1Depuis plusieurs années, on assiste à une augmentation des problèmes de santé liés à l'alimentation (obésité, diabète, hypertension), et cela, à un âge de plus en plus précoce (OMS, 2003). Les causes invoquées sont diverses, à composantes individuelles (physiques, biologiques, psycholgiques) et environnementales (économiques, sociales, culturelles). Sur ce dernier point, les organismes de santé sont les premiers à situer l'origine de ces problèmes dans le style de vie plus sédentaire, qualifié par certains d'« obésogène » (Carrière, 2003), ou encore dans le rythme de vie trop rapide qui incite les personnes à adopter des habitudes alimentaires souvent constituées de repas déjà confectionnés, pauvres en valeurs nutritionnelles et susceptibles d'entraîner des déséquilibres alimentaires importants. De son côté, l'industrie alimentaire, qui répond à cette demande et tend à multiplier ces produits, n'est pas étrangère au phénomène, bien au contraire. Avec l'aide des agences de marketing qui en font la promotion, notamment par la publicité télévisuelle, elle invite elle-même la population, y compris les enfants, à la surconsommation (Nestle, 2002).
2Ce constat a incité les auteures de la présente recherche à examiner les contenus des messages annonçant des aliments et visant plus spécifiquement les enfants. L'analyse des scénarios des messages publicitaires, diffusés durant une semaine sur les sept chaînes les plus regardées de la télévision francophone du Québec, aux heures d'écoute susceptibles de rejoindre les enfants, a permis de déterminer les types de produits annoncés et les valeurs nutritionnelles et culturelles qui y sont associées. Par valeurs nutritionnelles, nous entendons la qualité nutritive des composantes des aliments et par valeurs culturelles, les référents sociaux qu'on associe aux produits annoncés pour les rendre désirables à un public large, qui comprend les enfants.
- 1 Aux États-Unis, les dessins animés du samedi matin présentent à eux seuls 33 annonces publicitaire (...)
- 2 Les données de l'enquête Les jeunes et l'écran (Himmelweit, 1997) auprès de 1 417 jeunes (de 6 à 1 (...)
3L'importance des contenus publicitaires dans la programmation télévisuelle est depuis longtemps un objet de préoccupation sociale, notamment mais pas exclusivement (cigarette, bière) quand les messages visent les enfants1. Les statistiques sont étonnantes. Avant même d'entrer en maternelle, un enfant nord-américain a déjà regardé en moyenne 5 000 heures de télévision2. À l'automne 2002, l'écoute hebdomadaire de la télévision par les enfants canadiens (de 2 à 11ans) était en moyenne de 14,6 heures ; elle était de 15,1 heures pour les enfants québécois francophones (Statistique Canada, 2003). Près de 20 % du temps d'écoute de ces enfants devant la télé est consacré à regarder des annonces publicitaires (12 minutes par heure sauf la télévision éducative, Télé-Québec, qui n'en diffuse que 8 minutes) ; « en moyenne un jeune téléspectateur en verrait plus de 30 000 par an » (Jacquinot, 2000 : 151). De ce nombre, un fort pourcentage de messages annonce de la nourriture.
4Plusieurs auteurs dont Frieman (1973), Kapferer (1985) et plus récemment Kunkel (2002) aux États-Unis et Minot (2002) en France ont étudié la relation de l'enfant à la publicité télévisée. On peut dire qu'entre les décennies 1970-1980 et 2000, l'intérêt qu'ont porté les chercheurs à la nature des produits présentés aux enfants s'est accru. En effet, les publicités de nourriture soulèvent plusieurs inquiétudes. Il est montré, entre autres résultats, qu'aux États-Unis, les enfants qui regardent beaucoup la télévision (et donc plus de publicités) sont moins informés que les autres en matière de diététique et mangent, en moyenne, plus de nourriture de type restauration rapide et de collations « camelotes » (Coon, 2001 ; Kunkel, 2002). Une étude menée parallèlement en France et au Québec au début des années 1990 (Watiez et Dubois, 1997) montre que les messages publicitaires télévisés sur l'alimentation aux moments de grande écoute chez les jeunes portent surtout sur des produits et des boissons sucrés. La diffusion de ces messages suit la courbe d'écoute télévisuelle des jeunes.
