« Les chemins n’existent pas : ça devient un chemin dès que tu marches dessus »
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1Une fois n’est pas coutume, l’Entretien de COM n’est pas dédié à un chercheur, mais à un acteur des transformations de son propre monde de l’art. Figure centrale de la scène rap gabonaise, Lord Ékomy Ndong ☥ se distingue – avec son collectif Movaizhaleine et le label associatif Zorbam Produxions, créé en 1994 –, par la mobilisation de ressources et de référents traditionnels (instruments de corde, langue Fang, rites du Bwiti) dans un hip-hop également inspiré du panafricanisme qui les a menés bien au-delà des frontières de ce petit pays d’Afrique Centrale.
2Ékomy Ndong ☥ m’accueille le 5 février 2019 à son domicile, dans une zone résidentielle de Nantes et me conduit dans son studio, la salle des machines qu’il a baptisée Nda Me Ngoma en référence à la pièce où sont conservées les harpes sacrées dans les habitations traditionnelles comme celle de sa grand-mère. Avant même d’avoir pu installer l’enregistreur, il explique qu’à quarante ans, il vit un tournant dans sa vie qui l’oblige à se réinventer. Se sentant menacé dans un contexte politique tendu, il est exilé en France depuis 2015, où il développe ses projets musicaux tout en donnant des cours de karaté et en faisant des interventions dans le domaine socio-éducatif.
- 1 Merci à Alice Alterianus Owanga pour son aide lors de la préparation de cet entretien et pour ses t (...)
3Sa trajectoire artistique étant bien connue et étudiée1, nous nous concentrons sur sa carrière de producteur phonographique qui témoigne d’une certaine aptitude à l’initiative et l’inventivité, autant dans le domaine de la production que dans celui de la distribution/diffusion. Cette créativité qu’il analyse en termes de capacités d’adaptation est certes liée aux reconfigurations technologiques et à la faible intégration des industries culturelles au Gabon. Mais c’est aussi une condition de l’artiste-producteur – cette figure centrale de l’idéologie technophile de la désintermédiation numérique – qui n’est nullement nouvelle ou spécifique.
4Formé pour être steward, ayant entamé des études en médecine et en anthropologie, Ékomy Ndong ☥ tient un discours réflexif sur son activité. Il nous explique comment dans des contextes spécifiques – à la fois multiples et en évolution constante –, il a su analyser les modèles dominants auxquels il a eu accès (le reggae gabonais, le rap américain, les réseaux institutionnels francophones, les circuits chrétiens…) pour s’inventer une position et un métier, pour fidéliser des publics qui changent, pour s’associer aux opérateurs des télécommunications dans des relations Sud-Sud ou pour négocier avec les grands acteurs transnationaux de l’économie musicale, dans des relations Nord-Sud. On croise ainsi dans son discours des thématiques centrales pour l’étude des industries culturelles dans les Suds : la transmission inter-générationnelle et l’autodidaxie ; l’informalité économique et juridique locale ; l’appropriation des différentes technologies importées ; la convention des formats et des prix ; la recomposition des territoires et les jeux d’identification ; les stratégies élaborées face aux opportunités et aux contraintes du tournant numérique pour la production, la promotion et la distribution indépendante.
Depuis le début de ta carrière, dans les années 1990, le secteur musical et ta situation ont beaucoup évolué. Comment vis-tu ces transformations ?
Tout change. La vie change. Je viens d’avoir quarante ans et je passe peut-être une sorte de mid-life crisis. Je n’aime pas le mot « crise », parce que je n’en souffre pas. Mais j’arrive à un moment où je suis obligé de faire un bilan parce qu’il y a beaucoup de choses qui se sont passées. Je me trouve dans une position médiane : celle de quelqu’un qui maintenant doit commencer à faire les choses. Mais qui a la chance d’en avoir déjà fait ailleurs…
On est obligés de réadapter les moyens de faire la musique, les gens à qui s’adresse la musique. Notre public a déjà grandi, mûri, vieilli… Je vois le rap qu’écoute ma fille de dix-huit ans qui est à la fac. Est-ce que je peux faire de la musique qui parle à sa génération et à la mienne ? Je ne sais pas, mais ça demande de bien réfléchir. En te posant la question de « pour qui tu fais ta musique ? », tu peux te repositionner et repenser ta manière de distribuer, de produire, d’enregistrer, le format… Si c’est un album ou deux trois morceaux…
- 2 Harpe-cithare Fang.
Quelqu’un comme moi, a toujours été perçu comme une sorte de pionnier, avec quelque chose d’original, dans le fait de prendre le mvet2, les sonorités de chez nous, pour les emmener dans les endroits où on ne les a jamais vues. Aujourd’hui, c’est devenu une base dans le rap. Mais le rap aujourd’hui est en train de devenir totalement africain. Le rap en France aujourd’hui ressemble plus à de rumba congolaise ou à du coupé-décalé qu’à la musique américaine. Ce qui était innovant et particulier avant, est en train de devenir une base dans la manière de faire de la musique. Donc, ma position change : si tout le monde fait comme ça, on pourrait croire que je suis enfin dans le milieu qui me convient, mais en fait ça m’oblige à me renouveler, pour continuer…
- 3 Groupe américain disco-funk des années 1970-80.
- 4 Séquenceur et échantillonneur.
Par ailleurs, il y a une vulgarisation et une simplification de tous les moyens musicaux, qui mène à redéfinir ce qu’on appelle être un musicien. J’ai par exemple été au Japon pendant quelques mois en 2010, pour produire l’album d’un des anciens de Shalamar3 qui me disait : « Et dire qu’avant j’aurais considéré que tu n’es pas musicien si tu ne joues pas d’un instrument ! Alors que tu joues de la MPC4, des platines, un peu de la harpe, du mvet »… Je sais assembler à peu près tout pour le transformer et produire de la musique. Et il insistait : « Alors est-ce qu’un compositeur, arrangeur, beatmaker, réalisateur est un musicien ? »
- 5 Logiciel standard de studio professionnel à l’époque.
Aujourd’hui c’est encore pire : tout le monde a les moyens de faire une sorte de bruit harmoniquement organisé, tout le monde peut échantillonner les bruits de la pluie, le bruit des personnes, etc. Les instruments sont encore plus accessibles… Et regarde comment mon espace de travail est épuré maintenant ! Avec un ordinateur portable et une petite carte son, ou même avec un iPad et une application native de type Garageband, je suis plus équipé que je ne l’étais en 99, et de loin ! Pour la petite histoire, Je travaille avec Cubase5 (sur Atari), depuis 1997, mais récemment je me suis retrouvé six mois sans ordinateur. Du coup, j’ai commencé à triturer les applications pour tablettes, une ressource grand public que je méprisais. Et j’ai été obligé de m’y adapter jusqu’à en sortir des choses finalement intéressantes…
À notre époque, au Gabon et à l’âge qu’on avait, il était difficile d’avoir ne serait-ce qu’une guitare… Et il faut savoir jouer de la guitare ! Un micro, ce n’était pas possible… C’est pour ça que nous nous sommes développés en étant capables de faire de la musique sans rien : un beat avec un stylo sur une table d’écolier et des textes de qualité. Par contre, on était obligés d’aller plus loin dans l’écriture, parce que du coup, toute la différence se jouait là.
Comment as-tu commencé à aimer cette musique, à la pratiquer, à accumuler ces ressources, ces compétences musicales et technologiques ?
