1La politique d’immigration au Québec est, à bien des égards, différente de celles pratiquées ailleurs dans les pays industrialisés, y compris le Canada dont il fait partie. Dans un contexte international marqué par des flux migratoires intenses, les pays d’accueil se dotent de programmes d’intégration des populations en fonction de leurs besoins : politique d’assimilation aux États-Unis, multiculturelle au Canada, modèle républicain en France. Plus encore, beaucoup de ces pays sont reconnus pour leur ouverture sur l’immigration, mais invitent cependant les populations à se plier à leurs normes internes :
Les grandes puissances que sont les États-Unis, la France, la Grande-Bretagne, sont des terres d’accueil où l’on débat beaucoup des niveaux d’immigration, de la sélection, des droits des citoyens et des nouveaux arrivants. Mais on va rarement jusqu’à tenter de définir dans les politiques publiques ce que pourraient être les modèles d’accueil et les actions d’intégration. C’est que les grandes puissances sont naturellement assimilatrices et peuvent dicter leurs conditions aux nouveaux venus (Mègre, 1998 : 29).
2La particularité du Québec, connu pour son modèle interculturel, vient sans doute de ses préoccupations identitaires, de son histoire conflictuelle avec le gouvernement fédéral et de sa volonté d’intégration de ses immigrants. Au cours des années 1970, le gouvernement fédéral, qui a géré pendant longtemps la question de l’immigration, a adopté la politique officielle du multiculturalisme qui considère le pluralisme comme l’essence de la société canadienne. Cette ouverture a permis au Québec de cogérer les flux migratoires destinés à sa province qui a établi progressivement ses normes d’accueil et d’intégration des populations concernées.
3Le nombre d’immigrants reçus par la province est depuis lors considérable :
Si le Québec était un pays, il se situerait au dixième rang des nations du monde, pour ce qui est du nombre de réfugiés et d’immigrants accueillis chaque année ; il serait donc parmi les rares pays industrialisés encore largement ouverts à l’immigration. Sauf incidents isolés, les tensions raciales et les débats sur la fermeture des frontières y sont minimaux et marginaux eu égard à ce qu’on peut observer dans certaines régions des États-Unis ou en Europe (Bissonnette, 2000 : 29).
- 1 Comme le souligne Bruno Mègre (1998 : 29) : « Les différences entre le multiculturalisme et l’inte (...)
4Le fait migratoire suscite, en effet, plusieurs questionnements au Québec. En reconnaissant le droit d’immigration aux personnes, la société québécoise intervient dans leur cheminement en vue de leur intégration fonctionnelle. Le multiculturalisme prôné par le Canada qui invite au pluralisme semble réducteur pour cette province. C’est pour cela que le Québec propose le modèle de « convergence » basé sur un contrat moral avec ses immigrants. Ces derniers, en effet, sont appelés à adhérer à des valeurs communes de la société qui reconnaît en échange leur identité, leur différence et les intègre au tronc de ses valeurs communes. Les grilles de sélection ciblent les candidats potentiels qui ont le plus de chances de s’adapter aux normes de la société sans se soucier de leurs traditions, de leurs croyances culturelles et des lieux d’où ils viennent1.
5Il faut souligner aussi que l’immigration québécoise intéresse toutes les composantes de la société, qu’elles soient du secteur public, parapublic ou privé, y compris les services municipaux, les universités, le secteur de la santé, les ONG, le secteur culturel, l’éducation… En effet, cette population fréquente les services publics au même titre que les autres citoyens, mais apporte ses particularités d’usage, de comportement et d’attitudes sociales. La gestion de la diversité culturelle s’avère incontournable et requiert l’engagement des parties concernées à différents niveaux.
6À cet égard, des programmes de formation sont organisés dans les établissements publics, les organismes communautaires et les entreprises privées ou en coordination entre ces instances pour rendre compte des modalités de gestion de la diversité en milieu professionnel et dans la vie sociale active. Des études et des réflexions sont également menées pour identifier les situations conflictuelles et tenter d’y remédier.
7Mais l’État, en tant que promoteur principal de l’immigration au Québec, établit, de concert avec ses partenaires, la politique générale d’admission de ses immigrants et est présent à tous les niveaux, depuis la recherche des candidats potentiels à leur accueil, leur établissement et leur intégration et dans toutes les activités sociales, économiques, culturelles, éducatives auxquelles cette population est associée. Il accompagne aussi les autres instances privées et parapubliques dans leurs efforts à l’égard de leur clientèle immigrante et mène plusieurs activités de sensibilisation de la population au rôle de l’immigration dans le développement.
8Compte tenu donc de ce rôle décisif des pouvoirs publics et des particularités de la province mentionnées plus haut, peut-on considérer que l’action gouvernementale se dirige vers la mise en place de relations publiques citoyennes ?
9Cette question se pose quand on connaît le modèle actuel de gestion des flux migratoires au Québec, dans un contexte doublement problématique : au niveau national où la relation conflictuelle avec le fédéral pousse jusqu’à la volonté de souveraineté et au niveau international où la conjoncture économique fluctuante dicte les règles à suivre aux pays d’accueil en donnant la priorité à leurs concitoyens. Notre hypothèse est justifiée aussi par :
-
le saut qualitatif considérable dans l’accueil des nouveaux venus et les mesures qui l’accompagnent ;
-
la démarcation par rapport à plusieurs contrées qui ressemblent au Québec, notamment les pays nordiques réputés pour l’ouverture limitée et contraignante de leurs frontières. La province privilégie son modèle de « convergence » ;
-
les mutations sociales de la société québécoise qui est passée, depuis quelques décennies, du statut de société traditionnelle et patriarcale à une société moderne dotée des valeurs de liberté et de démocratie ;
-
l’ouverte sur le monde, accompagnée d’une volonté d’accroissement des populations immigrantes et de leur participation au développement.
10Le projet québécois est donc passé d’une ère de subordination à une prise en charge importante de sa politique en la matière en fixant rapidement des normes d’admission qui tiennent compte du processus d’adaptation aux normes locales. Pour accueillir toute cette population, des campagnes de communication sont aujourd’hui organisées, en amont et en aval de l’accueil et un réseau organisationnel est mobilisé à différents niveaux.
