1Les études concernant les îles « tropicales » traitent majoritairement de l’insularité et de leur dépendance multiple vis-à-vis de l’extérieur avec le tourisme (Redon M., 2019). Les Philippines voient certaines de ses îles se dégrader avec le tourisme « de masse » à l’image de l’île de Boracay fermée pendant six mois de novembre 2018 à avril 2019 afin de réaliser les aménagements nécessaires à l’évacuation des déchets et au traitement des eaux usées. À l’échelle de l’archipel philippin, d’autres formes de tourisme associées à l’agriculture voient le jour. L’étude de Biliran concerne une forme de développement émergente dans l’archipel philippin avec le système des « Farms » ou des fermes produisant de l’agriculture biologique et à but récréatif. Dès l’année 2016, le président Aquino décréta le Farm Tourism Development Act. Une centaine de « fermes » avaient pu bénéficier d’une labellisation gouvernementale. L’initiative partait d’un constat selon lequel de nombreuses fermes étaient peu rentables et produisaient essentiellement du riz leur conférant un seul pic d’activité dans l’année. Ce qu’incite ce dispositif est la diversification des cultures axées sur une plus haute valeur (maraichage, fruits, plantes aromatiques) ou plus adaptées aux précipitations (lentilles en saison sèche). Ce type de tourisme avait pourtant été amorcé dans les campagnes proches des grandes agglomérations philippines pour populations urbaines en manque de contacts avec la nature. La campagne gouvernementale visait particulièrement la diversification des activités dans de grandes structures agricoles de type haciendas produisant du riz ou de la canne à sucre, voire des plantations d’ananas. Ces structures proposent également des hébergements.
2Jusqu’à une période récente, les études concernant les espaces ruraux et surtout agricoles en Asie du Sud-Est, étaient réalisées dans une perspective quantitative et statistique (notamment grâce aux données de la FAO) sans que ces dernières ne laissent transparaître une quelconque approche de terrain lesquelles permettent pourtant de mettre en avant la diversité des initiatives du monde rural. Les progrès dans différentes productions agricoles telles que le riz ou les cocoteraies sont largement mis en avant par R. de Koninck en 2013. D’autres dénoncent la trop grande dépendance technique et financière amenée par la révolution verte. Ces deux aspects constituent des réalités du monde agricole philippin tout comme la persistance de la pauvreté, les petites surfaces des exploitations (2,5 ha en moyenne). Toutefois, au tournant des années 2010, d’autres approches se font l’échos de pratiques plus diversifiées. Ainsi, en 2012, Aurélie Druguet interrogeait la place de la production de riz dans le pays Ifugao et la volonté de préserver certaines variétés de riz endogènes. Cette étude témoigne de la volonté là aussi dans un espace « en marge », de montagne, où l’agriculture occupe une place primordiale dans les activités des populations de permettre un développement autonome et local de certaines variétés de riz (tinawon) dans un souci de préservation de la tradition et des pratiques culturales adaptées à l’environnement. Ces cultures sont aussi largement encouragées par les autorités nationales et internationales au vu de la forte valeur ajoutée de ces productions rendant ainsi des fermes de petite surface rentables.
Carte 1 – Biliran dans son environnement régional (Eastern Visayas)
Cliché de l’auteur, août 2019.
3La petite île de Biliran émancipée en 1991 de la province de Leyte constitue une exception en termes de niveau de vie dans l’ensemble Région 8 (Eastern Visayas) où le revenu moyen par mois est d’environ 12 000 pesos et la proportion de familles considérée comme pauvre s’élève à 30 %. En effet, la proportion de familles « pauvres » ne s’élève qu’à 18 % alors que dans les provinces voisines les taux sont bien supérieurs ; les provinces de Leyte comprennent 29 % de familles « pauvres », 30 % pour Northern Samar, 32,2 % pour Samar occidental et 43 % pour la province de Samar oriental (PSA, 2018). L’économie locale est dominée par l’agriculture (riz et production de coco). La production de riz est largement réalisée dans de petites exploitations. Quant à la production de coco, elle est fortement dépendante des cours qui ont fortement baissé dernièrement rendant les cocoteraies non rentables dans tout l’archipel. Le maïs et les manguiers constituent des productions couvrant de faibles surfaces : ces cultures constituent des compléments de revenus.