Ça a commencé vers 1991. J’ai été entraîné par mon grand frère qui se débrouillait déjà pour être au fait de la culture du hip-hop. Cassettes, CDs… il avait tout. C’est lui qui me disait « ça c’est bien, ça non. Le rap c’est ça, le rap c’est pas ça ». Et moi je faisais tout comme mon grand frère. J’avais sept ou huit ans à l’époque du break, du smurf gabonais. Je vivais à Port-Gentil et tous mes frères et sœurs – moi je suis le plus petit – breakaient, taggaient ou smurfaient. Le rap a vraiment été une vague déferlante qui a envahi tout le monde. Et puis je pense qu’il y a une partie qui nous est naturelle aussi. C’est juste la forme que proposent le rap et le hip-hop qui est particulière.
Après, j’ai toujours été quelqu’un qui joue avec les mots, le gars un peu pédant qui écrit et parle en rimes… [rires] Je pense que j’arrive bien à imaginer les choses et à trouver les manières de les ressortir. Et pas seulement dans la musique : je dessine, je peins, je chante… J’ai une vision très visuelle de la musique et de tout ce que je fais. Ce sont des assemblages de couleurs et de formes dans ma tête. C’est un peu kaléidoscopique quand je fais de la musique.
Et puis j’ai très tôt eu le besoin de fabriquer mes propres musiques : j’avais inventé un système avec un ghetto-blaster à double-cassettes qui permettait de dupliquer les sons. Je copiais des petits bouts de musique. Mais il fallait que je fasse « enregistrer-pause-revenir-enregistrer… » de façon très-très rapide. Et je souris, car il y a quelques jours seulement, j’ai vu une interview de Q-Tip de A Tribe Called Quest – qui est un gros groupe de rap de l’époque –, où il expliquait qu’il faisait pareil. J’ai trouvé ça incroyable parce que je m’étais toujours dit que les Américains n’avaient pas ce type de problème. Ils avaient du matériel pour ça. J’étais à la fois émerveillé et dégoûté, d’entendre que ça existait déjà… [rires] Au final, tu te rends compte que les gens réfléchissent de la même manière…
Plus tard, mon frère m’a envoyé de France une petite boîte à rythme qui se branchait à la prise micro d’un ghetto-blaster. Mais je n’aimais pas le son que ça faisait, parce que ce n’était pas comme les Américains. Je n’ai jamais été quelqu’un qui veut « faire comme » ou qui est complexé par les autres, mais dans le même temps, je n’ai jamais voulu faire une version pauvre de ce que les autres font. Donc je voulais qu’au moins en termes de standard, la base soit la même que les autres. Et puis ensuite ajouter ma façon de faire à moi.
Et à ce moment-là est-ce que tu imaginais devenir musicien ?
Je me suis jamais posé la question comme ça. Chez nous, quand on danse, on n’est pas forcément danseur. Quand on chante, on n’est pas chanteur non plus C’est vraiment comme respirer, comme manger, comme… Ceux qui mangent ne sont pas des mangeurs, tu vois ?
Je n’avais pas une vision du métier de musicien… Dans le rap, lorsqu’il a commencé à y avoir beaucoup de groupes, il fallait être le meilleur. Donc sans s’en rendre compte, on est en train de commencer à construire une idée, une vision d’une carrière. Mais vendre des disques, ça n’existait pas. Il fallait juste écrire mieux que les autres, rapper mieux que soi-même, créer de belles choses.
Et puis un matin tu te réveilles en te rendant compte que ça fait dix ans que tu fais ça. Que cela t’a emmené vers plein de pays. Il y en a qui sont morts, il y en a qui ont disparu, il y en a qui ont arrêté. Et tout le monde te connaît pour quelque chose que tu as fait juste par la passion de l’adolescence. Tu finis par te rendre compte que tu es en plein dedans. Tous les gens te connaissent par rapport à ça, ça te redéfinit. Au point où finalement mon nom, aujourd’hui, c’est mon nom d’artiste…
Photo 2 – Les studios en 1996 et 2011 ; extrait d’une séquence vidéo publiée par l’artiste sur Facebook
© Ékomy Ndong 2011
Tes premières productions qui ont circulé, c’est déjà toi qui les fabriquais ?
Tout ce que j’ai fait, je l’ai toujours produit. À l’époque on se débrouillait pour trouver des moyens : « Au Centre Culturel français il paraît qu’ils font un concours de rap ». On a aussi remporté beaucoup de concours de rap dans les lycées. Et j’ai fait la connaissance, à un moment donné, d’un monsieur, un rasta gabonais, qui s’appelle Stowell Dipakwet. Au passage, il faut préciser qu’il n’y a que des rastas dans cette histoire, car les seules personnes qui étaient plus grandes que nous, qui avaient plus de moyens et qui étaient ouverts à des choses comme ça, c’était forcément des gens du reggae. Ce monsieur ouvrait sa porte aux jeunes qui venaient, qui rappaient. C’était comme des sortes d’ateliers, sans que ça en porte ce nom. Il disait : « il faut faire huit mesures, il faut faire des refrains »… D’ailleurs, fait étrange : à l’époque, personne ne faisait de refrain. Nous, les refrains, on trouvait ça bizarre.
- 6 Vidéo facebook postée le 3 février 2019 où il juxtapose des images d’archive du studio où il compos (...)
Mais bref, c’est là-bas que, pour la première fois, je le voyais travailler avec certains groupes. Et je regardais comment il faisait. Il travaillait sur Cubase… Des fois, il allait prendre un verre d’eau à la cuisine et il me disait : « duplique-moi, telle séquence… tu appuies sur telle touche. Bah, tu es intelligent… C’est de la musique : ça c’est le beat, ça c’est ta boucle, alors tu prends ça et tu le remets là ». À la fin de la journée, il me dit « Mais comment tu as fait ça ? Et bien tu vois, moi je ne savais même pas comment on pouvait faire… »6.
C’est vrai que les interfaces graphiques facilitent un peu la chose, parce qu’elles sont faites pour ça. Mais je pense surtout que, lorsque ça correspond à quelque chose que je veux faire et que j’ai besoin de faire, je vais forcément trouver comment on fait. Donc je vais forcément trouver comment on fait. Et non l’inverse. J’ai toujours fonctionné avec les outils que j’avais : la cassette, puis Cubase que j’utilise depuis 22 ans.
Comment s’est déroulé le processus de production de ton premier album ?
- 7 Sous-genre du reggae, le dub est un remix souvent instrumental et saturé de traitements sonores en (...)
Le premier album [Mission à Mbeng, Movaizhaleine, 1999], on l’a enregistré en 98, chez ce monsieur, Stowell Dipakwet. Je pense qu’il doit être né autour des années 1960. Il travaillait dans les Centres Culturels Français, quelque chose comme ça… Tout son matériel était en analogique : une grosse table de mixage, avec un multi-piste à cassettes chromées de chez Tascam, un seize… ou même un huit pistes : on n’avait que deux trois tranches assignées pour les voix. Les effets, c’était des pédales… Le reggae a beaucoup joué sur les sonorités : je faisais même des versions dub7 de nos morceaux.
Petite anecdote : Stowell travaillait avec CIA Posse X. C’est un des plus anciens groupes de rap africain et un des plus « avancés » en termes de carrière au Gabon à cette époque. Nous les petits du quartier, on les voyait travailler. Déjà beatmaker remarqué quand j’étais chez Stowell, je créais mes compos mais jamais on n’avait touché au micro là-bas. Jusqu’à ce jour où il m’a demandé : « mais pourquoi vous ne faites pas un album ? Est-ce que vous avez des textes ? » On dit « Oui, une vingtaine, hein… » – « Bah alors : toi tu sais utiliser le matériel… Tu sais quoi ? Demain et jeudi, je ne serai pas là de telle heure à telle heure, donc tu n’auras qu’à vous enregistrer. » Sauf que quand on lui a dit qu’on avait vingt textes, en réalité on en avait à peine un ou deux qu’on estimait pouvoir utiliser, à l’époque… Donc avec Mâat [dit Mâat Seigneur Lion], mon partenaire en crime, dès qu’on est rentrés on s’est dit « Aïe ! Il faut qu’on écrive les textes pour demain, pour les enregistrer. » Mais à cette époque-là on avait plus d’idées, ça bouillonnait, il y avait une rage… et il n’y avait pas d’autre enjeu que d’essayer d’avoir son disque, d’avoir son truc à soi. Ce n’était pas une question de succès. Voilà comment on a écrit et enregistré l’essentiel de nos deux premiers albums, en quelques jours seulement.
