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Les frontières de la région de Tarapaca (Chili)

Anselmo Pomes
p. 149-158

Résumés

Les tracés linéaires des frontières séparant le Chili du Pérou et le Chili de la Bolivie dans la région n°1 ou de Tarapacà sont jonchés de points de passage qui assurent les relations trans-frontalières à différentes échelles et permettent un accès à la mer pour la Bolivie. Ces passages ou points de continuité territoriale sont strictement surveillés et font l’objet de contrôles minutieux de la part des trois pays. Zones de relations économiques et sociales, licites et illicites, ce sont des lieux de connexion territoriale fruit d’une histoire ancienne.

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Texte intégral

1Dans l’extrême nord de la République du Chili, la région de Tarapacà (1ère Région) est frontalière du Pérou au nord et de la Bolivie à l’est. Elle partage cette particularité avec la région d’Antofagasta (2e Région) située immédiatement au sud et qui jouxte à la fois la Bolivie et l’Argentine. Ces frontières se sont définitivement stabilisées au début du XXe siècle. Ainsi, à cette époque, des lignes ont été tracées marquant avec force les limites socio-spatiales de ces trois pays voisins alors, en concurrence géopolitique. Les coupures territoriales générées ont été adoucies par la mise en place de "passages" introduisant des points de continuité territoriale. Ces passages ont ainsi permis de nécessaires échanges évitant des enfermements dangereux tant au niveau politique qu'économique. Certains de ces passages ont été enrichis d'une dimension socio-économique et sont devenus des zones d'échanges. Cet article a pour ambition de retracer ce processus de construction de frontières et des zones qui leur sont rattachées.

Des lieux et des hommes

2La Région de Tarapacá est la plus septentrionale du Chili et a, comme lui, une configuration tout à fait unique. Elle s’étend du nord au sud entre les parallèles 17°30' et 21°39' S et, d’est en ouest entre le méridien 68°25' W et l’Océan Pacifique. Sa superficie est de 59 099 km2.

3On distingue quatre grandes zones géographiques d’orientation méridienne, soit, d’ouest en est :

  • Les plaines littorales, d’étendue très réduite et pratiquement ininterrompues du nord au sud. On y trouve les deux villes les plus importantes de la région : Arica et Iquique.

  • La Cordillère de la Côte, une chaîne abrupte, composée de bassins intérieurs connus comme « salines » (Salar). Au nord, ses contreforts descendent jusqu’aux plaines littorales et la mer.

  • La Dépression Intermédiaire, une aire séparant les deux massifs. Elle offre généralement un paysage de « pampas ».

  • La Cordillère des Andes, immense plan incliné passant d’une altitude de 2 400 m jusqu’aux hauts plateaux situés à 4 000 m. Ceux-ci forment « l’Altiplano » d’où ressortent des volcans élevés formant des cordons isolés.

4D’un point de vue administratif, la région est divisée en 3 provinces, celle d’Arica (composée des communes d’Arica et Camarones), celle de Parinacota (de Putre et General Lagos), et celle d’Iquique (Iquique, Camiña, Colchane, Huara, Pica et Pozo Almonte). Chacune de ces provinces a au moins une de ses limites frontière internationale soit avec le Pérou soit avec la Bolivie (fig. 1).

5La population de la région est passée, selon les estimations, de 339 579 habitants en 1992 à 405 183 en 2001, soit un taux d’accroissement de 19 % en dix ans. Cette évolution a surtout été marquée par un exode rural important qui a profité essentiellement aux deux grandes villes (Iquique et Arica), la population rurale ne représentant plus que 5 %.

6La région transfrontalière de l’Altiplano andin est la zone d’habitat naturel ou historique du peuple aymara. La partie chilienne de cette ethnie s’est diffusée dans l’ensemble de la région sous la double contrainte d’une explosion démographique et de la capacité limitée de la production agricole traditionnelle. Ainsi, depuis les années 1950, on observe une stagnation de la population rurale aymara, malgré des taux de fécondité élevés. La mobilité forte et constante depuis la 2e moitié du XXe siècle a fait que les deux tiers de la population aymara chilienne vivent en ville.

7Ces mobilités ont, d’une part, affecté l’économie traditionnelle et, d’autre part, remis en cause les fondements sociaux, culturels, religieux et linguistiques du groupe ; ainsi la langue originelle aymara ne compte-t-elle plus que 40 % de locuteurs dans le groupe. Malgré tout, la communauté aymara se présente comme un groupe spécifique et fonde ses particularismes sur le maintien de certaines caractéristiques notamment dans le système parental, la gestion des terres, le maintien de certaines formes d’expression religieuses (fêtes des saints patrons par exemple) et sur les relations entretenues avec les communautés aymaras péruviennes et boliviennes. L’Altiplano apparaît ainsi comme le cadre géographique privilégié de cette sorte de résistance culturelle.

