1La période contemporaine a été le théâtre de mutations économiques, institutionnelles et culturelles radicales ayant profondément transformé les sociétés antillaises françaises et leurs territoires. On ne peut pas appréhender la crise sociale du début de l’année 2009 en Guadeloupe et en Martinique sans prendre en compte les traductions sociales de ces transformations. Les marqueurs d’entrée de ces Départements-Régions d’Outre-mer dans la modernité sont spectaculaires et emblématiques de leur choix de développement. La multiplication des voies rapides modernes, celle des hypermarchés, synonymes de disparition du petit commerce de proximité, et celle de vastes lotissements en pleine campagne s’accompagnant du recul rapide des terres agricoles et de l’irruption de l’urbanité en milieu rural, témoignent du double mouvement de tertiairisation-urbanisation et de l’entrée de ces sociétés dans l’ère de la consommation de masse. L’augmentation progressive du niveau de vie a accordé une place croissante à la consommation parallèlement à une accélération des mobilités interne et externe.
- 1 Ce système est en particulier fondé sur une logique mercantiliste peu favorable à la production lo (...)
2Cette évolution est à replacer dans le contexte de soixante ans d’une départementalisation qui, en Outre-mer, a fourni le cadre politique de la mise en œuvre des conditions sociales de l’accès du plus grand nombre à la société de consommation, à travers notamment les transferts publics, en contrepartie du maintien d’une logique économique directement héritée de l’époque coloniale (Jalabert, 2007 ; Desse et Jalabert, 2007 ; Michalon, 2009)1.La départementalisation a également offert le cadre d’un accès généralisé à une éducation et à un système de santé de qualité, ainsi qu’à de meilleures conditions de logement, permettant localement les conditions d’un progrès social sans précédent.
3Cependant, si les projets d’assimilation politique et de rattrapage du « retard » économique des anciennes colonies d’Amérique, rattachées à la France, ont mobilisé d’énormes moyens et favorisé l’alignement progressif des Départements français d’Amérique (DFA) sur les lois sociales et le niveau de vie de la Métropole, les choix de développement et les politiques d’émigration qui les ont accompagnés, n’ont pas pu répondre au défi d’un chômage et d’un sous-emploi grandissants et d’une fracture sociale toujours plus importante. Après la canne à sucre, la banane connaît des heures difficiles, et les aléas du secteur touristique suscitent des espoirs mitigés.
4Mais le mal-développement et la dynamique de délitement du lien social sont plus profonds : la déstructuration familiale, la désolidarisation croissante entre les générations, la dilution rapide des valeurs traditionnelles et la montée d’une délinquance diffuse et quotidienne pour partie liée aux ravages de la drogue et du désœuvrement, nourrissent le malaise social et le sentiment des populations d’une grande incertitude concernant leur avenir.
5Quels enseignements peut-on tirer de cette double dynamique sociétale contradictoire caractérisée, d’une part, par le progrès social, l’amélioration des infrastructures, l’augmentation du niveau de vie, l’accès plus large à la consommation, l’ouverture croissante sur l’extérieur et, d’autre part, un vif questionnement identitaire, le creusement des inégalités sociales et l’absence de perspective pour les jeunes ? Dans quelle mesure le rapport au territoire constitue-t-il un enjeu de ces mutations sociétales à l’œuvre ? À la suite des États généraux de l’Outre-mer de juin 2009 et des référendums de janvier 2010, le moment apparaît opportun pour tirer le bilan de plus d’un demi-siècle de départementalisation, et face à l’échec des choix politiques et sociétaux qui y sont liés, d’explorer d’autres voies susceptibles de répondre aux enjeux impérieux auxquels sont confrontées les sociétés antillaises.
6Fondés sur les notions de croissance économique, de niveau de vie, de bien-être social, les indicateurs classiques du développement donnent une vision plutôt encourageante des évolutions économique et sociale des DFA à l’ère de la départementalisation. Les indices apparents d’une modernisation économique et d’un progrès social sont en effet révélateurs du chemin parcouru depuis soixante ans. L’indicateur de développement humain (IDH) – 0,86 en Guyane, 0,91 en Guadeloupe, 0,93 en Martinique – les classait théoriquement dans la catégorie des sociétés dites développées, à un niveau comparable à celui de la France hexagonale (0,95) en 2007 (Forgeot et Celma, 2009).
7Sur le plan économique, le niveau de vie apparaît lui-même relativement élevé, en particulier quand on compare leurs Produits Nationaux Bruts (PNB) par habitant à celui des pays voisins : ceux de la Guyane et de la Martinique (environ 17 000 €) sont ainsi deux fois supérieurs à la moyenne caribéenne (INSEE, 2007). Il se traduit par une hyper-consommation, dont rend bien compte le taux d’équipement des ménages : en Martinique, 98 % des ménages disposent d’un réfrigérateur, 96 % d’une télévision, 86 % d’un lave-linge et 63 % d’au moins une automobile (INSEE, budget de famille, 2001).