- 8 Enregistrement numérique sur bandes magnétiques.
Pour la production, c’est moi qui ai tout fait. J’ai fait le mix sur du matériel analogique. Tout était fait à la main, même les cut [montages]. Mon frère résidait déjà à Nantes. Je lui ai parlé de ce qu’on faisait et il me dit « Ah ? Fais voir tes trucs ». Et en fait au final, c’est lui qui a pressé l’album – ici, d’ailleurs. Enfin, c’est le donneur d’ordre qui était une boîte française, mais je crois que l’usine était en Espagne. Je lui ai envoyé des cassettes DAT8. Il me semble qu’il a géré aussi le mastering, mais je ne savais pas trop à quoi ça correspondait. Et au passage, il a censuré la moitié de l’album ! Donc on s’est retrouvés avec neuf ou dix morceaux qui se sont retrouvés dans le second album.
En 99, j’étudiais pour être steward et quand je suis passé en France pour un diplôme aérien, je suis resté un peu. J’en ai profité pour produire mon premier clip. Et c’est en retournant au Gabon que j’ai ramené mon lot de cassettes.
Et donc comment avez-vous organisé la chaîne commerciale ?
J’ai l’impression que c’était mille cassettes et on a bien vendu, avec un système de dépôt. En fait, on apprend des choses sur le tas, et tu te rends compte après que ça devient le métier des gens. Par exemple, le gars avec qui tu t’arranges pour qu’il dépose nos cassettes dans les radios, aujourd’hui, c’est le plus grand déposeur de cassettes dans les radios. Et il a sa propre radio. On s’arrange pour qu’un autre nous trouve des dates, on monte avec lui un projet qu’il a récupéré ensuite et qui est devenu le plus gros festival de hip-hop en Afrique Centrale : Gabon Hip-Hop.
À l’époque, on a entre dix-sept et dix-neuf ans. Ça veut dire que dans le contexte gabonais, on est des petits, donc on ne sait rien. Par contre, on est aussi dans un domaine où il n’y a que nous qui connaissons ce qu’on veut faire. Il n’y a jamais eu pour nous un endroit où tu vas, tu donnes ta cassette et puis d’un seul coup, ça se répand… Non, on a dû inventer… Par exemple, au début, on déposait les cassettes dans des sortes de petits kiosques, en bord de route ou aux carrefours… Parce qu’on se disait qu’il fallait que l’album soit disponible partout. Ce n’est que longtemps après que je me suis dit « non, il n’y avait pas besoin de déposer partout. On dépose à un endroit. On dit aux gens que l’album est disponible là-bas ». C’est tout. Dans une journée, se déplacer à travers Libreville, ça prend maximum 25 minutes. Et ce sont des gens comme nous qui en avons fait un point de distribution central.
Mais il faut dire que pour cette époque-là, je n’ai pas grand souvenir de tout ce qui était lié aux stratégies. Avoir des stratégies pour nos produits, ça s’est développé comme on développe son écriture. Mais à l’époque, nous, on voulait juste rapper. Bon évidemment on avait des idées… Les mille cassettes à écouler, c’est mon frère : il a fait des cassettes, il était en France, il connaissait ces histoires-là. Nous, ce qu’on voulait, c’est qu’on puisse dire : « ouais, tu as sorti un CD » et qu’on le voit. Ce n’était pas pour gagner de l’argent. Ni pour en perdre d’ailleurs : je n’ai pas dépensé un Franc.
Par contre, en ayant les cassettes, il fallait bien qu’on s’organise pour les écouler… On a rapidement eu un succès de proximité, avec des gens qui venaient te prendre vingt cassettes. C’est des choses que je ne valorisais pas à l’époque, parce qu’on avait quand même un modèle en tête : Il y a un CD qui est déposé quelque part… On voulait faire – entre guillemets – comme les blancs et comme dans les autres pays. Et c’est ça que j’ai changé après dans notre logique : il faut tenir compte de ce que notre contexte nous impose. C’est ce qui nous permet de faire des choses qui ne se font nulle part ailleurs et qui fait que même si on est dans un petit pays avec peu de monde, on peut faire des chiffres qui sont importants à partir du moment où on s’adapte.
C’est aussi ça qui fait notre particularité : on a créé une façon de faire. Il y avait bien sûr des choses qui existaient mais on leur a donné un autre sens, une autre fonction. Si tu regardes là en bas [il pointe des tours informatiques, sous le bureau, près de la fenêtre]. Ce sont des tours de duplication, en fait… Ayant pressé en Espagne, en cassette, ayant pressé au Nigeria… au bout de trois ans, un jour je dis : « on ne va plus presser ailleurs, on va acheter des machines et on va faire nous-mêmes ». On faisait comme en Jamaïque : on est capables de faire un morceau aujourd’hui, on le presse aujourd’hui. Ma fille, qui est alors toute petite, elle prend les CD, elle les met dans le boîtier, ma mère colle la rondelle et on le vend directement. Et on te disait : « oui, mais, c’est pas des vrais CD ». Je répondais : « ce n’est pas grave. [soupir] On avait notre son à nous et bien maintenant on aura aussi notre type de CD à nous ».
Avec l’album L’Afrikain, on a fait un record de ventes au Gabon. Mais un album se vendait à 13 000 FCFA. Quand tu as un seul distributeur, et que c’est à lui que tu donnes 1 000 CDs, il est bien placé pour savoir qu’il les a vendus à 20 €, comme des petits pains. Et il voit un public qu’il n’a pas l’habitude de voir. Celui qui a l’habitude de vendre Johnny Halliday et qui, dans une même journée, voit 50 petits gars qui viennent acheter NTM, il se rend bien compte qu’il y a quelque chose qui est en train de se passer avec ces gens-là. Et c’est pour ça que ces gens ont commencé à produire du rap ou à essayer d’encourager les rappeurs à faire des choses.
Là on est jusqu’en 2003. Mais en 2005, je change tout, en disant : « les CD, je ne veux plus qu’ils coûtent 20 € mais 10 €, pour que ce soit accessible ». Et j’ai aussi dit qu’on arrêtait les cassettes, parce que le CD, on peut faire plus rapidement… Les gens ont dit « c’est compliqué, parce que les gens n’ont pas tous un lecteur CD ». On a eu le même problème au Sénégal. Mais des fois, il faut qu’on soit un petit peu en avance… Ce qu’on peut peut-être essayer de faire, c’est de faire en sorte que tous ceux qui ont un lecteur CD, achètent notre album. Ceux qui n’en ont pas et qui veulent acheter notre album, et bien ils seront obligés de commencer à se reconvertir vers les CD ou de se débrouiller pour aller écouter ailleurs. Et c’est devenu un standard. Après 2005, plus personne, à ma connaissance, n’a pu vendre de CDs à plus de 5 000 FCFA. C’était plus intéressant, plus demandé, plus vendu, et c’était moins cher.
Entre les cassettes faites en Europe et les CD gravés par toi-même, comment a évolué ton schéma de production ?
Entre les albums solo, les albums de Movaizhaleine et ceux d’autres artistes, j’ai produit à peu près 28 albums. Produit, c’est-à-dire : composé, arrangé, enregistré, mixé. Le premier album dont on a parlé, c’est le premier album de Movaizhaleine et il a été pressé ici.
