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De quels devenirs-minoritaires sommes-nous les chercheur·e·s ?

Expériences d’engagement dans la recherche collaborative et l’écriture créative
Jean-Paul Payet, Verena Richardier, Zakaria Serir et Diane Rufin

Résumés

À une vision objectiviste de la science, détentrice de la vérité, les auteurs opposent une vision plurielle, ouverte à des régimes de vérité non-savants. Ils développent une réflexion épistémologique, théorique, éthique et politique sur la question de l’alternative à l’écriture scientifique dominante. Ils identifient les enjeux à l’œuvre d’une telle transformation, les ressources mobilisées, ainsi que les résistances. Les auteurs interrogent l’activité de recherche dans son rapport aux minoritaires, en mettant au centre la place et le rôle de chacun dans la recherche, la légitimité des savoirs ordinaires et la transformation des rapports de pouvoir. Ils analysent le rôle de l’écriture, les capacités transformatrices d’une écriture engagée dans une rencontre avec des minoritaires et les conditions collectives et individuelles, institutionnelles et subjectives, qu’une telle transformation suppose.

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Texte intégral

1C’est à un regard réflexif et à des récits d’engagement qu’invite le présent texte. Il prend acte du caractère plurivoque de la recherche en sciences sociales et entend contribuer au développement d’expériences minoritaires en matière de pratique et d’écriture scientifiques. Il témoigne d’un possible, celui d’affranchir la recherche de son histoire prédatrice, celui de la ré-engager dans le monde. Le rapport à autrui n’est certes plus un impensé du travail de recherche, mais les divergences au sein du monde scientifique s’affirment : parler sur l’autre ou parler avec lui, construire l’enquêté·e comme objet de savoir ou le reconnaître comme sujet de savoir(s). La responsabilité du ou de la chercheur·e à l’égard des minorités est posée : pourquoi, pour qui cherchons-nous, écrivons-nous ? Est-il possible de sortir d’une conception de la science comme « pur jeu », « en toute innocence », de quitter « le monde de Peter Pan » (Haraway, 2007) ? Plutôt qu’une science qui transforme le monde en un « entrepôt de données » (Ingold, 2013), de plus en plus de chercheur·e·s plaident pour une science qui prend racine dans le monde, qui s’y engage, le consulte et se tient responsable d’une symétrisation des expériences, des savoirs et de leurs modes d’expression. À une vision objectiviste de la science, détentrice de la vérité, ils opposent une vision plurielle, ouverte à des régimes de vérité non savants (Callon, Lascoumes et Barthe, 2001).

  • 1 Ces expérimentations sont menées de manière collective, au sein de l’équipe de recherche SATIE (htt (...)
  • 2 Pour des contraintes liées à la taille de l’article, nous avons fait le choix de nous centrer ici s (...)

2La théorie deleuzienne des « devenirs-minoritaires » (Boutang et Pamart, 2004 ; Deleuze et Guattari, 1980 ; Deleuze et Parnet, 1977) nous permet d’interroger l’activité de recherche dans son rapport aux minoritaires, en mettant au centre le rôle de chacune des parties dans la recherche, la légitimité des savoirs ordinaires et la transformation des rapports de pouvoir. La capacité de transformation identitaire et politique portée par l’écriture, centrale dans la pensée deleuzienne, poursuit notre réflexion sur la voix des acteurs affaiblis (Payet, 2011 ; Payet et Laforgue, 2008 ; Payet, Rostaing et Giuliani, 2010) et sur la dé-catégorisation des manières de représenter les acteurs ordinaires dans les sciences sociales (Payet, 2020). Nous souhaitons analyser ici le rôle de l’écriture dans une rencontre avec des minoritaires au travers du récit de deux expérimentations1 : une écriture théâtrale s’hybridant à une recherche collaborative et une écriture graphique traduisant un enseignement critique de la sociologie. Articulant l’analyse2 de ces deux expérimentations, nous tentons de montrer comment l’hybridation des formes de recherche et d’écriture et la réhabilitation de la créativité des chercheur·e·s renvoient à des enjeux de transformation du rapport entre la science et le monde (Ingold, op. cit. ; Merleau-Ponty, 1964).

Les devenirs-minoritaires

3Le concept de devenir-minoritaire, élaboré par Deleuze et Guattari (op. cit.), sert de cadre théorique à notre réflexion, pour penser l’écart avec les normes dominantes de la recherche scientifique, pour s’ouvrir à une science attentive à la pluralité du monde et attentive aux voix des minorités. Par devenir, ces auteurs entendent la rencontre de deux termes hétérogènes qui se déterritorialisent mutuellement. Chacun fait sortir l’autre de son territoire, mais il ne s’agit pas de coloniser l’autre, de l’annexer, il s’agit d’une « double capture » :

On n’abandonne pas ce qu’on est pour devenir autre chose (imitation, identification), mais une autre façon de vivre et de sentir hante ou s’enveloppe dans la nôtre et la « fait fuir ». La relation mobilise donc quatre termes et non deux, répartis en séries hétérogènes entrelacées : x enveloppant y devient x’ tandis qu’y pris dans ce rapport à x devient y’ (Zourabichvili, 2003, p. 29-30).

4« Il n’y a de devenir que minoritaire », affirment Deleuze et Guattari (op. cit., p. 134). De fait, il convient de distinguer les minorités, « états définissables objectivement, états de langue, d’ethnie, de sexe, avec leurs territorialités de ghetto » (ibid.), et le devenir-minoritaire. Les minorités constituent des sous-systèmes ou des « hors système » d’une majorité définie comme « système homogène et constant ». Celle-ci implique « un mètre-étalon par rapport auquel elle s’évalue » (ibid., p. 133). Mais, à ce point, tout se renverse :

Car la majorité, dans la mesure où elle est analytiquement comprise dans l’étalon abstrait, ce n’est jamais personne, c’est toujours Personne […], tandis que la minorité, c’est le devenir de tout le monde, son devenir potentiel pour autant qu’il dévie du modèle. Il y a un « fait » majoritaire, mais c’est le fait analytique de Personne, qui s’oppose au devenir-minoritaire de tout le monde (Deleuze et Guattari, op. cit., p. 133).

5Le devenir-minoritaire, comme devenir de tout le monde, est « ce devenir qui est création […] en déclenchant des mouvements incontrôlables et des déterritorialisations de la moyenne ou de la majorité » (ibid., p. 134). Ainsi le minoritaire est-il à la fois une expérience et un devenir. Le devenir-minoritaire ne se superpose pas à l’expérience des minorités, même si celle-ci le rend possible. Il concerne tout le monde, membres de la majorité et membres des minorités.