- 2 À titre d’exemple, le régime local des allocations familiales est aligné sur celui de l’Hexagone d (...)
8Sur le plan social, un système éducatif, largement démocratisé, explique des taux d’alphabétisation supérieurs à 90 % aux Antilles, et de 85 % en Guyane. Le système de santé apparaît comme l’un des plus performants de la région : il rend notamment compte d’un taux de mortalité infantile équivalant seulement au tiers de la moyenne de celui des pays de la région et proche du niveau hexagonal. L’espérance de vie moyenne – 75 ans pour les hommes, 81 ans pour les femmes – est désormais proche de celle de la Métropole. De même, l’amélioration des conditions de vie est remarquable dans le domaine du logement et la résorption de l’habitat insalubre, en particulier dans des quartiers populaires péri-urbains de Pointe-à-Pitre et Fort-de-France. Des progrès économiques et sociaux ont été réalisés dans le cadre politico‑institutionnel plutôt favorable de la départementalisation de 1946, dont les traductions effectives, à partir du début des années 1960, ont été incarnées par l’alignement progressif sur les lois sociales de la France métropolitaine2.
9Le statut départemental, synonyme d’assimilation politique à l’Hexagone, a conforté le cadre démocratique et apporté la stabilité et la paix nécessaires au progrès social. L’exercice de la citoyenneté s’est trouvé renforcé, dans ses dimensions juridique, politique et sociale. Il a également favorisé la mobilité des individus au-delà des territoires d’origine, avec le concours de l’État, par le biais du BUMIDOM, lorsque la situation économique l’a exigée. Pourtant, d’autres défis économiques, sociaux et environnementaux sont apparus au cours de cette période, auxquels les systèmes économique et institutionnel originaux mis en place dans les DOM ont eu du mal à répondre. Les déséquilibres de l’économie, et sa dépendance structurelle vis-à-vis de la Métropole, loin de se résorber, se sont accentués.
10Ayant dû faire face, comme le reste de la Caraïbe, à la disparition de l’économie de plantation, les Antilles françaises sont confrontées au défi vital de la diversification économique, où les activités tertiaires jouent un rôle incontournable. Mais, à la différence des sociétés post-industrielles, l’évolution des économies martiniquaise, guadeloupéenne et guyanaise a été marquée par une tertiairisation, caractérisée par une substitution sectorielle sans véritable alternative pour l’emploi, car l’émergence d’un véritable secteur productif endogène n’a jamais vu le jour (Audebert, 2002). L’explosion du secteur tertiaire peut être observée tant au niveau de la progression de sa part relative dans la production que de celle dans l’emploi. Elle est accompagnée d’un net recul de l’activité agricole et de la mutation d’un secteur secondaire dont le destin est, désormais, étroitement lié à celui des activités de services. Dès le début des années 1960, le destin de la production sucrière – qui a rythmé les vies économique et sociale de ces sociétés durant plusieurs siècles – était scellé ; elle fut brutalement réduite de 76 % en Martinique entre 1963 et 1972 (CCI de la Martinique). Sur une trentaine d’années, de 1970 à 2001, les parts des secteurs primaire et secondaire dans la valeur ajoutée martiniquaise sont passées de 15,5 % et 13,7 % à 4 % et 13,9 %. Parallèlement, la part du secteur tertiaire dans la valeur ajoutée est passée de 73,9 % à 82,1 % (Audebert, 2002 ; France. INSEE, 2005).
11Cette crise des productions locales traditionnelles a connu un nouveau tournant au cours de ces dernières années. Les producteurs de banane locaux ne bénéficient plus, depuis 2006, de l’aide compensatoire de l’Union européenne visant à leur garantir un niveau minimal de recette dans le cadre de l’organisation communautaire du marché (OCM) de la banane. Les droits de douane élevés, assortis de contingents à droits réduits ou nuls destinés à favoriser les importations de produits ACP, ont également été remis en cause. Entre 2006 et 2008, la production martiniquaise de banane a, ainsi, été pratiquement divisée par deux. Dans le même contexte de libéralisation du commerce mondial, le renouvellement de l’OCM sucre de l’Union européenne prévoit une baisse du prix du sucre d’un tiers sur quatre ans, compensée par des aides dans un premier temps. Ces développements récents constituent la trame de fond des mouvements sociaux du début de 2009.