Le deuxième [Mission Akomplie, Movaizhaleine, 2001] je l’ai pressé au Gabon… Ce n’était pas une usine de pressage, mais plutôt des tours de reproduction artisanale, chez un ami dont les parents étaient des personnalités politiques bien connues. À cet endroit, il y avait tout ! Des guitares, des instruments, une table de mixage grande comme ça, avec des connectiques en or… Ça devait aussi être une sorte de salle de répétition ou un truc comme ça. Il y avait de tout, même de quoi presser les vinyles, CD, etc. Et puis il y avait un sampleur, une MPC, etc. Et moi je connaissais tout ça parce que je voyais que c’était ce que les autres utilisaient. Une fois, je me mets devant et je dis « bon : voilà la MPC ». C’était la même chose que ce que je faisais en combinant le sampleur et l’ordinateur pour séquencer. La MPC te permet de ne pas avoir d’ordinateur. Donc je dis « ah, tiens, ça doit fonctionner avec la même logique… ». J’allume la MPC et je fais un beat sur place. Et ils s’exclament : « Mais il sait utiliser ça ! » Ils ne l’avaient jamais branchée… C’est comme ça que, dès le lendemain, on me dit : « il y a le propriétaire qui veut te rencontrer, parce qu’apparemment tu sais utiliser tout ce qu’il y a ici, il veut que tu deviennes son ingénieur du son attitré, aller aux États-Unis, etc. ». En réalité c’est cette proposition-là qui a fait en sorte que je ne les voie plus jamais…
Photo 4.1 ou 4.2 - Sources et ressources traditionnelles, dans le studio de l’artiste
© Vassili Rivron – 2019
Donc pour le deuxième album, il y a une centaine de CDs qu’on a faits là-bas. On a fait des cassettes aussi. Le troisième album [L’Afrikain], on est en 2003, c’est mon premier album solo, et j’ai tout fait en France. À cette époque-là, j’ai passé quasiment deux ans, à me « chercher » ici. Quand j’ai fait cet album, je songeais à laisser tomber la musique. Je ne me retrouvais pas en France… Mais quand j’ai sorti l’album, ça a rouvert toutes les portes, donc on a commencé à faire le tour de l’Afrique. Mon frère avait acquis du matériel entre-temps. Donc c’est un peu lui que j’ai copié, tu vois, en faisant un peu aussi comme le monsieur du Gabon. Je savais utiliser les appareils, mais je n’aurais pas été capable de savoir quoi acheter. Et puis, au final, j’ai été obligé de m’y mettre.
Pour le cinquième album [On Détient La Harpe Sacrée, Tome I, Movaizhaleine, 2005], Avec Maat, j’ai acheté du matériel au Gabon pour pouvoir être autonome, dans un local que j’ai monté, insonorisé, qui était notre studio d’enregistrement pour nous ou pour d’autres. Et c’est là que j’ai investi dans la production, la reproduction, la distribution, tout… sixième album [On Détient La Harpe Sacrée, Tome II, Movaizhaleine, 2007], pareil.
Et puis, il y a aussi les aléas de la vie : comme ce début d’incendie du studio peut être criminel en 2007 ou 2008. D’ailleurs, là on parle de la musique et de la production, mais après, il y a les réalités de la vie, la vraie… Depuis cette histoire de feu en 2008, j’ai récupéré une bonne partie du matériel à Libreville. Et puis il y a d’autres problèmes qui se rajoutaient : un souci avec l’humidité par exemple. Ou encore le fait que lorsque j’étais à l’étranger, personne ne savait utiliser tout le matériel du studio. Il fallait que je forme quelqu’un… Enfin, c’était compliqué à gérer. Donc le studio et le local, c’est une belle aventure. Les projets que nous avons produits à l’époque sont sortis de là. Mais depuis dix ans maintenant, j’ai du matériel mobile et une configuration qui tient dans mon sac à dos [ordinateur portable et carte son].
Au moment où toi tu commences à élaborer un système de reproduction et de distribution, il y en a d’autres qui ont aussi cette idée, ceux qu’on appelle parfois les pirates. Comment se présente la question de la propriété intellectuelle au Gabon ?
Je n’ai jamais vraiment connu le système de pirates. Nous, on est au Gabon avec Movaizhaleine, donc comment tu vas vendre nos cassettes ? La première fois que j’ai entendu parler de ça, on a été, on a cassé le stock, on a secoué le gars, et après, les policiers sont venus et en ont rajouté une couche : « Ah bon ? »… et c’est Movaizhaleine en plus… C’est un facteur aggravant ! Aujourd’hui, il peut y avoir beaucoup plus de désordre, car les gens peuvent dupliquer n’importe comment.
Sur le plan légal, des droits d’auteur, c’est comme je le dis dans une chanson : « les textes existent, mais le contexte persiste ». Depuis les années 1970, je pense qu’en termes de législation, tous les textes existent. Mais personne ne touche aucun droit. Et quand tu passes dans les médias, ça ne rapporte jamais rien. Non, j’ai déjà étudié tout ça et c’est un problème de principe : « en principe, on devrait… », mais nous, on n’a jamais connu ça ! Même les gens de radio ne comprendraient pas et au contraire, on va te dire que : « attends, on passe vos morceaux et on devrait payer ? ». C’est d’ailleurs plutôt le contraire qui se fait : les gens payent pour être diffusés.
Et moi j’ai utilisé ça. On a été les premiers à estimer que l’endroit où on peut gagner de l’argent, c’est sur scène. Plus on est diffusés, plus on est susceptibles de jouer. Mais paradoxalement, on n’utilisait pas trop la scène comme point de vente. On l’a fait, pour la première fois de façon intéressante, seulement en 2011. On a sorti un album [Ibogaïne album solo], et on s’est dit : « bon, on va le vendre ce jour-là ». On a dû vendre 500 exemplaires sur un concert, ce qui est énorme.
Pour revenir au cadre juridique, est-ce qu’il y a eu des contrats à des moments ?
Non, pas pour la distribution. Pour la production et le management, oui, on l’a fait… 2005-2006 a été l’âge d’or de Zorbam Produxions. En 2005, j’ai commencé à travailler avec des gens que je ne connaissais pas. En devenant nombreux, on a besoin de s’organiser, et on s’est dit ; « Bon, toi, tu vas t’occuper vraiment de ça et toi, tu vas être le président de la structure, c’est toi qui fais les contrats… etc. » Donc on a eu en 2005-2006, quatre, cinq, six groupes qui ont été signés, avec un contrat.
Pour les concerts, il y en a souvent eu. Mais c’est pour la forme : si j’ai un problème, je le règle directement, comme pour les pirates. Et ensuite, la justice, c’est un autre niveau aussi… Et même, la justice, c’est un grand mot : nous, c’est la police, ce n’est pas pareil.
Et les médias, ils vous accueillaient bien au début, quand il n’y avait pas de rap du tout ?
Les médias, c’est une autre histoire encore. Entre 1992 à 1995, on était des petits ados et il y avait deux ou trois émissions dont on avait entendu parler… C’était des rastas, donc on pouvait venir, participer à l’émission et on faisait notre petit rap. On a été comme ça, tous les samedis, sur Africa n° 1 ! Cette radio a joué un grand rôle : l’Africa n° 1 de l’époque, c’était bien plus puissant que RFI aujourd’hui, ou la BBC qui n’existait même pas pour nous. On ne s’en rendait pas compte, mais on était diffusés sur une vraie radio internationale, panafricaine et mondiale.
Sur ce modèle-là, on allait aussi tous les mercredis sur la Chaîne 2, etc. Bon, à l’époque on est les petits à qui on laisse un temps d’antenne : « il va venir faire un poème. Ça s’appelle du rap ». On nous mettait des dubs, on rappait dessus, et voilà. Il n’y avait même pas encore des morceaux : c’était des freestyles, écrits pour l’occasion, qui devenaient ensuite des morceaux.
