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Lectures

Jonathan GRAY et Amanda D. LOTZ (2019), Television Studies

2e édition, Cambridge, Polity Press, Coll. « Short Introductions »
Mathieu de Wasseige
Référence(s) :

Jonathan GRAY et Amanda D. LOTZ (2019), Television Studies, 2e édition, Cambridge, Polity Press, Coll. « Short Introductions »

Texte intégral

  • 1 Cet ouvrage répond à ces questions en retraçant l’histoire des études télévisuelles jusqu’au présen (...)

1Dans la série des « Short Introductions » de l’éditeur Polity, Television Studies nous offre un aperçu complet et rigoureux des origines, des idées centrales et des traditions intellectuelles des études télévisuelles, domaine passionnant mais souvent ignoré dans le monde universitaire. Jonathan Gray et Amanda D. Lotz expliquent d’ailleurs bien à quel point celui-ci a été méprisé par de nombreux universitaires depuis ses débuts jusqu’à la fin des années 1990, période à laquelle un certain nombre d’universités du monde anglo-saxon commencent à le considérer comme un champ de recherche légitime. Quels ont été les principaux domaines et sujets d’investigation dans les études télévisuelles ? Pourquoi et comment ces questionnements et lieux d’études se sont développés ? Comment les chercheurs les ont-ils étudiés ? « This book has endeavored to offer the novice reader an introduction to television studies by charting its intellectual history, roughly demarcating its porous edges, and highlighting some of its most notable scholarship » (p. 140)1.

2Dans l’introduction de cette nouvelle édition, les auteurs redéfinissent la télévision en incluant les nouveaux acteurs Internet tels que Netflix, Amazon Prime ou Hulu et expliquent que l’abondance actuelle, appelée « peak tv », correspond non seulement à une offre plus grande, mais également à plus de programmes de qualité (en chiffres absolus). Ils expliquent par ailleurs comment ces nouveaux acteurs ont adapté les récits, les pratiques industrielles et l’expérience du public de la télévision. Bien entendu, cette fragmentation du marché télévisuel signifie des audiences réduites car réparties sur un plus grand nombre de programmes, mais cela peut être vu comme une maturité du média et comme une confirmation de sa vitalité.

3L’introduction retrace par ailleurs la généalogie de ces études, avec les influences diverses des sciences sociales et humaines ainsi que des Cultural studies, en plus de relever les nombreux chevauchements avec les études des (nouveaux) médias. Enfin, les auteurs expliquent qu’un des rares consensus de ce champ d’études hybride et interdisciplinaire est de comprendre les rapports entre les programmes, les audiences, les industries et leur contexte. Ces quatre éléments forment donc logiquement les quatre chapitres de ce livre.

  • 2 The Filter Bubble: What the Internet Is Hiding from You (Pariser, 2011) est l’un des premiers ouvra (...)

4Dans le premier, « Programmes », les auteurs reviennent sur les diverses approches de l’étude des textes télévisuels : l’analyse critique, le close reading, l’analyse formelle et rhétorique, les études filmiques et enfin la linguistique et la sémiologie, avec une brève explication de chacune de ces branches. Ils expliquent également les différentes motivations telles que l’esthétique, l’idéologie ou simplement l’importance de la télévision comme forum culturel. Ils n’oublient pas que la polysémie — et le jeu volontaire avec le sens et les interprétations diverses que celle-ci permet — exige que la réception du texte soit analysée et que l’avis du public soit mis en perspective. Cette partie aborde encore l’ouverture thématique de l’analyse de programme (par genre, classe sociale, sexualité…) et l’importance du genre télévisuel (aussi bien la sitcom ou le soap-opéra que la téléréalité ou le drame policier), le tout richement documenté. Enfin, elle finit de manière très convaincante en pointant la perturbation provoquée par les services de streaming et Internet en général. Alors que les études télévisuelles ont toujours été motivées par l’analyse du pouvoir de la télévision et de son impact sociétal, les auteurs montrent que plus de programmation signifie moins de public et donc moins d’impact potentiel par show diffusé. Par ailleurs, ce processus d’individualisation grandissante est renforcé par la culture algorithmique qui réifie des communautés séparées, distinctes, et encourage les « bulles de filtre2 ».

5Le deuxième chapitre est consacré au public et à l’étude de réception. Gray et Lotz font ici état de l’évolution de la conception de l’audience, d’abord considérée comme aisément manipulable puis graduellement analysée comme plus interactive et critique, entre autres sous l’influence de Stuart Hall et de son modèle d’encodage et de décodage ainsi que de John Fiske qui voyait tout texte télévisuel comme potentiellement émancipatoire. Ici aussi les nombreuses contributions scientifiques mentionnées illustrent parfaitement la mutation de ces recherches qui ont tour à tour intégré les fan studies (et les pratiques de visionnage) puis Internet comme moyen dominant d’étude des audiences. En effet, entre les ballons d’essai lancés par les studios qui parfois adaptent leur évolution narrative aux réactions des fans et les nombreuses productions de ces derniers telles que les mèmes et autres fanfictions, la technologie a clairement changé les relations entre les programmes, l’industrie et le public. Enfin, moult nouvelles questions doivent être abordées dans les recherches à venir : quels sont les impacts des nouvelles pratiques de visionnage et les politiques d’investissement ou de diffusion dans ce nouvel environnement médiatique fragmenté ? Comment comprendre l’interaction entre structure et capacité d’action (des publics), entre idéologie, pouvoir et résistance au quotidien ? Dans ce contexte technologique globalisé, les études d’audiences se sont déjà tournées vers les questions d’identité et de communautés (réelles et virtuelles), mais beaucoup de travail reste à faire.

