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Lectures

Bernard MIÈGE, La pensée communicationnelle, édition augmentée

Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2005
Alain Laramée
p. 347-350
Référence(s) :

Bernard MIÈGE (2005), La pensée communicationnelle, édition augmentée, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble.

Texte intégral

1Dans cet ouvrage, Bernard Miège projette de tracer une sorte de genèse de la pensée communicationnelle, d’interroger ses ascendances mais également son évolution et les problèmes qui se posent à son développement futur. Situant cette pensée communicationnelle en marge des « modalités connues de la pensée scientifique académique », Miège tente d’expliquer en quoi elle réussit néanmoins à produire des approches nouvelles pour « rendre compte des changements des sociétés contemporaines », et ce, sous trois aspects : sa liaison étroite avec des actions sociales dans les sociétés industrielles dominantes, sa transversalité et sa faculté à relier des problématiques provenant de courants théoriques distincts. L’auteur s’attache essentiellement à ce dernier aspect en présentant les courants fondateurs, les différentes problématiques au cours de l’évolution de cette pensée et les questions actuelles.

2La première partie porte sur les courants fondateurs des années 1950 et 1960. Faisant démarrer le concept avec le modèle cybernétique, l’auteur présente par la suite l’approche « empirico-fonctionnaliste », initiée par les questions de Lasswell (« qui dit quoi à qui, par quel média, avec quel effet »), et celle de la méthode structurale et ses applications linguistiques. Cette section se termine par de brèves prises en compte, sans véritable élaboration, des perspectives développées par la sociologie de la culture de masse, par la pensée critique (entendons principalement l’école de Francfort), la psychologie (Moles, Watzlawick) et par la pensée macluhanienne en continuité de laquelle il situe les travaux de médiologie de Régis Debray.

3Dans la deuxième partie, intitulée « L’élargissement des problématiques (années soixante-dix et quatre-vingt, et ultérieurement) », Miège présente les principaux courants sous forme de six catégories de problématiques : (1) l’économie politique (critique) de la communication ; (2) la pragmatique, essentiellement l’école de Palo Alto, et ses critiques, celles de Daniel Bougnoux et de Paul Attallah ; (3) l’ethnographie de la communication, l’ethnométhodologie et la sociologie des interactions sociales (Gumperz, Hymes, Quéré, Garfinkel, Goffman) ; (4) les sociologies de la technique et de la médiation (Rogers) et ses détracteurs, Flichy, Latour, Ellul ; (5) la réception des messages et la formation des usages des médias dans la foulée des travaux initiés par Katz, de Certeau, Hall, Mattelart et la relance des « cultural studies » ; (6) les philosophies de la communication dans lesquelles il situe les ouvrages de Baudrillard, Morin, Habermas, Hofstadter, Sfez et Lévy, en étant particulièrement sceptique et critique sur les « prétentions » théoriques de ce dernier. Après avoir gagné en consistance théorique dans les années 1960, la pensée communicationnelle serait devenue « beaucoup plus complexe et certaines présentations qui en sont faites entraînent d’ailleurs des confusions ».

4La dernière partie porte sur les interrogations actuelles. L’auteur présente cinq grandes questions qui sont en débat actuellement : (1) la possibilité d’une théorie générale de l’information et de la communication ; (2) la pertinence de la distinction entre information et communication ; (3) la société de l’information ou de la communication et la réalité quotidienne ; (4) le caractère disciplinaire ou interdisciplinaire des phénomènes informationnels et communicationnels ; (5) l’informatique et les cognisciences comme changement de perspective au sein des sciences de l’information et de la communication.

5Chacune de ces questions est brièvement présentée et conclut par la position personnelle de l’auteur sur leur pertinence, l’intérêt, les forces et les faiblesses des réponses qui leur sont communément apportées.

6Le livre se termine par quelques affirmations générales et cinq principaux enjeux. Ainsi, l’auteur affirme que la pensée communicationnelle n’est pas unifiée et n’est pas prête à se présenter comme telle ; qu’elle est « un socle commun, plus ou moins accepté d’un côté par les auteurs et de l’autre par les médiateurs » ; que

[…] la communication recèle beaucoup d’ambiguïtés mais son ambiguïté première est de se trouver en concordance avec l’étape actuelle de mondialisation des économies, celle où s’affirme le règne de la marchandise et se généralise le capitalisme.

7Quant aux enjeux auxquels doit faire face la pensée communicationnelle, on trouve son internationalisation et

[…] son adaptation aux évolutions les plus récentes des sociétés et des économies […] son aptitude à suivre de prêt les mouvements de la société au sein desquels l’information – communication est impliquée, tout en gardant sa dimension critique […] sa propension à prendre place dans les grands débats mondiaux qui touchent d’assez près l’information et la communication [et] sa capacité à prendre en compte la tendance à la médiatisation des phénomènes informationnels et communicationnels sans les séparer ou les opposer à la communication ordinaire.