Quand avez-vous commencé à circuler au-delà des frontières du Gabon ?
Le point de départ, c’est mon album de 2003. On avait été invités à un festival, je ne sais où… On n’y a pas été, mais c’est là que je me suis rendu compte que les ouest africains ont un petit circuit avec l’AFAA, avec la Francophonie, avec l’OIF, Africalia, Prince Klaus Fund… Et ils font tranquillement le tour du monde comme ça. Et nous non ! [rires]. Nous, on chantait bien, mais il fallait comprendre qu’il y a autre chose que chanter.
J’ai commencé à aller au Sénégal pour un festival et une date en appelle une autre… Ça a emmené le problème avec mon agent : on avait un projet de festival au Gabon, qu’on avait écrit cinq ans avant de le connaître… pour une fois qu’on a un projet écrit ! Une fois, il y a dû y avoir une sorte de salon professionnel à Dakar, où on devait aller en tant que label, mais on a décidé qu’il allait nous représenter. Il y va et ça a donné naissance au festival, mais ce n’est plus notre festival…
On a été en Afrique de l’Ouest, mais pas en Afrique anglophone, par exemple. C’est très fort, le travail qui a été fait par la colonisation, parce que par exemple… même la République Centrafricaine, moi je ne connais pas. Pour nous c’est à côté, mais je pense que personne ne connaît les Centrafricains ! Pareil pour le Niger… je n’ai jamais vu un Nigérien de ma vie. [rires].
Et quand les plateformes sociales coagulent des communautés par-delà les frontières, est-ce que ça crée des facteurs favorables à de la circulation internationale ?
Bien sûr ! Mais encore une fois, les chemins n’existent pas : ça devient un chemin dès que tu marches dessus. Il y a des canaux potentiels qui peuvent être utilisés. L’avantage qu’on a, quand je parle des histoires de colonisation, c’est qu’on devient une sorte de coïncidence entre plein de marqueurs identitaires différents : je peux être un Gabonais qui fait de la musique gabonaise ; je peux être Africain qui fait de la musique africaine. Je peux être un Noir, je peux être un Fang, je peux être — je ne le suis pas — mais je pourrais être un Chrétien. En fait, il y a plein de circuits qui existent et on ne s’en rend pas compte. Les chrétiens, par exemple : je regardais hier une fille qui a une vidéo vue huit millions de fois. Elle va chanter dans telle église, telle église, ils vont en Côte d’Ivoire, au Ghana, tout un circuit… Vous êtes tous les deux côte à côte, vous faites de la musique et tu ne la vois pas, parce qu’elle ne passe pas à la télé.
Et ça, c’est ce que j’ai toujours exploité, le fait de dire que “non, en fait, il y a des circuits que les uns ou les autres ne respectent ou ne comprennent pas. Mais ce sont des circuits valables”. À la fin de l’année, par exemple, tous les lycées font des concerts. Et un lycée, c’est 8 000 adolescents. Donc les dix-sept lycées de Libreville ça représente en moins d’un mois, une tournée où on va faire quinze dates devant 5 000 élèves. Et qui écoute ton rap ? En France, c’est souvent les étudiants qui organisent des trucs. Alors bien sûr qu’on va rappeler les étudiants, parce que c’est un circuit.
- 9 Pariant sur l’essor de l’économie du spectacle face au déclin du disque, cette multinationale de l’ (...)
Est-ce qu’il faut attendre d’avoir un tourneur comme Live Nation en France9, pour faire des concerts ? Nos chemins croisaient celui des autres, comme Factor X par exemple, un groupe français qui tournait bien, grâce à un tourneur. Mais, sur le continent, on tournait dix fois plus qu’eux ! Et qu’est-ce qui compte ? C’est que nous, on fait une musique qui existe, qu’on a entendu à certains endroits, on fait des cassettes qui se vendent, des disques qui se vendent, on a un discours qui s’entend et on fait des dates.
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Les circuits identitaires comme celui des Ekangs10, sont aussi une voie possible : je peux, si je travaille plus dans ce sens, être un “artiste Fang”. Ça peut représenter une autre manière de circuler, un marché bien précis, une niche. Il y a des endroits, au Cameroun, en Guinée Équatoriale, au Gabon et un peu au Congo, où ça peut être exploité… Et même ailleurs, car même en France ou au Canada, il y a des festivals Ekang. Avec la harpe et la langue Fang dans ma musique, c’est carrément une carte à jouer ! Après, il y a une manière de le faire, parce que les gens sont très frileux sur la menace de tribalisme. Les gens vont dire : “non, il faut dire ‘je suis camerounais’ avant de dire ‘je suis ekang’”. Alors que nous, en général, on dit que c’est l’inverse. D’ailleurs, ce n’est pas un problème, l’un n’empêche pas l’autre… Mais c’est une arme qui est utilisée contre nous, dans la logique de diviser pour mieux régner. Ça cloisonne et c’était le but : le Cameroun, le Gabon et le Congo, c’est la même chose, c’est juste qu’un même colonisateur est passé par là… Pourquoi ils ont tout découpé ?
Il y a comme quelque chose qu’on cache peut-être au monde, c’est que la culture africaine, ou la culture en général, regorge de richesses inestimables. Et dès que quelqu’un a le réflexe ou l’intelligence de dire “bon, je vais puiser dedans”, il en ressort avec une force incroyable, à tous les niveaux : que ce soit dans la finance, l’art, la musique, le sport, etc. Comme on est faits de plusieurs couches en termes d’identité, il faut savoir quelle carte on tire lorsque l’on va fonctionner.
Est-ce qu’Internet a apporté des changements dans la façon de travailler, de nouvelles missions ou une nouvelle division du travail ?
Internet change tout. Internet brise les frontières géographiques, d’une certaine manière. On va dire que, à partir du moment où il y a Internet, les pays deviennent juste des concepts. Dire que ceci est gabonais, ça veut dire que c’est une couleur. Ce n’est pas une position géographique. Le Gabon n’est pas plus loin de la Russie ou les États-Unis, sur internet.
Youtube est une grosse révolution : avoir l’idée de faire un service où n’importe qui peut télécharger n’importe quoi en vidéo, ça fait qu’aujourd’hui, si Michael Jackson ou Madonna sortent un clip, ils n’ont a priori rien de plus que si un petit du quartier sort un clip sur Youtube. Sa page ne sera pas plus rouge ou pas plus verte… Maintenant, elle a un nom et l’autre n’en a pas… Mais tu vois, aujourd’hui, on peut rentrer direct aux standards du marché.
D’une certaine manière, le travail que ça te demande n’a rien à voir avec ce que ça nous demandait avant. Nous, on ne pouvait même pas passer à la télé, on ne pouvait pas passer à la radio, on n’avait pas de quoi enregistrer, etc.… Aujourd’hui, avec un ordinateur, ou même avec un iPad, tu peux enregistrer et mixer, masteriser ton truc. Si tu n’as pas tous les modules qu’il te faut, tu peux aller sur internet et les trouver, gratuits ou payants, mais à deux trois Euros. Tu peux distribuer ta musique : mes morceaux, on les achète en Russie, aujourd’hui, alors qu’avant, c’était difficile de les vendre, même dans mon lycée… Aujourd’hui, je ne presse plus, sauf au Gabon. L’environnement et la logique de travail s’en trouvent finalement fortement bouleversés.
Comment tu procèdes pour commercialiser ta musique en ligne et quels enjeux cela représente pour toi ?
- 11 Plateformes permettant de centraliser la diffusion/distribution et la perception des droits simulta (...)
