Navigation – Plan du site

AccueilNumérosVol. 28/1LecturesStéphane OLIVESI (2007), Référenc...

Lectures

Stéphane OLIVESI (2007), Référence, déférence. Une sociologie de la citation

Paris, L’Harmattan
Nicolas Harvey
p. 335-338
Référence(s) :

Stéphane OLIVESI (2007), Référence, déférence. Une sociologie de la citation, Paris, L’Harmattan.

Texte intégral

1En écartant l’idée que les références et les citations des publications scientifiques étaient rédigées de manière désintéressée, Stéphane Olivesi est parti de l’hypothèse que celles-ci comportaient une grande valeur stratégique pour les auteurs. La socialisation scientifique aurait par conséquent une influence énorme dans l’acquisition des normes citationnelles, qui feront par la suite partie de la routine du travail académique. « L’essentiel consiste moins à produire de la connaissance (que reste-t-il des centaines, voire des milliers de thèses produites annuellement ?) qu’à susciter la reconnaissance sociale de ceux dont ces mêmes entrants dépendent et dont tout le métier consiste précisément à savoir gérer leurs attentes et leurs investissements dans le jeu en renforçant les croyances sur lesquelles se fonde leur domination sur ceux-ci » (p. 91).

2Les principaux matériaux empiriques de l’auteur reposent sur les actes de 3 congrès de la Société française des sciences de l’information et de la communication (SFSIC) ainsi que sur 11 entretiens semi-directifs effectués auprès de ses participants, l’auteur ayant pris la précaution d’interviewer des chercheurs ayant des statuts différents, du doctorant au professeur des universités. Afin de faire une comparaison interdisciplinaire, l’auteur a aussi étudié un nombre limité d’articles et de thèses de science politique et de sociologie du travail.

3Conscient d’une tendance très actuelle à la scientométrie, qui servirait à quantifier la production scientifique du chercheur par l’occurrence des citations, l’auteur commence par montrer toutes les limites de cette technique. Cette « citationnologie » répondrait avant tout à une contrainte administrative d’évaluer la recherche plutôt qu’à une mesure objective de quantification de la qualité de la recherche (p. 15). L’auteur critique ainsi ces techniques, car elles ne tiendraient pas compte de toutes les subtilités des registres citationnels. Ainsi, dans son étude sur les références, Olivesi considère avec raison que toute démarche quantitative doit être appuyée par une démarche qualitative, principe qu’il a mis en œuvre grâce à ses entretiens (p. 28).

4Olivesi s’attaque donc à des mythes professionnels importants dans le monde universitaire, ceux « de liberté, d’autonomie [et] de conscience individuelle » (p. 33) qui seraient les seules motivations dans la production scientifique du chercheur. La citation relèverait selon lui davantage de stratégies plus ou moins assumées permettant un certain positionnement dans le champ disciplinaire. En mentionnant que toutes les citations ne possèdent pas la même valeur, l’auteur propose une typologie des citations où il détermine 3 registres principaux impliquant 17 logiques citationnelles distinctes.

5Le premier est le registre primaire où le citant et le cité se côtoient dans un même champ disciplinaire. Le lien relationnel y est donc le plus fort. On y retrouve les logiques de cooptation, d’allégeance/déférence, de reconnaissance, d’interdépendance, de connivence, d’appartenance et d’autopromotion. Le deuxième est le registre secondaire où les agents cités ne se trouvent pas dans le même champ que le citant, parce que les cités sont décédés (et sont souvent des références canoniques), sont étrangers ou appartiennent à une autre discipline. L’auteur distingue dans ce registre les logiques de placement, d’imposition définitionnelle, de monstration de ressources et de légitimation. Enfin, le dernier est le registre négatif où le citant s’identifie de façon négative, par opposition, à un auteur ou à une école. Se côtoient ici les logiques d’occultation, de raréfaction, d’ignorance, de critique, d’allusion et d’anomie (p. 35). Seule la « logique » anomique ne porte pas bien son nom — l’auteur aurait pu utiliser le terme illogique —, car elle fait référence à des incohérences citationnelles qui relèveraient notamment d’une « insuffisante socialisation scientifique » (p. 42). Les citations anomiques « traduisent souvent une méconnaissance réelle des auteurs mentionnés comme en témoignent les approximations, les évocations allusives, les contresens qui laissent entrevoir que les contributeurs ne sont le plus souvent guère familiers des auteurs qu’ils citent » (p. 61). Cette typologie est intéressante, mais est peut-être sous-exploitée par l’auteur. Malgré une relative homogénéité du corpus, l’auteur n’a pas tenté une — difficile — quantification de ces registres et de ces logiques.