11Cet article ne peut prétendre cerner toute la problématique de l’immigration selon la perspective évoquée. Nous nous contenterons de focaliser l’attention sur l’accueil réservé aux immigrants par le ministère de l’Immigration, dans toutes ses configurations, et sur le rôle des acteurs concernés, en commençant par un bref aperçu historique de l’immigration au Québec, avant de préciser jusqu’à quel point la politique préconisée peut s’inscrire dans le cadre de relations publiques citoyennes. Le volet historique servira à montrer le passage d’une politique fédéraliste puissante à une autonomie de gestion des affaires internes des provinces en matière d’immigration.
12Mais d’abord, pourquoi l’accueil ? Et, à quoi réfère le concept de relations publiques citoyennes dans ce contexte précis ?
13Dans le contexte de l’immigration québécoise, l’accueil est un aspect déterminant dans le processus d’admission et d’installation. Il peut favoriser l’adaptation et l’intégration des nouveaux arrivants à la société d’accueil. Mais s’il n’est pas suffisamment encadré, il pourra l’empêcher ou céder ce rôle à des canaux d’information et d’influence informels (groupes ethniques, communautaires, voisinage, famille, connaissances, etc.). Dans ce cas, le risque de voir se former des populations isolées et autarciques augmente et peut entraîner des conséquences néfastes, dans une contrée qui accueille quotidiennement un nombre important de personnes appelées à contribuer au développement du tissu économique et social et à relever le défi de l’intégration.
- 2 À souligner ici que le pourcentage des immigrants qui obtiennent la citoyenneté au Québec atteint (...)
14Quant au concept de relations publiques citoyennes, il concerne, dans ce contexte, les initiatives du ministère en charge de l’immigration auprès des composantes de la société en vue d’intégrer socialement les nouveaux venus pour réaliser les objectifs gouvernementaux. Il est évident que la contribution citoyenne à la vie collective est un construit qui repose sur divers enjeux de relations entre individus et groupes dans un contexte donné. Les pratiques citoyennes se caractérisent par le souci de montrer comment vivre ensemble et de contribuer au développement de toute la communauté. Le terme de citoyenneté revêt d’ailleurs deux sens différents. Le premier relève du cadre juridique et formel2 et le second — privilégié dans cette étude — est d’ordre empirique, il renvoie à la « citoyenneté sociologique », liée aux droits d’une communauté au sein d’un territoire.
- 3 Voir par exemple le commentaire de Danielle Maisonneuve (1999) qui considère que l’appellation « r (...)
15De plus, les nombreuses approches des relations publiques élaborées depuis le début du vingtième siècle, notamment aux États-Unis, ont contribué à l’enrichissement et à l’évolution de cette discipline. Malgré les réserves3 émises, à juste titre, par les chercheurs et les praticiens sur la définition du concept et son extension, le terme demeure celui que choisissent la plupart des études qui investissent dans ce champ du savoir. Les divergences d’opinion touchent également la pratique et les limites de la discipline. Les avis à ce sujet sont partagés. D’un côté, l’on adopte une position de méfiance, marquée par des stéréotypes évoquant les faiseurs d’images d’affaires (the image making business), qui vont jusqu’à détourner les vérités. De l’autre côté, on considère les relations publiques comme une nécessité pour la démocratie qui les décrit comme des méthodes par lesquelles la société s’ajuste aux circonstances de changement et résout les conflits entre les attitudes opposées, les idées, les institutions et les personnes.
16Les secteurs couverts par les relations publiques sont variés et touchent les institutions, les départements gouvernementaux, les milieux d’affaires, les syndicats, les ONG, les hôpitaux, les institutions éducatives et religieuses. Pour atteindre leurs objectifs, ces institutions doivent développer des relations avec leur environnement, constitué la plupart du temps de plusieurs publics, dont les employés, les membres, les clients, les communautés locales et le public en général.
17Pour mieux approcher leurs publics et atteindre leurs objectifs, les institutions ont besoin de comprendre les attentes et de décoder les attitudes des récepteurs. Les objectifs sont alors façonnés par l’environnement externe, ce qui place les relations publiques devant des défis importants dont l’acquisition et le développement de plusieurs savoirs.
18Compte tenu de leur champ d’intervention, les relations publiques touchent plusieurs domaines et se situent au centre des relations d’intérêt commun entre les organisations, les institutions, les groupes… et leurs publics cibles. Dans sa définition des relations publiques, Cutlip (1985) parle de fonction de management qui identifie, établit et maintient des relations de bénéfice mutuel entre une organisation et ses divers publics desquels dépend le succès ou l’échec d’une telle organisation. Grunig (1984) insiste sur le management de communication entre une organisation et ses publics. Les deux définitions intègrent des éléments de la définition de Rex F. Harlow qui a réuni et analysé 472 définitions des relations publiques en les divisant selon plusieurs éléments de classification avant de proposer une définition à la fois conceptuelle et opérationnelle, qui met l’accent sur l’établissement et le maintien de lignes de communication mutuelle, la compréhension, l’acceptation et la coopération entre un organisme et ses publics (Cutlip, 1985 : 4).
19Aborder l’accueil dans une perspective de relations publiques gouvernementales peut paraître superflu si l’on s’en tient à l’hypothèse que les relations publiques contribuent à accroître la notoriété et les bénéfices des entreprises privées. La question serait alors, comme le soulignent Dion et Lamarre (1986 : 26) : quels seraient les objectifs des institutions publiques « où rien n’est à vendre et tout est à prendre (… selon les règles !) ? ».
20Évidemment, il y a un souci d’information, de sensibilisation, d’identification des besoins et de concertation avec un public qui assume les coûts des prestations. Il est reconnu dans ce sens que la pratique des relations publiques par le gouvernement dans une société démocratique se base sur trois critères (Baker, 1997) :
-
la communication bidirectionnelle doit aider le mieux le gouvernement et les citoyens à faire des choix informés ;
-
un gouvernement démocratique doit rendre compte aux citoyens qu’il sert ;
-
les citoyens, payeurs d’impôts, ont le droit de comprendre et d’être informés.
