire. La persuasion y est visée, mais son atteinte n’est pas assurée du seul fait de la teneur du message, que la publicité soit constituée d’actes de discours, d’arguments ou de toutes autres choses8. La publicité cherche manifestement à modifier les pensées, les attitudes et les comportements. Seulement, ce résultat n’est pas automatiquement obtenu. Cela ne veut pas dire que la publicité ne réussit pas à persuader, que les ressources qu’elle emploie à cette fin sont sans efficience, mais simplement que l’effet de persuasion, aussi fort soit-il, n’est pas inéluctable ni même inhérent au contenu expressif du message.

42Du point de vue qui est ici le nôtre, c’est moins cette hypothèse qui nous intéresse que l’a priori qui la fonde : le fait que l’objectif de persuasion ne soit pas marqué dans le contenu de la publicité. Cela semble être tout à fait le cas des publicités sur la prévention de la toxicomanie dont l’objectif est d’inciter des adolescents à ne pas consommer. Il est le motif originel des messages, mais ne leur est pas intrinsèquement lié au point d’y figurer. Le fait qu’il n’y soit pas marqué expressivement et qu’il n’y soit donc pas le sujet d’un argument ou d’une opinion peut être vu à la fois comme l’indice et l’effet de son caractère perlocutoire.






43Dans une forme condensée (utilisée ici seulement à des fins de souplesse de présentation), les deux imbrications Argument-Opinion sont :
P1 [(Ne consommez pas)]
J1 = P2 [Jouer de la guitare, c’est tellement mieux que de consommer]
et
P1 [(Ne consommez pas)]
J1 = P2 [Jouer au basket, c’est tellement mieux que de consommer]

44L’objectif perlocutoire a un pendant à l’autre extrémité de la proposition : il découle d’une ou de présuppositions. Ainsi, les publicités sur la prévention de la toxicomanie (rappelons que les propositions qui y sont exprimées sont [Jouer de la guitare, c’est tellement mieux que de consommer] et [Jouer au basket, c’est tellement mieux que de consommer]) présupposent une évaluation négative de la consommation : l’idée que consommer n’est pas bien. Pas plus que l’incitation à ne pas consommer, cette appréciation ne figure explicitement dans les publicités. Elle n’y est pas exprimée. (Du reste, c’est précisément le propre des présuppositions que d’être formellement impliquées tout en n’étant pas le sujet d’une expression effective.) Par conséquent, comme l’incitation à ne pas consommer, l’évaluation que consommer n’est pas bien ne constitue pas une proposition des publicités. Leur message engage à cette présupposition, mais celle-ci ne fait pas partie en tant que telle de sa teneur argumentative.

45De tout cela se dégage un certain portrait du rapport de l’argumentation publicitaire à la logique, d’une part, et à la pragmatique, d’autre part. Elle occupe un espace autonome, mais lié à des inférences formelles et à des usages discursifs.

La structuration de l’argumentation publicitaire

46Les exemples d’argumentation publicitaire examinés jusqu’ici sont élémentaires au sens où ils ne comprennent qu’un seul argument ou une seule opinion. Il arrive que la composition des messages soit plus complexe, qu’ils ne se condensent pas dans une injonction simple et unitaire, mais se déploient au contraire dans un flux large d’information. La structure argumentative ramifiée qui en résulte est à disposition très variable.

Figure 9. Publicité sur la consultation médicale

Figure 9. Publicité sur la consultation médicale

Figure 10. Publicité sur le choix des médicaments

Figure 10. Publicité sur le choix des médicaments

Figure 11. Publicité sur le carnet de santé

Figure 11. Publicité sur le carnet de santé
  • 9 La justification est exprimée non littéralement sous le mode interrogatif : « Des questions sur la (...)