5Selon Wartella et Reeves (1985), la recherche sur les enfants et les médias se développe indépendamment des études théoriques sur la communication et emprunte des voies et des méthodes de recherche différentes. Ces travaux pourtant novateurs n'ont pas été retenus par l'histoire des théories sur la communication de masse. Parallèlement, les publications en psychologie du développement semblent ignorer le fait que les enfants passent plus de temps avec les médias qu'avec leurs parents (Singer et Singer, 2001). Cependant, un même constat se dégage : les enfants sont très tôt très réceptifs à la publicité. C'est sur ce constat que se sont appuyés, au cours des années 1970, les concepteurs de l'émission éducative, pour les 3 à 5 ans, Sesame Street (Lesser, 1974) dont la formule a été exportée dans de nombreux pays. D'origine étatsunienne, l'émission est constituée de courtes séquences rythmées, à la manière des spots publicitaires. Les messages télévisés sont souvent reçus par les enfants sans accompagnement adulte, « ce qui laisse à l'enfant l'entière <responsabilité> du jugement de réalité à porter sur le référent » (Chailley, 2002 : 70).
À partir de 6-7 ans, la majorité des enfants exprimeraient verbalement que la publicité ne dit pas toujours la vérité. Mais ce jugement général n'impliquerait pas une attitude critique devant chaque message publicitaire. Pour la plupart des publicités, l'enfant ne se demande pas si le message est vrai ou faux : la question n'est tout simplement pas à l'ordre du jour (Chailley, 2002 : 71).
6Dans sa synthèse des résultats de recherche sur le sujet, Minot (2002 : 33-34) présente les variables opérationnelles que les jeunes devraient maîtriser pour juger de la bonne ou mauvaise compréhension du fonctionnement des messages publicitaires :
-
avoir conscience d'une différence entre les messages publicitaires et les messages non publicitaires et être ainsi capable de les reconnaître comme tels ;
-
avoir conscience de leur fonction persuasive et des objectifs commerciaux qui les sous-tendent ;
-
avoir conscience de la dimension informative des messages ;
-
avoir conscience d'une source extérieure agissant par ces messages. Un certain nombre d'enfants pensent que c'est « la télévision » qui choisit les produits et le contenu des messages, lesquels du même coup peuvent se trouver bénéficier de la confiance et du prestige qui sont accordés à celle-ci ;
-
avoir conscience de l'existence d'une cible extérieure à lui, définie à priori par l'annonceur et saisir que cette cible peut varier selon les messages. En raison des particularités égocentriques du mode de pensée propre à son âge, un jeune enfant peut croire que toutes les publicités sont faites pour lui exclusivement ;
-
avoir conscience du caractère symbolique, voire rhétorique, des représentations soit, par exemple, différencier les images télévisées de la réalité et ne pas se laisser abuser par les pièges de la représentation hyperbolique, du montage dynamique et très elliptique, de la brièveté des plans et du rythme saccadé de leur succession, de la mise en valeur des produits par la forte récurrence des gros plans et des très gros plans.
7Généralement, on s'entend pour dire que les enfants de quatre ans et moins n'ont pas conscience que les images de la réalité qui sont proposées à l'écran peuvent être déformées, voire falsifiées. Celles-ci seraient au contraire appréhendées comme des représentations fidèles et sans distorsion du monde réel.
8Être capable de comprendre les messages publicitaires télévisés, c'est donc pour les enfants comme pour les adultes de disposer de quelques notions pratiques de ce qu'est la communication publicitaire et de ce qu'on appelle le « langage télévisuel » afin d'être relativement conscients de leurs procédés techniques respectifs et d'être en mesure de porter un jugement critique sur leurs manifestations. Les auteurs (Kapferer, 1985 ; Brée, 1993) s'entendent pour dire que c'est seulement vers huit ans, lors de son passage aux opérations concrètes, que l'enfant devient vraiment apte à percevoir la fonction persuasive. Cela n'implique pas cependant qu'à partir de cet âge tous les enfants maîtrisent les autres variables en jeu. Par exemple, Young (1986, cité dans Brée, 1993) considère que ce n'est pas avant 11 ans que les enfants comprennent vraiment l'usage du langage figuré.
9Au-delà des réponses cognitives, il faut insister sur le fait que la télévision est un média particulièrement apte à faire appel aux émotions des spectateurs et spectatrices. Bon nombre de messages publicitaires télévisés visent à éveiller la sensibilité et l'affectivité. Ainsi, Minot déplore que les études portant sur la relation des jeunes à la publicité télévisée aient davantage priviligié les facteurs cognitifs (théorie piagétienne) et sociaux (théorie de l'apprentissage social de Bandura, 1980) que les facteurs affectifs. D'autant plus que les études qui mesurent de manière indépendante la préférence des messages soutiennent que ce sont les facteurs affectifs et esthétiques qui expliquent les variations (2002 : 44).
