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Les mises en scène du discours médiatique

Introduction
Guylaine Martel
p. 11-17

Texte intégral

1Depuis leur apparition dans l’espace médiatique, les médias oraux ont contribué de façon toute particulière à l’émergence de genres communicationnels nouveaux. Distincts des médias écrits, tant par la complexité de leur environnement technique que par leur hétérogénéité discursive, les téléjournaux, les débats politiques, les talk-shows, les émissions de services et de variétés ont permis le développement d’espaces de communication privilégiés autour desquels se sont fidélisés les auditoires les plus variés. Pourtant, malgré leur évidente popularité, la description scientifique de ces genres communicationnels est relativement récente et le partage des connaissances concernant cet objet, en constante évolution, ne se fait pas toujours dans la cohérence. Les emprunts théoriques et méthodologiques pour l’aborder sont multiples, rarement explicités, et se limitent le plus souvent à des analyses ponctuelles qui ne saisissent pas toujours adéquatement le contexte de leur production.

2Dans une perspective résolument interdisciplinaire, le colloque Les mises en scène du discours médiatique, présenté à l’Université Laval (Québec), en juin 2007, tenait précisément à favoriser la mise en commun de l’expertise de chercheurs associés à deux vastes champs disciplinaires, les sciences du langage et les sciences de la communication. Insistant sur la nécessité d’expliciter la nature des liens entre ces deux domaines, le colloque visait deux objectifs principaux : ouvrir à plusieurs disciplines un vaste ensemble de données authentiques dont l’organisation est contrainte par des règles de communication propres au domaine médiatique et témoigner de la pertinence de diverses approches discursives et paradiscursives pour l’étude de phénomènes liés à la communication médiatique. Ainsi, plusieurs types d’expertises linguistiques (analyse du discours et de la conversation, interactionnisme, pragmatique, sociolinguistique, phonétique, prosodie) ont été appliquées à des problématiques typiquement communicationnelles comme la standardisation des genres, les stratégies de ratification des auditoires et les mécanismes discursifs assurant la performance communicationnelle. Le thème du colloque portait de façon toute spécifique sur les formats particuliers dans lesquels sont diffusés les contenus des productions médiatiques.

3S’inspirant du colloque Le français parlé dans les médias, organisé en 2005 à l’Université de Stockholm, le colloque de Québec a donné lieu à une rencontre de trois jours au cours desquels 8 conférences plénières et 42 communications ont été présentées par une cinquantaine de professeurs et d’étudiants-chercheurs en provenance d’une douzaine de pays. Outre les actes du colloque, disponibles pour téléchargement à partir du site www.com.ulaval.ca/lab-o, les textes colligés dans ce numéro spécial de la revue Communication témoignent de la diversité de cadres théoriques, des approches méthodologiques et des ensembles de données authentiques qui ont été exploités afin de mieux saisir les phénomènes de communication médiatique actuels.

4Par la discussion de quelques aspects théoriques et méthodologiques Marcel Burger (« Le cadrage de la communication dans les médias : apports d’une analyse linguistique »), de l'Université de Lausanne,  vise à mettre en relation les sciences du langage et des discours et les sciences de la communication et des médias. Depuis quelque temps, les premières ont effectué un « virage actionnel » qui souligne l’importance des notions d’action et d’activité communicatives pour l’analyse et la compréhension des phénomènes langagiers. Dans le même temps, les secondes ont opéré un « virage linguistique » du fait d’admettre, progressivement, l’importance du langage et des discours dans l’analyse et la compréhension des phénomènes de communication. Une épistémologie « constructiviste » (Mucchieli et Noy, 2005) ou « interactionniste » (Filliettaz, 2002) permet de penser les enjeux de ces deux « virages », depuis l’un et l’autre des horizons : sciences de la communication et des médias, respectivement, sciences du langage et des discours. Situés dans un tel cadre global, nous analysons dans le détail — linguistique et communicationnel — deux séquences de débat télévisé relevant de deux genres de débats médiatiques que nous définissons préalablement : le débat « citoyen » fondé sur l’expression d’un discours allocentré et argumentatif de la part d’experts dans un domaine social ; et le débat « témoignage » fondé sur l’expression d’un discours égocentré et à dominante autobiographique produit par des participants non experts, invités sur le plateau de télévision en vertu de leur expérience de vie singulière.

5Pour répondre à la question « Une éthique du discours médiatique est-elle possible ? », Patrick Charaudeau de l'Université Paris XIII examine quelles sont les conditions de réalisation de ce discours, quelle place il occupe dans les pratiques sociales, quelles sont ses contraintes, quelles sont ses possibles stratégies de mise en scène. Seront donc envisagés ici, et successivement, les domaines d’activité qui structurent la société, le dispositif et les contraintes propres au discours médiatique d’information, enfin, les dérives auxquelles celui-ci se livre, engageant ainsi sa responsabilité. C’est alors que pourra être posée la question de l’éthique au regard de ce que sont les caractéristiques de ce type de discours.