Cliché 1 – Des routes pour gagner les hauts de Biliran, Almeria
Cliché de l’auteur, août 2019
4La réflexion des années 1970 concernant la continuité territoriale et le développement a longtemps été abordée dans une perspective infrastructurale avec la construction de nombreux ponts et ce, surtout dans la partie centrale de l’archipel philippin. On citera par exemple le Juanico Bridge reliant les îles de Leyte et de Samar. De cette manière, l’île de Biliran est reliée à Leyte par un pont réalisé en 1975. Aujourd’hui, cette perspective est loin d’être abandonnée, l’élargissement du réseau routier sur l’île de Biliran en témoigne. D’autres logiques, inspirées de courants mondiaux environnementalistes et locaux trouvent des échos dans cette île éloignée des grandes métropoles philippines. Cette prise de conscience environnementaliste par les autorités publiques et les populations a été accentuée par celle des risques naturels. En effet, en 2013, tout l’est des Visayas a été lourdement touché par le typhon Yolanda détruisant le couvert végétal et le bâti de Samar, Leyte et Biliran. Cette préoccupation environnementale émergente dans le domaine agricole et plus généralement rural trouve son renforcement dans l’expérience et l’épreuve du passage du cyclone. L’adhésion à des formes d’agriculture préservant davantage les sols, les nappes phréatiques concernent d’abord des populations d’investisseurs ou propriétaires établis en réseau informel mais permettant la diffusion auprès du plus grand nombre d’un message formateur à de nouvelles techniques de production sans que les terres produisant du riz ne soient véritablement transformées.
5En quoi l’île de Biliran peuplée d’environ 170 000 personnes constitue-t-elle un territoire d’innovation dans l’approche des territoires ruraux et touristiques ?
6Biliran peut être considérée comme une marge de l’archipel philippin. Elle est reliée à un groupe plus conséquent d’îles : Leyte et Samar par des ponts et la routes. Alors qu’il s’agit d’une île, ce n’est donc pas le trafic maritime dont dépend Biliran mais bien des axes routiers. Une liaison aérienne réduite relie Biliran à Cebu. Les liaisons maritimes sont peu nombreuses (un cargo pour Cebu trois fois par semaines) alors que quatre compagnies d’autobus relient Biliran à Manille tous les jours en une vingtaine d’heures en empruntant l’autoroute « de la mer » passant par Samar et Luzon. On peut alors dire que Biliran est une presqu’île de Leyte dont elle dépend pour ces approvisionnements alimentaires ou autres. La dépendance est aussi importante pour l’électricité que l’île ne produit pas. La compagnie provinciale BILETCO (Biliran Electricity Company) fait acheminer de l’énergie de la centrale d’Ormoc située à 80 km mais aussi de Luzon.
7La question du développement agricole et rural est centrale dans cette île où les communautés paysannes sont parmi les plus démunies. La volonté d’encourager les activités préservant l’environnement émane d’un constat. L’île de Biliran a toujours été agricole et n’a vu, à ce jour, aucun développement industriel. Les seules activités qui pourraient relever de ce secteur sont un site de géothermie dans le centre de l’île (Caipinihan) et d’exploitation de sulfure (arrêtée à ce jour). Le gouverneur de la province s’est montré opposé à toute exploitation minière depuis 2012, suivant les recommandations du Mines and Geoscience Bureau lequel mettait en garde contre les risques de glissements de terrain liés à la topographie escarpée de l’île. Des glissements de terrain ont lieu particulièrement lors de la saison des pluies et dans des secteurs où l’équilibre des versants a pu être perturbé par la construction voire l’élargissement des voies de circulation dont les travaux ont lieu depuis plusieurs années maintenant.
