Chaléard Jean-Louis et Sanjuan Thierry (2017). Géographie du développement. Territoires et mondialisation dans les Suds
Chaléard Jean-Louis et Sanjuan Thierry (2017). Géographie du développement. Territoires et mondialisation dans les Suds, Paris, Armand Colin, coll. U. 270 p.
Plan
Haut de pageTexte intégral
Crédits : © Armand Colin
1L’ouvrage proposé par Jean-Louis Chaléard, spécialiste de l’Afrique et de l’Amérique andine, et Thierry Sanjuan, spécialiste de la Chine, pose dès l’Introduction (p. 5-13) le cadre de la philosophie de ce texte : il s’agit bien d’un manuel de 1er cycle universitaire. En effet, ils exposent ici les éléments constitutifs d’un cours sur la géographie du développement en ce début de xxie siècle. L’approche sera spatiale et étudiera les dynamiques territoriales, elle s’intéressera aux acteurs, notamment à la place des États. Elle s’appuiera sur des constats passés pour mieux comprendre les trajectoires actuelles des espaces concernés. Enfin, elle tentera de concilier les paradoxes de développement et d’environnement. Rapidement, est dressé ici ce qui sera ensuite développé dans le cœur du manuel : il s’agit bien d’un outil pédagogique.
Partie I : Héritages et cadres du développement
2Avant de commencer à étudier des dynamiques actuelles, les auteurs proposent au lecteur de s’arrêter sur des éléments historiques et politiques de la seconde moitié du xxe siècle, qui peuvent expliquer en partie certaines trajectoires nationales et régionales : colonisation, mesures libérales, bipolarité et fin des blocs. Des mots pour enjeu (chapitre I, p. 19-30) synthétise 70 ans d’appellation « qui recouvrent moins des champs géographiques différents que des conceptions du développement et des façons différentes de voir le monde » (p. 19). Après avoir discuté des termes (développement, Tiers-monde, Sud) et de leurs approches économiciste ou politisée, J.-L. Chaléard et T. Sanjuan proposent une analyse assez accessible et pédagogique des approches du développement au cours du siècle dernier, où se mêlent déterminisme, libéralisme et anti-impérialisme. C’est aussi l’occasion pour les lecteurs-étudiants de mieux associer les scientifiques cités à leurs courants de pensée. Suit une présentation de courants actuels, discutant des approches institutionnelles ou scientifiques. L’intérêt du chapitre n’est pas de se positionner dans ces courants – les auteurs restent en effet à distance – mais de montrer la pluralité des discours et surtout de nuancer les classements et les oppositions entre Nords et Suds. Cette mise au point sur le vocabulaire permet ensuite, dans Le temps des voies du développement (chapitre II, p. 31-41) d’aborder la question des modèles. Les auteurs ouvrent ce chapitre à d’autres approches plus actuelles comme la promotion par les institutions internationales du développement soutenable, ou la conception d’Amartya K. Sen sur les libertés réelles (p. 41). L’application des modèles de développement précités revient généralement à l’échelon national : c’est l’objet de La mise en question de l’État (chapitre III, p. 43-52). Sa lecture nécessite une certaine culture générale géopolitique internationale des 150 dernières années. Ce chapitre, un peu ardu sur le fond comme sur son style littéraire soutenu, sera peut-être un peu difficile d’accès pour les étudiants de Licence. Pour autant, il souligne la nécessité de mieux prendre en compte cet acteur dans l’analyse des trajectoires, et de le placer dans le jeu international : est sous-entendu par exemple à plusieurs reprises le rôle de la France sur ses anciennes colonies. Les faillites relatives des États permettent d’ouvrir le chapitre sur l’importance des ONG et leurs paradoxes. Cette première partie sur les cadres théoriques et historiques de la géographie du développement se termine par une discussion sur la question démographique, dans Une brutale transition démographique (chapitre IV, p. 53-67). Après une rapide explication des mécanismes de la transition et des mutations connues dans les Suds, sont traitées ici les disparités entre aires régionales, pays ou à l’intérieur des pays, en s’appuyant sur une série de données chiffrées qui viennent illustrer le propos.