6Après une discussion sur la notion de « genre » en analyse du discours (Maingueneau, 2007), Mats Forsgren et Françoise Sullet-Nylander (« Genre médiatique, activités linguistiques et degré d’interactivité : le cas du talk-show »), de l'Université de Stockholm, mettent le talk-show en rapport avec d’autres genres appartenant à « la grande famille des interactions médiatiques » (Kerbrat-Orecchioni, 2005). Même si, à priori, le talk-show constitue le genre médiatique le plus interactif — de par le nombre de participants et la nature des prises de parole —, nous posons en première hypothèse qu’aussi bien le type que le degré d’interactivité sont susceptibles de varier en fonction du script choisi par l’animateur. L’analyse linguistico-discursive porte sur deux émissions françaises bien connues : Vie privée, vie publique et On ne peut pas plaire à tout le monde. Cette analyse permet de formuler des conclusions préliminaires quant aux caractéristiques linguistiques et discursives du talk-show, tout en mettant en avant des différences sensibles dans les deux échantillons analysés, plus particulièrement du point de vue du rôle de l’animateur, de son mode de questionnement, mais aussi de la variation registrale et du degré d’interactivité.

7En quoi et comment la notion de dialogisme de Bakhtine et certaines de ses facettes peuvent-elles permettre d’envisager les stratégies mises en place lors d’une interview politique télévisée ? À travers une interview de Lionel Jospin, alors premier ministre de la France, par David Pujadas, présentateur du journal télévisé de 20 h de France 2, Virginie Delmas (« Approche dialogique d’une interview politique télévisée ») de l'Université Paris V aborde les phénomènes d’interdiscours, de discours rapporté, ainsi que ceux résultant du dialogue effectif (reprises, reformulations, attributions, etc.) pour voir comment ils sont mobilisés par chacun des locuteurs et l’incidence qu’ils ont sur le déroulement de l’interview.

8Le texte d'Ioanna Vovou (« La politique comme un jeu télévisé : les talk-shows français »), de l'Université Paris XIII, pose la question de la relation entre l’univers politique et le registre ludique dans des mises en scène télévisuelles. Prenant comme exemple les émissions de talk-show français du type On a tout essayé, Tout le monde en parle, On ne peut pas plaire à tout le monde ou La méthode Cauet, nous étudions le cadre d’interaction télévisuelle proposé pour le discours politique et ses acteurs, notamment son affiliation à l’univers du jeu, et plus précisément au genre « jeu télévisé ». Si l’espace politique se transforme en espace de jeu, il s’agit d’interroger à nouveau le rapport de la télévision à la politique, influencé par le contexte d’une société au sein de laquelle l’information politique ne serait pas reçue littéralement, mais en se référant à un univers symbolique en lien avec la notion de « gain ». Les métamorphoses de l’espace politique qui emprunte à la dramaturgie du jeu strictement réglementé, tel qu’il se manifeste dans des mises en scène qui ressemblent à celles des jeux télévisés, sont analysées afin de comprendre le prisme particulier à partir duquel la télévision participe à la construction de la vision politique des téléspectateurs.

9Le 13 décembre 2006, la Radio Télévision Belge Francophone (RTBF) annonçait, dans un vrai journal télévisé spécial, la fausse nouvelle que la Flandre venait de déclarer son indépendance. On connaît toutes les divisions politiques, économiques et linguistiques qui existent entre la Flandre et la Wallonie, et le désir de la Flandre de faire sécession. L’intention performative de cette manipulation médiatique était de sensibiliser l’opinion francophone aux risques d’une scission flamande. Le JT fut donc une vraie émission sur la situation politique de la Belgique, destinée à provoquer une prise de conscience. Mais cette manipulation a également un intérêt en raison de sa stratégie générique et argumentative tout à fait exceptionnelle. En effet, elle repose sur une transformation générique du JT en information fictionnelle : un genre pour le moins paradoxal. L’ensemble de ce dispositif assez complexe se caractérise donc par : le contexte extramédiatique, vraisemblance discursive et situation politique ; l’instance médiatique et le producteur du discours ; le scénario médiatique, qui passe du mensonge (fausse information présentée comme vraie) à la fiction avouée ; le dispositif énonciatif qui s’appuie sur la fonction du direct comme signe du vrai, et la confusion entre des énonciations authentiques et des énonciations fictionnelles ; la relation avec le destinataire, structurée essentiellement sur des effets de surprise et de pathos. À travers l’analyse des caractéristiques du JT spécial de cette fausse nouvelle, Jean-Paul Dufiet (« Manipulation et information fictionnelle »), de l'Université de Trento, décrypte le rapport entre mise en scène linguistique et sémiotique d’une part, et manipulation médiatique d’autre part.