21À ces critères, on peut aussi ajouter le souci de susciter une prise de conscience des besoins de la société en vue de mieux y répondre selon les canaux appropriés. Dans le cas de l’immigration, la question revient à étudier en quoi l’action gouvernementale incite à promouvoir les valeurs de l’interculturalisme, considérées comme des facteurs importants du développement socioéconomique du Québec. C’est un travail entre deux entités distinctes et hétérogènes mais partageant des intérêts communs permanents. Les approches préconisées valorisent les concepts de connaissance mutuelle, d’adaptation, d’intégration et de reconnaissance de la diversité constitutive de la société et sont accompagnées de supports écrits, électroniques et discursifs, de surcroît rédigés en plusieurs langues. Compte tenu de l’évolution importante de cet aspect de l’immigration et des grands virages réalisés dans sa gestion au Québec, les relations publiques se sont adaptées aux impératifs contextuels. L’interactivité avec le public cible est devenue une constante et l’on parle désormais davantage d’une logique d’intégration avec comme instrument l’usage du français, l’insertion socioprofessionnelle et la reconnaissance de l’interculturalité. Les indicateurs quantitatifs de la complexité de cette gestion apparaissent à travers le nombre de nouveaux arrivants admis chaque année au pays et provenant de divers pays. Selon le conseil des relations interculturelles,
relativement à sa population totale, le Canada est l’un des pays qui reçoit le plus d’immigrants à travers le monde. En effet, de 1995 à 1999, il a accueilli 1 018 361 immigrants ; soit une moyenne annuelle de 203 672 personnes. Pour sa part, le Québec a reçu 140 361 immigrants, pendant la même période, pour une moyenne de 28 073 individus représentant ainsi 13,8 % de l’immigration canadienne. Ceci est relativement faible compte tenu de l’objectif de 25 % ou plus fixé lors de l’accord Canada–Québec de 1990 en matière d’immigration, ce qui représentait alors la part de la population québécoise dans la population canadienne (Canada, 2000 : 8).
- 4 Nous nous sommes inspirés de l’adaptation des concepts d’intégrateur et intégré utilisés par G. St (...)
22Dans l’accueil des immigrants par cette population, une relation triadique paraît dominante : d’abord entre les accueilleurs et les accueillis4. Elle se caractérise cependant par une ambivalence discursive fréquente, l’opposition entre le construit d’une politique régulatrice inspirée d’une épistémè empirique et la résurgence continue de nouvelles formes d’incompréhension. Ensuite, la relation entre le gouvernement et la population en général, fondée sur le souci de faire accepter, sans heurt, ce flux migratoire marqué du sceau de la différence au sein de la communauté globale et de le faire admettre comme composante constitutive de la mosaïque sociale en général.
23Force est de constater dès lors que l’intitulé du ministère actuel en charge de l’immigration — ministère des Relations avec les citoyens et de l’immigration (MRCI) — met avec raison l’accent sur la dualité de ses objectifs envers les deux entités concernées. On ne peut donc penser l’accueil dans une logique réductrice, qui le limiterait à une action éphémère dans un espace-temps, car c’est désormais un processus d’encadrement et d’accompagnement étalé dans le temps. En interrogeant son évolution, on pourra situer les virages réalisés et les motivations qui les ont créés.
24Dans un contexte historique marqué de brouille depuis l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867, les autorités du Québec ont négocié avec le gouvernement fédéral les modalités d’organisation, de placement et d’intégration des candidats à l’immigration. Ces tentatives se sont soldées par des échecs successifs et il a fallu attendre jusqu’en 1966 pour voir s’installer au Québec une structure administrative chargée de l’accueil de cette population.
- 5 Danielle Juteau (1999 : 61-62) distingue quatre étapes de peuplement du Canada : 1) l’établissemen (...)
25Le Québec a voulu déterminer les normes d’accueil des populations venant d’ailleurs dès le dix-neuvième siècle, depuis les premières vagues d’immigration au Canada5. Les peuples dits fondateurs ont exercé après la conquête une grande influence sur l’accueil des nouveaux arrivants. À cette époque, l’État fédéral, composé à majorité de Canadiens anglais, s’occupait de l’immigration et définissait la politique d’accueil des populations immigrantes. Plusieurs ministères fédéraux ont pris en charge successivement la gestion de l’immigration. Ainsi, celui de l’agriculture, dont l’objectif était de favoriser le peuplement, s’est occupé de cette activité de 1867 à 1891 et après lui, le ministère de l’Intérieur de 1891 à 1917, avant de le céder au ministère de l’Immigration et de la Colonisation jusqu’en 1936 (Fontaine, 1993 : 29).
- 6 Danielle Juteau cite ici la Commission d’enquête sur la situation de la langue française et sur le (...)
26L’intitulé des ministères et la politique préconisée rendent compte de la perception des vagues migratoires et de la nature de l’accueil réservé à cette population. D’autre part, l’article 95 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique a donné aux provinces canadiennes une compétence conjointe d’organiser l’accueil d’immigrants sur leurs territoires respectifs. Le Québec a participé aux cinq conférences fédérales-provinciales sur l’immigration entre 1868 et 1874 et a mis en place des structures administratives chargées de l’accueil et du placement des nouveaux arrivants. Cette démarche n’a pas duré longtemps, puisqu’en 1875 « les provinces reconnaissent au pouvoir central l’entière responsabilité de la prospection de l’immigration et s’engagent à abolir leurs agences » (Juteau, 1999 : 66), ce qui ramène de nouveau la gestion de l’accueil entre les mains du gouvernement fédéral et ne manque pas d’inquiéter les Canadiens français conscients que la gestion centralisée ne sert pas les intérêts du Québec : « jusqu’à quel point — se demande-t-on alors —, l’agent général pourra-t-il donner satisfaction aux besoins spéciaux des provinces, en dirigeant vers chacune d’entre elles la classe d’immigrants les plus susceptibles de se plier à son mode d’existence et à ses institutions particulières ? » (ibid.)6
27La politique d’immigration s’est alors poursuivie selon la stratégie du gouvernement fédéral, dans une perspective centrée sur l’accueil sélectif d’une force de travail et selon des critères spécifiques, mettant en avant le prototype des personnes recherchées :
quand je pense à la qualité, disait Sifton ministre de l’Intérieur (1896-1905), je pense à un paysan robuste, vêtu de peau de mouton, né sur la terre, qui possède des ancêtres agriculteurs depuis des générations, une épouse vaillante et une demi-douzaine d’enfants (ibid).
28Les critères ne s’arrêtent pas là, car ce paysan doit être blanc, de préférence britannique et à la limite européen, facilement assimilable. Et sont exclues, entre autres, les personnes ayant des opinions « subversives », les femmes, les personnes appartenant à des ethnies qui s’assimilent difficilement.