12Les dynamiques structurelles de l’économie ont eu des incidences considérables sur l’emploi, dont l’évolution révèle, plus nettement, les mutations contemporaines des DFA. Rassemblant encore près de la moitié de la population active au milieu des années 1950, le secteur primaire a vu son poids relatif se réduire de manière spectaculaire au cours des années suivantes : en Martinique, sa part relative a été divisée par sept en un demi-siècle, et s’avère aujourd’hui inférieure à 6 % (4 % en Guadeloupe). Conséquence de la crise de l’économie de plantation, le nombre des emplois agricoles martiniquais est passé de 43 200 à 6 100 au cours de la deuxième moitié du XXe siècle. Le milieu rural antillais est devenu, dès lors, un pôle de répulsion pour une fraction croissante de la population.
13Mais les emplois de l’industrie et des services n’ont pas pu répondre à la demande de dizaines de milliers d’individus venus tenter leur chance en ville dans les années 1950, 1960 et 1970. À l’image de l’industrie locale, la SARA (Société anonyme de raffinerie des Antilles), principale industrie antillaise en terme de valeur ajoutée, reste peu pourvoyeuse d’emplois : elle réalise 3,1 % du Produit Intérieur Brut (PIB) martiniquais mais n’emploie que 0,2 % de la population active. Liée à l’amélioration des infrastructures, à l’explosion de l’immobilier et à une politique de défiscalisation avantageuse, la construction fournit 40 % de l’emploi dans le secteur secondaire. Dans le même temps, l’importance du secteur tertiaire n’a pas cessé de croître : employant à peine plus du quart des actifs en 1954, les activités de services emploient aujourd’hui quatre actifs sur cinq.
14Quoique partiellement compensée par le « réseau » – système de relations sociales de proximité évitant la transformation de la pauvreté en désaffiliation – et des mécanismes plus récents de péréquation financière (Lucrèce, 1998), l’absence de perspectives liée à un secteur productif peu développé s’est incarnée dans un processus de dualisation du marché de l’emploi, de précarisation et de marginalisation d’une partie de la population. Le chômage officiel est partout supérieur à 25 % – plus du double chez les moins de 30 ans – et si la diversification de l’activité tertiaire semble refléter la modernisation des économies, elle cache mal les disparités sociales dont elle est génératrice. D’un côté, plus du quart de la population active exerce dans la fonction publique, jouissant de la stabilité d’un emploi à vie, d’une rémunération régulière (mensuelle) – y compris en période de congés – intégrant une prime de 40 %, qui gonfle artificiellement le niveau de vie des fonctionnaires. Le niveau de vie des agents de l’Éducation nationale et de la Santé est ainsi, en moyenne, de 33 % supérieur à celui du reste de la population active aux Antilles et en Guyane.
15De l’autre, le secteur tertiaire marchand apparaît marqué par le dynamisme de branches caractérisées par l’informalité et la précarité de l’emploi et l’inégalité des rémunérations. Les emplois de services aux ménages, ceux du secteur tertiaire qui ont le plus progressé, sont caractérisés par un niveau de revenu trois fois inférieur à celui du marché de l’emploi antillais en moyenne. Les emplois commerciaux et de services aux particuliers, les moins bien rémunérés et les plus instables, sont précisément ceux qu’on retrouve le plus souvent dans les petites annonces. Notre relevé systématique des offres d’emploi proposées dans le premier hebdomadaire de petites annonces martiniquais avait déjà montré, en 2000, que près de la moitié concernaient des emplois de commerciaux généralement rémunérés à la commission et non déclarés. Un cinquième concernait des emplois de services ménagers à temps partiel et dans la restauration rapide (Audebert, 2002). Les jeunes Antillais et Guyanais arrivant sur le marché du travail se trouvent dans une impasse, et plus du quart est confronté à un chômage n’épargnant pas les plus diplômés.
- 3 Des générations entières d’Antillais n’ont pas eu d’autre alternative que d’émigrer pour tenter de (...)
16Cette situation est d’autant plus mal ressentie dans la jeunesse qu’à la faveur d’une démocratisation de l’accès aux enseignements secondaire et supérieur, le nombre de diplômés entrant sur le marché du travail a connu une explosion à laquelle le marché de l’emploi n’a pas pu répondre. Parallèlement, le sentiment des jeunes actifs locaux que leurs compétences ne sont pas reconnues sur place, que leurs projets de création d’entreprise ne reçoivent que peu d’échos auprès des instances locales, et que l’innovation n’est pas une qualité valorisée, constitue une source supplémentaire de frustration3. La sous-représentation des autochtones dans les positions stratégiques et les mieux rémunérées – postes d’encadrement dans les secteurs public et privé – a conduit les jeunes diplômés locaux à s’interroger sur leurs chances d’insertion et d’ascension professionnelles. De même les multiples barrières à la création d’entreprises sur place, comme l’inexplicable blocage au financement bancaire, traduisent une réelle crise de confiance locale envers les jeunes entrepreneurs.