47Dans le cas de trois publicités regroupées par le MSSS sous le vocable Vigilance (publicités 9, 10 et 11), des arguments et des opinions secondaires viennent se greffer à un argument central pour constituer un ensemble argumentatif fourni.
La première a pour argument principal : 
P : [Faites-vous accompagner à votre prochain rendez-vous chez le médecin]
J : [Pour ne rien rater… et ne rien oublier]
Les éléments de l’argument sont repris par le titre coiffant la publicité et ses intertitres pour en constituer une duplication en « lecture rapide » : 
P : [À trois c’est mieux]
J : [Pour tout dire]
J : [Pour ne rien oublier]
L’argument est réitéré dans une agrégation des deux éléments justificatifs, par un nouvel énoncé vers la fin du message :
P : [Faites-vous accompagner !]
J : [Pour tirer le maximum de votre rendez-vous]
À l’argument principal sont joints une opinion et un argument accessoires. La première, une opinion d’appoint, émet une suggestion ou une recommandation relative à l’accompagnateur :
P = [Choisissez un parent ou un ami en qui vous avez confiance, quelqu’un qui a une bonne écoute, un esprit alerte et qui prend votre santé à cœur]
Ø
L’argument final de la publicité ne fait qu’ajouter une incitation d’ordre logistique au message :
P : [Ne manquez pas les chroniques « Savoir mieux vivre », du lundi au vendredi à Salut, Bonjour ! et au TVA Réseau, à 22 h ou consultez le site : www.msss.gouv.qc.ca]
J : [Pour avoir réponse à vos questions sur la santé]9

48La deuxième publicité Vigilance, dont le slogan est « Se soigner soi-même », a pour objet d’inciter à recourir, pour certains problèmes de santé, au pharmacien et aux médicaments en vente libre et de marquer les conditions dans lesquelles ce recours doit être effectué. Son argument central (exprimé non littéralement) est :
P : [Tournez-vous vers la pharmacie et les médicaments sans ordonnance]
J : [Pour certains malaises pour lesquels il n’est pas besoin de voir un médecin]
Cet argument est ensuite relayé par un argument subsidiaire qui encourage à la consultation du pharmacien (dont les justifications sont en intertitres) : 
P : [Il ne faut pas hésiter à lui demander conseil]
J : [Pour choisir le bon médicament]
J : [Pour en connaître le bon usage]
Une opinion vient compléter ce second argument :
P = [Avant de prendre un médicament, il faut en connaître les effets secondaires et les contre-indications]
Ø
Comme la première, cette publicité de la campagne Vigilance se ferme sur un argument au sujet de sources d’information additionnelles : 
P : [Ne manquez pas les chroniques « Savoir mieux vivre », du lundi au vendredi à Salut, Bonjour ! et au TVA Réseau, à 22 h ou consultez le site : www.msss.gouv.qc.ca]
J : [Pour en savoir plus sur les médicaments]

49La dernière publicité de la série a pour argument pivot une recommandation de se munir d’un carnet de santé. Deux justifications distinctes sont invoquées à l’appui de cette proposition pour donner lieu à deux arguments complémentaires : 
P : [Créez votre carnet de santé]
J : [Pour être certain de ne rien oublier]
et : 
P : [Créez votre carnet se santé]
J : [Il aidera le professionnel à poser un bon diagnostic et à vous recommander un traitement approprié]
L’argument est aussi réitéré sous un mode prescriptif vers la fin du message : 
P : [Présentez votre carnet de santé chez le médecin et à l’hôpital]
J : [Sachez vous faire soigner]
Auparavant, les différents éléments que le carnet doit contenir sont déclinés dans une série de quatre prescriptions constitutives d’autant d’opinions :
P = [Votre carnet de santé doit comprendre votre histoire médicale]
Ø
P = [Demandez à votre pharmacien de vous imprimer la liste à jour des médicaments que vous prenez sous ordonnance. Ajoutez-y les médicaments que vous prenez sans ordonnance de même que les produits naturels, vitamines et suppléments alimentaires]
Ø
P = [N’oubliez pas d’inscrire les vaccins que vous avez reçus et la date de la vaccination]
Ø
P = [Avant de prendre un médicament, il faut en connaître les effets secondaires et les contre-indications]
Ø
La publicité se ferme sur un argument similaire à celui des deux premières :
P : [Ne manquez pas les chroniques « Savoir mieux vivre », du lundi au vendredi à Salut, Bonjour ! et au TVA Réseau, à 22 h ou consultez le site : www.msss.gouv.qc.ca]
J : [Pour avoir réponse à vos questions sur la santé]

50Ce triptyque de publicités illustre éloquemment comment les arguments et les opinions peuvent, dans un message, être soumis à un arrangement structuré complexe. Il est aussi un excellent exemple de l’intégration de l’information à l’argumentation publicitaire dans une série de messages que les publicitaires, précisément pour cette raison, qualifieraient de « campagne d’information ».