6Devenir requiert de se mettre en mouvement, de cheminer pour pouvoir rencontrer l’autre et se déterritorialiser. L’activité d’écriture est imbriquée au devenir :

Écrire, c’est devenir, mais ce n’est pas du tout devenir écrivain. C’est devenir autre chose. […] On dirait que l’écriture par elle-même, quand elle n’est pas officielle, rejoint forcément des « minorités », qui n’écrivent pas forcément pour leur compte, sur lesquelles non plus on n’écrit pas, au sens où on les prendrait pour objet, mais en revanche dans lesquelles on est pris, bon gré mal gré, du fait qu’on écrit (Deleuze et Parnet, op. cit., p. 54-55).

7Puisqu’écrire, c’est devenir, et devenir autre chose, et rejoindre des minorités qui n’écrivent pas, il y a, pour Deleuze, des devenirs-minoritaires dans l’écriture. Il ne s’agit pas d’imiter, de parler comme les membres d’une minorité. Il s’agit de chercher à voir comme un autre, à se mettre à sa place, à épouser en pensée ce qui l’interroge, non pas pour devenir l’autre, pour s’identifier, mais pour accroître nos propres capacités à problématiser.

En écrivant, on donne toujours de l’écriture à ceux qui n’en ont pas, mais ceux-ci donnent à l’écriture un devenir sans lequel elle ne serait pas, sans lequel elle serait pure redondance au service des puissances établies. Que l’écrivain soit minoritaire […] signifie que l’écriture rencontre toujours une minorité qui n’écrit pas, et elle ne se charge pas d’écrire pour cette minorité, à sa place ni à son propos, mais il y a rencontre où chacun pousse l’autre, l’entraîne dans sa ligne de fuite, dans une déterritorialisation conjuguée (ibid., p. 55-56).

8Sortir du narcissisme (Lemaitre, 2016), voir comme un autre, s’affranchir d’une science qui s’identifie au pouvoir : le paysage (Lévi-Strauss, 1962, p. 38) de la « recherche ouverte » est un paysage hétérogène, marqué par la rencontre entre chercheur·e·s et minorités. Ce paysage est parcellaire, intermittent, en creux. Il émet des fulgurances dans le paysage dominant, mais il est en grande partie souterrain. C’est un paysage fragile. En regardant mieux, on voit apparaître dans ce paysage des lignes de fuite. Par ce terme, Deleuze indique le mouvement consistant à fuir le territoire agencé et quadrillé par le pouvoir.

9Une première ligne de fuite consiste à penser par le bas (Simmel, 1999/1908), par le mineur (Piette, 1996), le prosaïque, par le monde vécu au lieu de penser par le haut, par le modèle. Il s’agit de penser à des situations qui n’ont pas encore de nom, pas encore de catégorie, qui demandent à être décrites. Leur appréhension sensible est attentive à la pluralité de sens, à leur labilité, à leurs possibles devenirs. Penser à partir du mineur, c’est toujours penser à partir de choses qui ne sont pas dignes d’une pensée, en tout cas pas d’une pensée scientifique telle que l’académisme la définit, mais de choses qui pour les individus sont des choses qui importent. Une telle ligne de fuite s’incarne de manière emblématique dans les recherches collaboratives (Bazin, 2014 ; Bonny, 2017 ; Laforgue, 2018 ; Lyet, 2015), qui hybrident les statuts et les rôles des chercheur·e·s et des acteurs ordinaires.

10Une seconde ligne de fuite consiste à suspendre les interprétations et à mettre en œuvre des expérimentations (Deleuze et Parnet, op. cit.). Rompant avec l’idée d’un récit scientifique s’imposant telle une révélation, celui-ci s’hybride à d’autres formes de discours et d’écriture pour atteindre différents publics. De nouveaux mélanges se profilent entre les sciences sociales et les arts (théâtre, spectacle vivant, photo, vidéo, arts graphiques, etc.) (Jablonka, 2014 ; Leavy, 2018). Les réflexions de l’ethnographie postmoderne portées par Laurel Richardson en portent les prémices (Richardson, 1990, 1992 ; Richardson et Lockridge, 1998). Richardson joue sur la transgression de l’écriture scientifique par la poésie et le théâtre pour pointer la nature située des points de vue et réfléchir sur les changements qu’opère toute recherche sur le chercheur lui-même. L’appel à une recherche performative, passant par des symboles pour exprimer des changements en cours au moment même de leur énonciation (Haseman, 2006), et les réflexions sur les conflits de disciplines qu’entraîne une recherche avec l’art, et non sur l’art (Borgdorff, 2012), ont peu à peu dessiné les contours d’une recherche dite créative. Celle-ci considère le processus de création comme un instrument de recherche et comme médium de cette dernière. Ses contours sont par essence ouverts, poussant certain·e·s auteur·e·s à cartographier leurs pratiques plutôt qu’à les définir, afin de mieux rendre compte des singularités et des diversités (Paquin et Noury, 2018, 2020).

11Penser par le bas et s’inscrire dans l’expérimentation sont deux lignes de fuites elles aussi ouvertes, qui se conjuguent dans les expériences que nous avons menées.

D’une recherche par les pairs à l’écriture d’une pièce de théâtre

12À l’origine de cette première écriture créative, il y a une « crise » de la pratique de la recherche. Insatisfaits de la recherche en surplomb, nous nous engageons dans la recherche participative (Payet, 2018) et nous menons des enquêtes sur le mode de la conversation (Laforgue, op. cit. ; Payet, 2020). Nous expérimentons alors la recherche par les pairs (Lushey et Munro, 2014 ; Robin et al., 2015) que nous adoptons avec un groupe de parents d’élèves. Le cadre méthodologique de la recherche par les pairs permet d’agir sur la relation d’enquête, de réduire l’écart entre l’enquêteur et l’enquêté, de rendre plus poreuse la frontière entre chercheur·e·s professionnel·le·s et acteurs ordinaires, entre sachants et ignorants (Rancière, 2004). Il permet également de recueillir un matériau original et de laisser les chercheur·e·s-pairs maîtres de leur voix, auteur·e·s de leur parole.

  • 3 Ce constat rappelle que les mères assument dans la plupart des cas le travail de relation avec l’éc (...)