10Toujours selon Minot, la publicité télévisée ajoute aux appels à l'affectivité et à la rationalité la sollicitation de comportements d'imitation et l'exercice des réflexes conditionnels qui sont, comme on le sait, très importants dans l'apprentissage des jeunes. Il ne faut donc pas s'étonner que la publicité suscite chez l'enfant des automatismes corporels de ce type quand elle montre de manière répétitive et stéréotypée un enfant, seul ou accompagné, occupé à consommer un produit omniprésent à l'écran, dans une atmosphère de bonheur serein.
11Il convient donc de conclure la présentation de cette synthèse des principales études sur la relation des enfants à la publicité télévisée par un rappel à la prudence, car si elles sont valables pour tous les produits annoncés, l'analyse du plaisir de manger chez les enfants demanderait d'être davantage raffinée puisque
[…] si l'on ne peut que réfuter la thèse de la toute-puissance du média, l'attitude relativiste à son égard n'en est pas moins hasardeuse. Elle conduit aussi bien à nier les impacts possibles de la publicité (ce qui est contradictoire avec la volonté déterminée d'en diffuser) qu'à dédouaner ses commanditaires, producteurs et diffuseurs (Baton-Hervé, 2000 : 103).
- 3 Les dispositions de la Loi sur la protection du consommateur du Québec ne peuvent s'appliquer aux (...)
12L'enjeu de la publicité télévisée, c'est « l'enfant » et ce n'est pas anodin ; chaque année, quatre millions d'enfants canadiens de 2 à 12 ans dépenseraient 1,5 milliard de dollars de leur propre argent et influeraient sur l'achat d'articles domestiques à hauteur de 15 milliards de dollars (Institut Vanier, 2002). En 1974, à la suite des pressions populaires, le Conseil de la radiodiffusion et de télédiffusion canadienne (CRTC) contraint la Société Radio-Canada (SRC) à adopter son propre code, qui interdit toute publicité pendant les émissions pour enfants, et aussi dans les émissions dites familiales ou visant un auditoire de plus de 12 ans. En 1978, pour contrôler l'industrie de la publicité, le Parlement du Québec a adopté la Loi sur la protection du consommateur dont une disposition interdit la publicité télévisée destinée aux enfants de moins de 13 ans (articles 248 et 249)3. De plus, l'Association canadienne des radiodiffuseurs (l'ARC) a élaboré un code qui s'applique aux messages qui visent les enfants. Les normes de ce code ne s'appliquent qu'aux produits exclusivement ou majoritairement utilisés par les 12 ans et moins. Dans le cas précis de la nourriture, notamment des boissons gazeuses et autres friandises sucrées ou salées, les normes ne s'appliquent pas puisque ces produits ne sont mangés ni exclusivement ni majoritairement par les moins de 12 ans. Le code sanctionne les annonces dont le langage, les arguments de vente et les aspects visuels s'adressent principalement aux enfants, ainsi que les émissions et les moments de diffusion qui les concernent directement. Ce code compte une trentaine de directives qui vont de l'interdiction de certains produits à celle de l'utilisation de personnages fictifs connus des enfants (tels Bugs Bunny ou Caillou). Les messages ne doivent pas exagérer la performance ou les caractéristiques d'un produit, ni laisser croire aux enfants que la possession d'un objet les rendrait supérieurs ; ils ne doivent pas non plus inciter les enfants à acheter ou à convaincre les parents d'acheter un produit publicisé. Les publicités destinées aux enfants doivent être approuvées avant diffusion par la Fondation canadienne de la publicité, qui est elle-même un regroupement de publicitaires. Par conséquent, tous les diffuseurs sont tenus de se conformer au code.
13À la lumière des remarques précédentes, nous avons entrepris un examen rigoureux et précis de la publicité télévisée québécoise francophone touchant l'alimentation, tenant compte à la fois des types d'émission, des heures de diffusion et des contenus publicitaires (aspects visuels, choix des personnages, etc.). Un corpus de messages publicitaires portant sur ce thème a été constitué à même la programmation des sept chaînes de télévision de langue française au Québec. La cote d'écoute permet d'identifier les chaînes et les heures où les jeunes du cycle primaire sont les plus présents : de 15 h à 22 h du lundi au vendredi, de 6 h à minuit le samedi et de 6 h à 22 h le dimanche : les deux chaînes publiques, la Société Radio-Canada et Radio-Québec (aujourd'hui Télé-Québec) et les deux chaînes privées, TVA et TQS, et trois chaînes câblées spécialisées Musique Plus, MusiMax et Télétoon. Les publicités sont enregistrées durant la dernière semaine du mois de mars 2002 à l'aide de 7 magnétoscopes (un par chaîne) fonctionnant simultanément, pour un total de 112 vidéocassettes contenant 483 heures d'enregistrement. Après l'encodage des variables d'identification et de repérage, les publicités de nourriture sont rassemblées sur une même cassette. Le repérage s'effectue par le « visionnement » des enregistrements quotidiens. Le protocole de codage prévoit que le moment d'apparition soit d'abord noté, c'est-à-dire l'heure de la publicité dans la grille horaire, si elle est placée avant, pendant ou après une émission, et le nombre de fois qu'elle apparaît. La présence d'une publicité autre que de nourriture est identifiée d'un « X » et celle d'une publicité de nourriture, d'un « N » accompagné de son numéro d'identification et du nombre d'apparitions. Le repérage se décline chaîne par chaîne et le cumul de l'ensemble des apparitions par journée et par chaîne est ensuite calculé et noté.
