Marie-Claude LAPOINTE et Jason LUCKERHOFF (dir.) (2020), Non-publics de la culture. Six institutions culturelles de la Mauricie à l’étude
Marie-Claude LAPOINTE et Jason LUCKERHOFF (dir.) (2020), Non-publics de la culture. Six institutions culturelles de la Mauricie à l’étude
Texte intégral
1Les institutions culturelles portent une grande attention à la question des publics. Bien sûr parfois pour des questions de survie. Ainsi la chute dramatique de la fréquentation du Musée des arts et traditions populaires à Paris ne faisait que confirmer la remise en question d’un projet culturel ambitieux mais brouillé par l’absence de choix de politiques et de pratiques adaptées ; il fallait recommencer avec une nouvelle lecture de la réalité contemporaine : ce sera le Musée de l’Europe et de la Méditerranée à Marseille. La refonte du Musée de l’Homme ne pourra non plus faire l’impasse sur l’abandon par les publics de son site et de ses activités.
2Mais plus fondamentalement, les institutions culturelles entretiennent depuis longtemps diverses formes de dialogue avec des publics impliquant des formes variées de participation. Elles croient à leur rôle social. Pour paraphraser Edgar Morin, il n’y a pas de société sans culture et la culture existe à travers les cultures. On ne peut se surprendre alors de voir se multiplier depuis 25 ans les études sur les attentes et motivations des publics, sur les freins à la fréquentation ou encore sur l’impact des productions culturelles même si l’on peut déplorer que trop de connaissances demeurent dispersées.
3Accompagnant l’évolution de la société, les institutions se sont notamment interrogées sur leurs approches de la démocratie et de la démocratisation culturelles, sur la participation citoyenne, sur les formes de savoirs ou sur leurs règles éthiques. Cependant, à ma connaissance, il n’existe que peu ou pas d’études impliquant un réseau culturel territorial, et l’ouvrage sous la direction de Marie-Claude Lapointe et Jason Luckerhoff vient apporter un nouvel éclairage en s’attardant à l’enjeu des non-publics dans une région déterminée. Cet apport est d’autant plus intéressant qu’il nous laisse voir l’impact des études menées sur les organisations.
4En effet, ces études réalisées en partenariat avec Culture Mauricie et dans le cadre des travaux d’une thèse de doctorat soutenue par Olivier Champagne-Poirier dressent le portrait d’institutions dans un temps donné. Elles présentent par ailleurs le chemin parcouru en réponse aux questionnements soulevés et aux constats réalisés. Nous voyons bien l’opérationnalisation d’une démarche d’analyse et son impact sur les organisations. Les études sont des facteurs de changements.
5Mais avant même la présentation des études de cas, l’ouvrage analyse un certain nombre de concepts et fait le point sur les approches théoriques autour des notions de droits culturels, de démocratisation et de démocratie culturelles ou de médiation. Michel Kneubühler, en préface, nous rappelle ainsi que la culture est une affaire éminemment politique, alors que Marie-Claude Lapointe et Jason Luckerhoff explorent la notion de non-public en démontrant la complexité du propos. Il y a diversité des publics et pluralité des non-publics ; de plus, il y a possibilité d’être à la fois public d’une offre culturelle et non-public d’une autre. On mesure à la lecture de ces textes l’importance des actes de médiation et la multitude des variables autour de l’accessibilité de l’offre culturelle.
6Les six chapitres de l’ouvrage énoncent donc les résultats d’études spécifiques et diversifiées autour de portraits institutionnels. On retrouve notamment pour chaque organisation analysée les contextes ainsi que les stratégies de positionnement et de communication. Les organismes étudiés sont fort différents, mais les auteurs ont su maintenir une cohérence d’ensemble et donner une lecture globale et intégrée du territoire. Le lecteur découvrira ainsi les enjeux liés à la patrimonialisation d’un lieu de culte avec l’analyse du Comité de protection des œuvres d’Ozias Leduc ; il explorera l’évolution du Musée québécois de culture populaire et se questionnera sur la vocation du Salon du livre de Trois-Rivières. Il poursuivra sa réflexion sur les freins à la fréquentation en étudiant les approches de la Maison de la culture, la réalité du Ciné-Campus ou les défis du festival de musique FestiVoix.