29Cette politique s’appuie sur une vision verticale basée sur la hiérarchie entre les catégories sociales constitutives de la société. Le système communicationnel est unidirectionnel et les résultats de cette politique ne se sont pas fait attendre :
L’émergence de communautés ethniques distinctes, possédant souvent leurs écoles, leurs églises, leurs journaux, leurs associations, ne fut pas le fruit d’une volonté politique explicite, bien au contraire. Elle résulte plutôt de l’inaction des gouvernements fédéral et provinciaux, de l’absence de structures favorisant l’intégration des immigrants. Ce sont les immigrants eux-mêmes qui, avec l’appui d’organismes privés, ont assumé la responsabilité de l’accueil des nouveaux arrivants et de la résolution des problèmes vécus. La non-intervention de l’État a donc favorisé, d’une certaine manière, la formation et la consolidation d’espaces institutionnels ethniques autonomes (ibid : 69).
30De leur côté, les Canadiens français ont adopté des politiques de peuplement visant à contrecarrer la politique fédérale. D’abord en privilégiant la surfécondité de la population, plus connue sous le nom de la « revanche des berceaux », afin de préserver l’équilibre démolinguistique du pays. Cette situation a duré jusqu’aux années 1960. À partir de là, les changements survenus ont permis de modifier la perception de l’immigration. Le gouvernement fédéral a introduit progressivement des critères d’ordre économique dans l’admission des candidats à l’immigration, avant d’établir des critères de sélection basés sur l’instruction, la qualification professionnelle, les compétences linguistiques, le degré d’adaptation.
31Parmi les changements qui marquent cette décennie, on peut citer la création d’une structure d’accueil des immigrants au Québec pour les personnes voulant s’établir dans cette province et l’abandon de la politique de distinction raciale au profit de critères de sélection d’ordre socioéconomique. En 1965, le Québec a créé un service d’immigration rattaché au ministère des Affaires culturelles. Ce dernier devient en 1968 le ministère de l’Immigration du Québec, comprenant un service de planification et de recherche et un service d’accueil et d’orientation.
32L’effort consenti au cours des premières années pour la promotion de l’accueil s’est soldé par l’entente Cloutier/Lang en 1971, qui accorde un rôle d’information aux agents québécois à l’étranger, puis de l’entente Bienvenue/Andras de 1975, qui permet aux agents d’immigration provinciaux d’évaluer et de décider des demandes d’admission des candidats à l’immigration dans cette province :
Depuis sa création, le ministère de l’immigration du Québec a multiplié ses activités d’adaptation (économiques, linguistiques, sociales et culturelles), activités de communication, activités de concertation, sans parler des autres services, notamment le service d’accueil et d’assistance sociale au Québec, le service de l’emploi, les centres d’orientation et de formation des immigrants (COFI), les classes d’accueil, les écoles du samedi… (ibid : 71).
33Ces activités ont été renforcées par l’adoption d’une réglementation québécoise de l’immigration et une autonomie dans la sélection des immigrants indépendants. Quelques années plus tard, une autre avancée a été réalisée par l’adoption unanime, à l’Assemblée nationale, de la déclaration sur les relations interethniques et interraciales qui fait du Québec une société égalitaire. Par cette déclaration, le gouvernement condamne le racisme et la discrimination sous toutes leurs formes.
34Au cours de la décennie 1990, l’intégration est devenue une composante importante de la gestion de l’immigration et de l’action du ministère. Québec a pu reprendre au gouvernement fédéral la définition et la gestion de tous les programmes d’intégration économique et linguistique des immigrants ainsi que l’appui financier pour la mise en place de ce programme. Le partage des attributions est rendu officiel dans l’accord Canada/Québec, qui stipule dans la rubrique « accueil et intégration » que le Canada se retire des services d’accueil, d’intégration linguistique et culturelle et des services spécialisés d’intégration économique qui seront offerts par le Québec à ses résidents permanents (Canada, 1991). Dans l’optique québécoise nouvelle, l’intégration est conçue comme un contrat moral que le ministère définit selon trois principes :
-
le partage du français comme langue commune de la vie publique ;
-
le respect des principes fondamentaux de la société démocratique et égalitaire reconnus dans les lois ;
-
le droit et le devoir pour tous de participer et de contribuer pleinement à la vie économique, sociale, culturelle et politique du Québec.
35Ces mesures annoncent des transformations importantes dans les orientations politiques à l’égard des immigrants et se traduisent par des mesures d’appui à l’intégration socioéconomique des personnes concernées.
36En récupérant le droit de s’occuper de son immigration, le Québec a mis en relief ses spécificités linguistiques et culturelles et a instauré de nouvelles règles de pratique face aux nouveaux défis économiques, démographiques et industriels. Sa politique de convergence en matière d’immigration s’est illustrée par des mesures d’accompagnement dont l’accueil et ses multiples facettes constituent l’une des manifestations privilégiées.
37L’accueil est fondé, on l’a déjà dit, sur la relation entre l’État et les immigrants. Il s’inscrit dans un contexte régi par des mesures législatives et réglementaires définissant les procédures à suivre et les moyens d’accompagnement. La sélection des candidats à l’immigration repose sur une grille de critères socioéconomiques, fondés sur la capacité de cette population à s’adapter aux normes culturelles de la société d’accueil. Quoique discutables à bien des égards, ces critères demeurent une plate-forme de base à l’admission des candidats susceptibles de mieux s’adapter aux normes de la société.
38L’accueil se caractérise aussi par la multiplicité de ces facettes et se rapporte chronologiquement à des phases distinctes, visant à soutenir l’insertion socioéconomique de la population concernée. En matière d’accueil, il importe de considérer la dimension symbolique du contact avec autrui compte tenu du contexte, du nombre de personnes (individus et groupes) et de l’hétérogénéité des interlocuteurs mais aussi de la volonté de rapprochement à travers cette prise de contact. Évidemment, il s’agit d’un accueil d’ordre formel, établi par les structures du service public. Il véhicule des messages, un contenu et fait appel à une réception et à une implication des deux parties concernées. À chacune des quatre étapes de cet accueil correspondent une forme, un contenu spécifique, des ressources matérielles et humaines, une dynamique particulière qui assure le lien avec les autres étapes, étant donné leur interdépendance. Ces actions sont des formes de prise en charge des immigrants et leur réussite a, bien sûr, un impact positif sur toute la société. Mais, jusqu’à quel point cette politique permet-elle de stimuler l’intégration des immigrants à la société d’accueil ? Et, en quoi la multiplication des formes d’accueil promeut-elle les relations publiques citoyennes ?
39Dans son site Internet, le ministère des Relations avec les citoyens et de l’Immigration (MRCI) consacre plusieurs pages à l’accueil et à l’admission des candidats à l’immigration et offre une multitude d’informations pratiques sur l’installation au Québec et les préparatifs nécessaires à cette installation. Sans analyser le contenu de ce site et des thèmes qu’il développe, il y a lieu de constater que cette initiative introduit à une sociabilité virtuelle médiatisée avec le pays d’accueil. Ce site diffuse des messages importants à plusieurs points de vue.