14L'objectif vise à tracer un portrait nutritionnel global de l'ensemble des produits alimentaires annoncés à la télévision aux heures d'écoute des enfants. Les produits sont d'abord classés selon le Guide alimentaire canadien pour manger sainement et ensuite à partir de leurs propriétés physiques générales. Le choix de ces critères se fonde sur les besoins de la clientèle visée (enfants) et sur les recommandations nutritionnelles (National Academy of sciences, 2002 ; Santé et bien-être social Canada, 1990) afin que la qualité nutritionnelle des produits puisse être bien évaluée.
15L'atteinte et la protection du capital santé des enfants reposent sur au moins trois considérations sur le plan de la nutrition :
-
les besoins nutritionnels élevés du fait de la période de croissance ;
-
le besoin de prévenir le surplus de poids, une condition qui affecte plus du tiers des jeunes Canadiens (Statistique Canada, 2002) et qui est associée à diverses maladies chroniques dont le diabète de type II, les maladies cardio-vasculaires et divers types de cancers (OMS, 2003) ;
-
l'acquisition de bonnes habitudes alimentaires qui tendent à persister durant toute la vie.
16Ces considérations nous amènent à retenir cinq critères se reportant aux gras, aux sucres, au sodium et aux fibres, ces éléments souvent mis en cause dans les déséquilibres alimentaires. Ainsi, selon la National Academy of Sciences (2002), un apport acceptable en gras total représente de 25 à 35 % de l'apport énergétique quotidien chez l'enfant de 4 à 18 ans. Bien que cette recommandation ait été formulée par rapport à la ration totale quotidienne, nous l'appliquons au produit annoncé. Dans une optique de prévention, nous retenons la mention « faible teneur en graisses saturées » : qui s'applique à un produit qui contient moins de 2 g de graisses, saturées et trans combinées, par portion indiquée (Santé Canada, 2003). Relativement aux sucres ajoutés, la National Academy of Sciences recommande qu'ils ne doivent pas représenter plus de 25 % de l'apport énergétique quotidien et qu'il s'agit d'une limite maximale en vue de protéger l'équilibre alimentaire et nutritionnel. Nous retenons ce pourcentage (25 %) comme indice de la valeur nutritionnelle des produits alimentaires publicisés, et non de l'apport énergétique quotidien afin de dégager une tendance générale. Quant au sodium, nous retenons la classification selon laquelle un aliment « sain » contient 360 mg ou moins de sodium par portion et un produit « sain » de type « repas » 480 mg ou moins (American Heart Association, 2003). Puisque les publicités annoncent à la fois des produits alimentaires simples et des produits combinés de type « repas confectionnés » (repas congelés, repas au restaurant), ce critère nous guide dans l'analyse nutritionnelle d'un éventail plus élargi de produits. Enfin, la même Academy of Sciences recommande que le régime alimentaire contienne 14 g de fibres par 1 000 kcal, proportion que nous retenons également.
17Pour connaître le contenu en nutriments des produits alimentaires, nous relevons d'abord l'information imprimée sur leurs étiquettes que nous complétons à l'aide du USDA National Nutrient Database for Standard Reference (USDA, 2003) et de la table des valeurs nutritives des aliments de Brault-Dubuc (2003). Enfin, nous utilisons les renseignements inscrits sur les sites Internet des compagnies qui produisent ces aliments et des établissements de restauration qui les servent.
18La validité de la procédure repose sur le choix de nos critères, puis sur leur application uniforme aux divers types de produits, de même que sur la fiabilité de la classification. Ainsi, nous avons effectué un test de fiabilité inter-juge sur un sous-échantillon d'au moins 10 % établi selon les règles de l'échantillonnage systématique probabiliste. À partir d'une publicité choisie au hasard parmi les 10 premières sur la liste alphabétique, nous choisissons ensuite chaque dixième sur la liste : en tout, 14 publicités sur 135. Le nombre final est déterminé selon le nombre nécessaire pour combler toutes les catégories des produits annoncés. Chacune des 14 publicités est reclassée par une cochercheure, et les résultats comparés à la classification initiale. La fiabilité, calculée selon la formule proposée par Huberman et Miles (1991 : 108), est de 86 %. Tous les désaccords sont alors discutés puis réconciliés.
