Kathleen TAMISIER (2012), L’abécédaire des écrits professionnels. La rédaction administrative et d’entreprise de A à Z
Kathleen TAMISIER (2012), L’abécédaire des écrits professionnels. La rédaction administrative et d’entreprise de A à Z, Cormelles-Le-Royal, Éditions EMS
Texte intégral
1Dans une société contemporaine où l’on ne cesse de stigmatiser la perte de vitesse et la relative déconsidération de l’écriture et de la rédaction sous toutes leurs formes au profit de formes d’expression plus ludiques, plus attrayantes, moins engageantes et moins normées, il est intéressant d’observer de nos jours en France un accroissement considérable du recours à l’écrit dans le cadre professionnel et administratif, mais aussi dans celui des organisations et des institutions nationales et internationales. Cet état de fait, pour riche et paradoxal qu’il soit, doit néanmoins être soumis à un examen scientifique rigoureux doublé d’une approche méthodologique cohérente et structurée.
2C’est la fonction que s’assigne l’ouvrage remarquable publié en 2012 par Kathleen Tamisier aux Éditions EMS et qui s’intitule L’abécédaire des écrits professionnels. La rédaction administrative et d’entreprise de A à Z. Titulaire d’un doctorat en sciences sociales, Tamisier dirige la société GUIDANCE Formation-Conseil et exerce depuis plus de dix ans le métier de formatrice consultante auprès d’organismes de formation et d’enseignement privés et publics (universités). Au cours de sa carrière de formatrice consultante et de ses nombreuses et enrichissantes rencontres, elle a acquis une riche expérience et élaboré une méthodologie personnelle de l’écriture administrative et professionnelle qu’elle a réinvestie dans la rédaction de cet ouvrage.
3Dans l’avant-texte constituant le préambule de l’ouvrage, l’auteure remarque fort justement que « ce n’est ni chez les libraires ni dans les salons du livre que l’on rencontre le plus de professionnels de l’écriture, mais dans l’Administration. Car celle-ci, premier employeur de France, a à son service des centaines de milliers de personnes précisément payées pour rédiger, à longueur de journées, lettres, courriers, rapports, notes, comptes rendus et procès-verbaux » (p. 9). Cette remarque préliminaire sur le fonctionnement particulier de l’Administration en France en appelle immédiatement une autre : « […] rappelons en effet ce constat d’évidence : le Service public (comme la plupart des entreprises, d’ailleurs) pense, communique, et agit par écrit » (p. 9). Ce poids, cette prégnance de l’écriture sur la pensée, sur la communication et sur le fonctionnement du service public français se traduit par la multiplication de documents de toutes sortes qui sont produits et échangés chaque jour dans les différentes administrations (mais aussi dans la plupart des grandes entreprises), documents qui sont parfois formulés dans un langage abscons et structurés de manière anarchique :
Or l’écriture professionnelle est un genre spécifique. Elle requiert des règles de préparation, de conception et de rédaction rigoureuses, qui doivent plus aux vertus de la méthode qu’au hasard ou à l’empirisme. Elle exige donc une grande rigueur de forme et de fond, et une connaissance claire, déjà, des règles présidant à ce genre rédactionnel spécifique (p. 9).
4Pourtant, dans la pratique, au jour le jour, le poids des habitudes autant que l’urgence vont souvent à l’encontre de la clarté et de l’exhaustivité qui devraient être le propre de cet exercice rédactionnel. L’administration, l’organisation et les principaux artisans de la communication interne et externe sont alors aux prises avec un problème d’incompréhension et doivent faire face à des retards qui provoquent l’agacement et l’exaspération des usagers :
[…] beaucoup de négligences gâchent de l’encre et des feuilles, qu’il s’agisse du style, de l’expression, des règles de base du français, ou encore de l’utilisation d’un vocabulaire non approprié. Toutes ces imprécisions desservent l’Administration et altèrent l’image de marque du Service public (p. 9).
5Il existe là un paradoxe douloureux : d’un côté, il y a une kyrielle de courriers et de rapports à rédiger, de l’autre, une véritable pénurie de bonnes plumes sachant faire montre d’efficience, de concision et de clarté. Cela constitue un véritable manque à gagner pour tous les services pratiquant de manière professionnelle et en pure perte l’écriture. Cet abécédaire a pour objectif de donner « aux <écrivants> les <outils> et les méthodes qui vont leur permettre de rédiger rapidement et efficacement des écrits professionnels objectifs, précis, concis » (p. 10). Il s’agit d’un ouvrage de méthodologie du « savoir-écrire » qui constitue la condition sine qua non d’une communication accomplie qui doit nécessairement passer par l’application rigoureuse d’une méthode de travail professionnelle qui tend vers l’objectif du « 100 % qualité et zéro défaut ». Comme l’écrit Tamisier, « maîtriser les règles de l’écriture (ce qui devrait être un prérequis pour tous les professionnels de la rédaction), c’est être en possession d’un savoir tourné vers les autres. Cette science des mots et déjà des idées est aussi un outil d’émancipation personnelle et professionnelle » (p. 11).
6S’intéressant à l’argumentation en contexte professionnel — qui consiste à justifier une opinion en exposant à un tiers de bonnes raisons d’adhérer aux idées qu’on lui présente —, l’auteure rappelle que l’agent du service public, ayant la loi et les règlements de son côté, « n’a donc pas à faire preuve de grands talents de persuasion : il énonce les faits, juste les faits, rien que les faits, et il rappelle ce qu’en disent les textes » (p. 14). Cependant, il existe des cas où le simple rappel des textes de loi n’est pas suffisant et où l’agent du service public doit argumenter, par exemple pour faire entendre raison à un plaignant.