Ce que moi j’ai fait avec Internet, c’est ce que j’ai fait avec les pressages… C’est une évolution. il y a un moyen de gagner plus d’argent — d’argent au sens personnel du terme — en vente en ligne par iTunes, GooglePlay, Spotify… qu’en vente de CDs. La vente en ligne a chuté avec le stream, mais ça c’est très récent. D’ailleurs, c’est seulement maintenant que je regarde un peu les chiffres de streaming. Et tu vois des trucs dérisoires : 25 écoutes pour 5 centimes, plus ou moins… Sans compter ce que tu paies aux agrégateurs11, les parts des ayants droit, etc.
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En termes d’agrégateur, je suis passé par Zimbalam, quand j’allais signer chez Believe12. Alors que c’était déjà engagé, il y a un truc qui fait que quand je reviens vers eux, ils ne sont plus intéressés. Mais moi j’avais déjà mes codes d’accès pour distribuer sur Believe, et donc j’avais une sorte de Zimbalam avec une interface Believe.
Et puis Zimbalam [qui était un service de Believe] a été phagocyté par l’américain TuneCore et c’est devenu beaucoup moins intéressant pour moi : il faut payer à l’année. Ça fait que pour la première fois, je ne peux plus faire juste la musique que j’aime. J’ai concocté en 2017 un album autour de mes harpes qui s’appelle La théorie des cordes. J’ai fait ça parce que j’aime ça, mais je suis désormais de vérifier que la mise en ligne ne coûte pas plus cher que ce que ça rapporte. Et là, ça devient compliqué. Parce que ce n’est pas un album qui est fait pour être un succès commercial. Et chaque année, ils te rappellent pour dire : “ton album on va l’enlever. Si tu veux le garder, il faut banquer tant d’euros”. Ça représente 2500 vues… et je rentre dans des calculs de rentabilité que je n’avais pas.
Le streaming apporte un peu moins d’argent… Proportionnellement, en vente en ligne on fait des scores intéressants. J’ai même été appelé par France2, par l’intermédiaire de mon distributeur, qui organisait un reportage autour de ça. Et ils se demandaient comment ça se fait qu’on retombe sur moi dans les chiffres, alors qu’en fait on ne me connaît pas…
Mais les services qui permettent à tes produits d’être vendus en ligne, ce n’est pas démocratique du tout. Le petit gars du quartier ne peut pas lui-même se vendre : soit Believe le signe, soit Zimbalam lui dit « fais ce que tu veux, mais paye-moi et gagne ton argent ensuite ». Mais personne au quartier ne peut devenir Zimbalam ou Youtube pour l’instant. Il y a quand même des super puissances derrière. Il n’y a que trois ou quatre opérateurs majeurs dans le monde, qui gèrent tout ce que l’on est en train de faire sur Internet.
Qu’est-ce que ça représente pour toi comme travail, comme investissement en temps ou en publicité, que de créer des dynamiques commerciales sur les plateformes ?
C’est intéressant ce que tu dis, parce que justement, je ne fais pas du tout comme ça : je fonctionne par réseaux. Il faut te dire que c’est comme si j’étais un chrétien – c’est pas vrai, hein ! c’est une image ! –, qui chante des louanges, et je me dis : « j’ai la sensibilité de chanter Jésus reviens bientôt, parce que c’est ce que j’ai dans mon cœur. Mais quand je veux vendre, il faut que je dise à ces gens : ‘vous qui aimez Jésus, venez ici’ ». On s’en rend compte si je dis « bonjour mesdames et messieurs, j’ai fait un album », ou plutôt « Vous, frères adventistes, venez ! ». Dans la première proposition, j’ai dix personnes qui vont mettre des likes et d’autres qui vont dire « oui, ça va, et au fait, comment va ta mère ? », alors que le deuxième, tout le monde va mettre « Alleluia, Amen ! ». Donc tu dois identifier ces réseaux, créer ces réseaux, consolider ces réseaux.
Quand tu as un réseau chrétien, que tu es chrétien et que tu chantes chrétien, tu n’as pas besoin de payer de la pub. Bon, après, moi, je suis dans la course depuis longtemps. C’est pas beaucoup, mais j’ai 25 000 personnes qui suivent vraiment sur ma page perso [Facebook] ; j’en ai 25 000 sur une autre page Ékomy Ndong ☥ ; j’en ai 23 000 autres sur le compte d’un fan français, qui a fini par m’en réattribuer l’administration.
Par contre, il faut travailler sur ces pages. Ce n’est pas obligé que ça soit moi. Aujourd’hui les gens ont des community managers et tout ça… Mais c’est assez particulier, parce que les pages ont un côté humain, vivant, personnel, qu’il faut pouvoir créer et c’est difficile de le faire à la place de quelqu’un. Il faut que ça soit cadré. C’est pas comme les sites internet à l’époque. Moi j’ai encore un site, mais un site c’est une vitrine où tu dis « bon il a fait 4 albums, il a fait ci, il a fait ça… ». On regarde et puis on repart. Alors que là, on voit : « il fait ci, il fait ça, il est là et, d’ailleurs, il est en train de faire d’enregistrer, il est en train de… »
Et je réponds à tout le monde ! C’est fastidieux, c’est lourd. Bon, je ne le fais plus sur Instagram, mais le matin, quand je me levais, je regardais. Et je me suis rendu compte que ça me prend deux trois heures ! Et en plus, ils font en sorte que tu restes dessus. C’est fait pour et il faut s’organiser pour que ça reste utile. Les contextes changent maintenant, mais la logique et les objectifs peuvent être les mêmes.
Et le crowfunding ou encore la vente par correspondance, tu as pratiqué ?
Les produits dérivés, les T-Shirts, tout ce qui est lié au stock et au matériel physique me pose problème : se balader avec 150 T-Shirts, quand on fait un concert, ça m’embête un peu. Alors que, à partir du moment où les gens peuvent acheter en ligne, le T-Shirt est produit pour eux et il est livré chez eux. Ça m’intéresse, sauf qu’il n’y a pas encore de solution universelle… Ça marche pour la diaspora, mais le paiement en ligne reste compliqué pour les Gabonais. Les gens n’ont pas confiance : souvent, ça n’arrive pas ! Et puis c’est cher : avec DHL ou autre, tu vas payer cent Euros pour un T-Shirt ?
Pour le crowdfunding, le problème c’est qu’en termes de communication, c’est très beau de faire en sorte que les gens participent au projet. Et ça c’est des choses qui marchent très bien avec nous. Mais si l’objectif n’est pas atteint, c’est suicidaire en termes d’image. Il faut demander aux gens de participer d’une manière qui ne leur est pas familière ou aisée. Si on demandait aux gens, au Gabon : « on va faire un concert – apportez une boîte de sardines ou de conserves à donner à un orphelinat », on va se retrouver avec 5 000 boîtes de conserve, hein… Il faut demander aux gens quelque chose qu’ils peuvent donner, qu’ils savent comment donner…
Après, si c’est juste cliquer quelque part, etc., ça on est les plus forts. Pour les Kora Awards en 2012, où j’ai remporté le prix de Meilleur Artiste d’Afrique Centrale, il y avait Lokua Kanza, il y avait des grosses pointures… Mais pour la partie qui était liée au vote… On n’est pas nombreux, les Gabonais, mais tu peux être sûr que 90 % des Gabonais qui ont un accès à internet vont aller voter !
Est-ce qu’en Afrique, les opérateurs télécom sont impliqués dans la musique ? Tu as travaillé avec eux ?
Bien sûr ! Alors, nous on fait de la musique depuis trop longtemps et on a de mauvaises habitudes et des préjugés qui sont restés, à l’encontre de ce type d’interlocuteur puissant. Notre discours a longtemps été : “oui, le système, on ne veut pas de ça, on ne travaille pas avec le gouvernement, les entreprises on n’aime pas. De toute façon on est trop hardcore, donc on ne passe pas à la télé…”. On est habitués à tout faire nous-mêmes.
