Ndiaga LOUM (2021), La communication internationale dans l’univers global des sciences sociales. Suivi d’un dialogue inédit avec l’ancien Directeur général de l’UNESCO
Ndiaga LOUM (2021), La communication internationale dans l’univers global des sciences sociales. Suivi d’un dialogue inédit avec l’ancien Directeur général de l’UNESCO, Montréal, JFD Éditions
Texte intégral
1Définir la communication internationale est une entreprise épistémologique escarpée, au regard des entrelacs que cette matière entretient avec d’autres. Le premier col des difficultés à affronter est celui de son identité, de ses fondements. S’agit-il de la communication internationale ou de l’internationalisation de la communication ? L’auteur esquisse une réponse dès le chapitre introductif en estimant qu’elle est un « carrefour interdisciplinaire », une
sous-discipline « ballottée » entre sa source de rattachement ombilical (la communication), les relations internationales qu’elle « chevauche » sans risque d’entremêlement, et la science sociale qui englobe l’ensemble des recherches touchant la société lato sensu et qu’elle ne peut ignorer et d’où l’on ne pourrait l’extraire (p. 12).
2Le deuxième col des difficultés est lié aux imprécisions qui entourent la date, la tranche et la trajectoire historique de sa naissance, de son avènement. Les recherches qui se sont intéressées à cette dimension se sont entourées d’une « prudence axiologique » que Ndiaga Loum fait aussi sienne. D’après lui, cette « interdiscipline », cette « indiscipline » tire son origine de « l’interprétation des grands événements qui ont marqué l’évolution des communications internationales » (p. 13).
3Ces deux premiers niveaux de difficulté l’amènent à avoir une ambition « modeste » qui « ne prétend pas à l’exhaustivité même si elle embrasse plusieurs domaines lesquels paraissent essentiels dans la dynamique de la construction d’une réflexion qui interroge de façon critique et tente de fixer les grandes lignes de cette “interdiscipline”, de cette “indiscipline” » (p. 14).
4Plutôt qu’une date, le contexte sociohistorique est évoqué comme étant au fondement de la communication internationale. À ce sujet, l’auteur pense qu’elle est un « produit ou une exigence de la modernité », dont il situe le commencement avec Ferdinand Tönnies au xixe siècle (p. 15).
5Dès lors,
l’évidence, c’est que la communication ne saurait être cantonnée à un pays donné ou à une région donnée qui alors en aurait l’exclusivité. Les nécessités liées à l’existence des sociétés humaines ont entraîné des dynamiques (migrations, échanges, conflits, déplacements, etc.) qui, durant toute l’histoire, ont justifié et accompagné l’invention des moyens de communication (p. 20).
6À l’avènement de la modernité, Loum ajoute la mondialisation, qui a été un accélérateur de l’institutionnalisation de la communication internationale. Avec Marc Raboy, il conçoit la mondialisation comme un environnement planétaire marqué par l’atrophie des États-nations. Si l’auteur reconnaît la difficulté à définir la communication internationale et à situer sa naissance, il tente, au troisième col de difficultés, de (dé)montrer que quelques approches théoriques et paradigmes font sa cohérence épistémique :
-
l’approche idéaliste-humaniste, qui emprunte aux champs classiques des relations internationales et qui structure, par conséquent, les récits des organisations internationales comme l’UNESCO, l’IUT et le Forum social mondial ;
-
l’approche idéologique, qui « cherche à étudier les moyens modernes de manipulation qui se cachent dernière les différentes formes de communications » (p. 53) ;
-
le paradigme de l’information, qui place cette dernière « au cœur du processus social et des relations humaines et insiste sur la centralité de l’information et de la connaissance dans les nouveaux processus de production capitalistes » (p. 54) ;
-
l’approche interculturelle, qui « met l’accent sur les identités, les différences et les nuances de cultures. Au terme de l’étude de ces particularités culturelles, on découvre que la réception d’un message n’est jamais la même, et son exploitation reste toujours marquée par le prisme culturel » (p. 55) ;
-
l’approche stratégique, à tendance dominante, qui se rapporte aux « études qui mettent l’accent sur l’importance de la domination dans les rapports de pouvoir à l’échelle internationale » (p. 56).
7Le nouvel ordre mondial de l’information et de la communication (NOMIC) a joué un rôle déterminant dans les reconfigurations contemporaines de la communication internationale depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale (p. 77) : les plaidoyers des pays alors appelés « non alignés » qui ont fait émerger la communication comme un droit humain incompressible (p. 78) et les travaux de la commission McBride dont les conclusions publiées en 1980 sous le titre Voix multiples, un seul monde donnent aux problèmes de communication internationale un retentissement politico-idéologique, économique et diplomatique plus significatif encore qu’avant.
8Loum reprend d’ailleurs les vingt principales recommandations de cette commission. Les enjeux de résorption des inégalités technologiques et infrastructurelles en matière de télécommunications, de coopération, de régulation, de participation des communautés à la production de l’information, du travail des médias et des journalistes y émergent comme humus des enjeux de la communication internationale (p. 82-83), même si une quarantaine d’années après, les résultats sont plus que mitigés, comme le relève l’auteur en analysant d’ailleurs les causes de certains échecs (p. 87-90).