8L’acceptation de ce constat amène d’autres considérations en termes d’aménagement et d’activités. Biliran doit pouvoir être préservée en intégrant d’autres modes d’agriculture et en misant sur son capital paysager et naturel (terrestre et maritime). Nous n’aborderons dans ce cas de figure que l’aspect terrestre du sujet. Il s’agit de comprendre le phénomène de développement des « Farms ou Eco-farms » dans la province de Biliran où cette appellation est presque devenue un label d’intégration environnementale. Nous verrons que ce « label » accolé à de nombreux projets recoupe des réalités bien différentes. Il s’agit toutefois d’initiatives individuelles associé à un projet de développement d’une agriculture durable sur une surface réduite combinant la culture et l’élevage d’animaux locaux en y associant ou non une activité touristique de découverte à l’agriculture organique. Un organisme est également en charge de cette certification encourageant l’ouverture au public et la transmission des savoirs. Le cas de la ferme Canaan Hill sur la commune de Caibiran au sud-est de Biliran est typique de cette volonté de diffusion et de mise en réseau des nouveaux personnels par la ferme. La Canaan Hill Farm a une référence religieuse : celle de la Terre Promise qui doit permettre d’accueillir et de nourrir ceux qui la rejoignent. Le projet de cette ferme naquit en 2011 de la volonté du couple Espinosa, deux habitants originaires de Biliran. Ils firent l’acquisition d’un terrain à défricher pour aménager progressivement la structure qui sert actuellement de ferme témoin sur une surface de 7 hectares. Les enfants des propriétaires les rejoignirent peu à peu dans ce projet et habitent le site. Cette propriété comprend des activités agricoles : vergers (trente variétés d’arbres fruitiers), culture de légumes, serre pour les plantes pharmaceutiques, élevages d’animaux sans hybridation (porcs, chèvres, moutons, poulets), production de miel. Les cultures ne nécessitent aucun intrant excepté la fumure animale récupérée grâce à des aménagements de stabulation spécifiques. Il s’agit aussi de limiter l’essartage (encore pratiqué sur l’île pour débroussailler les accotements routiers ou les parcelles). Cette technique mise sur un système de production agricole organique diversifié à forte valeur ajoutée. La population des alentours est aussi intégrée au projet et peut participer aux travaux d’entretien des cultures moyennant une rétribution en légumes ou fruits. Une partie des récoltes est vendue à la ferme ou dans un réseau encore étroit. Certains produits sont transformés et conditionnés sur place grâce à un atelier (épices, miel).
Cliché 2 – plan de la Canaan Hill Farm, centre de formation pour le réseau des Eco-farms
Cliché de l’auteur, août 2019
9Au final, les réalisations prennent des formes très différentes mais deux types prédominent. La première relève de la valorisation de parcelles agricoles par l’agriculture organique comme c’est le cas à Caibibihan (Centre de Biliran) où deux propriétaires réalisent sur trois hectares des cultures exclusivement organiques. Trois employés (travaillant par demi-journée) se relaient sur l’exploitation où les segments de production s’enchaînent : sweet corn, aubergine, potiron, haricots, concombre. Une serre construite récemment doit permettre l’autonomie de la ferme en jeunes pousses et éventuellement leurs ventes pour la replantation. Les produits de la ferme sont vendus directement aux particuliers qui le souhaitent et bien souvent aux hôtels proposant un service de restauration et adhérant à la démarche.