8Ce livre se rapproche davantage de l’essai critique contribuant à la construction d’une définition de ce que l’auteur appelle la pensée communicationnelle que d’une genèse, d’une histoire ou d’une description épistémologique comme telle. À ce titre on peut donc accepter qu’au fur et à mesure de la présentation des différents courants, l’auteur exprime ouvertement son évaluation et ses jugements sur la fécondité, l’intérêt, la justesse ou le succès de telle ou telle approche. Dans cette même optique, on peut comprendre que dans les années 1960 et 1970 on distinguait les approches européennes, entendons surtout françaises, des approches dites anglo-saxonnes, et ce, de manière souvent péjorative. Mais dans un ouvrage écrit en 2005, nous demeurons perplexe de retrouver encore ici et là cette même dichotomie. Le foisonnement des idées, les influences mutuelles, notamment par le biais des échanges entre universités mais aussi au sein des associations internationales, tant sur le plan des objets étudiés que sur le plan du métissage des approches théoriques et disciplinaires, interrogent sérieusement l’utilisation de cette catégorisation. Tout le domaine de la communication organisationnelle est peut-être le plus représentatif de cette fusion synergique et du métissage créatif des approches théoriques de provenance de lieux géographiquement et socioculturellement distincts. C’est peut-être ce même regard qui a conduit l’auteur à ne pas utiliser de découpage sémantique institutionnalisé entre les différents domaines de développement comme il se fait dans les associations internationales, les organismes subventionnaires et les institutions d’enseignement et de recherche universitaires. Cette dimension importante du travail de l’institutionnalisation de la pensée communicationnelle sur sa définition et sur son inscription dans le champ social demeure à faire, et ce, particulièrement à l’ère de la mondialisation de cette pensée.

9À la fin de la lecture de cet ouvrage, nous demeurons donc stimulé par le propos mais un peu perplexe sur les finalités du texte car le survol des courants fondateurs de la pensée communicationnelle, par son côté plutôt de type rappel et tout de même sélectif, ne peut pas servir à une introduction comme telle à cette pensée communicationnelle. Aussi, on s’attendrait que leur présentation devrait servir à documenter, à appuyer ou à permettre le développement du questionnement critique de la troisième partie constitutive de l’essai en soi, véritable apport intellectuel du livre. Or les liaisons attendues entre les deux premières parties et cette dernière ne sont pas explicitées pour un lecteur moins informé, ce qui pourrait lui paraître comme peu accessible. Par contre, ce procès a l’avantage de stimuler la lecture constructive du texte, de forcer la réflexion, voire de provoquer son jugement pour quiconque est déjà bien instruit de ces courants.

10Par ailleurs, cette dernière partie nous laisse un peu sur notre appétit car, outre la pertinence et la clarté des questions posées à l’univers intellectuel de la pensée communicationnelle, les pistes de réponse  proposées par l’auteur sont davantage exprimées que développées et mises en relation avec les courants dominants présentés dans les deux premières parties. Ces pistes et parfois les réponses mêmes apportées par l’auteur apparaissent plutôt comme des affirmations concluantes d’un débat qui aurait déjà eu lieu ailleurs et dont nous n’aurions pas vu les tenants et aboutissants ni l’argumentation et le raisonnement qui les supportent.

11En somme, et ne serait-ce que pour cet aspect, tout étudiant de deuxième mais surtout de troisième cycle universitaire et tout acteur social, notamment chercheur, académicien ou responsable de politique et de gouvernance trouveront, particulièrement dans cette dernière partie, suffisamment de matière pour interroger leur propre pensée et contribuer au travail de définition de cette pensée communicationnelle et au débat, non moins nécessaire, autour de ses enjeux, débat ouvert auquel, à la réflexion, on se sent convié à participer activement par l’auteur. C’est là tout le mérite de ce bref essai.

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Pour citer cet article

Référence papier

Alain Laramée, « Bernard MIÈGE, La pensée communicationnelle, édition augmentée »Communication, Vol. 25/1 | 2006, 347-350.

Référence électronique

Alain Laramée, « Bernard MIÈGE, La pensée communicationnelle, édition augmentée »Communication [En ligne], Vol. 25/1 | 2006, mis en ligne le 08 mai 2010, consulté le 18 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/communication/343 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/communication.343

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Auteur

Alain Laramée

Alain Laramée est professeur à la Télé-université, Université du Québec à Montréal. Courriel : alaramee@teluq.uqam.ca

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