7En tout état de cause, la maîtrise des compétences rédactionnelles au sein de l’administration répond à un besoin crucial de clarté et s’inscrit dans une stratégie de communication (c’est-à-dire, si l’on convoque l’étymologie latine du mot, de « mise en relation » et aussi bien « d’échange d’information ») plus globale qui est pensée et définie par plusieurs acteurs et décideurs : « […] c’est pour une administration ou une entreprise, la capacité à transmettre, en interne ou en externe, des messages répondant à des objectifs précis, qui seront perçus de manière claire » (p. 25).
8Tamisier met particulièrement l’accent sur le domaine de la communication interne et rappelle que l’objectif clairement affiché est d’assurer la diffusion efficace de l’information vers chaque bureau, chaque agent, chaque employé. Pour ce faire, il faut suivre à la lettre une stratégie de communication qui repose sur cinq points. Toute démarche communicationnelle doit d’abord « viser à l’efficacité en termes de compréhension et d’action. Elle doit répondre à un principe d’utilité de la communication et de l’information pour l’émetteur et le récepteur » (p. 26). La simplicité et la clarté doivent ensuite préexister à toute communication : « […] tout message et toute action doivent être pensés et conçus pour être accessibles à tous et compris spontanément par le plus grand nombre » (p. 26).
9En outre, le professionnel de l’écriture doit veiller à sélectionner l’outil le plus approprié à la tâche qu’il doit accomplir pour garantir la plus grande fluidité possible : « […] toute action doit utiliser le vecteur d’information et/ou de communication le mieux adapté pour assurer une circulation rapide et optimale vers les destinataires » (p. 27).
10Le scripteur doit ensuite veiller à faire preuve de cohérence : « […] cette cohérence sous-entend une adéquation entre les messages, leurs vecteurs et leurs destinataires » (p. 27).
11Enfin, l’élaboration et la mise en fonction d’une stratégie de communication n’étant pas gratuites (tant s’en faut), elles doivent donc « être [mises] en œuvre en fonction d’un rapport efficacité/coût » (p. 27) pour éviter qu’une simple lettre (coûtant une dizaine d’euros, si l’on additionne tous les facteurs) ne soit envoyée en pure perte.
12Afin que la communication ne soit pas dysfonctionnelle et ne manque pas son objectif en raison d’une insuffisante préparation et de défauts structurels, le rédacteur professionnel doit avant tout répondre à un impératif de lisibilité. Il doit utiliser des phrases simples et un vocabulaire précis adapté à son public, et utiliser les tournures propres au langage administratif auxquelles ses supérieurs hiérarchiques sont parfaitement habitués et qu’ils utilisent tous les jours dans leurs échanges professionnels.
13En définitive,
un texte lisible est un texte dont la compréhension est aisée et immédiate pour le ou les lecteurs auxquels le rédacteur s’adresse. Le texte est lisible si, dès la première lecture, le lecteur a compris l’essentiel de la communication. Ce n’est pas au lecteur de décoder le message. Le rédacteur doit choisir la simplicité afin de rendre son écrit accessible. C’est la première politesse qu’il doit à son lectorat (p. 63).
14Tamisier présente ensuite une typologie précise et remarquablement éclairante dans laquelle elle détaille à grand renfort d’exemples et d’explications les principes définitoires de l’écriture administrative, organisationnelle ou institutionnelle.
15Le rédacteur professionnel (qu’il travaille dans le service public ou dans une entreprise privée) doit avant tout « rédiger avec clarté […] [pour] permettre au plus grand nombre d’accéder à notre langage administratif » (p. 93). Il doit ensuite faire preuve de courtoisie « par l’utilisation de certaines formules, voire d’un style que l’on peut considérer comme solennel. En fait, cette façon de rédiger possède l’avantage de traduire l’impartialité et la courtoisie de l’administration vis-à-vis du destinataire » (p. 93). L’administration sert l’intérêt général, c’est pourquoi elle doit se garder de prendre position, de faire état d’opinions et de sentiments. Le rédacteur doit en conséquence adopter « un style impersonnel et homogène, […] neutre, sans passion ni enthousiasme, c’est-à-dire sans expressions subjectives ou émotionnelles » (p. 94). L’écriture professionnelle recourra donc à un « vocabulaire adapté au destinataire » (p. 94). Enfin, tout rédacteur professionnel doit utiliser un « style sobre, dépouillé de toute originalité, humour, expression de sentiments personnels […] [et s’efforcer d’être] neutre, clair et objectif » (p. 94). Pleinement consciente que l’écriture dans la sphère du travail ne s’accommode pas toujours du plaisir du texte barthésien, l’auteure rappelle fort à propos que le rédacteur professionnel et administratif écrit avant tout pour être lu par ses pairs et ses supérieurs, y compris par les décideurs, suivi par ses subordonnés, qui doivent parfois lui obéir.
16Elle montre que le savoir-écrire sert tout au long de la vie, qu’il s’agit d’une manière d’être reconnu et apprécié pour ses qualités et ses compétences, mais aussi d’un outil pour s’émanciper de certaines pesanteurs hiérarchiques et institutionnelles et pour assurer sa propre promotion. Clair, précis et reposant sur une méthodologie d’une remarquable efficacité, cet ouvrage constitue une bible pour tous ceux et celles qui pratiquent dans les organisations et les administrations l’écriture de manière professionnelle.
Pour citer cet article
Référence électronique
Alexandre Eyries, « Kathleen TAMISIER (2012), L’abécédaire des écrits professionnels. La rédaction administrative et d’entreprise de A à Z », Communication [En ligne], Vol. 32/2 | 2013, mis en ligne le 04 avril 2014, consulté le 13 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/communication/4982 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/communication.4982
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