40D’abord, l’existence même de ces messages et leur contenu informationnel font connaître la version officielle de l’accueil. Quoique objet de plusieurs questionnements sur l’usage, l’accessibilité, la compréhension et les interrelations publiques, il demeure un support important, capable d’établir un lieu communicationnel ouvert à la fois à la population cible et au grand public. On peut évoquer ici « le modèle d’information » proposé par James Grunig (1984), qui désigne les relations publiques gouvernementales basées sur la présentation et la diffusion de messages conformes à ses visées. Il est aussi sous-entendu que la production des messages émane d’une politique officielle concertée. L’Internet sert ici d’outil communicationnel stimulant l’intérêt de candidats potentiels pour une destination géographique, mais sert aussi d’appui à des prises de décision informées.
41Le site est important aussi par la permanence des traces écrites qui y sont stockées et qui constituent une source d’information à laquelle peut accéder sans restriction le public cible. C’est une mémoire vive capable de fournir des informations sans contraintes spatio-temporelles et dans une dynamique d’actualisation continue des données.
42L’Internet, par sa facilité d’accès, ritualise l’usage et peut créer des complicités, notamment quand il y a un intérêt manifeste de s’informer. Un coup d’œil sur le menu principal du site du MRCI nous renseigne amplement sur le contenu destiné, de manière prioritaire, aux candidats potentiels à l’immigration.
43Outre donc sa fonction informative, ce site est un outil de communication par lequel un échange peut aussi s’établir avec les personnes souhaitant s’installer au Québec. Il peut donc les préparer aux phases ultérieures.
44Ce deuxième volet de l’accueil est le passage d’un espace de rencontre virtuel à un espace réel. La dynamique relationnelle n’est plus de l’ordre de la consultation volontaire de l’information, comme c’est le cas pour Internet, mais relève d’une procédure administrative déterminante pour l’octroi du droit d’accès et de résidence au pays. Elle concerne la première admission sur le territoire canadien et la reconnaissance effective du statut d’immigrant après l’accomplissement des formalités administratives. Cela concrétise l’acte d’immigration et valide l’entrée des personnes au pays. L’aspect le plus important à noter ici est le début d’une relation humaine entre les acteurs concernés.
45Quoique encore à un stade préliminaire, la question de décryptage des significations, de l’interrelation et de l’interprétation des comportements et attitudes est désormais à l’ordre du jour. Comme le montre Carole Simard (1998 : 15),
- 7 Cet ouvrage est fondamental pour la compréhension de l’application de la politique gouvernementale (...)
l’étude des opinions des fonctionnaires accueillant les clientèles immigrées et leur dispensant des services peut nous apprendre beaucoup sur la politique d’immigration. En effet, il ne s’agit pas d’une clientèle traditionnelle habituée à transiger avec les administrations publiques. Quant aux fonctionnaires, ils doivent souvent répondre à des personnes peu au fait des services existants, présentant un profil culturel particulier et ayant, au moins au cours des premières années de leur installation au Québec, des besoins spécifiques en matière de services publics7.
46Parmi les moyens d’appui à la compréhension mutuelle, des sessions d’information et de sensibilisation sont organisées au profit des fonctionnaires et des organismes communautaires, axées sur les notions de différence et de respect des spécificités culturelles des immigrants. On quitte alors la dimension verticale du relationnel pour renforcer la logique déjà amorcée dans l’accueil virtuel de l’Internet, ce qui va dans le sens du « système bidirectionnel symétrique » développé par James Grunig (1984).
47De plus, les accueillis commencent à se forger une nouvelle perception de la société d’accueil qu’ils confronteront avec celle déjà en gestation au moment où ils ont décidé de leur immigration. Les attitudes varient à ce niveau, eu égard au nombre de personnes concernées, à leurs motivations, à leurs cultures et leurs lieux de provenance.
48En vue de faciliter leur établissement, les nouveaux arrivants sont invités à participer à des séances d’encadrement pratique et d’information sur la société d’accueil, animées par des intervenants du MRCI. Le contenu de ces séances porte sur la vie quotidienne au Québec et les modalités d’installation, notamment la recherche d’un logement, l’inscription des enfants à l’école, l’acquisition des cartes d’assurance-maladie, d’assurance sociale, le déplacement, etc.
49C’est une phase d’accommodement avec l’espace local et de mise en contact avec la société. Les séances se déroulent généralement dans les locaux du ministère chargé de l’immigration qui fournit à sa clientèle des pochettes d’information et des liens pour favoriser leur établissement.
50L’importance de cette phase réside dans le mode de communication choisi, qui définit les paramètres d’un lien social nouveau, régi par des canaux d’échange formels. Cette méthode de transmission des messages ne peut agir de la même manière sur l’ensemble des personnes concernées. La réception demeure tributaire d’une série de facteurs de compétence linguistique et d’habileté d’expression. Elle a cependant l’avantage d’introduire :
-
sur le plan relationnel, la prise de conscience que cette population dispose d’un interlocuteur susceptible de répondre à leurs questionnements préliminaires ;
-
sur le plan référentiel, la présence d’une institution capable de fournir l’ouverture sur d’autres points d’attache ;
-
sur le plan cognitif, compte tenu que l’instrument de communication est le français, un effort soutenu pour faciliter l’échange. Des documents traduits en plusieurs langues servent à initier les immigrants, dans leur propre langue, avant d’entamer les cours de francisation et de socialisation considérés comme un passage important dans le processus d’immersion.
51Nous avons choisi à dessein le terme « adaptation », car cette étape est chronologiquement la dernière dans la scénographie de l’accueil dont bénéficient les nouveaux arrivants. Elle est aussi la plus longue et la plus consistante en termes d’appui, car c’est une phase importante dans le processus d’aide à l’intégration. Au cours de cette étape, l’immigrant se voit intégré graduellement dans la vie active, en effectuant un apprentissage ciblé relatif aux techniques de recherche d’emploi, de formation, de cours de francisation, d’apprentissage ou de perfectionnement. Les organismes d’assistance relèvent des secteurs public, parapublic et privé et disposent d’intervenants qui assument la responsabilité de l’accueil des immigrants en agissant comme une vitrine de la société d’accueil.