Conclusion

51La présence optionnelle, la prédominance de l’opinion, la discrétion formelle, la visée perlocutoire et l’intégration structurelle constituent les traits saillants de l’argumentation publicitaire mis en lumière par cet examen de quelques publicités du MSSS. L’objectif de cette analyse n’était pas de fournir une caractérisation intégrale du recours à l’argumentation en publicité, mais d’en cerner en première approximation les contours généraux. Ses résultats et la considération précritique de corpus plus étendus de publicités du MSSS ouvrent tout de même à l’exploration de caractéristiques d’ensemble du contexte d’usage de l’argumentation publicitaire.

  • 10 Nombre de sociologues, tels Blumer, Spector et Kitsuse, estiment que les problèmes sociaux ont une (...)

52Deux relations se font jour à ce propos : entre la présence d’arguments et les types de médias utilisés ainsi qu’entre le recours à l’argumentation et l’état d’avancement d’une campagne eu égard à l’évolution du problème social sur lequel elle porte. Nous pensons que l’analyse du recours à l’argumentation en publicité passe, d’une part, par l’examen serré de ces corrélations entre l’usage publicitaire des arguments et la nature des supports médiatiques utilisés et, d’autre part, par l’âge des causes sociales — c’est-à-dire les problèmes sociaux envisagés sous l’angle de leur résolution et en fonction de l’état d’avancement de leur carrière dans l’arène publique10. Tel sera l’objectif de la prochaine étape de recherche. Celle-ci portera sur des campagnes complètes, c’est-à-dire comprenant tous les éléments publicitaires et supports médiatiques (télévision, radio, imprimé, Web), et aura deux dimensions : une dimension synchronique, couvrant une période fixe d’une campagne, et une dimension diachronique, portant sur le développement à travers le temps d’une campagne.

Haut de page

Bibliographie

ADAM, Jean-Michel et Marc BONHOMME (2005), L’argumentation publicitaire : rhétorique de l’éloge et de la persuasion, Paris, Armand Colin.

BLAIR, J. Anthony (2012), « Argumentation as rational persuasion », Argumentation, 26(1) : 71-81.

BLUMER, H. (1971), « Social problem as collective behavior », Social Problems, 18(3) : 298-306.

COOPER, Troy B. (2009), « Appropriating visual form : The iPod <Silhouette> campaign as representative form », Visual Communication Quarterly, 16(2) : 90-107.

DAVIS, Anne (2010), « Glamorization of gore through visual argument : An analysis of Dexter advertisements », National Communication Association/American Forensic Association (Alta Conference on Argumentation), p. 54-59.

GAUTHIER, Gilles (2002), « L’argumentation éditoriale. Le cas des quotidiens québécois », Studies in Communication Sciences, 2(2) : 21-46.

GAUTHIER, Gilles (2005), « Argumentation et opinion dans la prise de position éditoriale » dans Marcel BURGER et Guylaine MARTEL (dir.), Argumentation et communication dans les médias, Québec, Éditions Nota bene, p. 131-155.

GAUTHIER, Gilles (2007a), « La structure et les fondements de l’argumentation éditoriale », Les Cahiers du journalisme, 17 : 322-342.

GAUTHIER, Gilles (2007b), « Editorial argumentation in the American press. A look at the New York Times and Washington Post » [En ligne]. http://www.com.ulaval.ca/fileadmin/contenu/docs_pdf/articles/articles_profs/Editorial_Argumentation.pdf.Page consultée le 29 novembre 2012.

GAUTHIER, Gilles (2008), « La discussion éditoriale », Communication, 26(2) : 151-173.