Mais des fois je me suis demandé : les gens qui aujourd’hui sont aux commandes écoutaient la même musique. Si quelqu’un a entre 28 et 50 ans, il est potentiellement fan ou de nous, ou de quelque chose qui nous ressemble. Donc on a fini par aller les voir et ils nous disent “mais on vous attend depuis longtemps !”. Ou des fois même, on voit des partenariats qui nous impressionnent et on se rend compte que c’est avec nous que les gens voulaient travailler…
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En 2012, par exemple, on a fait le projet One8 un projet musical pour AirTel13, qui impliquait des artistes de huit pays africains14, avec R-Kelly aux États-Unis et qui a été salué par Billboard ou le MIDEM, par exemple. On s’est servi de cet argent-là pour construire une école au Gabon… Il y a plein de choses comme ça. Pour un opérateur télécom c’est une manière d’être présents, c’est de la publicité, c’est de la puissance. Et c’est aussi du commerce simple. La téléphonie mobile on ne se rend peut-être pas contre, mais c’est un marché incroyable… Surtout en Afrique. Ils font des choses qui n’existent même pas ici. Ce que ça rapporte en termes de communications, en termes de capacité à déplacer des données, en termes de flux financiers, en termes de distribution…
On a aussi fait d’autres opérations en lien avec la téléphonie mobile : on trouve un modèle de téléphone, le Huawei XYZ, par exemple – ça ne leur coûte rien à eux de faire ça – on en fait un noir et jaune parce que ce sont les couleurs de Movaizhaleine, on imprime notre nom dessus et il est vendu avec les fichiers de l’album dedans. Ils savent faire ça pour les campagnes présidentielles avec, disons, des montres ou des slips… C’est juste que là on reste dans les objets de téléphonie mobile.
Photo 6.1 et 6.2 – Carte SIM de l’opérateur indien AirTel à l’occasion du projet One8 en 2012
Collection personnelle Ékomy Ndong
La seule difficulté, c’est de travailler avec des gens qui sont capables de comprendre qu’il faut s’adapter, que quand on parle avec MTN du Cameroun, il faut qu’ils comprennent que le Cameroun a ses spécificités. On est peut-être en train de proposer un truc qui ne marcherait pas du tout en France et peut-être même pas du tout au Gabon. Aujourd’hui, ils le comprennent, puisqu’il y a des choses qui existent chez nous, alors qu’elles ne sont même pas près d’exister en France : le transfert d’argent par téléphone, les clés USB 3G, les petits boîtiers Wifi connectés à l’internet mobile, etc… Du coup tu as plein de types de produits sur lesquels projeter des opérations : tu as la carte de recharge de crédit qu’on peut faire à l’image du produit. Et on les a utilisés pour notre promotion : on écrit “Call l’Élément, Movaizhaleine, sortie le…”, etc. Les gars qui achètent ça ils s’en foutent, mais ils ont déjà vu le message : c’est de la publicité. Ça permet d’avoir une communication cohérente pour dire que le produit bleu qu’ils ont sorti tel jour, s’accompagne de musique, etc.… Et puis il y a aussi la musique d’attente des répondeurs, ou des étapes de rechargement… Plein de possibilités. Et ça c’est un business. Maintenant, il y en a qui ont dit que ça allait révolutionner l’Afrique. Bon… ça va révolutionner quoi ?
Mais en dehors des opérations de partenariat est-ce qu’il arrive aux opérateurs téléphoniques ou internet d’entrer directement dans l’économie de la musique ? Est-ce qu’ils proposent une plateforme ou un service d’accès à de la musique, un abonnement… ?
On y a pensé, mais c’est souvent une initiative proposée par une personne et ils essayent. Si ça marche ils le font avec toi un peu. Ou pas. Ou ça ne marche pas. C’est pas un système. Mais des fois ça a été le cas, comme l’opération avec AirTel et Sony Music. En gros, on a un opérateur indien qui veut s’installer en Afrique. “Oui, mais… l’Afrique c’est pas pareil. Là-bas, les stars ce sont les jeunes. Vous devriez faire les choses avec les sportifs et les musiciens. Mais les sportifs, c’est compliqué car déjà très sponsorisés, donc plutôt les musiciens. Or on vient de monter un label avec des artistes du Gabon, du Sénégal, du Cameroun, qui peuvent être égéries de votre opération”.
On nous dit “mais pourquoi faire ça avec vous ?” – “Mais parce qu’on est les Sony Music de l’Afrique…”. Ça c’est ce qu’on dit à l’opérateur de téléphonie mobile. Ensuite il faut aller voir Sony pour dire : “vous faites de la musique aux États-Unis, mais l’Afrique c’est le plus gros marché, et pour l’instant vous dormez. Et c’est ça qui va exploser. Alors heureusement qu’on est là pour vous. Nous on travaille avec un opérateur indien qui est présent en termes de circulation…”. C’était ça mon intérêt à la base aussi : tu ne peux pas faire mieux que la téléphonie mobile en Afrique, en communication et en circulation. Si l’opérateur en question est dans 37 pays, c’est la capacité à avoir quelque chose qui se distribue dans 37 pays. Avec le médium le plus intéressant en Afrique : le téléphone.
Et enfin, tu dis aux artistes “nous on est Sony et on travaille avec AirTel”. Bon, les artistes, les pauvres, ils signent là… Mais quand tu es avec des gens qui signent tout le monde, c’est qu’il n’y a rien dedans : tu ne peux pas acheter tout le monde. Bon, au final, il revenait à chacun de trouver comment tirer son épingle du jeu…
- 15 Voir par exemple : Eric Delhaye, « L’industrie du disque rêve d’Afrique », Libération, le 22 juin 2 (...)
Dans les couloirs de maisons de disques ou dans les médias, j’entends depuis quelques années que l’Afrique est un territoire d’avenir pour l’industrie musicale15. Est-ce que tu as pu constater l’intérêt des multinationales de la musique ?
- 16 Manager et producteur qui a travaillé pour sortir les musiques africaines du créneau “World Music“ (...)
J’ai parlé avec Universal Music Africa en août 2017. Le boss de l’époque, Marc-Antoine Moreau16 qui vivait en Côte d’Ivoire, vient vers moi et me propose un contrat. C’est intéressant, parce que c’est Universal et puis c’est bien pour moi qui ai envie de faire autre chose, avec d’autres moyens. Et je me dis : “le Gabon, on gère plus ou moins”. Mais pour la Côte d’Ivoire – même pour le Cameroun, à côté –, si n’importe qui pouvait faire cette partie du travail, c’est déjà un avancement pour moi. Donc, on discute, mais les chiffres avancés n’étaient malheureusement pas intéressants du tout. D’autant plus que pour le contrat… on ne peut plus voir les choses en termes de contrat de distribution, licence ou contrat d’artiste. Ça n’existe plus : ils sont obligés de commencer à s’intéresser à tout ! Bref, je lui dis : « j’ai envie, mais c’est trop peu pour moi ».
