Navigation – Plan du site

AccueilNumérosVol. 40/1LecturesFrédéric GAI (2020), The X-Files....

Lectures

Frédéric GAI (2020), The X-Files. Histoires sans fin

Tours, Presses universitaires François-Rabelais
Thomas Michaud
Référence(s) :

Frédéric GAI (2020), The X-Files. Histoires sans fin, Tours, Presses universitaires François-Rabelais

Texte intégral

1Le livre du chercheur en littérature française du XXe siècle et en sciences de l’information Frédéric Gai s’intéresse à la série The X‑Files, qui a connu un grand succès lors de sa diffusion entre 1993 et 2018. Chris Carter, son réalisateur, a conçu une série qui synthétise les principales croyances paranormales de la société américaine à la fin du XXe siècle. Les agents du FBI Fox Mulder et Dana Scully enquêtent sur des phénomènes étranges, souvent à la frontière de la rationalité. Ils travaillent pour le service des affaires non classées. Mulder est notamment convaincu que sa sœur a été enlevée par des extraterrestres et qu’il existe un complot gouvernemental visant à cacher au peuple américain l’existence de ces créatures, qui pourraient même secrètement diriger le pays.

2Le chercheur narre en introduction sa découverte de la série alors qu’il était adolescent et affirme : « J’ai assisté à la naissance d’un mythe moderne » (p. 24). Il estime que The X‑Files s’inspire de la science-fiction, sans toutefois en appliquer les principes strictement. Mulder et Scully évoluent dans un monde préapocalyptique, tout en accordant une importance considérable à l’enquête policière. La série questionne aussi le transhumanisme, particulièrement influent dans nos sociétés, à travers une réflexion sur l’éthique des technosciences. Gai affirme que « dans ce contexte, l’extraterrestre s’impose comme une allégorie motrice installant le propos comme fiction critique » (p. 50). Les créatures sont d’apparence prototypique, petites, à peau grise, avec quatre doigts aux mains et aux pieds et de grands yeux noirs occupant la majeure partie d’un visage ovoïde.

3La série repose sur une extrapolation de l’affaire de Roswell, c’est-à-dire l’écrasement d’un vaisseau extraterrestre supposé le 8 juillet 1947 dans une zone désertique des États-Unis. Si l’affaire fut oubliée pendant trente ans, elle fit son retour sur le devant de la scène en 1978, lorsque Jesse Marcel, lieutenant-colonel arrivé le premier sur les lieux, déclara à l’ufologue Stanton Friedman que les débris étaient bien d’origine extraterrestre. Le livre de Charles Berlitz et William L. Moore The Roswell Incident (1980) rencontra par la suite un grand succès de librairie. L’affaire prend une autre dimension dans les années 1990, puisqu’une vidéo montrant l’autopsie d’un extraterrestre est diffusée sur la Fox en 1995, puis sur de nombreuses chaînes de télévision mondiales. Cette histoire est abondamment citée dans la série The X‑Files, qui popularise la croyance dans l’existence des extraterrestres.

4Gai soutient que « bien qu’inscrite dans un mouvement New Age certain, The X‑Files fustige les nouveaux mouvements de spiritualité qui gravitent autour du concept de transhumanisme (groupes ufologiques, mormonisme, christianisme libéral, mouvement raëlien…), dénonçant la dérive sectaire qui en résulte nécessairement, notamment la promesse de l’immortalité. À chaque fois, la série pointe du doigt la volonté de l’Homme de “jouer à Dieu” » (p. 57).

5Si la série traite principalement du paranormal, cette notion était déjà évoquée par Démocrite et Platon, qui parlaient d’« âme irrationnelle » et de « folies divines », et peut être considérée comme un symptôme quand elle relève de la sémiologie psychiatrique. Toutefois, pour Gai, le traitement du paranormal dans The X‑Files ne relève pas du délire ou de l’irrationalité : « […] la mise en place du duo comme construction dialectique tend à mettre en évidence le paranormal comme un phénomène révélateur d’une action positive ou négative, de l’Homme, de peurs ou d’angoisses générées par la société ou l’époque » (p. 60). Ainsi, Mulder est un très fin connaisseur du folklore, des croyances populaires dans des créatures fantastiques. En plus d’avoir un savoir encyclopédique sur ces sujets, il est très bien informé des derniers faits divers mettant en cause des créatures extraordinaires. Scully représente le discours scientifique établi et universitaire. Toutefois, face aux phénomènes rencontrés, les deux agents sont animés d’un doute cartésien, qui les mène à s’interroger systématiquement sur la véracité des faits rencontrés. Vampires, loups-garous, extraterrestres, savants fous, diables, enfants possédés, morts-vivants, fantômes, revenants sont quelques exemples de créatures mythiques qui apparaissent dans la série. L’auteur rappelle aussi que la série a été récupérée par des mouvements d’extrême droite qui s’appuyèrent sur sa dimension complotiste, ce que les créateurs n’ont cessé de dénoncer. Cette fiction a participé à l’émergence d’une paranoïa collective qui a contribué à remettre en cause le bien-fondé de la démocratie. Les cultures punk et grunge sont aussi définies comme des influences et des conséquences de ce phénomène télévisuel, prolongeant son désenchantement et son cynisme. Mais The X‑Files décrit aussi un récit alternatif de l’histoire des États-Unis, où les principaux événements depuis 1945 sont expliqués par l’existence d’un complot impliquant des extraterrestres. La série se distingue de films à succès comme Armageddon (1998) ou Independence Day (1996) qui présentaient les États-Unis sous un angle héroïque pour proposer un regard plus sombre de la superpuissance américaine.