52L’accueil revêt alors une dimension d’encadrement de proximité plus consistant et tient compte des besoins de la population concernée à la recherche de services spécifiques d’aide à l’intégration. Il concerne notamment des personnes arrivées depuis moins de cinq ans au Québec, car on propose, selon les besoins, des modules généraux d’assistance et un suivi individuel des candidats. Mais c’est d’abord l’immigrant qui fait les démarches et demande le service auprès des organismes d’aide. Il bénéficie d’une ou de plusieurs rencontres individuelles avec un intervenant pour faire évaluer ses besoins et définir son profil professionnel, ses compétences linguistiques, sa formation et son expérience. Ce parcours vise l’accompagnement de l’immigrant dans sa véritable entrée en société, car c’est là que son contact avec le monde extérieur s’impose et s’inscrit dans la durée.
53La réussite de ce cheminement enclenche le processus d’adaptation aux normes de la société. Même si plusieurs actions sont engagées auprès des populations pour favoriser l’intégration des immigrants dans le tissu social et économique, ce processus demeure tributaire des contextes et des parties concernées. L’accueil s’avère un passage au cours duquel les questions interculturelles prennent plus d’ampleur. Parmi les écarts qui apparaissent dans ce contexte, il y a :
-
la perception que se font les immigrants de leurs interlocuteurs ; les façons dont ils sont perçus sont divergentes même si elles ne sont pas nécessairement négatives ;
-
les attentes aux niveaux social et économique marquées par la quête de valorisation sociale, les impératifs de survie et la précarité fragilisante qui ne cadrent pas toujours avec le mode de fonctionnement de la société ;
-
les réactions concernant l’adéquation entre l’encadrement reçu et les exigences sur le terrain.
- 8 Le concept de transculturation s’oppose à la déculturation qui concerne la dégradation de la cultu (...)
54D’une manière générale et au terme des trois étapes présentées plus haut, les immigrants se dotent d’une vision plus élaborée de leur relation avec la société et sont plus familiers avec ses mécanismes de fonctionnement. Ils ont avancé, consciemment ou non, dans le processus de « transculturation » qui est l’acquisition progressive d’un nouveau code culturel, sans abandonner nécessairement leur code initial qui agirait d’une manière encore asymétrique avec la culture nouvellement acquise (Todorov, 1996 : 22)8. Certes, l’échange avec la société d’accueil favorise la réception des messages, mais cette réception demeure partielle et se vit différemment selon les catégories d’immigrants. Quelles sont donc les difficultés de l’échange interculturel ?
55Dans une certaine mesure, l’accueil oppose d’un côté les accueillis et de l’autre toute la société. Celle-ci est cependant plurielle et hétérogène. Outre l’instance gouvernementale, elle est composée d’organisations et d’individus. Les accueillis appartiennent aussi à des communautés ethniques et culturelles différentes. Mais c’est le MRCI qui joue un rôle déterminant dans l’encadrement de ce volet de l’immigration. Il tient compte des besoins des entreprises et du marché de l’emploi en techniciens, cadres et spécialistes, ce qui donne une configuration spécifique aux vagues d’immigrants qui arrivent chaque année.
56Les intervenants engagés dans l’assistance aux immigrants s’occupent de l’orientation, de la formation et de l’aide à l’emploi. Dans les trois cas peuvent émerger des divergences entre les parties, nécessitant un effort de gestion communicationnelle parfois complexe notamment lors de l’accueil-adaptation, compte tenu de la consistance des messages véhiculés, des attitudes et des comportements qui les accompagnent.
57La typologie des relations à autrui, développée par Tzvetan Todorov (1991), peut illustrer la nature de cette complexité. Dans une situation interculturelle, l’auteur distingue trois niveaux relationnels différents :
-
axiologique, fondé sur un jugement de valeur porté sur autrui ;
-
praxéologique, qui concerne des attitudes à l’égard de l’autre, allant de l’identification à l’indifférence ou à la neutralité ;
-
épistémologique, qui se rapporte à la connaissance de l’autre ou à l’ignorance de son identité.
58La perception change selon qu’on se situe du point de vue de l’accueilleur ou de l’accueilli : les intentions n’étant pas identiques de la part des uns et des autres, les finalités sont aussi différentes.
59Mais, il importe de souligner qu’au-delà des considérations subjectives, l’accueilleur tente de s’identifier généralement à la position préconisée par la doxa qui l’a pourvue de cette légitimité :
la diffusion des croyances s’opère également grâce à des institutions […] qui sont des instances de pouvoir dont le rôle est d’instituer la réalité, de faire exister officiellement des rapports sociaux et de les consolider […]. L’efficacité de leur action tient à leur pouvoir de nomination. Ils décernent (ou non) des titres, des labels officiels […]. Ce faisant, ils imposent un devoir-être aux agents consacrés en agissant sur la représentation que les récepteurs du discours institutionnel ont de la réalité (Bonnewitz, 2002 : 82).
- 9 Lê parle de « l’échec de transposition des modèles de l’Ouest et de l’Est et du développement de l (...)
60Du côté des accueillis, la perception est doublement constituée par l’expérience psychologique du déplacement d’un pays vers un autre, y compris les motivations et les dispositions, et par l’expérience empirique d’un contact avec une nouvelle réalité qui s’annonce d’emblée inconnue ou conçue selon des paramètres subjectifs motivés dans la plupart des cas par les objectifs d’immigration et la situation vécue (Lê, 1989)9.
61La décision de quitter un pays pour s’installer dans un autre et les raisons qui motivent cette mobilité ne sont pas suffisantes pour assurer une bonne intégration des immigrants. L’écart entre les perceptions que ces acteurs se font du pays et la réalité socioéconomique est énorme. Cependant, malgré leur différence de culture, de langue et d’identité, les besoins immédiats de cette population sont similaires et sont axés en général sur l’intégration fonctionnelle, basée sur l’insertion sociale, la francisation et la recherche d’emploi en vue d’une intégration plus avancée.
62Il convient de souligner ici que la question de la différence se pose avec acuité et que la question d’habitus émerge de façon plus imposante dans les attitudes et comportements et selon les deux composantes identifiées par Bonnewitz, ethos et hexis (2002 : 63) :
On peut distinguer deux composantes de l’habitus. On parlera de l’ethos pour désigner les principes ou les valeurs à l’état pratique, la forme intériorisée et non consciente de la morale qui règle la conduite quotidienne : ce sont les schèmes en action mais de manière inconsciente […]. L’hexis corporelle correspond aux postures, disposition du corps, rapport au corps, intériorisés inconsciemment par l’individu au cours de son histoire.