19Pendant les 483 heures enregistrées, 9 858 publicités sont identifiées dont 2 267 (23 %) annoncent de la nourriture. Parmi celles-ci, 177 (7,8 %) annoncent les mêmes produits, mais dans des mises en scène différentes. Pour analyser plus finement les données, nous distinguons les chaînes spécialisées (câblées) des chaînes généralistes pour la simple raison que leur programmation est différente. En effet, la quasi-totalité du contenu des chaînes câblées est susceptible de plaire aux enfants du premier cycle d'enseignement contrairement au contenu des chaînes généralistes. Les publicités présentées pendant ou juste avant une émission pour enfants offrent une pertinence plus grande que celles qui sont présentées pendant, par exemple, un magazine d'information. Les publicités de nourriture représentent en moyenne 24 % du total des chaînes généralistes et 22 % des chaînes câblées. Le tableau 1 en fournit le détail.
Tableau 1. Nombre de publicités de nourriture aux deux types de chaînes
Chaînes/Pub
|
SRC
|
TQ
|
TVA
|
TQS
|
Télétoon
|
Musique +
|
Musimax
|
Total
|
Pub Nour
|
271
|
245
|
429
|
427
|
397
|
278
|
220
|
2 267
|
Pub Nour différentes
|
88
|
41
|
114
|
88
|
41
|
17
|
28
|
517
|
Pub Nour totale
|
359
(13 %)
|
287
(11 %)
|
543
(20 %)
|
515
(19 %)
|
438
(16 %)
|
295
(11 %)
|
248
(09 %)
|
2 685
(100 %
|
Pub totale
|
1 245
(13 %)
|
873
(09 %)
|
1 856
(19 %)
|
1 782
(18 %)
|
1 109
(11 %)
|
1 574
(16 %)
|
1 419
(14 %)
|
9 858
(100 %
|
Pub Nour : Publicités de nourriture
Pub Nour différentes : Publicités de nourriture différentes
20TVA (19 %) et TQS (18 %) présentent le plus grand nombre de publicités, suivies par Musique Plus (16 %), MusiMax (14 %), Radio-Canada (13 %), Télétoon (11 %) et Télé-Québec (9 %). Les chaînes qui diffusent le plus de publicités sont aussi celles qui en présentent le plus sur la nourriture durant la semaine observée. TVA et TQS diffusent 37 % de tout le corpus publicitaire et 39 % de tous les messages de nourriture. Les chaînes Musique Plus et Radio-Canada diffusent chacune 11 % et Musimax 9 %. Les chaînes Télé-Québec (9 %) et Télétoon (11 %) représentent 20 % de l'ensemble du corpus publicitaire, mais les messages de nourriture (en excluant les publicités de nourriture différentes) représentent respectivement 28 % et 36 % de l'ensemble des publicités qu'elles diffusent. Pour leur part, TQS, TVA et Radio-Canada diffusent respectivement 24 %, 23 % et 22 %. Pour l'ensemble des chaînes, 18 % des messages de nourriture mettent en scène des personnages-enfants de moins de 13 ans, contrevenant ainsi à la Loi sur la protection du consommateur.
21La proportion de messages publicitaires sur la nourriture auxquels les enfants sont exposés est donc très importante sur toutes les chaînes et plus particulièrement à Télétoon, la chaîne de dessins animés. Radio-Canada annonce la plus grande variété de nourriture — 88 messages différents sur 271 (32 %) —, soit le double de TQ et cinq fois plus que Musique Plus, qui rediffuse le plus souvent les mêmes messages.
22L'examen des 177 publicités permet d'identifier 135 produits alimentaires différents et de les classer dans 4 grandes catégories :
-
« les aliments répertoriés dans le Guide alimentaire canadien pour manger sainement » (GACMS). Celui-ci recommande de manger chaque jour une variété de produits appartenant aux groupes alimentaires suivants : les produits céréaliers (des grains entiers de préférence), les légumes et fruits (de couleur foncée de préférence), les produits laitiers (faibles en gras, de préférence) et les viandes ou substituts (tofu) ;
-
les « aliments à faible densité nutritive » : il s'agit d'aliments le plus souvent transformés et contenant surtout des matières grasses ou des sucres ou une grande quantité de sel ; cette catégorie comprend les condiments ;
-
les « boissons » autres que le lait et les jus de fruits ou de légumes ;
-
les « repas confectionnés », c'est-à-dire des mets prêts à l'emploi disponibles à l'épicerie, des repas servis au restaurant (restauration rapide et traditionnelle) et aussi des substituts de repas sous forme de boisson énergétique.