Au final, il revient vers moi pour me faire une meilleure proposition pour 2018, représentant le double de ce dont on avait parlé la première fois. On convient de se recontacter plus tard, le temps de mettre sur pied la nouvelle proposition de contrat. Je commence à travailler et je l’appelle plusieurs fois en décembre, mais il ne réagit pas. Et un jour ma copine m’appelle et me dit « mais, ton gars, là, ce n’est pas Marc-Antoine Moreau ?… Il est mort ! » Il était décédé au cours de la période où je ne parvenais pas à le joindre…
Donc je n’ai pas signé avec eux. Pour moi, c’était donc un autre marché. Une manière de dire : “bon, moi j’ai ma zone de sécurité, le Gabon, après on peut se réinventer, mais j’ai le Gabon…” En Afrique, en fait, les majors ne gèrent rien. Ils ne savent pas faire. Ils cherchent… Ils vendent où ? Quoi ? Je sais que son idée était très bonne. C’est quelqu’un qui sait de quoi il parle, il sait de quoi tu parles. Et on est sortis du modèle où on se prend pour des lords, l’idée que les producteurs, ce sont ceux qui peuvent, qui savent. Ce n’est plus ça : les producteurs ont des problèmes de producteurs, ils ont eux aussi leurs échecs, ils essayent de s’en sortir, c’est tout ! Ce n’est pas les mêmes postes dans la chaîne de travail…
Depuis 2015, tu vis une sorte d’exil en France. Est-ce qu’Internet t’aide à organiser ton activité ?
Je suis dans un embargo. Toute mon activité est alimentée par le fait de venir du Gabon, d’y faire mes trucs et de revenir. Mais là, ça fait depuis 2015 que je n’y ai plus été.
J’allais suffisamment au Gabon pour ne pas dire que je suis résident en France. Je ne connais pas Nantes plus que Paris, par exemple. Je ne connais pas ce qui se passe derrière l’immeuble là en face de moi. Nantes est la ville de France où j’ai le moins joué dans ma vie. Avec mon frère, on produisait des trucs, je connais des rappeurs de Nantes, comme Philemon ou Kamnouze. Mais moi j’étais un Gabonais qui passe par là, je posais dans des projets ici, mais je n’étais pas nantais, quoi.
Mais cette dynamique-là a changé. C’est la vie aussi, tu vois ? Ma fille, il fallait qu’elle soit posée dans un cadre et pour la première fois, j’ai fait deux trois ans, vraiment posé, où j’habite ici, je dors ici, je suis obligé d’avoir des activités qui sédentarisent progressivement… je donne des cours de karaté aussi. Mais alors comment faire de la musique dans ce cadre-là ? Et bien ce sont encore d’autres façons de faire. Et c’est ça qui me motive parce qu’il y a un petit côté énigme : il n’y a plus les cassettes, il n’y a plus les CDs, on ne presse plus… et pour l’instant, il n’y a même plus le Gabon !
L’équipe de Zorbam Produxions est principalement restée au Gabon et on se partage le travail à distance : « c’est toi qui mets les trucs sur Facebook, mais c’est moi qui fais la musique… » Aujourd’hui, je me suis rendu compte que même pour les collaborations ça a changé : si l’autre est à New York et que toi tu es ici, eh bien il enregistre à New York… Avant, ça faisait un peu comme de la triche : « ouais, mais vous ne vous êtes même pas vus ! ». Aujourd’hui, les gens font une chanson, ils ne s’entendent même pas, ils ne s’aiment peut-être pas, ils ne se connaissent même pas. Il y a même des gens, en maison de disques, qui te disent après coup : « on a mis untel dans ton morceau… ». Avec Marc-Antoine Moreau, c’était des choses comme ça dont il était question : tu fais plein de morceaux et tu leur laisses. C’est industriel, quoi. Aussi.
Notes
1 Merci à Alice Alterianus Owanga pour son aide lors de la préparation de cet entretien et pour ses travaux comme : « Le rap, ça vient d’ici ! ». Musiques, pouvoir et identité dans le Gabon contemporain. Paris, Ed. MSH, 2017; « Lord Ékomy Ndong, l’Afropolitain », in Africultures, (3), 2014, p. 148-157.
2 Harpe-cithare Fang.
3 Groupe américain disco-funk des années 1970-80.
4 Séquenceur et échantillonneur.
5 Logiciel standard de studio professionnel à l’époque.
6 Vidéo facebook postée le 3 février 2019 où il juxtapose des images d’archive du studio où il compose, en 1996, et des images de son studio actuel, tournées en 2011 : https://www.facebook.com/lordekomy/videos/10156381726538495/
7 Sous-genre du reggae, le dub est un remix souvent instrumental et saturé de traitements sonores en particulier le delay et la reverb.
8 Enregistrement numérique sur bandes magnétiques.
9 Pariant sur l’essor de l’économie du spectacle face au déclin du disque, cette multinationale de l’organisation et de la promotion de spectacles est créée en 2005 en Californie et intègre verticalement : billetterie, salles, tournées, management et sponsoring/partenariats.
10 L’ethnonyme « Ekang » qui réunit par delà les frontières nationales les groupes connus comme Fang, Bulu et Beti, a fait l’objet d’un réinvestissement particulier sur les plateformes sociales. Cf. Rivron, Vassili, « Médias sociaux et ethnicité en Afrique Centrale : objectivation culturelle et réunification Ekang », in H2PTM’15, le numérique à l’ère de l’Internet des objets, de l’hypertexte à l’hyper-objet, Paris8/ISTE éditions, 2015.
11 Plateformes permettant de centraliser la diffusion/distribution et la perception des droits simultanément sur de multiples services de streaming ou téléchargement.
12 Beleive Digital est un label fondé en France en 2005 et offrant des services de distribution et de marketing pour des artistes indépendants à travers l’Europe.
13 Filiale du principal opérateur indien Bharti Airtel, AirTel Africa s’est progressivement installé à partir de 2010 dans 17 pays du continent.
14 2Face (Nigéria), Amani (Kenya) 4x4 (Ghana), Movaizhalene (Gabon), JK (Zambie), Alikiba (Tanzanie), Fally Ipupa (RDC) et Navio (Ouganda).
15 Voir par exemple : Eric Delhaye, « L’industrie du disque rêve d’Afrique », Libération, le 22 juin 2018.
16 Manager et producteur qui a travaillé pour sortir les musiques africaines du créneau “World Music“ où elles étaient cantonnées à l’international.
Top of pageList of illustrations
Title | Photo 1 – Lord Ékomy Ndong à Nda Me Ngoma, son studio nantais |
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Credits | © Rivron 2019 |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/com/docannexe/image/9041/img-1.jpg |
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Title | Photo 2 – Les studios en 1996 et 2011 ; extrait d’une séquence vidéo publiée par l’artiste sur Facebook |
Credits | © Ékomy Ndong 2011 |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/com/docannexe/image/9041/img-2.jpg |
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Title | Photo 3 – Couverture de l’album « L’Afrikain », Lord Ékomy Ndong 2003 |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/com/docannexe/image/9041/img-3.jpg |
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Title | Photo 4.1 ou 4.2 - Sources et ressources traditionnelles, dans le studio de l’artiste |
Credits | © Vassili Rivron – 2019 |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/com/docannexe/image/9041/img-4.jpg |
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Title | Photo 5 – Lord Ékomy Ndong à Nda Me Ngoma, son studio nantais |
Credits | © Vassili Rivron - 2019 |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/com/docannexe/image/9041/img-5.jpg |
File | image/jpeg, 576k |
Title | Photo 6.1 et 6.2 – Carte SIM de l’opérateur indien AirTel à l’occasion du projet One8 en 2012 |
Credits | Collection personnelle Ékomy Ndong |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/com/docannexe/image/9041/img-6.jpg |
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References
Bibliographical reference
Vassili Rivron, “« Les chemins n’existent pas : ça devient un chemin dès que tu marches dessus »”, Les Cahiers d’Outre-Mer, 277 | 2018, 215-238.
Electronic reference
Vassili Rivron, “« Les chemins n’existent pas : ça devient un chemin dès que tu marches dessus »”, Les Cahiers d’Outre-Mer [Online], 277 | Janvier-Juin, Online since 01 January 2021, connection on 12 December 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/com/9041; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/com.9041
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