10La structure prosodique du français véhicule des informations non seulement syntaxiques et sémantiques, mais également stylistiques et discursives. Les marques prosodiques tels le débit, le rythme et l’accentuation varient selon la situation de communication, de la plus formelle à la moins formelle, par exemple. Le bulletin de nouvelles, même s’il s’agit d’un discours contraint, fait toutefois place à un style moins formel notamment lors des dialogues entre le chef d’antenne et les journalistes. L’objectif de cette étude menée par Caroline Émond et Lucie Ménard (« Les marques prosodiques des styles de parole dans les téléjournaux québécois »), de l'Université du Québec à Montréal, est de décrire les caractéristiques prosodiques qui constituent les marques des situations de discours monologale (chef d’antenne seul) et dialogale (chef d’antenne en interaction). Six bulletins de nouvelles, dont trois chefs d’antenne, diffusés par la chaîne francophone québécoise de la Société Radio-Canada (SRC) ont été enregistrés, numérisés, puis analysés à l’aide d’un logiciel de traitement de la parole. Les contextes de lecture et d’interaction ont été retenus. Les résultats démontrent que les chefs d’antenne modulent davantage leur voix en lecture et ont un débit plus accéléré en interaction, ce qui est conforme à une première étude sur le même sujet (Ménard, Martel et Émond, 2004). Ces résultats démontrent la robustesse des indices prosodiques reliés à la variation communicationnelle.

11La transition réussie (sans blanc radiophonique) entre différents moments radiophoniques est généralement transparente pour les auditeurs à distance. Afin de comprendre précisément de quelle manière la transition est accomplie de l’intérieur, il est essentiel d’analyser la communication qui survient « en interne », parfois de manière parallèle à la parole publique. À travers des données d’ethnographie vidéo en situation de travail, l’analyse se centre sur le processus de production dans les « coulisses » (Goffman, 1973) de la radio. Les interactants travaillent de manière collaborative avec l’aide de la vitre épaisse qui « favorise l’isolation acoustique d’une région à défaut de son isolation optique » (Goffman, 1973). Karine Lan Hing Ting et Dimitri Voilmy (« L’évitement du blanc radiophonique comme accomplissement multimodal ») examinent comment les pauses musicales sont décidées in situ et en collaboration entre animateur et technicien, qui mobilisent diverses ressources — interactionnelles, gestuelles et matérielles. À travers l’examen détaillé de l’interaction constante entre animateur et technicien, l’activité conjointe de transition entre deux moments radiophoniques en conditions de production et de réalisation d’émissions en direct se révèle être un accomplissement multimodal complexe.

12L’originalité et la qualité des résultats qui ont été présentés au colloque Les mises en scène du discours médiatique confirment l’intérêt d’un regard interdisciplinaire pour rendre compte de la complexité et de l’hétérogénéité des genres médiatiques. Le succès de cet événement révèle également l’importance d’assurer la cohérence scientifique de nos analyses en organisant des rencontres visant à la fois la mise en commun des résultats et des principes et mécanismes qui sous-tendent la recherche. Dans cette perspective, des démarches sont déjà entreprises en vue de poursuivre la réflexion au cours de prochaines présentations. Les membres des comités d’organisation des colloques de Stockholm et de Québec remercient chaleureusement les participants de ces deux premières rencontres et comptent sur leur présence future pour assurer, de façon aussi agréable qu’enrichissante, l’état d’avancement de nos connaissances.

13Les membres des comités d’organisation des colloques de Stockholm et de Québec — Denise Deshaies (Québec), Guylaine Martel (Québec), Lucie Ménard (Montréal), Olivier Turbide (Québec), Kristin Reinke (Berlin), Marlec Burger (Lausanne), Mathias Broth (Stockholm) et Françoise Sullet-Nylander (Stockholm) — remercient chaleureusement pour leur soutien financier le Conseil des recherches en sciences humaines du Canada, le Vice-recteur du développement international de l’Université Laval, la Faculté des lettres de l’Université Laval et ses départements d’Information et de communication et de Langues et linguistiques, le Centre d’études des médias, le Centre interdisciplinaire de recherches sur les activités langagières et le Lab-O.

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Pour citer cet article

Référence papier

Guylaine Martel, « Les mises en scène du discours médiatique »Communication, Vol. 27/2 | 2010, 11-17.

Référence électronique

Guylaine Martel, « Les mises en scène du discours médiatique »Communication [En ligne], Vol. 27/2 | 2010, mis en ligne le 14 août 2012, consulté le 14 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/communication/3062 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/communication.3062

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Auteur

Guylaine Martel

Guylaine Martel est professeure au département d’information et de communication à l’Université Laval (Québec). Courriel : guylaine.martel@com.ulaval.ca

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