17Face aux mutations socio-économiques antillaises, caractérisées par une forte pression démographique sur une économie marquée par la réduction rapide de l’emploi productif, les pouvoirs publics ont, dès les années 1960, fait le choix de perpétuer la dépendance structurelle (Jalabert, 2007 ; Desse et Jalabert, 2007). Tandis que l’État a répondu à ce défi par l’organisation institutionnelle de l’émigration, la fonctionnarisation de la population active, la défiscalisation et une politique de transferts sociaux, les acteurs locaux ont réorganisé leurs activités sans remettre en cause leur dépendance vis-à-vis de marchés extérieurs, devenus volatiles, comme le tourisme et la banane.
18Le cadre institutionnel des DOM américains a déterminé l’orientation quasi exclusive des flux migratoires vers la Métropole et, ce faisant, a favorisé l’émergence et la pérennité de couples migratoires. Dans le cadre de ces relations bipolaires, l’articulation entre le contexte géopolitique et les stratégies économiques nationales apparaît particulièrement signifiante dans l’explication du fait migratoire contemporain. L’organisation institutionnelle de la migration par l’État a encouragé l’émigration antillo-guyanaise de masse, avec notamment pour objectif de faciliter son insertion professionnelle. Il s’agissait de résoudre partiellement le problème de l’emploi lié à la crise de l’économie de plantation et à la pression démographique tout en répondant de manière pragmatique aux besoins non satisfaits de l’administration française en travailleurs peu qualifiés. À cet effet, un Bureau pour les migrations intéressant les Départements d’Outre-mer (BUMIDOM) a été créé en 1961 pour organiser le recrutement peu onéreux de travailleurs ultramarins. La moitié de la population antillaise avait alors moins de 20 ans. Partiellement lié à l’organisation institutionnelle de la migration, l’effectif des natifs des Antilles et de la Guyane en France hexagonale a été multiplié par treize entre 1954 et 1999, passant de 17 500 à 227 000 personnes (Marie et Rallu, 2004, p. 251).
- 4 Le taux de couverture des importations par les exportations est passé en Guadeloupe et en Martiniq (...)
19Dans le même temps, face à la crise de l’économie de plantation et dans le cadre de la départementalisation, le choix politique opéré fut celui du statu quo, sous la forme d’un compromis entre, d’un côté, l’octroi des moyens d’accéder à la société de consommation et, de l’autre, celui de la reproduction des situations d’oligopoles et de la dépendance commerciale, reprenant un schéma hérité de l’époque coloniale. La vieille logique mercantiliste, qui a historiquement découragé les activités de transformation au profit de la production brute, explique la position actuelle désavantageuse des économies antillaises dans la production de valeur ajoutée. Des exportations à faible valeur ajoutée, conjuguées à des importations de biens de consommation onéreux, rendent compte dans une large mesure du déséquilibre commercial structurel de ces territoires4. La perpétuation des situations de rente constitue un autre héritage colonial. Une poignée de grandes familles békées (blanches créoles) détient ainsi la moitié de la superficie des terres agricoles et 40 % des grandes surfaces de la Martinique.
20Plutôt que de favoriser le développement d’activités productives sur place, l’État a opté pour la création massive d’emplois publics et pour une politique de transferts sociaux à grande échelle. Le service public a ainsi vu son poids relatif tripler dans l’emploi antillo-guyanais entre 1960 et 2000. En Martinique, par exemple, le nombre de fonctionnaires est passé de 24 000 à 48 000 au cours du dernier quart du XXe siècle. En outre, dans une logique d’ajustement social des DOM par rapport à l’Hexagone, l’État a mis en place une politique de transferts sociaux aboutissant à un paradoxe, celui d’un niveau de vie croissant malgré la persistance d’un fort chômage et d’une pauvreté des ménages toujours très supérieure à celle de la métropole (tabl. 1).
Tableau 1 – Part des ménages à bas revenus aux Antilles et en Guyane françaises et en Métropole (selon le seuil de revenu métropolitain) en 2006 (en %)
(Source : Forgeot et Celma, 2009)
- 5 Sources : Caisse Générale de Sécurité Sociale (CGSS), Caisse des Allocations Familiales (CAF), Ass (...)
- 6 Le nombre d’allocataires du RMI (revenu minimum d’insertion) pour 1 000 personnes de 20 à 59 ans é (...)