Cliché 3 – Accéder aux différents éléments de la ferme, Canaan Hill Farm
Cliché de l’auteur, août 2019
Cliché 4 – Caibibihan, ferme organique du réseau. La nécessité de s’équiper malgré le personnel
Cliché de l’auteur, août 2019
10L’autre forme de réalisation relève d’un modèle plus diversifié intégrant l’activité de tourisme et de sensibilisation à la protection de l’environnement. C’est le cas de la Verol Eco-Farm localisée dans le barangay Villa Caneja. Eugenio, le propriétaire, est originaire de Biliran. Il a passé l’intégralité de sa vie professionnelle à sillonner les mers du monde entier comme marin sur des cargos. En vue de préparer sa retraite et son retour au pays, il avait fait l’acquisition d’un terrain de trois hectares à quelques kilomètres de Naval. Il a suivi la formation proposée par Canaan Hill Farm et s’est appliqué à intégrer une bonne partie des activités proposées. Son exploitation propose tout un panel de productions tournées vers l’agriculture et l’élevage organique. Avec l’aide du centre de formation, il a pu acquérir des animaux locaux (poulets et porcs), il est doté d’une serre fonctionnant en hydroponie. Une partie de son exploitation est couverte par quelques terrasses de riz ; le manque d’eau rend difficile la riziculture (réservée à l’auto consommation). Dans un but d’adaptation, il a choisi de planter du maïs au mois d’août 2019.
Cliché 5 – Entrée de la Verol Eco-Farm, villa Caneja
Cliché de l’auteur, août 2019
Cliché 6 – Faute de pluie, le maïs remplace le riz dans les terrasses aménagées
Cliché de l’auteur, août 2019
11Les faibles surfaces couvertes par ces activités agricoles et d’élevages ne rendent pas rentables son exploitation nouvellement ouverte au public (juillet 2019). Le travail d’aménagement lui aura pris trois années. Ce qui lui permet de rendre le site viable relève de l’activité touristique qu’il a su associer à l’activité agricole. En effet, tous les week-ends depuis l’ouverture du site, entre 100 et 300 personnes viennent prendre le grand air dans la ferme chaque samedi et dimanche. Les visiteurs sont libres d’évoluer dans la ferme moyennant un droit d’entrée modique (25 pesos soit moins de 50 centimes d’euros) (tyrolienne et buffet proposés sur place). Progressivement, le site se dote de chambres d’hôtes et un hall de réception est en construction (pour l’accueil de fêtes familiales ou autres).
12Après cette réalisation et la certification des activités proposées, les compétences d’Eugenio lui ont permis de devenir formateur dans le cadre de l’Agriculture Training Institute de Biliran, les formations ont lieu dans sa ferme. L’exemple de la Verol Eco-farm est aussi à associer à celui de la Softea dans le barangay Bato qui accueille aussi des formations de ce type. Tout un réseau de fermes et d’acteurs promouvant l’agriculture organique se met en place dans toute la région des Visayas orientales. Il semble que ce soit une des régions motrices dans ce type d’actions et surtout de diffusion de connaissances visant à la diversification de pratiques agricoles intégrées au tourisme qualifié aux Philippines d’Eco-tourisme.
13La Canaan Hill Farm établit ainsi un réseau de fermiers sur l’île et au-delà. En partenariat avec les barangays intéressés, un recrutement de volontaires pour la formation est établi et la formation est réalisée gratuitement. Cette dernière est soutenue par les autorités locales compétentes : mairie, département de l’agriculture et les LGU (Local Government units). Les groupes de stagiaires sont composés d’environ 25 personnes qui ont le souhait de transformer leur exploitation ou de se lancer dans un projet d’agriculture organique. Cette structure fut le premier centre de formation de ce type dans la région 8 ( Eastern Visayas) et s’intéresse particulièrement aux Philippins ayant travaillé à l’étranger qui ne souhaitent plus repartir et se consacrer à un projet agricole durable. Au total sur l’année 2018, 245 personnes ont été formées par la Canaan Hill Farm. La Softea Garden Farm dont les fondateurs ont été formés sous l’égide de la Canaan Farm ont, à leur tour, démarré des cycles de formation.