9Les fractures numériques et les solidarités numériques sont aussi étudiées comme autant de conséquences néfastes et bénéfiques du NOMIC. Pour Loum, ces deux catégories technopolitiques et même économiques ne peuvent être analysées que dans une perspective pluridisciplinaire, tant les questions qu’elles soulèvent sont à l’intersection de nombreux champs du savoir et pratiques sociales (p. 122-139).
10La diffusion et la circulation des opinions, la médiatisation des conflits depuis la première guerre du Golfe en 1991 et les conspirationnismes à l’ère des réseaux sociaux numériques sont autant d’autres problématiques de la communication internationale, élargissant le spectre de son emprise épistémique, notamment dans la manière dont elle oblige à repenser les rapports entre guerre et communication, le rôle et la place des médias dans les conflits, les périls que la pensée unique fait courir à l’équilibre-monde (p. 144-154).
11La communication internationale intègre aussi l’un des paradoxes de la mondialisation, à savoir que les questions de laïcité et d’identité religieuse n’ont jamais aussi été présentes dans les médias et les échanges-monde. La mondialisation était pourtant censée rapprocher les hommes, les peuples ; amener plus d’acceptation, de compréhension des croyances, des univers religieux des peuples de la planète Terre.
12Cet aspect transversal de la communication internationale
présente un double défi : scientifique et politique. Le défi scientifique est de démontrer comment une problématique qui associe communication et religions peut être complexe parce que prenant une tonalité locale qui renvoie aux différents contextes de production et de diffusion des idées. L’autre défi, plus politique, part du constat réel de multiples incompréhensions parfois violentes, à travers ce que l’on nomme les attentats terroristes et l’instrumentalisation effective des moyens modernes de communication par des groupes religieux (p. 158).
13Le sujet est complexe en ce que son traitement médiatique oscille entre liberté d’expression, laïcité, blasphème (p. 168). Son actualité scientifique est d’acuité du fait des technologies de l’information et de la communication et des réseaux sociaux numériques (p. 179).
14Qui doit réguler les pratiques de communication nationale et internationale ? L’ouvrage aborde aussi la question en s’attardant particulièrement aux batailles de légitimité entre États, grands groupes médiatiques et de communication. De fait, « dans le contexte “du tout numérique” ou de la société de l’information », les relations entre champ politique et champ médiatique méritent d’être interrogées à l’aune de notions telles que les suivantes : « transparence, intérêt légitime du public, secret d’État et impératif de sécurité » (p. 184). Les pistes de réponse à cette question convergent toutes vers l’idée que ses apories économiques et technopolitiques menacent les fondements des sociétés démocratiques, qu’on se place du côté des groupes de communication, des publics consommateurs des contenus infocommunicationnels ou des États. Ces apories appellent à « un renouvellement épistémique et méthodologique de ces questions qui mettent en opposition des intérêts contradictoires » (p. 185) que la dernière crise sanitaire est venue mettre au jour tant en ce qui a trait à la prospective intellectuelle qu’à l’impuissance des grandes nations (p. 205). Tous ces points sont autant de préoccupations de la communication internationale d’après Loum.
15Un dialogue inédit avec Amadou Mahtar Mbow, ancien directeur général de l’UNESCO, clôt l’ouvrage dans une espèce de bilan du NOMIC et de ce que la communication internationale est devenue par rapport à différentes questions : déséquilibre de l’information, protection de la diversité culturelle, nouvelles politiques de l’information, moyens dédiés à ces politiques, etc. Les réponses de l’ancien fonctionnaire international fourmillent de pistes de réflexion, de relecture, de justification du travail ou de certaines positions de l’UNESCO sur le sujet. Le dialogue revient aussi sur les batailles de leadership idéologique au sein de l’organisation.
16L’état des lieux que Loum dresse de la communication internationale comme « interdiscipline », « indiscipline », ensemble de pratiques au confluent des relations internationales, de l’économie morale et politique de la production et de la consommation des biens infocommunicationnels, est un panorama éclairant et édifiant de la question. Comme dans tout panorama (même si la dimension analytique est présente), de nombreuses questions ou des objets qui méritaient d’amples développements sont effleurés. À titre d’exemple : les notions de global media et de la new cultural hegemony, qui abordent les mutations des notions d’audience, de création et de consommation des biens infocommunicationnels dans le monde globalisé. Plus singulièrement, sa sociohistoire et son épistémo-histoire de la communication internationale sont assez générales et macro systémiques. Elles n’ont pas, de manière incisive, mis en évidence les modes d’action populaires, les stratégies individuelles et collectives par le bas pour résister aux nouveaux avatars de l’impérialisme informationnel et culturel qui se dévoilent derrière la communication internationale comme émanation du capitalisme transnational. Ces dynamiques sociales subalternes sont perceptibles dans la manière dont la publicité s’inculture, dont la presse se naturalise, dont les émissions de radio et de télévision se nativisent et dont les créations culturelles s’internationalisent grâce à la nouvelle économie de réseau que le Web rend possible, ce qui institue une écologie particulière de l’information et de la communication.
Pour citer cet article
Référence électronique
Thomas Atenga, « Ndiaga LOUM (2021), La communication internationale dans l’univers global des sciences sociales. Suivi d’un dialogue inédit avec l’ancien Directeur général de l’UNESCO », Communication [En ligne], vol. 40/2 | 2023, mis en ligne le 14 décembre 2023, consulté le 17 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/communication/18356 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/communication.18356
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page