13Suivant cette perspective, nous formons une dizaine de parents — de fait, exclusivement des mères3 — à l’enquête qualitative. Des entretiens sont d’abord menés au sein du groupe, puis chaque membre du groupe interviewe deux autres parents dans son propre réseau affinitaire. Les chercheur·e·s professionnel·le·s s’impliquent au même titre que les chercheur·e·s-pairs dans la réalisation de l’enquête. Ils s’inscrivent dans des relations symétriques : l’initiation aux techniques de l’enquête et aux analyses de contenu ne suit pas un mode scolaire, la participation aux tâches de l’enquête est égalitaire, la conduite des réunions privilégie l’émergence et la structuration informelle du groupe. Pendant plusieurs mois, les membres du groupe se réunissent régulièrement, pour s’informer des avancées de l’enquête, pour discuter de son contenu, puis pour analyser les entretiens recueillis. Au cours des rencontres, les récits d’expériences personnelles, les débats, les analyses politiques se mêlent et s’imbriquent aux échanges sur les matériaux recueillis. Chacun·e, parent-chercheur·e ou chercheur·e professionnel·le, conserve un langage et un registre d’intervention proche de son expérience. Le cadre collectif permet d’élaborer ensemble un métadiscours sur l’école, une analyse critique qui ne procède pas de la seule interprétation du matériau d’enquête, mais d’une activité rhétorique menée à plusieurs qui imbrique le privé et le public, le singulier et le commun. L’intime devient politique et le politique s’ancre dans une intimité.

14Le collectif se renforce dans ce processus à la fois dynamique et ouvert — un processus d’émancipation réciproque. Ce qui lie les membres du groupe, ce sont leurs vécus, leurs expériences de l’école, celles de leurs enfants, celles du collectif. Au-delà des différences de leurs appartenances sociales, origines ethniques, nationalités, les histoires de vie résonnent. La recherche par les pairs agit comme un « pont d’embarquement », permettant aux parents de devenir sujets de l’enquête. Des devenirs-minoritaires se forment et s’hybrident : d’une part, le « devenir-mère » pour nous, chercheur·e·s professionnel·le·s, qui pensons la critique de l’institution scolaire avec une nouvelle subjectivité ; d’autre part, le « devenir-chercheuse » pour les mères avec qui nous travaillons, qui théorisent un propos sur l’école. L’expérience favorise un espace réflexif conçu comme une « zone interprétative partagée » (Desgagné, 2007) ; elle devient un lieu de production d’outils intellectuels et conviviaux (Illich, 1973), de conscientisation (Freire, 1974, 2017/1996).

15Les membres du groupe recueillent ainsi une vingtaine d’entretiens, menés auprès de parents d’élèves, qui sont ensuite retranscrits et lus individuellement. La force des témoignages s’impose comme une évidence. L’interview par les pairs ouvre à des registres d’expérience rarement accessibles pour un·e chercheur·e professionnel·le. Des parents parlent de l’école, de leur relation à une institution ; ils racontent leur expérience, et leurs récits, au-delà de leur singularité, atteignent une universalité de l’expérience parentale. Alors que les discours institutionnels, professionnels et médiatiques convergent pour diffuser une vulgate sociologique stéréotypée des parents, entre parents de classes moyennes et supérieures, usagers consommateurs et intrusifs, et parents de milieu populaire, démissionnaires et défaillants, ici la parole des parents (recueillie par d’autres parents) décrit une expérience humaine à la fois singulière et universelle, qui dépasse les différences superficielles d’attitudes. Être parent d’un élève, c’est être affecté par une institution qui impose une conception de l’enfance et de l’éducation familiale au service de l’école.

16L’idée émerge alors d’« écrire » ces interviews pour en faire ressortir la puissance et communiquer leurs messages au-delà du cercle de la recherche. Le travail d’écriture consiste à transformer les entretiens en des témoignages parlés à la première personne (en supprimant la parole des interviewers) et à mettre en valeur les passages les plus authentiques, comme l’illustrent les extraits suivants de la pièce de théâtre où une mère raconte ses propres souvenirs scolaires et une autre fait part de son expérience de parent d’élève :

  • 4 Tous les prénoms cités dans les extraits sont fictifs.

J’étais plutôt une élève sage, voire même très sage, je ne me souviens pas d’une fois où j’ai été punie… Non, je rentrais très, très bien dans la norme. Je sais pas si je le faisais consciemment ou… Je voulais pas faire de problème, j’étais un peu effacée, on me voyait pas… On me voyait pas, ni les enseignants ni même les élèves d’ailleurs. On ne s’attardait pas sur moi, j’étais pas importante quoi, on pouvait se moquer… j’avais pas de statut particulier à l’école. Que je sois là ou pas là, ça faisait pas de différence. C’est pour ça que j’ai très peu de souvenirs, parce que j’ai l’impression que pendant ces années d’école primaire… c’était un peu de l’inexistence quoi, je ne crois pas me souvenir d’avoir appris des trucs vraiment importants ou des choses qui m’ont particulièrement marquée ou un enseignant qui m’aurait marquée, non (Chahida4, mère d’élève, extrait du texte de la pièce).

J’ai eu du racisme aussi avec ma grande, la première… de la part d’une élève. Après, la prof elle a dit (elle imite une voix avec un fort accent local) : « Mais c’est pas grave. Elle a dit ça comme ça, faut pas le prendre mal. » Et moi j’ai dit « Non ». Ah oui, j’ai eu un autre problème avec ma fille, qui pleurait chaque jour avant d’aller à l’école. Je lui dis : « Mais qu’est-ce qu’il y a ? » « La maîtresse, elle m’engueule tout le temps. » Et puis j’ai écrit une lettre kilométrique à la maîtresse en lui faisant comprendre qu’elle est enseignante, elle doit faire son travail, je comprends que ça peut être difficile, etc., mais qu’elle vienne pas traumatiser ma fille parce qu’après, les séquelles qu’elle pourrait avoir, c’est moi qui vais en payer les frais. Que j’ai porté cet enfant neuf mois, que ok, elle est là pour enseigner mais que c’est pas le parent de ma fille. Et que si elle veut pas que ça aille plus loin, qu’elle se calme tout de suite. Et puis elle s’est calmée. J’ai remarqué, et on m’a beaucoup dit, qu’il faut toujours être derrière les enfants et savoir ce qui se passe. Parce que sinon, on nous les met à l’envers quoi. En fait, les profs, ils aiment bien, comment dire, appuyer sur le bouton victime quoi. « Ah mais c’est des victimes, ils racontent n’importe quoi », voilà, alors il faut toujours, comment dire, il faut pas se laisser faire en fait. Il faut toujours être derrière les enfants (Aminata, mère d’élève, extrait du texte de la pièce).

