David DOUYÈRE (2018), Communiquer la doctrine catholique. Textes et conversations durant le concile Vatican II d’après le journal d’Yves Congar
David DOUYÈRE (2018), Communiquer la doctrine catholique. Textes et conversations durant le concile Vatican II d’après le journal d’Yves Congar, Genève, Labor et Fides
Texte intégral
1L’ouvrage que nous propose David Douyère, professeur de sciences de l’information et de la communication à l’Université de Tours, s’inscrit dans une ligne de recherche que l’auteur a déjà abondamment nourrie. En se saisissant des objets et questions qui au sein du christianisme permettent de faire ressortir la dimension de communication, il entend montrer comment cette dimension a pu être structurante et préfigurer au-delà de l’Église même la communication contemporaine. Amplement producteur de discours et d’images, le catholicisme lui fournit de fait un terrain de choix, car il lui permet notamment de se saisir de corpus et matériaux très variés.
2L’objet qui retient ici son attention est le journal tenu par Yves Congar durant le concile Vatican II. Ce « témoin » mérite d’abord que l’on s’y attarde, car le renouveau dans l’Église que ce Dominicain appelait de ses vœux l’avait mis en retrait et rendu suspect auprès de la curie romaine. Puisqu’il était un théologien sous surveillance dans les années 1950, on comprend que sa nomination en tant qu’expert en 1960 pour préparer le concile avait été une surprise. Mais c’est sa liberté d’analyse et de ton lui ayant valu quelques déboires qui fera aussi tout l’intérêt de son journal.
3Dans un assez long préambule, l’auteur interroge d’abord la notion de communication chrétienne et les méthodes susceptibles d’être utilisées pour l’analyser. Mais c’est pour réfuter même l’existence de cette communication et mettre l’accent sur les pratiques, les faits, les écrits et les discours qui peuvent produire du sens. Un premier chapitre présente ensuite ce journal tenu de 1960 à 1966, un texte d’une lecture aride, voire rébarbative nous dit l’auteur, mais dont il faut noter qu’il émane d’une personne atteinte par une maladie de la moelle épinière qui lui laisse peu de répit. Néanmoins, cette personne sait qu’elle laisse des traces pour l’histoire par sa pratique des archives. Douyère explique ensuite comment il a appréhendé ce matériau volumineux (1 000 pages) et fait le choix d’une lecture « écoutante » plus que d’une analyse lexicographique.
4Ces mises en perspective permettent, à celui qui ignorerait tout des lieux et canaux informels où se forgent les conclusions d’un concile, d’entrer aisément dans un chapitre passionnant. Consacré aux échanges, réseaux, rumeurs et intrigues qui font la vie d’un concile, il met au jour les stratégies d’influence, l’instrumentation des vraies et des fausses rumeurs. Congar note qu’il est objet de multiples sollicitations par téléphone, par lettre, de demandes d’entretien et de rencontres fortuites ou non. Il indique qu’il « ne souffle pas une seconde », mais rend compte parfois sans mansuétude de ces multiples contacts et échanges. Douyère note aussi le développement d’une culture du secret en marge du règlement strict du concile. Ainsi se dessine dans ces pages une certaine psychologie sociale du concile.
5Douyère consacre ensuite deux chapitres au pouvoir de la parole et au travail de l’écrit. Congar ne manque pas d’évaluer la qualité des échanges verbaux, mais il repère aussi des modalités de coordination à l’instar de celles mises en œuvre par les experts belges. Le concile est un grand producteur d’écrits individuels ou collectifs, au risque de l’étouffement. L’auteur s’attache à relever et à analyser tout ce qui dans le journal participe de l’élaboration des textes. Modalités de discussion, attention prêtée au style (Congar voudrait un « parler chrétien »), choix du ton et forme souhaitée sont ainsi passés au crible.
6Dans ce contexte, les mots qui sont d’une extrême importance font l’objet de batailles évoquées dans le dernier chapitre. Les débats autour de leur choix traduisent des différences de traditions, voire de cultures. Un théologien aussi averti que Congar sait combien la doctrine s’appuie sur les mots et il entend ressourcer le discours de l’Église par la défense d’autres mots. Ce travail d’élaboration qui est la marque d’un concile est particulièrement bien analysé par Douyère dans les deux derniers chapitres.
7L’ouvrage s’achève sur une postface qui fixe les trames de ce que peut être l’étude de la communication du religieux. Un vaste champ de recherche est en effet ouvert aux sciences de la communication qui, par leurs théories, concepts et méthodes, peuvent éclairer la production de sens de cet enjeu central des religions. Cette lecture et cette analyse du journal de Congar ne peuvent qu’encourager des recherches nouvelles.
Pour citer cet article
Référence électronique
Vincent Rogard, « David DOUYÈRE (2018), Communiquer la doctrine catholique. Textes et conversations durant le concile Vatican II d’après le journal d’Yves Congar », Communication [En ligne], vol. 37/1 | 2020, mis en ligne le 11 mai 2020, consulté le 13 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/communication/11867 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/communication.11867
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