7Chaque chapitre fait d’abord le point sur le secteur culturel touché avant de s’attaquer aux contextes particuliers de l’institution régionale et d’explorer les freins à la fréquentation. Les motifs de non-fréquentation peuvent être multiples et complexes. Je me permets d’en retenir certains qui me paraissent porteurs.
8Tout d’abord, la question identitaire ou de la mission. Ainsi le public aurait du mal à définir la nature de l’organisme. On hésiterait à fréquenter le Ciné-Campus parce qu’il ne correspond pas à la représentation d’une salle de cinéma ; on ne définit pas le Comité de protection des œuvres d’Ozias Leduc comme un lieu culturel ; le Musée québécois de culture populaire se voit confronter à une tension entre la culture savante et la culture populaire et le Salon du livre est soumis à une double perception culturelle et commerciale. Si le citoyen se fait souvent une représentation des lieux culturels, les institutions doivent rendre visible et cohérente la lecture de leur projet.
9L’enjeu de l’accessibilité (qui peut d’ailleurs prendre plusieurs formes) est aussi fondamental. Le lieu n’est pas neutre. La Maison de la culture de Trois-Rivières se trouve dans un environnement associé au travail ; l’emplacement du festival FestiVoix en diminuerait l’accès, alors que le Musée québécois de culture populaire souffrirait d’une faible visibilité. Les cas présentés confirment l’importance des politiques et pratiques en matière d’accessibilité physique, géographique, économique, sociale et culturelle et démontrent qu’avoir le visiteur en tête bouleverse les manières de faire.
10Les auteurs soulignent par ailleurs une réalité trop souvent négligée, soit le territoire. La Mauricie a une histoire et les citoyens ont une perception de leur environnement social, économique et culturel ; située entre Montréal et Québec, la région ne peut négliger l’influence de ces autres territoires sur les attentes des publics.
11L’ouvrage explore donc avec finesse l’ensemble des motifs de non-fréquentation de lieux culturels et permet de voir des constantes.
12La question des publics est fondamentale. Un musée sans public devient une réserve. On sait que les publics visiteurs ont des profils socioéconomiques variés et des modes d’apprentissage différenciés. De toute façon, les savoirs offerts peuvent se décliner entre connaissances, savoir-faire, savoir-être ou savoir vivre ensemble. Quant aux institutions culturelles, elles naviguent entre enchantement, connaissances et réflexion, et font face aux pouvoirs trop souvent standardisés de propositions mondialisées.
13En contrepartie ou en complémentarité, la question des non-publics est tout aussi capitale. Chaque institution doit trouver son public optimal et, pour ce faire, mettre en œuvre une politique et des pratiques pertinentes. Chaque institution doit également reconnaître que ce pari utopique ne sera jamais gagné, mais toujours poursuivi.
14Le livre Non-publics de la culture doit être en ce sens lu et relu. Parce qu’il fait le point sur un territoire. Parce qu’il rend compte de la complexité du sujet. Parce qu’il permet et encourage des initiatives. Parce qu’il place le citoyen au centre de ses préoccupations et valorise la médiation. Les responsables culturels, qu’ils soient de la Mauricie ou d’ailleurs, croient à l’utilité de la culture et cherchent à faire partager ce plaisir ainsi que cette nécessité de connaître et de se connaître. Il est indispensable pour eux de mesurer les contraintes et les obstacles, de percevoir et de comprendre les attentes.
Pour citer cet article
Référence électronique
Michel Côté, « Marie-Claude LAPOINTE et Jason LUCKERHOFF (dir.) (2020), Non-publics de la culture. Six institutions culturelles de la Mauricie à l’étude », Communication [En ligne], Vol. 38/1 | 2021, mis en ligne le , consulté le 21 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/communication/13424 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/communication.13424
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