17Pour donner au travail de recherche une finalité utile, faisant sens à la fois pour les chercheur·e·s-parents et pour les chercheur·e·s professionnel·le·s, une première idée émerge. Les parents du groupe de recherche pourraient en présenter les résultats face à un public d’étudiant·e·s en formation d’enseignants. Ce projet trouve alors son nom : « Des parents formateurs d’enseignant·e·s ». Produire des savoirs sur la relation des parents à l’école par des parents s’inscrit dans la démarche des usagers experts (Jouet, Flora et Las Vergnas, 2010). Pourtant, le risque existe que les parents du groupe de recherche soient perçus par les étudiants au prisme de stigmates sociaux (Goffman, 1975/1963) — « voici une mère de famille défavorisée, voilà une mère portugaise, encore une mère qui porte le voile » —, classés phénoménologiquement d’après leur apparence (corporelle, vestimentaire) et leurs compétences (langagières, rhétoriques), travesties dans une photographie figée de positions sociales. Si faire monter des mères sur l’estrade universitaire vise la reconnaissance (Honneth, 2002/1992) d’acteurs affaiblis (Payet et Laforgue, op. cit.), ce dispositif pourrait tourner à une mise en scène indécente (Margalit, 1999) et à un renforcement des stéréotypes. Les bonnes intentions pourraient se pervertir en un exhibitionnisme que nous nommons l’« effet zoo » (Serir, 2022).

18Au contraire, il importe que les témoignages recueillis résistent à toute simplification. Il s’agit de valoriser les processus et les enjeux de l’expérience scolaire dans leur dimension vécue, les enchevêtrements d’événements disparates, les contraintes qui pèsent sur les individus, les ressources qu’ils mobilisent. Là où l’écriture scientifique rationalise, organise, découpe les processus, les témoignages les énoncent de manière vivante et percutante. Ils font le pont entre un récit personnel rempli d’affects et un universalisme. Leur force, c’est justement celle des affects, dans lesquels on peut se reconnaître même si l’on n’a pas vécu la même expérience. Il s’agit d’un « universalisme invisible », ou universalisme des affects. On ne se reconnaît pas forcément dans l’expérience ; on se reconnaît dans l’indignation, le malaise, la colère qu’ont pu ressentir ces mères. Pourtant, la transmission de ces textes tout à la fois singuliers et universels ne va pas de soi.

19À ce stade, l’idée de faire intervenir directement des parents-chercheur·e·s dans une formation universitaire perd de sa pertinence au profit d’une médiation par un acteur tiers. L’alternative d’une écriture artistique émerge à l’occasion de la lecture à haute voix, au sein du groupe, des témoignages mis en récit. La fissure (Jullien, 2018) avec la recherche traditionnelle, avec l’écriture conventionnelle, est désormais visible. Le groupe décide de bifurquer vers une forme théâtrale, qui trouve son modèle dans le théâtre documentaire : des textes bruts, lus par des comédiennes, porteront les voix des mères ordinaires. Quoi de mieux en effet que l’écriture théâtrale, et celle du théâtre documentaire en particulier, pour communiquer des histoires de vie à la fois banales et authentiques ? Dans sa forme d’origine, le théâtre documentaire (Diaz, Ivernel, Kuntz, Lescot et Moguilevskaïa, 2007), apparu en Allemagne au cours des années 1920 avec Erwin Piscator qui entend créer des spectacles « où le document constitue la base même du texte et de la représentation » (Piscator, 1972/1929, p. 63), puis développé par Peter Weiss (1968) dans les années 1960, se présente ainsi :

Un matériau documentaire authentique est prélevé en rapport avec un thème global, politique, où les intérêts de la société dans son ensemble sont en jeu. Il constituera la base d’un texte pour le théâtre. Le matériau est recueilli au cours d’une étude quasi scientifique. Il est intégré par le biais du montage dans « un ensemble artistique savamment concerté » par le dramaturge selon une vision « marxiste » des rapports mondiaux. L’objectif est de s’opposer à la désinformation entretenue par les pouvoirs, de condamner les coupables, de provoquer une prise de conscience chez le spectateur et de lui indiquer une voie d’amélioration du monde (Moguilevskaia, 2011, p. 36-37).

20Ce modèle, très marqué par l’idéologie révolutionnaire, est aujourd’hui remis en cause et revisité par des dramaturges russes, qui privilégient le témoignage individuel en tant que document. Ils refusent l’explication guidée et la condamnation unilatérale pour leur préférer l’expression des singularités, le questionnement subjectif, l’invitation à une pensée libre de toutes idées reçues et conventions (ibid.). C’est cette forme contemporaine du théâtre documentaire que nous retenons.

21La rencontre avec une professionnelle du théâtre vient à la fois matérialiser notre travail et confirmer le choix du groupe. L’écriture théâtrale, qui s’invente au fur et à mesure du déroulement de la recherche, sert une projection de la singularité du groupe, d’un « soi critique », de l’inconscient de ceux et celles qui « parlent » et s’engagent dans un devenir-minoritaire. Avec cette actrice du monde du théâtre, le ou la chercheur·e doit laisser de côté ce qu’il ou elle a appris à faire dans son métier. La planification de la recherche ne s’applique pas à un travail créatif, l’écriture artistique impose ses propres manières de faire. La forme artistique oblige à ne pas figer, à être en mouvement (Richardson et Lockridge, op. cit.), à expérimenter les possibilités, jusqu’à l’écriture finale du texte théâtral.

22Dans ce projet, les devenirs-minoritaires se réalisent par l’écriture créative telle une « philosophie vivante » (Ingold, op. cit.). « Il faut entendre une attitude réflexive qui, au lieu de les considérer à distance de façon désengagée, en vue de préserver sa neutralité, aborde ses problèmes tels qu’ils se manifestent immédiatement, pris à leur point d’émergence, à ceux qui habitent le monde et lui sont concrètement attachés » (Macherey, 2014, p. 1). La recherche intègre les affects (Næss, 2017) et les subjectivités, elle se déroule au ras du monde et préfère l’émergence à la prévision. Chercher de cette manière est aussi une manière de s’écarter du raisonnement scientifique dominant et de permettre à d’autres savoirs de se constituer. L’imbrication du processus de recherche par les pairs et de l’écriture théâtrale dans un « continuum fluide » permet l’engagement de chacun dans des rôles disponibles à tous qui définit la qualité de cette science ouverte, vivante, « un flux qui se conjugue avec d’autres flux » (Deleuze et Parnet, op. cit., p. 62).