6Dans une triangulation typique des Cultural studies — on renvoie ici à Paula Sauko, Doing Research in Cultural Studies (2003) —, les auteurs continuent logiquement leur ouvrage par une description de l’étude de l’industrie (culturelle de la télévision), car seule la prise en compte des trois pôles mentionnés et de leurs interactions permet une compréhension fine des textes et des phénomènes télévisuels. Cette étude de production inclut les studios, chaînes, conglomérats médiatiques et agences de régulation. Ici se pose adroitement la question du mandat et de l’objectif de la production télévisuelle. Le panorama est très complet, avec les questions administratives mais également les traditions critiques de l’industrie, depuis l’école de Francfort (Theodor W. Adorno et Max Horkheimer en tête de proue) jusqu’aux plus récentes études critiques des industries médiatiques (critical media studies) sans oublier les approches concurrentielles entre l’économie politique et les Cultural studies. Enfin, les questions actuelles de la télévision globale encouragée par la diffusion par Internet sont présentées. Parmi celles-ci, il vaut la peine d’épingler la fascinante étude de Marwan Kraidy (2010) portant notamment sur le rôle de la téléréalité en politique arabe, sur la difficile régulation due aux téléchargements Internet, sur les nombreuses questions relatives à la diffusion numérique et sur leur appropriation par les réseaux sociaux.

7Enfin, ce tour de la question n’aurait pas été complet sans considérer l’importance que le contexte socio-spatio-historique peut jouer dans l’interaction entre texte, audience et industrie. Le contexte historique et celui de l’environnement culturel sont (théoriquement) présents, car il faut les aborder dans toute étude particulière pour comprendre le rôle social que peut exercer la télévision. Le développement important dans ce chapitre est celui du contexte d’étude ainsi que de l’évolution des objets scrutés et de l’intertextualité. Il est donc question de flux, de débordement, de transmédia, de convergence et de paratexte. Ce débordement — au sens large — amène les auteurs à se poser la question de la pertinence des études télévisuelles stricto sensu à l’heure transmédiatique. Ils observent dans leur conclusion que les beaux jours des études télévisuelles appartiennent au passé et que celles-ci doivent être intégrées aux études médiatiques. Il s’agit ici probablement du seul point moins convaincant de l’ouvrage : il va de soi que la télévision ne peut plus être analysée sans la prise en compte des aspects transmédiatiques, du rôle majeur d’Internet et des nombreux acteurs — dont les réseaux sociaux — dans la re-circulation des contenus, mais considérer les études télévisuelles comme une branche des études médiatiques semble aussi logique que peu précis eut égard aux nombreuses caractéristiques inhérentes à la télévision.

8En résumé, nous avons ici à faire à une introduction aux études télévisuelles complète, actualisée et richement documentée. Naturellement, ce n’est pas étonnant de la part de Lotz, qui a produit deux des ouvrages les plus importants du domaine dans un passé récent — Television Will Be Revolutionized (2014) et le plus « anglé » Redesigning Women. Television after the Network Era (2006) —, ni de la part de Gray, une éminence en matière d’intertextualité, de paratextualité et de fan studies.

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Bibliographie

GRAY, Jonathan, Cornel SANDVOS et C. Lee HARRINGTON (dir.) (2017), Fandom: Identities and Communities in a Mediated World, 2e édition, New York, New York University Press.

KRAIDY, Marwan (2010), Reality Television and Arab Politics: Contention in Public Life, Cambridge, Cambridge University Press.

LOTZ, Amanda D. (2006), Redesigning Women. Television after the Network Era, Urbana/Chicago, University of Illinois Press.

LOTZ, Amanda D. (2014), Television Will Be Revolutionized, 2e édition, New York, New York University Press.

PARISER, Eli (2011), The Filter Bubble: What the Internet Is Hiding from You, Londres, Penguin Books Ltd.

SAUKO, Paula (2003), Doing Research in Cultural Studies, Londres, Sage.

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Notes

1 Cet ouvrage répond à ces questions en retraçant l’histoire des études télévisuelles jusqu’au présent numérique pour offrir au lecteur novice l’histoire intellectuelle et les savoirs les plus notables du domaine (traduction de l’auteur).

2 The Filter Bubble: What the Internet Is Hiding from You (Pariser, 2011) est l’un des premiers ouvrages à mentionner ce concept.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Mathieu de Wasseige, « Jonathan GRAY et Amanda D. LOTZ (2019), Television Studies »Communication [En ligne], vol. 37/1 | 2020, mis en ligne le 11 mai 2020, consulté le 15 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/communication/11922 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/communication.11922

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Auteur

Mathieu de Wasseige

Mathieu de Wasseige est professeur à l’Institut des hautes études des communications sociales (IHECS), collaborateur scientifique à l’Université libre de Bruxelles et membre du Groupe interdisciplinaire de recherche sur les cultures et arts en mouvement (GIRCAM), Université catholique de Louvain. Courriel : mathieu.de.wasseige@galilee.be

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