Anaïs THEVIOT (dir.) (2019), Médias et élections. Les campagnes 2017, primaires, présidentielles et législatives françaises
Anaïs THEVIOT (dir.) (2019), Médias et élections. Les campagnes 2017, primaires, présidentielles et législatives françaises, Lille, Septentrion
Full text
1Cet ouvrage collectif s’intéresse à la communication électorale lors des dernières présidentielles françaises. Il s’agit, à partir de cette étude de cas singulière, de mesurer les ruptures, mais aussi les continuités dans la communication électorale de la Cinquième République. Pour ce faire, l’ouvrage est organisé en trois parties. La première s’intéresse à la campagne électorale dans les médias traditionnels. La seconde couvre cette campagne dans les réseaux sociaux numériques. La troisième, enfin, s’intéresse à la réception en cherchant à analyser comment les électeurs ont perçu cette campagne.
2Comme le montre le plan (trois parties de trois chapitres), cet ouvrage collectif — ce n’est pas héla toujours le cas ! — est un vrai projet éditorial cohérent. L’introduction, de la directrice de l’ouvrage, pose le contexte et décrit la problématique globale ; dans chaque partie, les auteurs traitent la problématique spécifique ; dans la conclusion, Christian Le Bart apporte à l’ouvrage une note réflexive qui est la bienvenue. Une bibliographie commune à l’ouvrage renforce la cohésion éditoriale, tandis qu’une mise en page soignée ainsi que de nombreuses illustrations et représentations graphiques agrémentent le tout. Un ouvrage collectif exemplaire dans sa forme donc.
3Sur le fond, l’ouvrage est particulièrement intéressant pour trois raisons. Tout d’abord, par sa réflexivité. En effet, dans sa conclusion, Le Bart, qui a lu de manière critique les neuf chapitres, souligne les deux partis pris implicites de l’ouvrage. Le premier est de saisir une campagne électorale à partir de sa médiatisation. Ce parti pris est légitime, mais il laisse dans l’ombre la communication directe (les meetings, les discussions dans les cafés, etc.), ce qui, du coup, tend à augmenter la confusion, que nous dénonçons régulièrement, entre espace médiatique et espace public. Le deuxième parti pris implicite de l’ouvrage est de penser la campagne de 2017 comme une séquence autonome. Or, souligne avec justesse Le Bart, il n’est pas simple, théoriquement, de trouver un début objectif à cette séquence. En effet, nous pouvons remarquer que le raccourcissement du mandat présidentiel peut donner à penser que la nouvelle campagne présidentielle s’amorce dès que la nouvelle présidence commence. Quoi qu’il en soit, cette conclusion réflexive critique est un atout théorique qui, loin de réduire la portée scientifique de l’ouvrage, en augmente au contraire la valeur. La deuxième raison de s’intéresser à cet ouvrage est le résultat qu’il met au jour : l’élection en France en 2017 s’est faite — plus que jamais — à la télévision. Pour la première fois, comme le remarque fort à propos Jacques Gerstlé dans le chapitre 2, on a pu établir un lien clair entre performance télévisuelle et résultat électoral—
Contrairement aux observations historiques antérieures, on remarquera qu’à trois occasions la procédure du débat télévisuel a produit un effet électoral : lors de la primaire à droite à la mi-novembre 2016 il a permis à F. Fillon d’imposer sa candidature. Lors du débat de 20 mars J.-L. Mélenchon assure le décrochage définitif par rapport à B. Hamon et le débat du 3 mai 2017 voit la déroute de M. Le Pen (p. 79).
4Résultat qui va à l’encontre de nombreux discours médiatiques et académiques parlant d’un bouleversement politique par le numérique. À l’heure actuelle, même si les choses commencent à changer avec la nouvelle génération, la télévision reste le média-clé de la communication électorale nationale. La troisième raison de lire avec profit cet ouvrage tient dans la volonté de faire une analyse « à 360 degrés » de la communication. Une analyse qui englobe production, produits médiatiques et réception. C’est cette approche transversale qui, selon nous, est le mieux à même de distinguer les travaux en sciences de l’information et de la communication consacrés à la communication politique de ceux de la science politique ou de la sociologie politique dédiés au même objet.
5Cependant, deux points viennent légèrement ternir cet ouvrage de belle facture. Le premier a trait au chapitre 9. Si on comprend le projet éditorial (éclairer différemment l’objet en déplaçant quelque peu l’analyse pour aborder les pratiques d’information numérique au Canada), on ne peut que souligner la non-réalisation de ce projet. D’une part, le texte relève plus d’un exercice de synthèse niveau master que d’un état de l’art académique, d’autre part et surtout, cette tentative d’éclairer différemment l’objet n’est pas esquissée dans le texte qui n’essaie pas, même en conclusion, de montrer en quoi les données présentées permettent de mieux comprendre la dernière campagne présidentielle française. Le deuxième point sombre concerne la focalisation sur la communication électorale. Cette focalisation fait que toute une partie de la communication politique (Wolton, Breton, Gauthier, etc.) et de la philosophie politique (Habermas, Rancière, Lefort, etc.) n’est pas présente dans la bibliographie. Or, focalisation ne signifie pas obligatoirement oubli pur et simple des continuités entre communication politique et communication électorale. Même si la communication électorale obéit à des règles spécifiques, elle n’est qu’une forme particulière de la communication politique. Du coup, analyser les évolutions de la communication électorale sans prendre en compte les évolutions globales de la communication politique et de l’espace public, c’est simplifier dangereusement l’objet d’étude et, du coup, le manquer en partie.
6En partie seulement, car l’essentiel, nous l’avons écrit, est dit dans cet ouvrage qui établit sans conteste que l’idée d’une révolution numérique dans la communication électorale n’est qu’un cliché préscientifique. À lire donc pour se débarrasser de cette idée reçue.
References
Electronic reference
Éric Dacheux, “Anaïs THEVIOT (dir.) (2019), Médias et élections. Les campagnes 2017, primaires, présidentielles et législatives françaises”, Communication [Online], vol. 37/2 | 2020, Online since 07 September 2020, connection on 11 December 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/communication/12457; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/communication.12457
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