8L’économie de la région de Tarapacà tourne autour de la pêche, des activités portuaires et du secteur minier. Celui-ci semble le plus dynamique avec le grand projet d’exploitation du cuivre “Doña Inés de Collahuasi”. On note également l’exploitation du sel (chlorure de sodium) à Salar Grande et celle notamment de l’acide borique dans la saline de Surire. Les grands ports d’Arica et d’Iquique connaissent des volumes de traficimportants, stimulés par la zone franche implantée à Iquique. La côte permet aussi, parallèlement à la pêche, le développement de l’industrie touristique, tandis que les activités agricoles sont réduites, notamment du fait de l’exode rural qui vide les campagnes. On trouve encore un peu d’agriculture dans les vallées des rios Lluta, Azapa et Camarones et dans les oasis de Tarapacá, Pica et Matilla.

Des frontières et des passages

Le tracé des frontières est récent et consécutif d’une histoire riche et mouvementée

9C’est par le Traité de Paix, d’Amitié et de Commerce du 20 octobre 1904 que la frontière entre le Chili et la Bolivie est fixée. Son tracé utilise la ligne de partage des eaux, en reliant les différents sommets qui ressortent du plateau altiplanique. La frontière séparant les deux pays a une longueur approximative de 840 kilomètres. Elle traverse les régions de Tarapacà et d’Antofagasta.

10Le Traité de Lima fixe, depuis le 3 juin 1929, la frontière entre le Chili et le Pérou. Le territoire des anciennes provinces de Tacna et Arica est divisé : Tacna est alors intégré au territoire péruvien et Arica au territoire chilien. Ce traité trace avec vigueur la frontière qui suit un cheminement bien précis : elle commence au point de la côte situé à 10 kilomètres au nord du pont franchissant le fleuve Lluta pour, ensuite, suivre vers l’est la ligne de chemin de fer qui relie Arica (Chili) à La Paz (Bolivie). Le tracé rectiligne est alors infléchi afin que les soufrières du volcan Tacora et la moitié de la Laguna Blanca restent possession chilienne.

11La frontière séparant les deux pays a une longueur de 180 km et est matérialisée par 80 bornes. La dernière (n°80) se trouve au point de rencontre avec la frontière séparant le Chili et la Bolivie d’une part, et celle séparant le Pérou de la Bolivie d’autre part. Cette borne remarquable est connue comme “la borne tripartite”.

Plusieurs passages possibles existent et chacun à sa manière présente des particularités

12- Deux passages avec le Pérou :

13Le Passage routier Concordia se situe sur la route reliant Arica à Tacna éloignées de 54 km. Le point de contrôle frontalier se situe, du côté chilien, au complexe de Chacal Luta situé à 500 m de la frontière. Différents services y sont représentés : Police Internationale de la Police d’Enquêtes du Chili, chargée des migrations; le Service National de Douanes et le Service Agricole et du Bétail (SAG) chargé des contrôles phyto- et zoo- sanitaires. De plus, les Carabiniers du Chili ont aussi en charge une mission de police au sein de l’enceinte. Au Pérou, le contrôle a lieu au poste de Santa Rosa, situé à quelques 300 m au nord de la limite entre les deux pays.

14Le Passage Ferroviaire Concordia se situe à 800 m à l’ouest du passage routier. La voie ferrée qui lie Arica et Tacna fait partie d’un réseau ferré ancien inauguré en 1857. Elle est de propriété péruvienne (aujourd’hui d’ENAPU S.A., Entreprise Nationale des Ports du Pérou). Le parcours total de la ligne est de 62 km. Son fonctionnement a été temporairement interrompu après la montée du fleuve Lluta le 19 février 2001 emportant avec lui le pont ferroviaire. Les travaux en cours laissent envisager une remise en service à la fin de l’année 2003. Les contrôles douaniers, migratoires et phyto-zoosanitaires se font respectivement dans les gares.