GAUTHIER, Gilles (2010), « Le problème du repérage des arguments. Le cas de l’éditorial journalistique », Communication, 28(1) : 71-100.

GAUTHIER, Gilles (2012), « L’argumentation éditoriale du Devoir sur la question nationale. Du fédéralisme de Claude Ryan au souverainisme de Lise Bissonnette », Communication, 29(2) [En ligne]. http://communication.revues.org/index2759.html. Page consultée le 29 novembre 2012.

GUSFIELD, J. R. (1996), Contested Meanings. The Contruction of Alcohol Problems, Madison, University of Wisconsin Press.

LAVANANT, Didier (2006), Concepteur-rédacteur en publicité, Paris, Vuibert.

SPECTOR, M. et J. L. KITSUSE (1977), Constructing Social Problems, Menlo Park, Cummings Editons

SPROULE, Michael (1980), Argument : Language and its Influence, New York, McGraw-Hill.

Haut de page

Notes

1 Une autre limitation de notre corpus est que le MSSS a développé avec le temps un discours de marque et une fidélité à quelques agences qui favorisent fatalement le recours à certaines manières de faire et, donc, en limitent la variété malgré la diversité des cibles et des problèmes abordés.

2 Une procédure à cet effet peut être établie et comprendre, parmi d’autres éléments, un principe d’« interprétabilité », un test d’opposition, l’attention à des indicateurs argumentatifs et la possibilité de paraphraser les énoncés en leur ajoutant de tels marqueurs. Comme nous n’avons pas besoin, dans le cadre du présent article, de mettre à contribution cette quincaillerie méthodologique, nous nous dispensons de la définir avec plus de précision.

3 Dans deux des publicités, la proposition est réduite à une simple indication, « Jeu : aide et référence », suivie d’un numéro de téléphone. Par ailleurs, dans tous les cas, la justification est exprimée indirectement par la question « Combien de moments voulez-vous perdre ? ».

4 L’illustration n’a ici de valeur qu’esthétique, au même titre que le choix de la police de caractères.

5 C’est là une perspective propre à l’argumentation. Du point de vue du publicitaire, les choses se présentent à l’inverse : le traitement créatif puise à divers procédés de séduction ludique pour rehausser la valeur persuasive de l’argumentation. C’est ainsi que les publicités 1, 2, 3 et 5 de notre corpus utilisent un procédé du mot d’esprit par lequel l’argument est la réponse et non la prémisse, la compétence analytique et la créativité latente du lecteur étant ainsi mises à l’épreuve pour dénouer le sens du message. L’absence de tels procédés et la prédominance du contenu informatif permettent d’avancer que les publicités 6, 9, 10 et 11 ne sont pas le fait de publicitaires professionnels.

6 Cette justification pourrait bien sûr être formulée différemment.

7 Nous avons mis en évidence l’usage étendu de ce procédé dans l’éditorial que signe Bernard Descôteaux du Devoir le 12 septembre 2001 au lendemain des attaques des tours du World Trade Center. Il y affirme, entre autres choses : « Aucune cause, si juste soit-elle, ne saurait justifier des actes terroristes lorsqu’ils visent des victimes dont la seule faute est de ne pas partager les mêmes valeurs que leurs assaillants. » Bien que son propos porte explicitement sur toute cause et tout acte terroriste, quels qu’ils soient, qui visent des victimes adhérant à des valeurs différentes de celles des assaillants, le contexte énonciatif nous informe tout à fait clairement que Descôteaux ne cherche pas seulement à émettre un avis théorique général, mais juge injustifiables les attentats du 11 septembre. La proposition de ce jugement particulier est exprimée non littéralement par l’expression littérale d’une proposition universelle : Descôteaux avance que les attentats contre New York et Washington ne sont pas justifiables en soutenant qu’aucune cause, si juste soit-elle, ne saurait justifier des actes terroristes lorsqu’ils visent des victimes dont la seule faute est de ne pas partager les mêmes valeurs que leurs assaillants.