23La catégorie de produits alimentaires la plus présente à l'écran est celle des « repas confectionnés » (51 produits différents), suivie à parts égales des aliments du GACMS et des « aliments à faible densité nutritive » (36 produits chacune). Les « repas confectionnés », les « aliments à faible densité nutritive », comme les grignotines salées et les friandises sucrées, et les « boissons » représentent près de 75 % des produits alimentaires annoncés auprès des enfants (99 produits sur 135. Voir tableau 2).
Tableau 2. Aperçu des catégories de produits alimentaires annoncés
Catégories de produits
(n = nombre de sous-catégories différentes)
|
Nombre de produits différents
|
% du total
des produits
|
Aliments du GACMS
•Produits céréaliers (n = 11)
•Légumes et fruits (n = 6)
•Produits laitiers (n = 11)
•Viandes & substituts (n = 8)
|
36
|
26,6
|
Aliments de faible densité nutritive
Produits surtout sucrés1 (n = 22)
•Produits surtout gras2 (n = 10)
•Autres (n = 4)
|
36
|
26,6
|
Boissons
•Café (n = 5)
•Boissons alcoolisées (n = 4)
•Boissons gazeuses (n = 3)
|
12
|
8,8
|
Repas confectionnés
•Restauration traditionnelle (n = 23)
•Restauration rapide (n = 17)
•Mets prêts à l'emploi (n = 6)
•Substitut de repas (n = 1)
•Autres (n = 4)
|
51
|
37,8
|
Total
|
135
|
100,0
|
1 - Ces produits peuvent être également très gras.
2 - Ces produits peuvent être également très salés.
24Près des trois quarts (73,3 %) des produits alimentaires annoncés ne font pas partie du Guide alimentaire canadien pour manger sainement (GACMS). Les céréales à grains entiers, les légumes, les noix, les légumineuses et les produits laitiers plus faibles en gras et en sucres sont absents du paysage publicitaire. Les fruits sont à peine présents.
25Si l'alimentation quotidienne d'un enfant se base sur notre échantillon de publicités, elle se composerait de produits majoritairement exclus du GACMS et le tiers des repas proviendrait soit de l'épicerie ou du restaurant. L'enfant ne consommerait aucun pain de grains entiers, aucun produit laitier faible en gras et en sucres, aucune légumineuse ni aucune noix ; il ne goûterait que des raisins et des jus de fruits ; et son choix de légumes se limiterait à ceux des plats précuisinés ou servis au restaurant. Son alimentation globale serait déficiente en fibres alimentaires et fort probablement trop riche en gras total, en gras saturés et en sodium. En effet, parmi les 94 produits alimentaires que nous avons analysés selon les 5 critères nutritionnels retenus, 89 % fournissent moins de 14g de fibres par tranche de 1 000 kcal, 56 % contiennent plus de 35 % de leur énergie sous forme de gras total, 49 % contiennent plus de 2g de gras saturés et trans par portion, et 36 % dépassent, souvent et de beaucoup, la quantité de sodium jugée raisonnable. Enfin, 33 % des produits contiennent plus du quart de leur énergie sous forme de sucres ajoutés. Globalement, la grande majorité (82 %) des 94 produits publicisés contiennent des aliments qui ne satisfont pas aux exigences d'au moins 2 critères parmi les 5 retenus ; 32 % ne satisfont pas à 4 critères ; et seulement 4 % satisfont à tous les critères pourtant très raisonnables.
26Ce portrait nous permet d'affirmer que dans l'ensemble, les publicités de nourriture ne favorisent pas une alimentation équilibrée, en raison de la surreprésentation de produits qui ne répondent pas aux recommandations nutritionnelles, d'une part, et de l'absence totale de certains aliments nutritionnels de base, d'autre part.
27Plus le pourcentage des produits qui ne satisfont pas à ni l'un ni l'autre des critères est élevé, plus sera grande la probabilité que l'enfant ne consommera que les produits annoncés et plus se creusera une déficience nutritionnelle.
28L'analyse des 177 messages révèle que les arguments les plus récurrents sont ceux qui évoquent la saveur comme le « bon goût » et la qualité des produits ainsi que leur commodité comme la rapidité de leur préparation. Peu de messages misent sur le rêve comme la jeunesse, la beauté, l'aventure, le mystère. Force est de reconnaître que, loin d'être à l'avant-garde, la publicité télévisuelle de nourriture suit la vague populaire des émissions dites de téléréalité.
