Jacques MISTRAL (2008), La troisième révolution américaine
Jacques MISTRAL (2008), La troisième révolution américaine, Paris, Éditions Perrin.
Texte intégral
1Cet ouvrage réunit et synthétise les observations et les réflexions faites par l’auteur pendant un long séjour aux États-Unis (2001-2006) qui l’a conduit de l’ambassade de France à Washington à l’Université de Harvard, où il a enseigné un an avant de rentrer à Paris. Terminé au cours de l’été 2008, ce livre n’intègre ni ne prédit le résultat de l’élection présidentielle qui a porté Barack Obama à la magistrature suprême des États-Unis en novembre 2008. Mais, il donne d’utiles clés pour interpréter les retombées de la crise qu’a traversée ce pays au moment de la prise de fonction du nouveau président élu.
2Au-delà des circonstances troublées qui ont accompagné la transition politique de l’hiver 2008-2009, circonstances exceptionnelles mais passagères, l’ouvrage de Jacques Mistral comporte des analyses qui méritent le détour et sur lesquelles je vais m’étendre plus longuement, car l’auteur témoigne d’une compréhension de l’Amérique beaucoup plus solide que celle de trop nombreux commentateurs que l’on qualifie « d’autorisés » bien que leurs sources, peu nombreuses et insuffisamment diverses, se bornent souvent à une lecture du New York Times, voire du Washington Post ! Clairement, ce n’est pas le cas de Mistral : son analyse dépasse les lieux communs, il le dit clairement dans son texte, car il s’efforce de rechercher, dans le tréfonds de la société étatsunienne, les facteurs politiques et sociaux qui en expliquent la solidité et les qualités historiques, malgré les travers (et au-delà d’eux) que stigmatisent trop facilement les observateurs superficiels.
- 1 En raison de la mécanique complexe de cette élection au suffrage indirect, le président fut élu en (...)
3Partant d’un constat fondamentalement optimiste (en introduction), Mistral passe en revue les éléments à charge de la présidence de G.W. Bush. Il résume (chapitre 1) les causes du déclin rapide et imprévu de cette période de huit ans qui avait commencé en 2000 dans une certaine confusion électorale1, qui s’est prolongée par une réélection de « sénateur » en 2004 et qui s’est terminée par une crise financière très grave dont le désordre perturbe durablement l’économie mondiale depuis septembre 2008 ! L’auteur revient (chapitre 2) sur les causes et sur les conséquences de l’endettement public des États-Unis, sur la profonde transformation de l’emploi et de la création de richesse au cours des années récentes et sur les conditions de vie de l’Amérique contemporaine (chapitre 3). Cette première partie du livre établit un constat sans complaisance : si « le rêve américain [est] ébréché », il n’est toutefois pas mort ! Ainsi, au-delà de quelques détails qui peuvent prêter à discussion entre spécialistes, le constat est bien posé ; cela ne mérite donc pas d’autres commentaires.
- 2 Une période trentenaire antérieure mais semblable à nos propres Trente Glorieuses popularisées par (...)
4La suite du livre, par contre, apporte des éléments qui suscitent la réflexion et, peut-être, un débat : elle brosse en effet une trilogie que j’estime judicieuse. L’auteur imagine les trois axes d’un probable rebond étatsunien : un rebond sociologique (réinventer la classe moyenne), un rebond écologique (sauver la planète) et un rebond industriel (recréer une industrie compétitive). Sur le premier point (chapitre 4), Mistral souligne que la population active a vécu une profonde rupture depuis les années 1980 : il rappelle que le paradigme de l’emploi a changé, que les rapports sociaux se sont modifiés et, notamment, que le contrat social construit pour la production fordiste des « Trente Glorieuses » étatsuniennes2 a cédé la place à des relations de travail changeantes, moins protectrices pour les salariés.
5Le deuxième axe prospectif de ce livre touche à l’écologie (chapitre 5) : Mistral suggère que les États-Unis possèdent déjà les ressorts nécessaires pour que, relayant la puissance publique, l’entrepreneur et l’investisseur se saisissent des questions d’environnement. Rétrograde par son bilan énergétique, la société étatsunienne a déjà montré, nous dit-il, son aptitude à transformer un défi sociétal, celui d’un mode de vie énergivore, en occasions futures de marché. Cette aptitude à relever le gant là où le reste de la planète semble le moins les attendre est bien mise en évidence, et je la crois très juste. C’est l’un des points forts du diagnostic de l’auteur, qui dépasse ainsi le court terme politique et souligne, au-delà des apparences, le fort potentiel du défi américain à venir.