8 Une indication très forte du fait que la visée de persuasion n’est ainsi jamais marquée dans le contenu du message est qu’il n’y a pas de verbe performatif nommant l’acte de persuader. Contrairement à promettre qui peut servir à accomplir une promesse et à ordonner qui peut servir à effectuer un ordre, n’existent pas les performatifs donner satisfaction, faire peur et persuader désignant les actes de donner satisfaction, de faire peur et de persuader.

9 La justification est exprimée non littéralement sous le mode interrogatif : « Des questions sur la santé ? »

10 Nombre de sociologues, tels Blumer, Spector et Kitsuse, estiment que les problèmes sociaux ont une carrière publique (dont les phases principales sont les âges suivants : l’émergence, la maturité et le déclin, la maturité étant habituellement marquée par une prise en charge du problème par l’État). Quand on étudie les problèmes sociaux sous l’angle de leur résolution, on étudie les « causes sociales » et leurs promoteurs, car il serait inconséquent de parler des « promoteurs de problèmes sociaux ». Il y a aussi des cas de résurgence. C’est ainsi que le sociologue Gusfield décrit la lutte contre l’alcool au volant aux États-Unis comme la résurgence d’une cause plus ancienne et qu’on croyait définitivement révolue : la cause de la prohibition de l’alcool. Le mot cause, polysémique, doit donc être entendu ici dans son sens qui réfère à une idéologie dont on fait la promotion (par exemple, l’écologie, l’égalité des sexes, la démocratie sont des causes sociales qui ont toutes leurs promoteurs et leurs détracteurs) et non dans son sens scientifique de « causalité » (par exemple, les facteurs socioéconomiques comme causes sociales de la criminalité).

Haut de page

Table des illustrations

URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/communication/docannexe/image/4984/img-1.png
Fichier image/png, 3,3k
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/communication/docannexe/image/4984/img-2.png
Fichier image/png, 3,4k
Titre Figure 1. Publicité sur le jeu
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/communication/docannexe/image/4984/img-3.png
Fichier image/png, 739k
Titre Figure 2. Publicité sur le jeu
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/communication/docannexe/image/4984/img-4.png
Fichier image/png, 856k
Titre Figure 3. Publicité de la Journée mondiale du sida
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/communication/docannexe/image/4984/img-5.png
Fichier image/png, 211k
Titre Figure 4. Publicité du programme de dépistage du cancer du sein
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/communication/docannexe/image/4984/img-6.png
Fichier image/png, 69k
Titre Figure 5. Publicité de la Journée mondiale du sida
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/communication/docannexe/image/4984/img-7.png
Fichier image/png, 123k
Titre Figure 6. Publicité appelant à la vaccination contre la grippe
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/communication/docannexe/image/4984/img-8.png
Fichier image/png, 797k
Titre Figure 7. Publicité sur la prévention de la toxicomanie
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/communication/docannexe/image/4984/img-9.png
Fichier image/png, 497k
Titre Figure 8. Publicité sur la prévention de la toxicomanie
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/communication/docannexe/image/4984/img-10.png
Fichier image/png, 610k
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/communication/docannexe/image/4984/img-11.png
Fichier image/png, 3,6k
Titre Figure 9. Publicité sur la consultation médicale
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/communication/docannexe/image/4984/img-12.png
Fichier image/png, 86k
Titre Figure 10. Publicité sur le choix des médicaments
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/communication/docannexe/image/4984/img-13.png
Fichier image/png, 92k
Titre Figure 11. Publicité sur le carnet de santé
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/communication/docannexe/image/4984/img-14.png
Fichier image/png, 91k
Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Christian Desîlets et Gilles Gauthier, « L’usage de l’argumentation en publicité »Communication [En ligne], Vol. 32/2 | 2013, mis en ligne le 05 avril 2014, consulté le 21 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/communication/4984 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/communication.4984

Haut de page

Auteurs

Christian Desîlets

Christian Desîlets est professeur au Département d’information et de communication à l’Université Laval. Courriel : Christian.Desilets@com.ulaval.ca

Gilles Gauthier

Gilles Gauthier est professeur au Département d’information et de communication à l’Université Laval. Courriel : gilles.gauthier@com.ulaval.ca

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search