6Dans son enquête sur les actes des congrès de la SFSIC, un premier constat fait par l’auteur est l’hétérogénéité citationnelle dans les différentes communications, notamment au niveau du nombre de citations par article. Cette hétérogénéité diffère énormément selon la discipline, où par exemple la science politique, plus institutionnalisée, possède une plus grande normalisation du format des articles, affichant donc un plus faible écart-type en ce qui concerne le nombre de citations par article (p. 47). Les sciences de l’information et de la communication (SIC) se distinguent également des autres disciplines plus institutionnalisées par une proportion importante de citations extra-disciplinaires, soit d’auteurs venant de disciplines extérieures comme la science politique ou la sociologie, soit d’intellectuels appartenant davantage au champ médiatique tels que Dominique Wolton (p. 60). Bien que l’auteur ait pu observer une progression de la proportion de citations provenant des SIC lors des différents congrès, il s’est questionné sur la lenteur du processus d’autonomisation de la discipline. Ainsi, moins de 20 % des citations des actes du congrès de la SFSIC de 2006 relevaient de la discipline, par rapport à plus de 80 % (en sociologie) pour la Revue française de sociologie (p. 82). Olivesi a aussi pu observer, grâce à ses entretiens, la multitude de stratégies sollicitées par les auteurs : « […] citer prioritairement des auteurs du champ, citer et se positionner par rapport à des mandarins bien visibles, citer alternativement des auteurs SIC et non SIC afin de signifier clairement la nécessité d’une interdisciplinarité raisonnée, mais aussi ne pas citer d’auteurs SIC comme pour signifier publiquement les limites de cette interdisciplinarité » (p. 50).

7Un seul chercheur des SIC, en l’occurrence Bernard Miège, a été cité par au moins cinq auteurs lors des trois congrès étudiés. Sa position dominante dans la discipline explique en grande partie ce constat : « président d’université, président de CNU, président de la SFSIC, directeur de centre de recherche mais aussi producteur d’un grand nombre de livres et d’articles largement reconnus, directeur de collection… » (p. 52). De plus, deux chercheurs hors discipline, en l’occurrence Pierre Bourdieu et Patrice Flichy, ont été cités par au moins cinq auteurs lors de ces trois congrès. Dans le second cas, l’auteur mentionne que Flichy, bien qu’institutionnellement sociologue, dirige une des revues phares de la discipline des SIC (p. 57).

8Plus surprenant est le constat que fait Olivesi de « l’aveuglement » des chercheurs dominés des SIC, soit des doctorants et des docteurs sans poste. Ces derniers n’auraient pas conscience des enjeux de la discipline et ne citeraient que des chercheurs venant de leur université ou de leur centre de recherche, en premier lieu leur directeur de thèse. Cette observation peut être expliquée par une mauvaise intégration de ces nouveaux entrants dans la discipline, mais aussi par leur dépendance face à leur institution formatrice due en partie à un recrutement local des enseignants-chercheurs qui se généraliserait (p. 68).

9Nous pouvons constater toute la richesse du travail empirique qu’a fait l’auteur, notamment par les nombreux extraits d’entretiens soutenant l’analyse. Pour des raisons évidentes de positionnement stratégique à l’intérieur de la discipline, les entretiens cités par l’auteur sont « anonymisés ». Cependant, cette anonymisation est poussée si loin que le propos devient difficilement compréhensible, notamment lorsque les interviewés évoquent des institutions, des courants ou des auteurs qui sont remplacés par Olivesi par des lettres telles que X, Y ou Z.

10En somme, l’ouvrage trace un portrait intéressant et exhaustif des différentes stratégies citationnelles en SIC. Plusieurs pourront lui reprocher de ne pas considérer qu’il puisse exister des citations dépassant toute considération stratégique, respectant les principes éthiques d’une certaine distanciation scientifique. L’auteur assume ses choix et offre un ouvrage cohérent.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Nicolas Harvey, « Stéphane OLIVESI (2007), Référence, déférence. Une sociologie de la citation »Communication, Vol. 28/1 | 2010, 335-338.

Référence électronique

Nicolas Harvey, « Stéphane OLIVESI (2007), Référence, déférence. Une sociologie de la citation »Communication [En ligne], Vol. 28/1 | 2010, mis en ligne le 27 septembre 2011, consulté le 22 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/communication/2201 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/communication.2201

Haut de page

Auteur

Nicolas Harvey

Nicolas Harvey est professeur au Département de communication de l’Université d’Ottawa. Courriel : nicolas.harvey@yahoo.fr

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search