63Les accueillis s’identifient, de manière semblable, sur trois plans complémentaires :
-
en tant que membres d’un groupe partageant les mêmes préoccupations d’installation, d’établissement et d’adaptation avec les normes socioculturelles de la société d’accueil ;
-
en tant que membres d’un groupement qui se mobilise face à une même altérité du « Nous/Eux » (Poutignat et Streiff-Fenart, 1995) qui se définit à la frontière du « nous », en contact ou en confrontation avec des « eux ». Les frontières de la différence au sein du « nous » sont provisoirement abolies par un consentement tacite, compte tenu de la distance qui sépare le « nous » construit du « eux » établi ;
-
en tant qu’entités différentes selon leurs lieux de provenance, leurs langues d’origine, leurs cultures, leurs races, leurs couleurs mais qui transcendent occasionnellement ces différences et conservent des propriétés distinctives sous-jacentes, qui interviennent en dehors de la relation triadique qui oppose le soi aux autres immigrants et aux nationaux.
64Le brassage entre les différences s’effectue à travers un jeu de rôles, de connivences et de création d’échanges. C’est une dynamique qui peut se développer et créer davantage de synergie car, comme le montrent Poutignat et Streiff-Fenart (1995 : 168), citant Horowitz dans sa typologie du changement des limites dans un groupe, le groupe
peut prendre la forme d’une érosion des limites par amalgamation (au cours de laquelle un groupe ou plusieurs groupes s’unissent pour former un groupe plus grand, différent de chacune de ses composantes) ou par incorporation (au cours de laquelle un groupe se fond dans un autre groupe qui garde son identité). Il peut par ailleurs prendre la forme d’une différentiation aboutissant à la création de nouvelles limites par division ou par prolifération.
65Les arrangements tiennent compte des convergences et des volontés de rapprochement entre les groupes réunis et prennent forme dans le cadre d’organisations communautaires, culturelles, ethniques et selon le contexte.
66Mais, quand les ressources d’intégration viennent à manquer, des distances peuvent se créer et un écart identitaire peut s’installer laissant la voie au développement de microcosmes insolites chez des branches communautaires, se voyant incapables de se ressourcer à leur ancrage d’origine du fait de l’éloignement puis du fait de l’incapacité d’assimilation des codes d’accueil souvent différents. Les exemples d’immigration dans d’autres pays en témoignent largement. C’est le cas, par exemple, des Africains et Maghrébins en Europe où une partie de ces communautés vivent, en grand nombre, le tiraillement du partage avec l’autre et le climat de la non-connaissance mutuelle, ce qui incite à la méfiance et parfois à la constitution de vases non communicants incitant à des formes de rejets mutuels.
67En somme, l’adaptation de ce flux humain et son immersion dans le tissu social sont un long processus lié aux aléas de la vie et aux circonstances et constituent une priorité pour les pouvoirs publics au Québec. Afin d’éviter que cette population soit mal informée de la réalité de la province, le gouvernement instaure des structures d’accueil capables de transmettre les outils d’information fonctionnels et incite fortement à l’apprentissage du français dont la portée excède l’échange communicationnel. Les carrefours d’intégration, les centres d’aide à l’intégration des immigrants et d’autres organismes sans but lucratif sont les principales instances qui prennent en charge à différents niveaux cette mission.
68Une étude sur la réception de l’information gouvernementale, réalisée au cours des années 1990 auprès d’un échantillon de 120 immigrants de différents statuts, révèle que 70 des personnes interrogées ont obtenu de l’information, lors de leur première année de séjour au Québec, auprès des filières publiques alors que les 50 autres ont suivi la filière privée, notamment les réseaux personnels et la famille (Helly, 1994 : 31). Concernant la réception et la compréhension des informations, l’enquête montre que
plus de la moitié des répondants immigrés (66/120) a des difficultés à obtenir et à comprendre les informations qui lui sont nécessaires lors de sa première année de séjour. Les difficultés mentionnées sont l’impossibilité de comprendre le fonctionnement des services publics (34/66), l’absence de maîtrise de la langue française ou anglaise (37/66), l’incompréhension du vocabulaire utilisé par les employés (16/66), l’ignorance des valeurs culturelles véhiculées par ces derniers (4/66) ou encore les attitudes (15/66). Dans la plupart des cas, ces difficultés se cumulent (Helly, 1994 : 40).
69Pour pallier ces lacunes, beaucoup d’actions ont été menées depuis lors, comme, au niveau relationnel, l’organisation des cérémonies de bienvenue dans les villes de la province et la promotion des ressources électroniques et télécommunicationnelles visant à faciliter l’accès à l’information. Ces actions sont consolidées par d’autres interventions agissant à des niveaux structurels, ce qui contribue à bien des égards à améliorer l’action gouvernementale. Comment ces interventions favorisent-elles la mise en place de relations publiques citoyennes ?