Carte 2 – Les Eco-farms : éléments de diversification des activités rurales sur l’île de Biliran
Cliché de l’auteur, août 2019
14Cette ferme qui est aussi un centre de formation a établi des liens avec des universités de la région 8 (Eastern Visayas) et au-delà. Elle est liée par des échanges à l’université de Catarman (Samar), de Dumaguete (Negros), de Zamboanga (Mindanao), de Naga (Bicol) et celle de Naval. Des échanges universitaires sont également établis avec Université d’agriculture de Suède. Des volontaires venant de nombreux Etats (Ukraine, Rep. Tchèque, Danemark, GB, Suède, Malaisie) participent à des programmes d’observation sur place ou à des programmes de recherche.
15Le département du tourisme régional (DTO-région 8) a accrédité plusieurs établissements pour leurs actions de formation et d’offre touristique. Cette certification leur permet de recevoir un soutien ponctuel de la part des administrations pour organiser leurs offres de formation. Ces stages de formation à l’agriculture organique bénéficient d’une certification donnée par l’organisme TESDA (Technical Education and Skills Development Authority). Les autorités publiques régionales encouragent ce secteur d’activités porteurs favorisant le développement d’une agriculture vivrière, organique intégrée à des réseaux de distribution courts. Pour ce faire, le Département du tourisme a mis sur pied un plan d’action pour les années 2019-21 dans le cadre du Eastern Visayas Farm Tourism Action Plan tout en visant la consolidation de ce réseau de fermes dans un cadre associatif (Eastern Visayas Farm Tourism Association).
Cliché 7 – Boutique du réseau de distribution de semences organiques et de vente de produits issus des différentes fermes (Naval)
Cliché de l’auteur, septembre 2019
16Toutefois, cette labellisation regroupe des réalités très différentes. En effet, la Bethany Farm (barangay Almeria) est un simple lieu récréatif disposant d’un parc paysager sans démonstration agricole ou d’élevage mais proposant un service de restauration et bientôt d’hébergement. Cette structure n’est en aucun lieu un moyen de diversification d’une activité agricole mais constitue un investissement touristique réalisé par une entreprise locale.
17Les autorités publiques incitent au développement de l’agro-tourisme pour diversifier les apports salariaux des populations rurales. Les barangays captains à la tête des plus petites divisions administratives (barangay) ont en charge de répertorier les sites et activités pouvant susciter un intérêt touristique. Les maires des municipalités accompagnent la démarche et à l’échelle gouvernementale, des propositions sont réalisées pour promouvoir l’activité ou rendre le site accessible. Il s’agit d’intégrer la problématique des transports à la dynamisation d’une activité touristique.
18La coopération entre régions s’amorce également. En effet, afin de promouvoir l’agriculture organique, des dons de semences organiques sont organisés depuis 2017 entre la Région des Western Visayas et celle des Eastern Visayas. Quatre associations d’agriculteurs de Biliran engagés dans ce créneau de production, basés dans les secteurs de Villa Caneja, Caipinahan, Lucsoon, Talustusan ont pu recevoir des semences organiques de la part du département de l’agriculture de Western Visayas. Il s’agit pour les autorités publiques d’encourager ces pratiques dans des secteurs de collines, très sensibles à l’érosion. De manière plus générale, elles encouragent les intrants d’origine naturelle. Ce réseau dispose d’un lieu de vente à Naval (Naval Organic Trading Post).
- 1 Dictionnaire des symboles, des rites et des croyances, Catherine Pont-Humbert, Pluriel, 396 p.
- 2 Encyclopédie des symboles, Cazenave M., La pochotèque, 818 p.