De la pédagogie critique à l’écriture d’un récit graphique

23À l’origine de cette seconde écriture créative, il y a aussi une « crise » : celle de la pratique de l’enseignement universitaire. Face à la transmission de savoirs scientifiques à un public étudiant, nous éprouvons les impasses de la forme scolaire traditionnelle (Deligny, 2004/1945-1947 ; Freinet, 1968 ; Freinet, 1969 ; Freire, 1974, 2017/1996 ; Giroux, 1985 ; Illich, 1971 ; Korczack, 2006/1919-1929 ; Rancière, op. cit. ; Rogers, 2018/1961). Un cours d’initiation à la sociologie de l’éducation constitue la matrice d’origine de l’expérimentation. Dévoiler les rapports de pouvoir à l’œuvre dans le fonctionnement d’une institution, l’école, requiert dans sa réception par les étudiant·e·s un regard critique que les fondements asymétriques de la relation d’enseignement rendent malaisé. Inséré dans un cursus d’études, un cours est appréhendé comme une discipline à apprendre, à réviser, à restituer. Les étudiant·e·s « performent » en cherchant à correspondre aux attentes (souvent implicites) de l’enseignant·e en matière de comportement et d’évaluation (Rufin et Payet, à paraître). Ils développent des tactiques de présence dans le cours qui leur permettent, pour les uns de se faire remarquer, pour les autres de ne pas se faire remarquer. Ils sont rompus à la distance au rôle scolaire et à l’art des faux-semblants à même de produire une bonne impression (Goffman, 1973/1959). De son côté, l’enseignant·e, enfermé dans un rôle de d’expert·e est empêché d’accueillir les « bruits » de l’auditoire (Gremion, Payet et Serir, à paraître). La crise de l’enseignant·e·s-chercheur·e·s est politique : comment la sociologie qui devrait, selon une visée critique, participer à l’émancipation en déchirant le voile posé sur la réalité en arrive-t-elle à n’être qu’une « brique » dans un cursus de formation ? Comment son potentiel révolutionnaire (au sens deleuzien) se pervertit-il dans sa réception en un récit de naturalisation des inégalités ? Comment du ou de la chercheur·e. ne reste-t-il que l’enseignant·e occupant et légitimant la position dominante que le ou la sociologue déconstruit, voire dénonce, dans ses contenus de cours et dans ses recherches ? Une forme de naïveté le ou la caractérise, quand il ou elle croit se tenir en dehors des processus sociaux de réception, d’appropriation et d’usage des discours.

  • 5 Par exemple : un extrait de journal télévisé auquel participe une ministre de l’Éducation, un table (...)

24S’il comprend les raisons authentiques du détachement instrumental des étudiant·e·s, s’il interroge son rôle dans l’entretien d’un rapport inégalitaire entre enseignant·e et enseigné·e, le ou la sociologue-enseignant·e en vient à poser la question suivante : comment enseigner la compréhension des inégalités sociales sans penser le rapport inégalitaire de l’enseignement ni agir sur ce rapport ? S’engage alors une expérimentation, nourrie d’observations ethnographiques du cours rendues possibles par un travail d’équipe. La transformation touche à des aspects tant concrets (réduction de la taille de l’auditoire, délaissement de la position statique à l’estrade au profit de la déambulation grâce à un micro-cravate, utilisation d’une catchbox, micro inséré dans un cube de mousse, pour la circulation de la parole, etc.) que pédagogiques (coanimation à deux voix, abandon de l’évaluation écrite finale au profit de l’élaboration d’un dossier réalisé en groupe, organisation de speed dating sociologiques pour favoriser l’interconnaissance entre pairs et accroître leur appropriation de la posture sociologique au travers de relations horizontales, etc.). La structure du cours délaisse la présentation par théories ou par thématiques, pour privilégier l’entrée par des « petits objets sociaux », extraits concrets de la réalité sociale vécue de façon commune, dont il propose la déconstruction et l’analyse sociologique. Ces objets, appelés « matériaux déclencheurs »5, donnent lieu à une démarche ; ils sont l’amorce d’un cheminement au travers d’étapes que l’enseignant·e parcourt avec les étudiant·e·s. La parole des étudiant·e·s est à la fois sollicitée et libre : l’expression des affects (Næss, op. cit.) sans jugement est encouragée, et les étudiant·e·s libèrent peu à peu leur expression et leur sens critique, y compris à l’égard du discours du cours lui-même. La sociologie n’est plus transmise en surplomb, elle devient l’objet d’une expérience collective.

25Comment rendre compte de cette double rencontre des étudiant·e·s, pour la plupart futur·e·s enseignant·e·s, avec la sociologie et avec la pédagogie critique ? Et comment diffuser cette approche hors de l’enceinte universitaire ? L’idée d’une écriture créative à partir de la démarche opérée dans le cours avec les étudiant·e·s émerge. La rencontre avec une sociologue-dessinatrice rend possible l’expression d’une dynamique, que l’écriture et le cours scientifique bruts ne peuvent aborder seuls. Le choix du dessin s’impose peu à peu, pour penser une sorte d’« anti-manuel de sociologie » dessiné, dans lequel apparaissent à la fois le contenu du cours et sa démarche. L’écriture scientifique par la bande dessinée (comic based research) permet d’écrire et de raconter, différemment des seuls mots. Les dessins ne remplacent pas le texte sociologique, ils accompagnent et complètent celui-ci, ancrent les concepts du cours dans l’image, lui donnant une forme, matérielle et physique (Richardier et Marc, à paraître). Le dessin, par un trait simple, mais jamais simplificateur, apporte une autre manière de comprendre les enjeux critiques. Les aquarelles sont vives, mais les couleurs peu nombreuses, afin de privilégier le sens sur le dessin, d’attirer et de guider le regard sur certains éléments de la composition, dans l’objectif d’en faciliter la compréhension. L’objectif est de montrer une science en mouvement, circulant de l’enseignant·e aux étudiant·e·s, mais aussi des étudiant·e·s à l’enseignant·e. La bande dessinée est un vrai langage, avec sa syntaxe complexe, ses structures et ses techniques narratives (Weaver-Hightower, Sousanis et Kuttner, 2018). Multivocale, mais aussi multimodale, elle permet d’un seul coup d’œil d’appréhender plusieurs réalités et subjectivités, plusieurs lignes temporelles et parfois géographiques. Dans une société de l’image, le dessin, dans toute sa subjectivité, paraît presque plus réel qu’une photographie, car éloigné d’une standardisation du monde (Dabitch, 2009).