6Gai explique l’émergence de la pensée paranormale comme une réaction à l’émergence de machines de plus en plus puissantes. Par exemple, au XIXe siècle, les sciences ésotériques, l’occultisme et le spiritisme étaient une réponse à la révolution industrielle. Ainsi, « les peurs sont alors créées par des objets dont les effets sur l’Homme sont fantasmés, au point qu’il est souvent possible d’imaginer, notamment dans le cadre de la série, une opposition nécessaire face à ces avancées techniques qui auraient gagné en autonomie ou auraient été récupérées par des pensées malveillantes » (p. 119).

7Le titre du chapitre 1 de la partie 2 de l’ouvrage définit la série comme une « mythologie “pop” moderne » (p. 162). Gai analyse les mythes urbains qui traversent la société américaine depuis 1945 et qui émaillent le récit, chaque épisode renvoyant à une croyance populaire bien connue ou en imaginant de nouvelles. Les personnages sont différents et complémentaires. Mulder est attiré par les sciences occultes, les croyances païennes et folkloriques, alors que Scully fait figure de catholique moderne, sans que sa religion soit incompatible avec sa pratique de la médecine.

8L’auteur estime que si les deux agents sont des enfants de bonne famille dont les pères travaillaient pour l’État, Mulder construit une pensée anarchiste grunge et New Age. Il fréquente des personnages peu recommandables comme des hackers ou des ufologistes. Scully abandonne quant à elle sa carrière de médecin et donne une vision moderne de la féminité qui inspira par la suite de nombreuses jeunes femmes qui s’orientèrent, sur son modèle, vers une carrière scientifique. Gillian Anderson nomma ce phénomène l’« effet Scully », ce qui fut vérifié par un sondage qui révéla que les femmes qui ont regardé la série avaient 50 % plus de chances de mener une carrière scientifique. Mulder est désenchanté, postmoderne et cynique, convaincu de l’imminence de la fin du monde, alors que Scully est persuadée que la science peut aider l’humanité dans sa quête progressiste. Gai considère même Mulder comme une « version intégrée » de la culture hippie.

9Dans un chapitre analysant le thème du complot omniprésent dans cette série, l’auteur arrive à la conclusion que « les fantasmes du complot mettent en échec la rébellion individuelle et la notion de “clôture” qui rendraient la totalité concevable, pointant l’impuissance de la société civile face à l’hypercapitalisme » (p. 339).

10Ce livre propose donc une analyse approfondie d’une série qui fut un véritable phénomène de société. Si l’auteur était manifestement fan de la série quand il était adolescent, il a toutefois su faire preuve d’une distance critique appréciable et d’une connaissance très précise d’un grand nombre d’épisodes. Le lecteur qui ne serait pas familier de la série pourrait toutefois être un peu perdu devant le manque de descriptions des sujets abordés, Gai développant bien souvent ses analyses en supposant une connaissance préalable des épisodes. Ce livre est toutefois une somme nécessaire pour tout fan ou pour tout spécialiste des cultures de l’imaginaire, et plus particulièrement de science-fiction, dans la mesure où The X‑Files a participé à la construction d’un imaginaire complotiste dont les effets se font encore sentir dans la société.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Thomas Michaud, « Frédéric GAI (2020), The X-Files. Histoires sans fin »Communication [En ligne], Vol. 40/1 | 2023, mis en ligne le 28 août 2023, consulté le 09 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/communication/17545 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/communication.17545

Haut de page

Auteur

Thomas Michaud

Thomas Michaud est chercheur associé au laboratoire ISI/Lab RII de l’Université du Littoral, (Côte d’Opale, France). Courriel : michaud.thomas@yahoo.fr.

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search