19Alors que la communication des autorités publiques se fait largement sur l’inscription du phénomène des Eco-Farms dans un cadre régional voire mondial, la diffusion du modèle des Eco-farms locales semble être plus autonome et évolue sans référence aux initiatives des autorités publiques. Le mouvement émane clairement de la Canaan Hill Farm fondée par les propriétaires chrétiens. En effet, la Canaan Hill Farm a une référence biblique évidente. Le pays de Canaan fait référence à la terre promise aux Hébreux par Dieu en échange de leur adhésion au monothéisme. Le discours centré sur l’environnement et une agriculture respectueuse de la terre nourricière traduit la pensée chrétienne des propriétaires. En effet, la notion de cycle imprègne le discours des animateurs sur les plantes tant pour leur capacité nourricière, purificatrice mais aussi sur la production autonome de graines. Ce respect de l’homme vis-à-vis de la Terre impose une médiation obligatoire avec l’au-delà en ce sens que l’homme possède avec la terre nourricière un lien de dépendance. Dans le cas du projet de la Canaan Hill Farm, il semble que ce soit l’image du « retour à la terre natale » qui domine1. La mise en valeur de cette terre traduit les besoins des nouvelles générations avec les fonctions de régénération (tant spirituelle que physique) afin de redonner sens et unité à la vie, l’homme y trouve une éternelle source de bienfaits. L’un des produits phare de la Canaan Hill Farm est le miel, commercialisé dans la ferme et dans plusieurs points de vente de Naval. Dans ce cas de figure, la référence biblique transparaît. Ainsi Dieu annonce à Moïse la Terre promise de Canaan, qui est un « bon et vaste pays […] ruisselant de lait et de miel » (Exode III, 82). Le discours des communicants de la ferme relate un produit saint et naturel utilisable de multiples façons (Cazenave M. (ed.), 1996, p. 411)
20Les espaces cultivés sont largement constitués d’arbres, lesquels sont associés au pays de Canaan. Selon une légende juive, seul un arbre planté par Abraham au pays de Canaan poussa sans encombre et fut associé au monothéisme d’Abraham, lequel tenta de diffuser sa foi3. L’initiative de la Canaan Hill Farm de former davantage d’agriculteurs peut être interprétée comme une forme de prosélytisme chrétien. Alors que le développement des fermes biologiques ou réalisant une agriculture raisonnée tend à se développer à proximité des grandes villes philippines pour répondre à une demande alimentaire grandissante de la part des classes moyennes émergentes, dans le cas de Biliran, l’initiative fut prise par une association chrétienne laquelle fut relayée par les pouvoirs publics.
21La multiplication des initiatives d’Eco-Farms dans la province de Biliran génère malgré tout, des inégalités comme dans de nombreux projets de développement ruraux. Les personnes formées disposent déjà d’une propriété de 2-3 hectares bien desservie par la route. Les Eco-Farms quel que soit le type de structure sont largement accessibles notamment pour des activités récréatives à l’image de la Verol Eco-Farm. Les fermes produisant exclusivement des produits maraichers profitent de la proximité de la route pour acheminer les légumes rapidement dans les établissements de restauration ou complexes hôteliers. De plus, au vu des aménagements réalisés qu’il s’agisse de serres, des plantations ou de la construction de chambres d’hôtes, les apports financiers doivent être conséquents. Le public privilégié par la Canaan Hill Farm est composé de Philippins ayant travaillé à l’étranger, originaire de Biliran, lequel peut investir dans la terre et compléter ses revenus par cette activité d’éco-tourisme.
22Cette courte étude sur le développement des Eco-farms sur l’île de Biliran témoigne pourtant d’une multitude d’angles de réflexion sur l’archipel philippin, qu’il s’agisse de la notion de marge, de la continuité territoriale, de l’inscription de l’île dans des problématiques de développement endogène répondant à une demande touristique essentiellement nationale et régionale, ou plus généralement de la diversification des activités du monde rural. Dans ce cas de figure, nous noterons l’apport du religieux dans la constitution de ce réseau d’éco-farm propre à Biliran dont l’expansion a aussi été déterminée par l’impact dévastateur du typhon Yolanda en 2013. Se rejoignent alors sur le terrain de la préservation de l’environnement association chrétienne, pouvoirs publics et adhérents à ce réseau qu’ils soient hôteliers, restaurateurs ou néo-ruraux investis dans les Eco-farm.