21La santé, le chômage et la famille sont restés les priorités de la politique sociale et les prestations, qui y sont liées, constituent l’essentiel des transferts enregistrés. Leur volume a été multiplié par quatre au cours des deux dernières décennies du XXe siècle5. Ces prestations, ajoutées à l’entrée en vigueur du SMIC (Salaire minimum interprofessionnel de croissance) et du RMI (Revenu Minimum d’Insertion) rendent partiellement compte d’une progression de moitié du revenu disponible des ménages aux Antilles entre 1985 et 1995. Leur évolution témoigne aussi d’une singulière dépendance de leur niveau de vie vis-à-vis de politiques publiques keynésiennes plutôt que d’un développement endogène, basé notamment sur un secteur productif diversifié. La promotion d’un modèle de société privilégiant la consommation de masse et son principal instrument, l’accès facilité au crédit, ont ainsi accru la dépendance financière des ménages : aux Antilles, leur taux d’endettement est trois fois plus élevé que dans l’Hexagone. De même, le rapport Rmistes/actifs est nettement plus élevé6.
- 7 Voir : Contrat de projet État – Région-Département, Martinique, 2007-2013.
22Les collectivités locales (Conseils régionaux et généraux), qui disposent depuis la Loi de Décentralisation de 1982 de davantage de marge de manœuvre en termes de gestion et de politique économiques, sociale et territoriale, n’ont pas pour autant contribué à infléchir les tendances lourdes observées (Jalabert, 2007). Les contrats de projets entre l’État, les Régions et les Départements tentent néanmoins de rectifier le tir en accordant davantage de champ dans leur politique aux questions environnementales, patrimoniales, à la recherche, à l’innovation technologique et à la cohésion sociale et territoriale7.
23Souhaitant valoriser les avantages, liés aux contextes géopolitique (appartenance à la France et à l’Union européenne) et géographique (terres françaises dans la Caraïbe, proximité du marché touristique états-unien), les collectivités et les milieux d’affaires locaux ont fait le pari du développement touristique et de l’exportation de la banane à la faveur de marchés européens préférentiels. Cette stratégie de dépendance vis-à-vis de marchés en réalité volatiles – parce qu’eux-mêmes dépendants des contingences géopolitiques et économiques internationales – s’est avérée risquée à moyen terme. Nous avons déjà signalé que l’accès privilégié des planteurs de banane antillais au marché communautaire européen avait été remis en cause, hypothéquant le devenir de cette production. Les fluctuations de la fréquentation touristique – 16 000 touristes quotidiens en 1993, 24 000 en 1998, 17 000 en 2001 en Martinique – font prendre conscience aux autorités et aux investisseurs de la nécessité de diversifier leurs priorités sectorielles. De fait, la faible diversification économique des DFA les place dans une situation de grande vulnérabilité par rapport à la conjoncture internationale, ce que traduit le déséquilibre croissant de leur balance commerciale.
24Les mutations économiques et le double mouvement de tertiairisation et d’urbanisation qui en a résulté ont eu des effets sur le lien social et le rapport au territoire. Ils posent des enjeux environnementaux et identitaires nouveaux. Les géographies économique et sociale de ces sociétés insulaires en ont été remarquablement bouleversées.
Le système de péréquations financière et sociale entre la Métropole et les DFA explique le paradoxe selon lequel la vulnérabilité des économies et le rapport problématique à l’emploi pour une part croissante des populations ne sont pas nécessairement synonymes d’exclusion de la société de consommation. Les Antilles et la Guyane françaises ont été marquées par une entrée rapide dans la consommation de masse, accompagnée de la montée de l’individualisme et de la motorisation importante des ménages. La démocratisation de l’automobile a permis une accélération et une généralisation de la mobilité des ménages et des individus dans l’espace, élargissant l’éventail des possibilités de localisation résidentielle. Sur fond de tertiairisation, ces tendances lourdes ont été accompagnées de nouveaux rapports au territoire et ont renforcé les déséquilibres spatiaux.
La crise agricole a tout d’abord eu des répercussions durables sur le nord de la Martinique, à Marie-Galante, sur le nord de la Grande-Terre et le nord de la Basse-Terre en Guadeloupe, qui n’ont pas réussi à compenser les pertes d’emplois par un développement significatif du tourisme vert ou de petites industries locales. Les déficits d’emplois tertiaires et d’équipements ont fait de ces espaces des pôles de répulsion, notamment pour les jeunes. Parallèlement, l’explosion du secteur tertiaire a profité aux agglomérations centrales et, dans une moindre mesure, aux régions touristiques. Le tertiaire marchand, en particulier, a rapidement progressé et ce secteur, qui rassemble désormais la moitié des populations actives des DFA, localise ses emplois pour l’essentiel dans ou à proximité des agglomérations centrales (Desse, 1995). Les inégalités spatiales en sont d’autant plus renforcées et la césure plus nette, entre zones bénéficiaires et « périphéries » délaissées.