26Toutefois, au fur à mesure des expérimentations graphiques, dont les dessins croqués pendant les cours et la diffusion d’une première série de planches, les limites de l’expérience nous apparaissent. En restant trop proche de la forme du manuel, le dessin répète finalement les travers de la science majoritaire que nous cherchons à éviter. D’autres lecteur·trice·s que les étudiant·e·s doivent pouvoir entrer dans l’histoire, s’y reconnaître, notamment ceux et celles (et leur nombre est grand) que la forme d’un cours rebute, car elle renvoie à une expérience personnelle de l’école (ou de l’université) ennuyeuse, voire malheureuse. Par ailleurs, le dessin met en avant la subjectivité de son auteur, et parfois brutalement sa vision du monde. L’image réassigne alors les stéréotypes en cherchant le symbole universel. Elle impose un certain point de vue en rendant concrètes des idées qui, sous la forme de mots, restent facilement à disposition de l’imagination de chacun. Les concepts n’ont pas de « définition réelle » (Wittgenstein, 1996/1958) et leur donner une forme les fige. Le mot chaise (le signifiant) désigne une infinité de réalités (les signifiés), le dessin en propose une seule. Pour rendre aux concepts dessinés leur pluralité, il faut aussi pouvoir montrer comment ils s’activent et peuvent circuler dans la vie quotidienne, sans avoir de nom ou d’étiquette scientifique.

27Nous partons alors à la recherche d’une nouvelle approche plus hybride. La sociologue-dessinatrice, à la frontière de deux mondes, ouvre le processus de création aux enseignant·e·s du cours, ce qui permet sa critique par le collectif et la création commune d’une nouvelle forme. Les romans graphiques sont à la mode et leur proximité avec le genre documentaire, voire journalistique s’accroît (Lesage, 2017), tandis que les projets de sociologie illustrée sont de plus en plus nombreux ; pensons par exemple à la collection Sociorama, à Panique dans le 16e !, issu des recherches de Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot (Pinçon et al., 2017), ou encore à l’enquête de Didier Fassin, devenue une enquête « ethno-graphique » (Fassin et al., 2020). Pour notre part, nous souhaitons construire une écriture graphique entre-deux, rendant compte du terrain par l’image, comme une partie des récits d’enquête de Sociorama, mais illustrant aussi graphiquement de la théorie pure comme Unflattening de Nick Sousanis (2015). Un nouvel objet est alors pensé, avec ses propres codes, à partir d’un entrelacement, entre une mise en scène des cours et le récit d’un·e étudiant·e vivant sa propre expérience d’enseignant·e d’école primaire. Les deux trames du récit graphique sont emmêlées, se croisent ou parfois se suivent de manière parallèle, à partir d’une mise en résonance.

28La trame première est celle de Camille, que nous imaginons sans caricature. Camille n’est pas un·e « rescapé·e » d’un système scolaire sélectif, non plus un « génie » pour qui l’école a toujours été facile. Entre les deux, ce personnage représente une forme de normalité toute simple. Pourtant, Camille construit peu à peu la critique de l’institution scolaire dans son quotidien, au point de commettre, pendant un remplacement dans une classe, un acte de « folie », qui, sans être extraordinaire, est une rupture brutale avec les manières de faire majoritaires. Le récit graphique s’ouvre non pas sur le monde universitaire, mais sur le monde ordinaire de Camille. Nous choisissons ainsi de ne pas mettre en scène le fameux « dévoilement sociologique » (Bourdieu, Chamboredon et Passeron, 1968) — qui, selon une perspective académique, naît de l’exposition au discours critique de la sociologie —, parce qu’il existe peu dans les faits. Nous voulons plutôt rendre compte des résonances qu’il active, des liens qui se créent, des processus d’émancipation ordinaires qui lui répondent, sans jamais tout lui devoir.

Dessin 1. Les doutes de Camille

Dessin 1. Les doutes de Camille

Scénario : Jean-Paul Payet, Verena Richardier, Diane Rufin, Zakaria Serir. Dessin : Verena Richardier

29La seconde trame du récit est celle du cours de sociologie, auquel Camille assiste, mais dans lequel il·elle apparaît de loin, au milieu des autres. Nous y montrons l’inconfort accepté par l’enseignant·e pendant les cours face aux questions de ses étudiant·e·s. Celles-ci nous permettent de mettre en scène la façon dont la science peut être bousculée, d’exprimer ses vacillements face aux subjectivités multiples qui s’entrechoquent et vivent ensemble le temps d’un cours d’amphithéâtre. Contrairement au pur manuel de sociologie, les réflexions de chacun·e peuvent apparaître, les incongruités des généralisations être pointées par un « Monsieur, moi, je suis pas d’accord ! ».

Dessin 2. Questionner l’enseignement

Dessin 2. Questionner l’enseignement

Scénario : Verena Richardier. Dessin : Blandine Leroy

30Nous mêlons à ces « dialogues d’amphi » des traductions graphiques de concepts sociologiques parfois abstraits lorsqu’ils s’ouvrent à une montée en généralité. Illustrer la « méritocratie », la « violence symbolique » ou encore une institution « capacitante » ou « affaiblissante » passe alors par une recherche du symbole.

Dessin 3. Traduire les concepts

Dessin 3. Traduire les concepts

Scénario et dessin : Verena Richardier

31Les concepts permettent de nommer le désordre de l’expérience, ils aident à penser un problème, à le rendre concevable (Deleuze, dans Boutang et Pamart, op. cit.). Ils tirent leur définition de leur usage et des situations qu’ils expliquent. Grâce à Camille, grâce aux questions des étudiant·e·s pendant les cours, les concepts utilisés par la sociologie, même expliqués sous la forme de symboles, et bien que toujours identifiés par leurs noms scientifiques ésotériques (Bourdieu, Chamboredon et Passeron, op. cit.), restent liés à l’expérience. Ce faisant, le choix artistique opère un renversement de la centralité initiale du cours — et de ce qu’il véhicule en termes de supériorité du régime savant de vérité — et fait des étudiant·e·s les personnages centraux du processus d’émancipation que nous souhaitons communiquer.

Qu’est-ce que sont et font ces écritures créatives ?

  • 6 Coauteur·e·s de cet article.

