Robert ARMSTRONG (2019), La télévision au Québec. Miroir d’une société
Robert ARMSTRONG (2019), La télévision au Québec. Miroir d’une société, Québec, Presses de l’Université Laval
Texte intégral
1Les ouvrages qui ont été consacrés à la télévision québécoise au fil de son histoire ne sont pas si nombreux ; si l’on excepte les monographies sur des vedettes du petit écran et les mémoires d’anciens animateurs, le décompte est même étonnamment bas ! En fait, autant la télévision est depuis 70 ans au cœur de la vie culturelle des Québécois, autant les intellectuels, les chercheurs, les spécialistes des sciences sociales s’en sont largement désintéressés, en toute cohérence avec une attitude générale de mise à distance, voire de mépris face à la culture médiatique et de grande consommation. L’ouvrage de Robert Armstrong (ancien cadre supérieur au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes et de Téléfilm Canada) est donc plus que bienvenu, et il ne fait aucun doute qu’il vient combler un vide que voudront saluer ceux et celles qui s’intéressent à la télévision québécoise, à son histoire ainsi qu’aux perturbations que traverse actuellement le système de radio-télédiffusion canadien. En effet, même s’il contient une importante mise en contexte historique (les trois premiers chapitres y sont consacrés) et se présente comme un ouvrage de référence concernant le cadre légal et réglementaire de la télé canadienne, l’ouvrage trouve son principal prétexte et ses arguments les plus pertinents dans la menace actuelle que représentent pour la souveraineté culturelle québécoise et canadienne l’avènement du numérique et la popularité croissante des services en ligne.
2La présentation d’Armstrong est méthodique, extrêmement rigoureuse et constitue à coup sûr la synthèse la plus complète à ce jour des fondements légaux, économiques et culturels du système de radiodiffusion canadien et de la manière dont ses artisans l’ont pensé à la fois comme un facteur d’unité nationale, comme un rempart contre l’invasion des ondes par les contenus états-uniens ainsi que comme un levier identitaire essentiel. L’organisation de l’ouvrage reflète ce parti pris de systématicité et l’ambition somme toute fort circonscrite que l’auteur assigne à son projet, qu’il résume en disant vouloir « [se limiter] aux questions socioculturelles qui préoccupent le CRTC dans son désir d’atteindre les objectifs fixés par la loi sur la radiodiffusion » (p. 4). Ainsi, après le retour historique évoqué à l’instant, l’auteur consacre les chapitres suivants au CRTC, à la télévision publique et communautaire, à la télévision française puis anglaise, aux questions sociales, à la concentration des médias et enfin aux effets de l’arrivée d’Internet sur le système télévisuel canadien.
3Rétrospectivement, force est de constater que si le système en question — surtout sa partie publique — a en effet favorisé le développement d’une industrie télévisuelle compétitive et des contenus qui reflètent la culture nationale, c’est au Québec que ces résultats ont été les plus probants, le public francophone semblant s’être attaché beaucoup plus fortement et durablement à la programmation locale que le reste du Canada. Bien entendu, le ROC (Rest of Canada ou le « Canada sans le Québec »), comme on le désigne parfois avec un peu d’ironie, n’a pas pour lui la défense naturelle que constitue la langue contre le fantastique attrait des produits états-uniens. Armstrong montre bien toutefois que le débranchement de la télévision réglementée s’ajoute à la question linguistique et « pose un défi majeur au financement d’émissions anglophones de qualité » (p. 253), un phénomène qui est en train de rattraper le secteur français de la production télévisuelle et pourrait, à terme, menacer sa survie.
4L’essai de l’ancien haut fonctionnaire est donc loin d’être neutre, et les conclusions qu’il tire au terme de son parcours laissent planer peu de doutes quant à l’urgence d’agir, notamment en disciplinant — comme ont commencé à le faire certaines juridictions — « les médias numériques non réglementés ou exemptés de règlementation [qui] jouissent de plusieurs avantages par rapport aux médias réglementés qui doivent se conformer aux exigences précises du CRTC en matière de contenu canadien » (p. 286). C’est le grand défi auquel fait face en ce moment le système télévisuel canadien, dont le destin est clairement lié pour Armstrong au courage dont auront à faire preuve les politiciens fédéraux dans les prochaines années.
5Considérant toutes ces forces, et aussi les limites auto-prescrites de l’ouvrage, il nous semble quand même que le titre de l’ouvrage est abusif. En effet, on est en droit de se demander ce qui, dans ce travail par ailleurs exemplaire, nous parle spécifiquement de la télévision au Québec et surtout qui lui permet de ressasser le vieux cliché du média comme « reflet de la société ». Parler de tous les aspects envisageables de la réglementation, mais se limiter en même temps dans le chapitre intitulé « Les questions sociales » à des thèmes comme « la publicité destinée aux enfants » et « la violence » (des questions abondamment débattues il y a 30 ans mais beaucoup moins pertinentes aujourd’hui) tout en ne consacrant qu’une demi-page aux stéréotypes sexuels et à la représentation équitable (pourtant au cœur des discussions actuelles sur la télévision) atteste du peu d’intérêt de l’auteur pour le contenu des programmes, et finalement de la télévision comme vecteur symbolique et identitaire. On en donnera comme preuve que les seules références un tant soit peu consistantes faites dans tout l’ouvrage à des émissions ayant marqué le caractère unique de la télévision québécoise (La p’tite vie et Lance et compte) sont là pour illustrer des débats légaux ayant eu cours au sujet du droit d’auteur !
6Sans vouloir le reprocher spécifiquement à Robert Armstrong — son ambition n’est pas celle-là —, il faut mentionner qu’une véritable synthèse historique de la télévision québécoise reste à écrire. Car aussi utile et rigoureux qu’il puisse être pour comprendre l’arrière-plan réglementaire qui a encadré le développement historique de la télévision, un tel ouvrage ne dit ultimement pas grand-chose sur ce qui fait de la télé québécoise cet extraordinaire réservoir d’images, d’histoires, de personnes, d’émotions auquel tout un peuple s’identifie depuis 70 ans.
Pour citer cet article
Référence électronique
Pierre Barrette, « Robert ARMSTRONG (2019), La télévision au Québec. Miroir d’une société », Communication [En ligne], vol. 39/1 | 2022, mis en ligne le 06 juillet 2022, consulté le 15 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/communication/14930 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/communication.14930
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