Mais la croissance et la polarisation de ces agglomérations, concentrant la majorité des activités tertiaires, industrielles et artisanales ainsi que 40 % de la population, se sont aussi manifestées dans un deuxième temps par la diffusion de l’urbanisation le long des axes de communication principaux ou en tâches d’huile dans les campagnes. Ce mouvement plus récent, en réaction à la congestion et à la surpopulation des villes-centres, se matérialise par l’irruption de l’urbain en milieu rural. En Martinique, le rapport surfaces urbanisées/surfaces non urbanisées dans les communes à proximité de Fort-de-France (Schœlcher, Lamentin, Ducos) est désormais supérieur à 1. L’urbanisation s’étend rapidement à proximité des grands axes et le mitage de l’espace rural, par le bâti individuel et les zones commerciales, s’accélère dans les quartiers ruraux des communes de la façade Atlantique. En Guadeloupe, le même phénomène est observable dans les communes périphériques de l’agglomération pointoise (Gosier, Baie-Mahault) et s’étend rapidement sur l’axe touristique Sainte-Anne/Saint-François et sur l’axe littoral Baie‑Mahault/Basse-Terre.
La crise agricole, conjuguée à la diffusion des bâtis résidentiel, commercial et infrastructurel, a engendré une nette contraction de la surface agricole utilisée. En Martinique, cette surface est passée de 52 100 ha en 1973 à 25 000 ha aujourd’hui. L’exiguïté des territoires micro-insulaires antillais, qui supportent une pression démographique trois fois supérieure à celle de l’Hexagone (bien davantage si l’on ne tient compte que des surfaces habitables), les rend particulièrement vulnérables d’un point de vue environnemental, d’autant que la spéculation foncière est encouragée par la déréglementation et un cadre législatif incitant à la construction. Le recul des terres cultivables s’est inscrit dans un mouvement de modernisation qui a été opéré au détriment des petits agriculteurs et au profit d’une concentration foncière favorisant quelques cultures d’exportation. La conjoncture a été plus favorable à la moyenne exploitation, qui a bénéficié simultanément de la disparition de nombreux petits agriculteurs et du démantèlement de grandes exploitations.
À travers ces deux dynamiques concomitantes de tertiairisation/urbanisation et de déprise rurale/mutations agraires, les transformations spatiales, dont il est question ici, posent des questions plus fondamentales dans le domaine environnemental, avec des implications sociétales majeures en termes d’écologie, de santé publique et de dépendance alimentaire. Il ne s’agit évidemment pas ici de traiter de l’ensemble de cette question qui mériterait en soi un article. Nous nous contenterons d’évoquer trois enjeux révélateurs des relations entre les mutations économiques évoquées, les dynamiques spatiales et le défi environnemental.
Les modes contemporains de localisation de l’habitat, liés à la sortie de la société de plantation, à la densification des quartiers péri-centraux des agglomérations principales, à la localisation croissante des résidences à proximité des principales voies de communication littorales et dans les zones inondables des bourgs côtiers et au non-respect de la loi sur les « cinquante pas géométriques », posent un premier enjeu environnemental. Celui-ci réside dans la concentration des populations dans les zones littorales à risque, où la densification du bâti contribue à l’imperméabilisation des sols. En cas de séisme majeur ou de raz-de-marée, les quartiers populaires de Fort-de-France ou de Pointe-à-Pitre seraient particulièrement exposés, qu’il s’agisse d’anciennes zones marécageuses et inondables (Volga Plage, Terres Sainville, Texaco, Carénage) ou de vastes quartiers très peuplés à flanc de colline (Trénelle).
- 8 Ce lien a déjà été mis en évidence aux États-Unis. À la demande des lobbies des grands planteurs l (...)
Le deuxième enjeu est relatif aux implications écologiques des mutations des modes de production des cultures d’exportation : leur intensification, à des fins productivistes, a accompagné – et surtout conditionné – la réduction des surfaces agricoles. L’emploi d’intrants et de pesticides dangereux dans les cultures bananières a joué un rôle essentiel dans ce processus, et a eu des incidences considérables sur les écosystèmes et la santé des populations. L’emploi du chlordécone, pendant de nombreuses années, hypothèque aujourd’hui dans une certaine mesure les possibilités de diversification agricole et de retour aux cultures vivrières sur les meilleures terres des deux îles. Le problème de la dépendance alimentaire se pose avec encore davantage d’acuité qu’avant. En terme de santé publique, la question du lien entre l’emploi de ce pesticide et le taux anormal de cancers de la prostate – l’un des plus élevés au monde – est de plus en plus débattue8.
