Florian SAUVAGEAU, Simon THIBAULT et Pierre TRUDEL (dir.) (2018), Les fausses nouvelles. Nouveaux visages, nouveaux défis. Comment déterminer la valeur de l’information dans les sociétés démocratiques
Texte intégral
1La diffusion de « fausses nouvelles », ou fake news et autres « infox », n’est évidemment, comme cela est souligné à maintes reprises dans l’ouvrage, pas quelque chose qui n’aurait pas existé jusque-là. Elle se caractérise cependant aujourd’hui par sa forme massive. La désinformation, la propagande, le mensonge et toutes formes de tentatives de manipulation de l’opinion ont, dans différents contextes et pour de multiples raisons (politiques et / ou économiques), préexisté à ce phénomène qui, en tant que tel, est cause de préoccupations plus récentes. C’est là une des causes du discrédit dont souffrent globalement les médias auprès d’une partie de la population, tandis que d’autres personnes, moins instruites de ces réalités, se montrent particulièrement crédules.
2Contrairement à ce qui aurait pu être attendu de la multiplication des canaux de diffusion et de la diversité des sources d’information, conditions nécessaires mais assurément pas suffisantes du pluralisme, le phénomène des « fausses informations » n’a pas été corrigé, loin de là. Le numérique et particulièrement lesdits « réseaux sociaux », qui enferment et confortent plutôt chacun dans ses convictions et ses préjugés, en élargissent, en accélèrent et en aggravent la portée et les effets, entre autres en périodes électorales, du fait notamment d’interventions et d’influences étrangères. Cela a pu être constaté, lors des élections présidentielles, aux États-Unis et en France, en 2016 et 2017, ou à l’occasion du référendum britannique sur le Brexit.
3Dès lors qu’il s’agit là d’un réel danger pour la qualité et la crédibilité de l’information à laquelle le public est en mesure d’accéder et qu’il est en droit d’exiger et, par voie de conséquence, pour la démocratie, existe-t-il des moyens d’y faire face et d’y remédier ?
4C’est à une approche pluridisciplinaire de ces questions qu’universitaires et professionnels de la communication (nord-américains et européens) se sont livrés, notamment à l’occasion d’un séminaire justement intitulé Les fausses nouvelles : le nouveau visage d’un vieux problème, organisé à l’automne 2017 par le Centre d’études sur les médias de l’Université Laval (Québec). Leurs contributions sont ici reprises, enrichies de quelques apports supplémentaires et éléments d’actualisation.
5Il convenait au moins que le problème soit correctement posé et débattu, et que des pistes de réflexion soient ouvertes, à défaut, bien évidemment, de pouvoir y apporter une solution qui, comme cela est évoqué, est multiple et susceptible de passer par divers moyens : de vérification des faits, de rectification d’informations inexactes, d’éducation aux médias, de déontologie de l’information, et éventuellement de droit, pour autant qu’il soit nécessaire d’ajouter aux dispositions préexistantes et pas seulement d’appliquer celles-ci.
6Outre quelques rappels historiques, après avoir, dans la première partie, considéré « de quoi parle-t-on ? » (« étude des sujets populaires », « nouvelles bidon et propagande informatique à travers le monde », « les “fausses nouvelles”, éléments d’un écosystème médiatique alternatif ? »), l’ouvrage fait état, dans la deuxième partie, de « regards de journalistes » (s’agissant d’un « pionnier de l’enquête journalistique sur la désinformation en ligne », de l’« état des lieux au Québec », de « la production de fausses nouvelles scientifiques : le cas de la vaccination »), avant d’envisager « quelques pistes de solution » (comportant « l’appui aux citoyens », par la voie de « la détection des nouvelles trompeuses et fallacieuses dans les contenus en ligne » et l’éducation aux médias, et par « la voie législative »), par exemple celle mise en œuvre en Allemagne et alors en discussion en France. Il y est également fait mention de quelques notions fondamentales et plus générales telles que la liberté d’information, la vérité et la régulation.
7La détermination de l’attitude à tenir ou de la réponse à apporter à la diffusion desdites « fausses nouvelles » s’avère délicate. Parmi quelques remarques et interrogations peuvent être relevées celles selon lesquelles « les efforts de dénonciation finissent par amplifier le problème qu’ils essaient de résoudre […] le fait d’adopter une attitude critique ne fait qu’empirer les choses, puisque, en discréditant les fausses nouvelles, nous continuons d’en parler » (p. 24). Y a-t-il donc un moyen de sortir de ce piège ? Cause et conséquence tout à la fois, le phénomène ne serait-il qu’un « révélateur social supplémentaire de la crise de confiance en la démocratie représentative » (p. 63) et du « sentiment d’exclusion ressenti par une partie importante de la population » (p. 71) qui atteindraient l’information et les médias comme toutes les autres institutions ? Est-il alors pertinent et sans danger pour la liberté d’information de faire appel à « l’autorégulation des entreprises » ou d’adopter des lois nouvelles qui pourraient s’avérer être de « mauvaises lois » (p. 89) ? Tel qu’il est pratiqué et perçu, le journalisme peut-il encore jouer un « rôle de contrepoids face au phénomène des fake news » (p. 143) ? Un autre des auteurs estime que « le désir de réglementer, de contrôler ou même d’éliminer les fausses nouvelles […] équivaut à une capitulation et à une admission tacite que l’influence des fausses nouvelles est plus forte que la rationalité des citoyens » et dit craindre qu’il « ne donne aux gouvernements le pouvoir de censurer l’information » (p. 242). Dans le même sens, d’autres considèrent que, dans un tel contexte et face à un tel problème, « la légitimité des normativités étatiques ne va plus de soi », et ils expriment « des doutes sur le caractère suffisant et adéquat de législations » nouvelles (p. 251).
8Démonstration est au moins ainsi faite que, face au défi des « fausses nouvelles », le débat d’idées, l’ouverture à la diversité des analyses et des points de vue, la confrontation des opinions et la prudence dans l’évocation de possibles solutions constituent une nécessité, sans que nul puisse prétendre détenir et imposer une quelconque « vérité ».
Pour citer cet article
Référence électronique
Emmanuel Derieux, « Florian SAUVAGEAU, Simon THIBAULT et Pierre TRUDEL (dir.) (2018), Les fausses nouvelles. Nouveaux visages, nouveaux défis. Comment déterminer la valeur de l’information dans les sociétés démocratiques », Communication [En ligne], Vol. 36/2 | 2019, mis en ligne le 15 juillet 2019, consulté le 16 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/communication/10462 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/communication.10462
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