32Du côté des chercheur·e·s professionnel·le·s6, l’expérience est singulière. Elle ne naît pas subitement, elle n’est pas un moment « où tout a basculé » (Jullien, 2021), où les normes universitaires ont été jetées par-dessus bord pour se lancer dans une aventure à la fois humaine et artistique. Elle s’inscrit dans un mouvement commencé bien avant, elle suit une tendance, une inclinaison. Nos parcours, aux formes et aux temporalités biographiques différentes, dessinent, chacun de façon singulière, une relation à la sociologie, à la science, attentive non seulement à la compréhension de voix minoritaires, mais aussi au dialogue, à l’échange avec celles-ci. Le souci commun de trouver une forme d’écriture qui rend audibles ces voix se traduit par l’engagement dans des expérimentations. Celles-ci amplifient le mouvement ; en témoignent les évolutions inattendues et les revirements qui les jalonnent, exprimant les ajustements mutuels et le cheminement inhérent au processus créatif.

33Les écritures créatives produites relèvent-elles de la vulgarisation scientifique ? Les deux écritures procèdent bien d’une intention d’être lues (reçues) au-delà d’un petit cercle de spécialistes. Elles portent un texte qui entend communiquer à des publics divers une analyse sociologique de processus sociaux (la fonction cachée de l’école, l’apprentissage d’un sens critique, la relation entre l’institution scolaire et des parents, etc.). Mais la forme de ces écritures créatives ne peut être distinguée des processus qui les ont produites, lesquels relèvent de devenirs-minoritaires. Notre pièce de théâtre se rattache à la forme du théâtre documentaire qui ne vise pas au divertissement, mais au témoignage de paroles vécues et oubliées, tues, de voix peu légitimes. Notre récit graphique ne présente pas, à la différence de beaucoup de produits éditoriaux actuels, les théories d’un champ scientifique simplifiées pour le vulgum pecus. Il ne s’agit pas de « bédéiser » la sociologie, il ne s’agit pas de faire un cours dessiné, mais de rendre compte d’histoires vécues, d’une rencontre avec la sociologie. En choisissant comme moteur du récit l’expérience intime d’une relation à une institution étatique (l’école) ou à une discipline scientifique (la sociologie) par des personnes incarnées, l’écriture théâtrale et l’écriture graphique s’écartent ici délibérément d’un exposé de recherche ou d’un traité de sociologie. Le récit théâtral ou graphique n’est pas illustratif, il installe un récit propre, peuplé de personnages, de lieux, de temporalités. La mise en scène théâtrale et l’image dessinée facilitent l’identification et la compréhension des questions et des dilemmes vécus par les personnages et la sociologie se glisse dans la trame de ces écritures, au plus proche des expériences de vie, combinant son langage propre au commun, accédant ainsi à la condition de félicité (Goffman, 1986) de la relation à autrui — un récit sociologique capable de rendre compte des singularités et d’engendrer une identification universelle.

34Quels savoirs produisent ces processus de recherche et d’écriture ? Et quel est leur lien à l’activité scientifique ? La réponse à ces questions nécessite de resituer le travail mené dans une démarche d’interrogation du sens, des pratiques et des effets de l’activité scientifique dominante. Notre démarche met au centre la critique d’une posture de surplomb, d’une vérité savante reposant sur la rupture épistémologique avec le monde. Elle milite pour des postures situées (Haraway, op. cit.), ouvertes au point de vue des individus ordinaires, à la rencontre et à l’hybridation des savoirs, à l’émergence de devenirs-minoritaires. Du point de vue de la compréhension et de l’analyse des phénomènes sociaux, de tels processus de travail favorisent la pluralité des perspectives et des interprétations, d’une part, parce qu’ils font place dans la recherche à des non-spécialistes et, d’autre part, parce qu’ils obligent à se poser la question de la communication au-delà des spécialistes.

35La recherche collaborative et l’écriture créative qui suscitent des devenirs-minoritaires témoignent qu’il est possible de faire de la recherche autrement que le fait la science mainstream. L’exigence de rigueur, qui coupe le plus souvent de la dynamique de la vie réelle, peut être dépassée par l’exigence d’authenticité. La première implique une spécialisation, un monopole de la production des savoirs par les chercheur·e·s. La seconde nécessite à l’inverse une rencontre, une hybridation, une émancipation nécessaire à l’expression des voix faibles et à leur restitution sans voyeurisme. Les savoirs scientifiques issus d’une recherche traditionnelle comme ceux issus d’une recherche ouverte opèrent une représentation du réel. S’il y a bien dans les deux cas une construction, elle ne procède pas de la même logique. Tandis que pour la première, il s’agit de dire ce qu’est le monde, mais sans lui, sans ses bruits, ses irritations (Luhmann, 2021), pour la seconde, il s’agit de dire ce que fait le monde, avec lui, dans la multiplicité et la pluralité de ses voix, en accordant une place entière aux voix faibles, celles des minorités.

36Enfin, du point de vue de l’activité scientifique proprement dite, de tels processus de travail redéfinissent les frontières de positionnement et de statut. Ceux que nous avons décrits ici ont fait se rencontrer des individus aux identités plurielles (enseignant·e et chercheur·e, chercheur·e et dessinatrices, chercheur et praticien de l’enseignement, parent et chercheur·e, professionnelle du théâtre et étudiante en sciences de l’éducation) sur un mode d’échange symétrique, rompant avec les hiérarchies d’expérience et de statut. En cela, si le processus d’écriture créative de la recherche accentue le travail collectif au principe de l’activité scientifique, il le colore différemment. Sans faire disparaître les enjeux d’une carrière, il crée un écart par rapport à la production standardisée imposée par les normes actuelles de l’édition scientifique et met l’accent sur l’importance de l’ouverture, de la créativité et de la pluralité dans une science qu’il s’agit de réconcilier avec le monde.

Conclusion

37Nous avons proposé dans ce texte d’interroger le rapport entre les chercheur·e·s et les minorités. En nous appuyant sur le concept deleuzien de devenirs-minoritaires, nous avons décrit un devenir-minoritaire du ou de la chercheur·e se déterritorialisant de la science académique pour comprendre, saisir, rendre compte de l’expérience des minorités. Il nous a semblé que ce devenir-minoritaire du ou de la chercheur·e permet, a contrario de la posture traditionnelle, de donner une voix à ceux et celles qui n’en ont pas, mais sans parler à leur place. Nous nous sommes ainsi joints aux appels des chercheur·e·s en sciences sociales qui expérimentent d’autres modes d’enquête et d’autres modes d’écriture.