6Les réflexions consacrées au devenir industriel des États-Unis (chapitre 6) complètent utilement le tableau des perspectives à moyen terme : certes, une partie de la population peut être tentée par un retour au protectionnisme qui, soit dit en passant, n’a jamais été éradiqué aux États-Unis (par exemple, la persistance des contraintes du Buy American Act). L’ouverture internationale reste cependant nécessaire à l’expansion des nombreuses entreprises efficaces dont les Étatsuniens ont tout de même gardé le secret. Si le doute est encore de mise, en ce moment de transition politique, sur les détails de la relance industrielle qui pourrait réanimer les États-Unis au cours des prochaines années, l’espoir de retrouver à brève échéance une production industrielle compétitive made in the USA n’est pas à exclure ; les domaines liés à l’environnement (chapitre 5), à l’électronique professionnelle et aux biotechnologies pourraient, à mon sens, servir d’exemple.
7Le dernier chapitre de ce livre porte sur les problèmes monétaires avec lesquels l’auteur est familier (chapitre 7). Avec modération et clairvoyance, Mistral aligne les caractéristiques propres au statut particulier du dollar : monnaie de réserve, monnaie de référence, monnaie de l’économie la plus puissante du monde actuel. Cette puissance peut toutefois buter sur des obstacles comme la montée des manufacturiers asiatiques, la confiance que les détenteurs de capitaux monnayent de plus en plus aux États-Unis ou les substituts monétaires qui pourraient servir de réserve complémentaire au dollar. Les avantages compétitifs que ce pays tire de sa monnaie ne seront donc pas nécessairement éternels, nous dit-il. Il évoque au passage la position de l’euro dans le concert des échanges internationaux, une monnaie devenue complémentaire du dollar ; il suggère également le besoin d’une plus grande coordination entre ces monnaies de référence, espoir qu’il juge finalement raisonnable à la lueur des événements financiers de l’automne 2008.
- 3 Voir L’Amérique que nous voulons paru en version française en novembre 2008, à Paris, chez Flammar (...)
8En écho aux thèses radicales de Paul Krugman, lauréat du prix Nobel d’économie, qui développe une argumentation analogue mais beaucoup plus polémique dans un de ses derniers ouvrages3, Mistral s’interroge sur le besoin de refonder le pacte socioprofessionnel étatsunien : cela pourrait déboucher, suggère-t-il, sur un nouveau Bill of Rights. Une hypothèse qui mérite un examen à la lueur des premiers éléments du programme présenté par l’équipe du président élu en novembre 2008.
- 4 Compréhension que je considère un peu comme analogue, mais à deux siècles d’écart, à celle qu’avai (...)
9Ce livre vaut donc la peine non seulement d’être lu et compris, mais aussi interprété. Il témoigne d’une profonde compréhension des États-Unis, rare sous nos climats4. On y trouve une sympathie avouée, mais discrète, pour un keynésianisme rénové, ainsi qu’une très juste interprétation du rôle qu’ont les « boîtes à idées » et les groupes de pression dans l’organisation de la société politique étatsunienne. Les perspectives plutôt optimistes que trace notre auteur (pour un Étatsunien, s’entend !) devraient donner à réfléchir aux partenaires des États-Unis que nous sommes tous. Un bilan plus qu’honorable pour un essai de 240 pages !
Notes
1 En raison de la mécanique complexe de cette élection au suffrage indirect, le président fut élu en 2000 avec un peu moins de voix populaires que son adversaire démocrate, mais disposa d’un nombre plus élevé de délégués au scrutin final !
2 Une période trentenaire antérieure mais semblable à nos propres Trente Glorieuses popularisées par Jean Fourastié. On pourra se référer à l’ouvrage original Les Trente Glorieuses ou La révolution invisible publié en 1979 (Fayard, Paris, puis Hachette, coll. « Pluriel ») ou à son édition moderne, préfacée par D. Cohen, parue en 2004.
3 Voir L’Amérique que nous voulons paru en version française en novembre 2008, à Paris, chez Flammarion.
4 Compréhension que je considère un peu comme analogue, mais à deux siècles d’écart, à celle qu’avait eue Tocqueville, ce qui n’est pas un mince compliment sous ma plume !
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Référence électronique
Jean-Pierre Chamoux, « Jacques MISTRAL (2008), La troisième révolution américaine », Communication [En ligne], Vol. 28/2 | 2011, mis en ligne le 13 juillet 2011, consulté le 19 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/communication/1936 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/communication.1936
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