- 4 La parodie consiste à faire comme si on était dans un monde autre que celui de la publicité, tout (...)
29Concernant leurs mises en scène, la très grande majorité des messages publicitaires (82 %) présentent des figures associées à des récits et à des mondes réalistes de proximité. La figure privilégiée de l'énonciateur est celle de l'entreprise (59 %). La responsabilité énonciative est partagée conjointement par une voix over (85 %) et des personnages (84 %), les deux modes pouvant apparaître dans un même message. La voix over est le plus souvent masculine (62 %), parfois féminine (35 %) et rarement celle d'un adolescent (2,6 %). Conformément au Règlement d'application de la Loi sur la protection du consommateur, aucune voix d'enfant, susceptible d'attirer l'attention des petits et d'entraîner une quelconque identification, n'est entendue. Les scénarios sont construits en très grande majorité (78 %) sur le mode de la parodie humoristique, avec quelques devinettes (2 %) et jeux de mots (2 %)4. D'un point de vue rhétorique, 23 % des publicités présentent la transgression d'une norme (surtout celle de la réalité physique) et 73 % se terminent par un slogan. Seulement 7 % des figurants des messages publicitaires appartiennent au monde irréel (fée, déesse, bonhomme Mini-Wheat, Jos Louis animé, chien qui parle).
- 5 Les garçons apparaissent dans 27 des 29 messages où figurent des enfants et les filles dans 16. Su (...)
30Près du tiers (30 %) des messages publicitaires qui visent directement les jeunes ont recours à des personnages d'enfants (16 %) et d'adolescents (14 %) : dans les deux cas, les garçons sont beaucoup plus nombreux que les filles5. Les figures parentales sont présentes dans 13 % des publicités (les mères un peu plus souvent que les pères).
- 6 Ces émissions sont : à Radio-Canada : Watatatow, La fureur ; à TVA : Max inc., à Télé-Québec : Ram (...)
31Nous avons identifié les émissions qui obtiennent une cote d'écoute élevée auprès des jeunes et dont le pourcentage de messages publicitaires de nourriture est relativement important6 (en moyenne 32 %), diffusées par les quatre chaînes généralistes. Les aliments à faible densité nutritive, en particulier les grignotines sucrées et salées (30 %), la restauration rapide (18 %) et les boissons (12 %), sont représentés dans 60 % des produits annoncés. Quant aux chaînes câblées spécialisées, elles représentent 71 % : les grignotines sucrées et salées (41 %), la restauration rapide (10,5 %) et les boissons (20 %). Dans les deux cas, les produits laitiers constituent 14 % des messages publicitaires.
Tableau 3. Les 25 produits les plus fréquemment annoncés
- 7 Parmi les heures de diffusion retenues se trouvent des heures d'écoute familiale (de 18 à 22 h) et (...)
Fréquences
|
Produits
|
≥ 100 fois
|
Les yogourts (en tube Yoplait, Silhouette de Danone) ; les laits (Lactantia, Natrel) ; les restaurants Tim Horton.
|
De ≥ 75 à < 100 fois
|
Les épiceries Métro (étalages de fruits et de viande).
|
De ≥ 50 à < 75 fois
|
Les croustilles Doritos extrême ; boisson Deli-cinq ; céréales Corn Pops ; tartelettes Pop Tart ; jus Tropicana ; bonbons Menthos ; sous-marin BBQ de Subway.
|
De ≥ 25 à < 50 fois
|
Hamburger Whopper de Burger King ; gâteau Jos Louis de Vachon ; biscuits Oréo ; chocolat Oh Henry ! ; céréales Special K ; pizza Delissio de Kraft ; les restaurants St-Hubert ; les restaurants San Antonio Steak et pâtes ; pizza Salvadore ; Labatt bleu7 ; boisson Coca-cola ; biscuits Pillsburry ; bouillon de poulet Campbell ; les restaurants Le poulet frit Kentucky.
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32Notre analyse, en outre, révèle que la proportion des messages de nourriture dépasse les 40 %, à Radio-Canada, les jeudi et vendredi de 18 h à 19 h 30 et à TVA, aux cinémas du samedi et du dimanche après-midi. À TQS, les plus grandes concentrations sont à 16 h 30 du lundi au samedi pendant le dessin animé Les Simpsons (37 %) et le samedi de 14 h à 15 h 30 pendant les émissions Flipper (32 %) et Requin (40 %). Le petit journal, qui s'adresse aux jeunes, diffuse 25 publicités dont le tiers porte sur la nourriture : comparativement à un peu moins du quart (22 %) pendant la diffusion du Grand journal, qui s'adresse aux adultes,soit 4 sur 18.