70Il appert donc que l’immigration est une question de société qui façonne le paysage démographique mais aussi économique et culturel. Toute la population est concernée par les transformations. La participation des citoyens à cet effort est progressive. Interpeller cette population se fait dans le cadre de relations publiques intenses et se traduit aussi par des activités et des événements symboliques relevant de plusieurs niveaux d’intervention, car les pouvoirs publics agissent au niveau des autres composantes de la société et à divers niveaux :
-
médiatique : par la mise en place de campagnes successives de communication de masse, véhiculant des messages de rapprochement entre les communautés et la promotion de la reconnaissance mutuelle et par l’incitation des médias à favoriser la circulation de l’information. Conscient de l’importance de la communication, le MRCI a conçu divers slogans chargés de signification et destinés à l’ensemble de la population : « Autant de façons d’être Québécois », « Au Québec pour bâtir ensemble », « L’immigration au Québec un choix de développement », etc. ;
-
institutionnel : par la mise en place d’un cadre législatif qui garantit les droits de tous dans le respect des valeurs démocratiques. La création d’un organe de concertation, le Conseil des relations interculturelles, et le développement des consultations publiques sur les questions de l’immigration (en 1996, une consultation auprès de 9 personnes et de 39 organismes a porté sur le thème « Bâtir ensemble notre devenir ») cherchent à établir des normes consensuelles d’admission et de prise en charge des populations immigrantes ;
-
événementiel : par l’organisation de manifestations spéciales comme :
-
la semaine de la citoyenneté, qui depuis cinq ans invite la population, toutes origines confondues, à participer à des activités visant à maintenir des relations harmonieuses et à promouvoir la participation commune au développement de la société composée désormais de quatre-vingts communautés ethnoculturelles. Parmi les activités promues lors de cette manifestation, les prix québécois de la citoyenneté constituent, sur le plan symbolique, une participation importante de la population dans l’intégration des nouveaux arrivants : « les prix visent à récompenser des personnes, des entreprises publiques ou privées ainsi que des organismes pour leur contribution exceptionnelle au renforcement de la vie démocratique et à l’exercice de la citoyenneté au Québec » (Québec, 2003 : 3)
-
la cérémonie nationale de bienvenue et les cérémonies locales de bienvenue, organisées tout au long de l’année pour accueillir les nouveaux arrivants et leur remettre un certificat de bienvenue. Ces manifestations ont pour but de favoriser l’intégration des immigrants et d’insister sur l’apport de l’immigration au développement de la société d’accueil ;
-
consultatif : pour mesurer l’impact de ces démarches, le MRCI procède à l’organisation de sondages d’opinion auprès de la population pour connaître les attitudes et les comportements de la population vis-à-vis de l’immigration et des relations interculturelles. Une classification réalisée à cet égard a permis de
segmenter la population en cinq catégories, la plus favorable regroupant 63 % de la population. Qualifiés de positifs et dynamiques, ces individus […] considèrent que le soutien à l’intégration est à la fois nécessaire et insuffisant. Les autres catégories rassemblent assez peu de personnes (entre 6 et 13 %), qui sont ambivalents (« positifs passifs »), (« négatifs ambivalents »), réfractaires ou indécis quant à l’immigration (Québec, 2000 : 29).
71Ces initiatives sont encadrées par plusieurs actions ponctuelles comme l’élaboration de programmes de formation à la gestion de la diversité culturelle et plus récemment un programme sur l’éducation à la citoyenneté.
72En outre, et pour développer la communication interculturelle, une loi de l’Assemblée nationale a créé le Conseil des relations interculturelles — autrefois le conseil des communautés culturelles et de l’immigration. Cet organisme autonome et permanent de consultation et de recherche a pour mission de conseiller le ministre des Relations avec les citoyens dans la planification, la coordination ainsi que la mise en œuvre des politiques gouvernementales qui concernent les relations interculturelles, y compris l’accueil et l’intégration des immigrants, le développement de l’ouverture à la diversité. Parmi les volets importants sur lesquels travaille le conseil, on trouve des questions relatives à la citoyenneté et à la diversité, dans la perspective d’établir les éléments de base de la citoyenneté. Le conseil considère que la citoyenneté est le statut par lequel les citoyens adhèrent à la même communauté politique et acceptent de participer à un devenir commun, au-delà des distinctions sociales, ethniques et religieuses.
73Par ailleurs, et dans la même perspective, le changement successif de l’intitulé du ministère en charge de l’immigration est chargé de signification. Ainsi, au début (1968 à 1981), il s’intitulait ministère de l’Immigration du Québec. Il a œuvré pendant cette période à mettre en place des structures de gestion et d’administration séparées de celles du fédéral, à négocier l’élargissement de ses responsabilités et à se doter d’une réglementation en matière d’immigration.
74À la deuxième phase (1981 à 1993), il devient ministère des Communautés culturelles et de l’immigration. L’accent est alors mis sur la population immigrante et le rôle du ministère est désormais de planifier, de coordonner et de mettre en œuvre des politiques gouvernementales visant l’épanouissement des communautés culturelles et leur participation à la vie nationale.
75Actuellement, il porte le nom de ministère des Relations avec les citoyens et de l’Immigration. Il met en relief la dimension relationnelle qui est fort symbolique qui est à la base de la communication avec les composantes de la société et identifie les citoyens et les immigrants comme interlocuteurs privilégiés, dans une perspective bidirectionnelle.
76Appuyée par un discours prônant l’harmonisation de la société, cette démarche traduit la volonté de mise en place de relations publiques citoyennes plurielles, basées sur la recherche de convergence et de consensus.
77L’étude de l’accueil des immigrants au Québec a permis de voir le passage d’une situation « passive » et conflictuelle à une prise en charge de la politique de gestion et de planification des flux migratoires. Bien que l’admission en sol québécois pour les immigrants demeure encore tributaire de la décision du gouvernement fédéral, plusieurs avancées ont été réalisées. Eu égard aux pratiques actuelles d’accueil qui démarquent la province par rapport au reste du Canada mais aussi à l’échelle internationale, on remarque qu’il y a une accélération du processus d’autonomie en matière de choix des candidats et de type d’encadrement offert. Le passage, en quelques années, d’une politique sélective basée sur des critères de distinction contestée à une politique de plus en plus souple et flexible témoigne d’un projet interculturel avant-gardiste. Plus encore, le fait de considérer l’immigration comme un facteur de développement humain au Québec dans la politique gouvernementale et de mettre en place des activités d’accompagnement corrobore cette position. À l’ère des réticences grandissantes en matière d’immigration, le Québec, tout comme le Canada, reste une destination prisée.
78Or, en dépit de ces considérations, le modèle préconisé présente encore des limites à bien des égards. D’abord, au niveau de la réception, aussi bien à l’égard des immigrants qu’au niveau des composantes de la société d’accueil, l’effort d’arrimage demeure partiel entre la diversité des communautés, les stéréotypes entourant leur image et la volonté individuelle et collective de développer l’échange avec autrui.
79Ensuite, considérant les écueils administratifs à la reconnaissance des qualifications, le délai d’octroi des avis d’équivalence, les réticences du marché du travail à reconnaître les qualifications professionnelles venues d’ailleurs, le nombre peu représentatif des minorités visibles au sein des organisations publiques et privées, le projet de relations publiques citoyennes reste à consolider. Le fait français considéré comme le passage obligé à l’intégration pour une population immigrante à majorité allophone et tout ce que cela suppose sur le plan de l’apprentissage posent problème. L’intégration est traduite alors par des compétences de communication là où il serait intéressant qu’elle soit envisagée comme vecteur d’unification. Cet obstacle donne lieu à l’émergence de citoyens au « statut hybride » (Mègre, 1998), car le regard porté sur eux passe par le filtre de la langue associée aussi à des critères culturels.
80Enfin, il est à souligner que ce projet d’intégration citoyenne peut subir des influences externes parfois à cause de l’image véhiculée sur telle ou telle communauté, dans un contexte international en effervescence, ce qui peut retarder les initiatives de synergie sociétale.