38Ces expérimentations témoignent d’une perspective sociologique qui, d’une part, prend racine dans le monde vécu et considère les acteurs de ce monde comme les coproducteurs des savoirs sociologiques et qui, d’autre part, s’attache à la communication et à la réception des éclairages ainsi produits au-delà du cercle universitaire, autrement dit à leurs effets sur le monde. Cette perspective s’écarte des carcans d’une science qui objective son rapport au monde et catégorise les individus ; elle s’éloigne également de la prévisibilité de la recherche majoritaire qui obtient des financements. Au contraire, elle se nourrit d’affects et d’inattendus. Ce qui semble le mieux caractériser cette perspective — qui apparaît de manière transversale aux expérimentations et à ses différents moments —, c’est la rencontre, entendue dans la pluralité de ses dimensions (rencontre construite ou fortuite, rencontre de quelques instants ou de longue haleine, rencontre de vécus, de regards et d’intentions, engagement à l’autre). C’est une sociologie de rencontres, au pluriel, car les parties prenantes de ces expérimentations sont nombreuses ; et c’est de la somme de ces rencontres que naît l’écriture créative. Chacune engendre une déterritorialisation des parties en présence, créant un devenir-minoritaire inédit, qui s’articule à d’autres. La rencontre est tout d’abord celle de chercheur·e·s dont les parcours et les expériences conduisent à être sensible aux messages produits par la sociologie. Il ne s’agit pas d’une sociologie solitaire, mais d’une sociologie de collectif. Il faut plusieurs regards et plusieurs motivations pour amorcer ce renversement de perspective et faire face aux hésitations et aux tâtonnements qui jalonnent les expérimentations. La rencontre est ensuite celle qui se tisse entre des chercheur·e·s et des minoritaires, et aussi entre pairs, au sein des groupes de travail. C’est de ces différentes rencontres que naissent les intelligibilités et la densité du récit sociologique qui se construit. La rencontre est enfin celle d’acteurs artistiques, qui apportent de nouveaux regards et de nouveaux savoirs. Last but not least, les créations produites rencontrent leurs publics…

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WEAVER-HIGHTOWER Marcus, Nick SOUSANIS et Paul KUTTNER (2018), « How to draw comics the scholarly way: Creating comics-based research in the academy », dans Patricia LEAVY (dir.), Handbook of Arts-Based Research, New York, Guilford Press, p. 396423.

WEISS Peter (1968), « Notes sur le théâtre documentaire », dans Discours sur la genèse et le déroulement de la très longue guerre de libération du Vietnam illustrant la nécessité de la lutte armée des opprimés contre leurs oppresseurs ainsi que la volonté des États-Unis d’Amérique d’anéantir les fondements de la révolution, traduit de l’allemand par Jean BAUDRILLARD, Paris, Seuil, p. 7-15.X

WITTGENSTEIN Ludwig (1996/1958), Le cahier bleu et le cahier brun, Paris, Gallimard.

ZITOUNI Benedikte (2012), « “With which blood were my eyes crafted? (D. Haraway) Les savoirs situés comme la proposition d’une autre objectivité », dans Elsa DORLIN et Éva RODRIGUEZ (dir.), Penser avec Donna Haraway, Paris, Presses universitaires de France.

ZOURABICHVILI François (2003), Le vocabulaire de Deleuze, Paris, Ellipses.

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Notes

1 Ces expérimentations sont menées de manière collective, au sein de l’équipe de recherche SATIE (https://www.unige.ch/fapse/satie/). Elles s’inscrivent dans la réflexion que nous menons depuis plusieurs années sur les effets des recherches sur les participant·e·s (les personnes observées ou interviewées) ainsi que sur les étudiant·e·s (et plus largement le public) auxquels elles sont transmises.

2 Pour des contraintes liées à la taille de l’article, nous avons fait le choix de nous centrer ici sur la démarche. La question de la réception par le public fera l’objet d’analyses ultérieures.

3 Ce constat rappelle que les mères assument dans la plupart des cas le travail de relation avec l’école et de suivi de la scolarité, partie importante du care, du travail invisible d’éducation et d’accompagnement des enfants.

4 Tous les prénoms cités dans les extraits sont fictifs.

5 Par exemple : un extrait de journal télévisé auquel participe une ministre de l’Éducation, un tableau de comportement affiché dans une salle de classe, une carte géographique de la répartition des écoles spécialisées, une directive transmise aux parents, un extrait d’entretien entre enseignant·e et parents.

6 Coauteur·e·s de cet article.

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Table des illustrations

Titre Dessin 1. Les doutes de Camille
Légende Scénario : Jean-Paul Payet, Verena Richardier, Diane Rufin, Zakaria Serir. Dessin : Verena Richardier
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/communication/docannexe/image/16365/img-1.png
Fichier image/png, 2,1M
Titre Dessin 2. Questionner l’enseignement
Légende Scénario : Verena Richardier. Dessin : Blandine Leroy
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/communication/docannexe/image/16365/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 2,1M
Titre Dessin 3. Traduire les concepts
Légende Scénario et dessin : Verena Richardier
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/communication/docannexe/image/16365/img-3.png
Fichier image/png, 899k
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Pour citer cet article

Référence électronique

Jean-Paul Payet, Verena Richardier, Zakaria Serir et Diane Rufin, « De quels devenirs-minoritaires sommes-nous les chercheur·e·s ? »Communication [En ligne], Vol. 39/2 | 2022, mis en ligne le 06 octobre 2022, consulté le 20 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/communication/16365 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/communication.16365

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Auteurs

Jean-Paul Payet

Jean-Paul Payet est professeur, responsable de l’équipe de recherche Sociologie de l’Action Transformations des Institutions Education (SATIE), Université de Genève. Courriel : Jean-Paul.Payet@unige.ch

Verena Richardier

Verena Richardier est collaboratrice scientifique, Institut du Fédéralisme, Université de Fribourg. Courriel : richardier.verena@gmail.com

Zakaria Serir

Zakaria Serir est collaborateur scientifique, membre de l’équipe de recherche Sociologie de l’Action Transformations des Institutions Education (SATIE), Université de Genève. Courriel : Zakaria.Serir@unige.ch

Diane Rufin

Diane Rufin est maître-assistante, membre de l’équipe de recherche Sociologie de l’Action Transformations des Institutions Education (SATIE), Université de Genève. Courriel : Diane.Rufin@unige.ch

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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