33Dans l'ensemble de la programmation, le pourcentage moyen de publicité de nourriture s'établit à 36 %, avec un pic de 43 % le jeudi. À Télétoon, aux émissions des dessins animés Digimon et Pokemon, du lundi au vendredi, de 16 h à 20 h 30, la moyenne atteint 37 %. Notons que la diffusion des messages de nourriture commence dès 7 h aux émissions de dessins animés en fin de semaine.
34La moyenne de publicité de nourriture pour l'ensemble de la programmation à Musique Plus et Musimax ne dépasse pas 17 % pour atteindre un sommet de 38 % le samedi matin de 10 h à midi. Les samedi et dimanche, les publicités de nourriture sont diffusées dès le matin et se poursuivent jusqu'à minuit.
35Somme toute, il est possible d'établir une relation entre, d'une part, les types d'émission pour jeunes et l'heure de leur programmation et, d'autre part, la valeur nutritive des aliments annoncés dans les messages pendant leur diffusion et leur fréquence d'apparition. Cela indique fortement que les jeunes sont ciblés par les annonceurs de nourriture. Faut-il de nouveau insister sur le fait que parmi les produits les plus fréquemment publicisés, une majorité contrevient à plusieurs des recommandations nutritionnelles concernant les gras, les sucres ajoutés, le sodium, les fibres et les aliments de base ?
36À force de répétition, de telles représentations ne sont pas sans répercussion sur l'apport alimentaire des jeunes. Selon Coon et al. (2001), les habitudes de consommation alimentaire des enfants de la seconde moitié du cycle primaire sont modelées par la télévision, notamment dans les familles où l'on écoute la télévision en mangeant. Plus tard, même si les adolescents reconnaissent l'influence publicitaire exercée sur eux et se montrent plus critiques, cette influence continue à se manifester dans les choix et les comportements alimentaires (Brown et Witherspoon, 2002 ; Watiez et Wisner-Bourgeois, 2002). Au-delà de l'apport alimentaire, la publicité pèse aussi sur les modes de vie puisque la promotion d'aliments de consommation rapide suggère que l'on peut avoir accès à un repas sans le préparer, en allant directement au restaurant ou en l'achetant à un comptoir réfrigéré ou surgelé d'un supermarché. À une période où l'augmentation draconienne de la prévalence de l'obésité chez les jeunes Canadiens (Tremblay, Katzmarzyk et Willms, 2002) préoccupe le secteur de la santé publique, l'influence des représentations télévisuelles sur les pratiques alimentaires des jeunes appelle à l'action concertée.
37Au terme de cet examen des contenus des messages qui annoncent des aliments diffusés à la télévision francophone du Québec et qui visent plus spécifiquement les enfants, il faut souligner la rentabilité de l'approche multidisciplinaire. D'une part, il s'agit d'examiner la valeur nutritionnelle des aliments annoncés. La méthode utilisée permet de montrer que le contenu de ces messages ne favorise pas une alimentation équilibrée, non pas en raison de la présence de certains produits alimentaires, mais plutôt par la surreprésentation de produits qui contreviennent aux recommandations nutritionnelles et par l'absence totale de certains aliments qui sont, au contraire, fortement recommandés. D'autre part, l'analyse des scénarios permet de montrer qu'un grand nombre de messages visent directement les enfants de moins de 13 ans, tant par les aspects visuels (personnages, mises en scène) que par le genre d'émission et le moment de leur diffusion, ce qui va à l'encontre de la réglementation québécoise et canadienne à cet égard. En ne respectant pas les exigences du code dont ils se sont dotés, les diffuseurs ne protègent pas les jeunes contre les messages non conformes aux critères nutritionnels favorables à un développement sain.
38Bien sûr, les messages publicitaires ne sont pas les seules sources d'influence qui aident les jeunes à développer des habitudes alimentaires équilibrées. D'autres sources peuvent favoriser la formation et le maintien de ces habitudes. Les autres volets de notre projet de recherche visent leur analyse. La présente étude, par son approche multidisciplinaire, s'inscrit dans le courant des recherches sur la réception des médias et s'éloigne du paradigme des effets directs. Elle tient compte des autres médiations, notamment familiales, éducatives, sociales et économiques. Une des retombées de cette étude touche plus particulièrement les institutions éducatives et la formation des enseignants ; en effet, les résultats obtenus peuvent contribuer aux dispositifs de formation dont les exigences sont à la mesure des sollicitations exercées en direction du jeune public par la communication publicitaire.