15- Quatre points de passage “habilités” entre le Chili et la Bolivie :

16Le passage ferroviaire de Visviri qui relie la ville d’Arica avec l’Alto de La Paz. La voie ferrée a été construite entre 1905 et 1913, à la suite d’un compromis acté dans le Traité de 1904. Les trains internationaux commencent ou finissent leur parcours à Viacha, nœud ferroviaire bolivien à 30 km de La Paz. Ce chemin de fer pose au Chili quelques défis opérationnels importants en raison de la pente du tronçon Central-Puquios (5,2 % en moyenne et pouvant atteindre 6 %). Aujourd’hui,le chemin de ferre Arica-La Paz n’offre pas de services passagers, le réseau étant réservé aux seuls trains de marchandises. Son service a été suspendu pendant plus d’une année, à cause de la destruction de voies et ponts provoquée par la crue de la rivière Lluta le 19 février 2001. Les quantités en tonnes des marchandises échangées par voie ferroviaire de 1992 à 2001 montre une très nette diminution des échanges depuis 1992 malgré quelques années de reprise entre 1998 et 1999.

17Le contrôle frontalier s’effectue à la gare de Visviri, village dont la construction date de l’arrivée du chemin de fer. On note qu’un autre passage parallèle à celui de la voie ferré existe : il s’agit d’un chemin de terre utilisé essentiellement par des camions. Le contrôle de ce transit se réalise aussi au village de Visviri, non loin de la gare.

18Le passage Tambo Quemado, situé sur la route Arica-Patacamaya-La Paz joue un rôle de premier ordre dans les relations entre les deux pays. Cette route traversant l’Altiplano est le couloir privilégié du transit des marchandises boliviennes d’importation et d’exportation à destination d’outre-mer et soumises au régime de libre transit octroyé à la Bolivie par le Traité de 1904.

19Le volume de circulation s’élève en moyenne à environ 180 à 200 camions/jour. Cet axe est aussi utilisé pour le transport régulier d’autobus reliant Arica à La Paz.

20Le contrôle frontalier se fait, du côté chilien, dans le complexe de Chungará, situé au bord du lac du même nom, à près de 4 800 m d'altitude.

21Le passage Colchane-Pisiga est le second axe important reliant les villes d’Iquique et d’Oruro. D’une longueur de 470 km (237 km sur le territoire chilien et 233 km en Bolivie), il permet la circulation de marchandises de la zone franche d’Iquique vers la Bolivie (marchandises de toutes sortes dont une partie (cigarettes, matériels audio-visuel, etc..) alimente le marché de la contrebande chilien). Le trafic important que connaît ce passage est contrôlé à l’est du village de Colchane par la Police Internationale, le service des Douanes et le SAG.

22Le passage Apacheta de Irpa ou Cancosa est un chemin précaire commençant dans le village de Cancosa, dans le ravin du même nom. En Bolivie, le chemin est aussi en mauvais état et la localité la plus proche de la frontière est Bella Vista. Cet axe est essentiellement utilisés par les Aymaras qui résident dans les deux villages limitrophes. Ici comme pour les autres passages, un contrôle très strict est assuré par les Carabiniers et par la délégation de la Police Internationale, Douanes et SAG.

23Les passages des frontaliers (sorties et entrées cumulées) montrent bien l’importance du passage de Chungara (Tambo Quemado) de l’axe reliant Arica-La Paz via Patacamaya qui représente plus de 65% du total des passages sur trois années.

Quand les passages deviennent zones frontalières

24Certains des passages recensés possèdent une dimension territoriale plus importante et ont vu se construire sur leurs abords des zones d’échanges importantes et constantes dans le temps. Le plus remarquable est celui de Tacna/Arica. En effet, il n'y a pas dans tout le Chili une ville plus proche d'une limite internationale qu’Arica. Celle-ci ne se situe qu'à 18 km de la frontière avec le Pérou. Elle est de plus la ville-port la plus proche de la capitale bolivienne : La Paz. Avec près de 200 000 habitants, Arica fonde son activité économique sur l'industrie de la pêche, sur le commerce, le transfert et les services portuaires et le tourisme. Elle est séparée de sa voisine péruvienne, Tacna, de 54 km qui compte pour sa part, une population légèrement supérieure à 200 000 habitants. Reliées par des axes ferroviaires et routiers de bonne qualité, les populations locales ont mis en place des flux de marchandises, de services, etc., variant au gré des conjonctures économique et politique des deux pays.

25Ainsi, les différences économiques entre les deux pays génèrent une forte mobilité de Péruviens (ouvriers et personnels de service ménager) vers Arica. Cette mobilité professionnelle classique dans les zones frontalière s’appuie sur les facilités prévues par l’Accord de Transit de Passagers entre Arica et Tacna, ce régime permettant des séjours inférieurs à sept jours. Ainsi, tous les week-ends, les travailleurs péruviens rejoignent leur pays d’origine. La mobilité universitaire est aussi à relever, tant de Tacna vers Arica que d’Arica vers Tacna.