Le troisième enjeu a trait aux implications géographiques locales de la mise en place d’une société de consommation, entièrement dépendante des importations. Les zones de mangrove comptent aujourd’hui parmi les premières zones d’expansion et de multiplication des lieux d’approvisionnement en biens de consommation, que sont les zones commerciales et les hypermarchés (Lamentin, Ducos et Rivière Salée en Martinique, Jarry en Guadeloupe). C’est en fait, de manière plus générale, les poumons économique, commercial (zones marchandes) et infrastructurel (aéroports) des deux îles qu’ont « accueilli » ces milieux naturels fragiles. Ces derniers sont les théâtres des conflits d’intérêts entre de multiples acteurs – investisseurs, décideurs locaux, associations de protection de l’environnement, etc. – dont l’actualité est notamment illustrée par le bras de fer entre les organisations écologistes et un groupe de la grande distribution locale sur la construction d’un hypermarché dans la mangrove de Génipa en Martinique. La réduction de ces espaces naturels comme une peau de chagrin – a fortiori dans des territoires insulaires confinés et vulnérables – est préoccupante, quand on connaît leur rôle dans la reproduction de la vie pélagique ou dans la protection naturelle du littoral face aux assauts récurrents de la houle.
25Les transformations économiques, sociales et spatiales décrites apparaissent caractéristiques d’un passage sans transition – sans mise en place d’un tissu productif conséquent et structurant – d’une société à dominante agricole (plantation) à une société de consommation de masse, marquée par l’hypertrophie de l’économie de services. Ces mutations spectaculaires ont été rendues possibles par des transferts sociaux massifs et la « fonctionnarisation » artificielle de la société. Aux Antilles françaises, elles ont eu pour traduction territoriale la constitution d’« îles urbaines », où le bâti s’est développé jusque dans les zones les plus reculées. Le schéma d’urbanité « éclatée », qui en a résulté, s’est paradoxalement opéré contre la ville, puisque les villes-centres ont été en partie désertées par leurs habitants, par leur clientèle et par leurs commerces au profit des nouveaux lotissements et hypermarchés fleurissant en périphérie. Ce processus est caractérisé par le passage d’un espace, où les environnements urbain et rural sont bien distincts, à un territoire marqué par la diffusion de l’urbanité en milieu rural et la périphérisation des centres et des lieux de consommation, qui deviennent aussi des lieux de sociabilité. La dynamique est accentuée par la construction de lotissements par les familles dans des sections rurales, à la faveur de l’indivision foncière.
26Les trois dynamiques sociétales majeures accompagnant la tertiairisation des DFA que sont la fonctionnarisation, l’hyperconsommation et l’éclatement de l’urbain nourrissent une déstructuration et une recomposition du tissu social s’incarnant dans la montée de l’individualisme et la dilution des valeurs traditionnelles, héritées de la plantation. Ces valeurs d’entraide et de solidarité, empreintes d’un fort contrôle social, se déployaient dans les sphères familiale, amicale et du voisinage, conférant une réelle identité aux quartiers urbains, aux communes, et aux « quartiers » et « sections » rurales. Les valeurs et modes de vie traditionnels ont survécu plusieurs décennies à la société de plantation, notamment grâce à leur transplantation dans les quartiers populaires de Fort‑de‑France, Pointe-à-Pitre/Les Abymes et Cayenne, accueillant les déracinés du monde rural. L’entraide animant ces quartiers péricentraux défavorisés a, par exemple, été symbolisée par la pratique du koudmen, qui a permis grâce à la solidarité de voisinage de construire et d’améliorer l’habitat de quartiers entiers sans l’aide de professionnels. Le koudmen est à l’origine de liens très étroits entre les familles de ceux qui y ont participé (Audebert et Saffache, 2002).
- 9 À ce propos, l’émigration institutionnalisée des années 1960 et 1970 a souvent été vécue par les j (...)
27Le net recul des valeurs et pratiques traditionnelles, en décalage avec les nouvelles valeurs de la société de consommation et la généralisation d’un individualisme très poussé, s’accompagnent de la remise en cause des solidarités familiales et de voisinage classiques et de la contraction du système de relations sociales de proximité. Entretenues originellement par un contexte de pauvreté, d’illettrisme et de nécessaire refuge dans l’informalité, ces pratiques sociales structurantes sont en rapide régression avec la hausse du niveau de vie et une scolarisation désormais généralisée, rendant possible l’autonomisation des stratégies sociales, résidentielles et affectives des ménages vis-à-vis de la famille9. Au cours de la deuxième moitié du XXe siècle, le recul du poids de la famille et la remise en question du contrôle social collectif, notamment sur les plus jeunes, ont rendu problématique la transmission des formes d’héritage culturel les plus traditionnelles.
28Ils ont aussi favorisé une relative désolidarisation entre les générations, au sein et hors de la structure familiale. Forme de désolidarisation extrême, nouvelle et de plus en plus répandue, la rupture familiale s’est avérée propice au développement d’un contexte inédit de désocialisation, expliquant en partie l’ampleur sans précédent de l’errance, de la mendicité, voire de la consommation de drogues dures (crack). La relativisation des valeurs familiales, s’incarnant dans le délitement de l’autorité maternelle et du respect des aînés, se traduisent dans d’autres sphères de la vie sociale comme le milieu scolaire, par une défiance vis-à-vis de l’autorité et des comportements considérés comme « asociaux » au sein d’une partie de la jeunesse à la recherche de nouveaux repères.