Partie II : La mondialisation des Suds
3A priori l’étudiant de Licence a entendu parler de la mondialisation pendant sa scolarité dans le Secondaire. Les chapitres à suivre sont donc partiellement des rappels des mécanismes de la mondialisation. Pour autant, la proposition faite par les auteurs est de l’observer via les pays du Sud, approfondissant il me semble, les bagages théoriques des jeunes étudiants sur le sujet. Des réseaux de production et d’échanges globalisés (chapitre V, p. 73-88), apporte une série de données chiffrées visiblement actualisées sur les échanges de produits, notamment manufacturés, mais aussi de capitaux et de communications. Ces thématiques permettent aux auteurs de bien appuyer sur les disparités entre pays du Sud : par exemple la place mondiale des pays asiatiques dans la production de biens avec ses avant-postes et ses inégalités, celle de l’Amérique latine dans la problématique du remboursement des dettes, ou encore l’illustration de la diffusion de l’internet mobile au Sénégal. Complétant ces circulations mondialisées, Une contribution croissante aux mobilités internationales (chapitre VI, p. 89-102) s’intéresse aux déplacements de personnes. Les auteurs présentent sans que ce soit un catalogue, une typologie des personnes et des types de migrations, mettant notamment en exergue la difficulté de tels classements dans un contexte où les causes politiques, climatiques et économiques sont souvent liées. Le chapitre s’ouvre avec une discussion sur le rôle de la diaspora dans les pays d’origine, avec ses bons et ses mauvais côtés ; en tout cas un débat à la fois accessible et j’imagine stimulant pour les étudiants, bien loin de la caricature. Le chapitre se termine par la question du tourisme où le lecteur jongle entre exemples intéressants et illustratifs, et foisonnement de chiffres moins digestes. Les chapitres suivants s’intéressent aux questions spatiales, avec d’abord Les nouvelles échelles macrorégionales (chapitre VII, p. 103-113), qui présente de manière claire les nouvelles dynamiques spatiales : l’urbanisation et la polarisation des façades littorales, les grandes aires politico-économiques avec leurs chevauchements, lacunes et réussites économiques et politiques, et les politiques des États face à leurs marges. Non pas que ce soit original, mais les auteurs présentent ici une série d’exemples utiles à la compréhension par les étudiants de la complexité des relations interétatiques. Le temps global du local (chapitre VIII, p. 115-127) ferme la boucle en reprenant les éléments vus précédemment, mais de manière plus théorique. Les auteurs discutent des échelles des dynamiques de mondialisation, à travers les exemples des régions polarisatrices, des métropoles ou encore de la place de l’État dans l’action locale.
Partie III : Les dynamiques spatiales
4Cette partie sur les dynamiques spatiales s’intéresse à l’échelle des territoires, qui met en valeur la spécificité de la géographie dans l’étude du développement. Après une série de présentations factuelles et très (trop ?) chiffrées des périodes et valeurs de l’urbanisation en fonction des aires régionales, De l’explosion urbaine à la ville étendue (chapitre IX, p. 133-145) analyse la ville par sa diversité : la spécialisation des quartiers accroît la mobilité, les paysages urbains vont des bidonvilles aux CBD (Central Business Districts ou centres des affaires), l’opposition entre les quartiers coloniaux et les autres quartiers s’est brouillée, la ségrégation n’est pas qu’économique, sociale ou raciale. La place des périphéries urbaines est peut-être un peu rapidement synthétisée cependant. Agriculture et campagnes dans la globalisation (chapitre X, p. 147-162) aborde un des principaux paradoxes que connaissent les campagnes des Suds : les espaces ruraux restent peuplés et avec de forts taux d’emplois, bien plus que dans les Nords ; pour autant, c’est aussi au Sud que les problématiques de malnutrition sont les plus fortes. Ce chapitre fourmille d’exemples sur les disparités rurales entre les espaces de grandes productions globalisées et les petits producteurs, et sur les liens avec les marchés de consommation que sont les villes. Le rôle des acteurs, en particulier l’État et ses politiques économiques, déconstruit aussi certaines idées reçues sur une campagne à deux vitesses. L’enjeu suivant est celui du défi de la protection de l’environnement : Faillite environnementale et urgence globale (chapitre XI, p. 163-174) est assez superficiel, il synthétise des rapports internationaux et s’appuie assez peu sur la littérature grise ; il peut pour autant servir de base aux étudiants les moins avancés dans leur cursus. Enfin, Tensions identitaires et conflits territoriaux (chapitre XII, p. 175-189) propose une série d’exemples sur des conflits multi-causaux à l’échelle mondiale et leurs liens avec le développement. À travers des thématiques générales – acteurs, frontières, tensions sociales et identitaires, accès aux ressources – les auteurs montrent ici les jeux d’échelles du local à la scène internationale, tout en n’omettant pas les facteurs historiques. Même si la synthèse reste peu précise, ce chapitre permet une bonne possibilité d’ouverture d’esprit pour les étudiants, soulignant la complexité des faits et donc des analyses.