26Cette mobilité professionnelle et universitaire s’accompagne d’une contrebande active pratiquée par la population locale péruvienne. Les acteurs sont connus sous l’appellation de “pacotilleros”. Actuellement, le trafic tourne autour de la vente de produits plastiques vendus à Arica, de fruits et des vêtements usagés sur la “place” de Tacna.

27Le transport de personnes entre Arica et Tacna est assuré par une offre importante de transport public, principalement des taxis collectifs (automobiles véhiculant quatre passagers dans un parcours fixe) et des bus, et à une moindre échelle par le train, à présent temporairement paralysé. Les relations entre les deux villes possèdent aussi un pan institutionnel. En effet, le Traité de Paix, d’Amitié et de Commerce entre le Chili et la Bolivie, signé le 20 octobre 1904, considère Arica comme l’un des ports habilité pour le commerce océanique bolivien, sous la protection du régime de libre transit octroyé à la Bolivie par ce même traité. Ainsi, plus de 60% de la charge que transfère le port d’Arica est bolivienne.

28Enfin et pour conclure, il est à relever le cas particulier de la zone d’échanges qui s’est créée autour de la borne n°80 dite “borne tripartite ” située à plus de 4 000 m d’altitude. Ainsi, tous les dimanches une foire frontalière (ou marché) est organisée à la confluence des trois territoires nationaux du Chili, du Pérou et de la Bolivie. Les transactions qui s’y produisent portent sur des biens de consommation courante et les trois monnaies nationales y circulent sans distinction. Outre l’activité commerciale qui s’y produit c’est le caractère de rencontre culturelle qui est à relever ici. En effet, ce marché est organisé et fréquenté presque exclusivement par les populations aymaras des trois pays qui, dans un temps et un espace singulier, retrouvent une unité communautaire perdue.

29La région de Tarapacà possèdent pour limites deux frontières internationales : celle séparant le Chili du Pérou et celle séparant le Chili de la Bolivie. Ces frontières, résultats de conflits, de longues négociations et de traités, assurent un découpage territorial négocié entre les trois pays et participent à un équilibre géopolitique. Leurs tracés linéaires sont ponctués de points de passage, qui assurent les relations trans-frontalières à différentes échelles (relations au niveau local entre population frontalières jusqu’aux relations entre Etats) et permettent un accès à la mer pour la Bolivie. Ces passages en rompant la contiguïté des territoires nationaux construisent de la continuité territoriale nécessaire au fonctionnement politique, social, économique des chacun des trois pays. Ces points de continuité sont de ce fait très strictement surveillés et font l’objet de contrôles minutieux voire tatillons de la part des trois pays. Le Chili fonde essentiellement son système sur la protection sanitaire et la lutte contre l’immigration ; ces deux marqueurs emblématiques dans la construction d’une identité d’opposition (en regard de ces voisins) pouvant constituer un mur étanche en temps de crise. De plus, en deux de ces passages, la frontière, à la fois coupure et lien, connaît une sorte « d’excroissance territoriale ». Ainsi, dans sa partie la plus littorale : Arica/Tacna et dans sa partie la plus symbolique : la borne tripartite n°80, deux zones se sont constituées. Ces zones de relations économiques et sociales, licites et illicites sont des lieux de connexion territoriale. Fruit d’une histoire souterraine et ancienne, elles sont les aires privilégiées des échanges, des alliances, de la mixité donnant ainsi une dimension plus sociale aux frontières politiques si rigides.

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Documents annexes

  • Figure 1 (image/jpeg – 90k)
  • Figure 2 (image/jpeg – 246k)
  • Tableau 1 (cannot open `docannexe/fichier/861/Tableau I Pomes' (No such file or directory) – 0k)
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Pour citer cet article

Référence papier

Anselmo Pomes, « Les frontières de la région de Tarapaca (Chili) »Les Cahiers d’Outre-Mer, 222 | 2003, 149-158.

Référence électronique

Anselmo Pomes, « Les frontières de la région de Tarapaca (Chili) »Les Cahiers d’Outre-Mer [En ligne], 222 | Avril-Juin 2003, mis en ligne le 13 février 2008, consulté le 09 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/com/857 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/com.857

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Auteur

Anselmo Pomes

Directeur adjoint du département des Limites et des Frontières, Ministère des Affaires Exterieures, Santiago du Chili (Chili)

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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