Partie IV : Quelle place pour les Suds dans la globalisation ?
5L’ouvrage se termine par un essai de classification des niveaux de développement des pays. Les auteurs justifient l’approche par nation et non par région, avec des critères de classement propres. Ainsi, Les grands pays émergents (chapitre XIII, p. 195-205) répondent à trois critères : une forte croissance économique intégrée au système mondial, de grands états inégaux et une émergence géopolitique. Les nouveaux lieux d’ancrage (chapitre XIV, p. 207-214) sont ceux qui participent à des degrés divers à l’économie mondiale, mais sans la place spatiale et géopolitique des géants : il s’agit de pays émergés, de nouveaux pays industriels, de pays rentiers des hydrocarbures et de paradis fiscaux tropicaux. Viennent ensuite Les pays intermédiaires (chapitre XV, p. 215-224), qui sont les pays en développement qui ne sont ni émergents ni PMA ; c’est une catégorie assez hétérogène. Enfin, les pays les moins avancés, en guerre ou isolés sont traités dans Les marges (chapitre XVI, p. 225-244). Chaque chapitre commence par définir ce qui rejoint ces pays (place de polarisateur géopolitique et/ou économique par exemple, ou au contraire la fragilité), avant de proposer des sous-groupes de pays.
6La conclusion discute des trajectoires et dynamiques des Suds dans le monde globalisé du début du xxie siècle, répétant une partie des grandes problématiques exposées dans l’ouvrage : urbanisation, contrastes socio-économiques, échelles locales et globales imbriquées, dynamiques territoriales associées, gradients de développement. Les auteurs insistent surtout sur l’aspect non-figé et non-universel des modèles de développement.
En conclusion
7Cet ouvrage fait la part belle aux relations Sud-Sud, déconstruit bon nombre d’idées reçues sur les catégories et les dynamiques. Une des originalités est la prépondérance des allusions au rôle des États et du territoire national. La cartographie – de qualité – a été réalisée ou retravaillée par Olivier Ninot. On regrettera cependant le noir et blanc qui donne un aspect figé alors que le but est justement de marquer les dynamiques.
8Il ressort de la lecture de cet ouvrage une vision très claire des dynamiques de la mondialisation vue depuis les Suds. Le style est accessible, les données actualisées, les exemples précis, souvent originaux. Parmi les écueils, on pourra noter de nombreuses répétitions, mais qui ont l’avantage de permettre la lecture de chaque chapitre de manière indépendante ; des transitions un peu rapides ; et parfois un foisonnement de chiffres dans lesquels on se perd un peu. L’ouvrage ne se veut pas critique et par moments le lecteur peut le regretter ; les auteurs nuancent des situations, relativisent parfois, mais restent plutôt neutres, sans pour autant tomber dans la complaisance vis-à-vis des conséquences des politiques économiques libérales. Comme je l’ai écrit en introduction, il ne faut pas s’attendre ici à un essai de géographie critique, on pourrait d’ailleurs lui reprocher un certain classicisme ; mais l’ouvrage est conforme aux attendus d’un manuel, dont la cible me semble être les étudiants en géographie ou d’autres sciences connexes, dès le L1 pour les parties I et IV, dès le L2 pour les autres.
Pour citer cet article
Référence papier
Emilie Lavie, « Chaléard Jean-Louis et Sanjuan Thierry (2017). Géographie du développement. Territoires et mondialisation dans les Suds », Les Cahiers d’Outre-Mer, 274 | 2016, 343-348.
Référence électronique
Emilie Lavie, « Chaléard Jean-Louis et Sanjuan Thierry (2017). Géographie du développement. Territoires et mondialisation dans les Suds », Les Cahiers d’Outre-Mer [En ligne], 274 | Juillet-Décembre, mis en ligne le 01 juillet 2016, consulté le 10 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/com/7920 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/com.7920
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page