29Le déficit collectif de confiance en l’avenir, dans le contexte d’une économie de services dépendante et assistée, se traduit par une crispation et une « fuite en avant » identitaires. Face aux difficultés à exister et à se reproduire que rencontrent les attributs objectifs de l’identité antillaise – en particulier la langue créole dans un contexte diglossique – sa dimension subjective est sollicitée de manière croissante. La mise en forme discursive, à des fins mémorielles, d’un lien entre les conditions sociales présentes et l’histoire de la colonisation et de l’esclavage apparaît comme un élément majeur de cette construction identitaire. Elle s’est même, récemment, muée en catalyseur pour l’action sociale, mais elle porte, en même temps, le risque de nourrir le ressentiment et la xénophobie.
30Fondés sur une conception idéologique de la société et de l’histoire antillaises, les discours d’une partie des mondes syndical, politique, littéraire, voire universitaire, se cristallisent sur des schémas de stratification socio‑phénotypiques classiques, mais en partie dépassés ou au moins relativisés par les mutations sociales contemporaines. Les débats, initiés ou ravivés lors de commémorations telles que le cent-cinquantenaire de l’abolition de l’esclavage (1998) ou celui de l’arrivée des Indiens aux Antilles françaises (2003), ont davantage tourné autour de la polarisation des rapports sociaux – réelle et fantasmée – que de celle d’un projet identitaire collectif incluant toutes les composantes de la société.
- 10 Le slogan du Lyannaj kont pwofitasyon (en français: rassemblement contre les abus) « La Gwadloup s (...)
31Une dimension de cette crispation identitaire réside dans une certaine forme de repli sur soi, marquée par une relation à l’Autre sur le mode du conflit. Elle s’exprime dans les relations de travail et dans des secteurs stratégiques, comme le tourisme, et influe sur les rapports sociaux, comme l’illustre la relation à maints égards problématique au cadre ou au touriste métropolitain. Les grèves du début de l’année 2009 aux Antilles, en réaction à l’inégale répartition des richesses et au coût élevé de la vie, révèlent à travers leurs slogans la nature de la perception de ces rapports sociaux ethnicisés, avec néanmoins quelques nuances selon les spécificités historiques et sociales de chaque société considérée. En Guadeloupe, le slogan du Lyannaj kont pwofitasyon (LKP) a renvoyé à la représentation de relations asymétriques entre le peuple guadeloupéen, d’une part, et, d’autre part, le patronat et les forces de l’ordre, perçus comme étant majoritairement d’origine allochtone. En Martinique, en revanche, les slogans ont plutôt mis en exergue la problématique des rapports sociaux internes à la société locale plutôt que celle des rapports avec la Métropole10.
32En même temps, la relation au travailleur étranger des pays voisins révèle l’ambivalence des relations avec la Caraïbe. La virulence de la « chasse aux Haïtiens » en Guadeloupe révèle les relations paradoxales de proximité (historique, musicale, linguistique) et de distance – image politique, économique et magico-religieuse renvoyée par Haïti – qu’entretiennent les peuples des DFA avec la première République noire (Audebert, 2004). Les stéréotypes nourris à l’endroit des Sainte-Luciens en Martinique, des Dominiquais en Guadeloupe, et des Surinamiens en Guyane participent, à des degrés divers, de la même logique.
- 11 Cette forme de dépendance « coloniale moderne » (Jalabert, 2003) a en effet pour originalité le ma (...)
33La prépondérance des valeurs consuméristes, dans le contexte institutionnel d’une relation de dépendance « déresponsabilisante »11, consacre le primat de l’individuel sur le collectif. S’ils mettent en lumière certaines contradictions sociétales majeures, les référents identitaires et discours idéologiques, produits en réaction à ce « modèle » dominant, ne constituent de fait que des réponses partielles aux défis auxquels sont confrontés les départements français d’Amérique. La question institutionnelle, rapidement évacuée en 2003, reste d’actualité et ne peut se penser que dans le cadre d’une réflexion sur la nécessaire redéfinition des rapports à l’histoire, à l’identité et au territoire.
34L’assimilation juridique et administrative des terres françaises d’Amérique liée à leur statut de Départements d’Outre-mer s’est accompagnée d’une assimilation sociale et d’une assimilation économique, certes marquées par une hausse du niveau de vie et des indicateurs sociaux. Mais elles se sont aussi traduites par le déclin préoccupant d’activités productives, à un tel point que la commande publique est devenue le moteur de l’activité économique. Nous avons déjà fait état des effets pervers – dépendances économique et commerciale structurelles, chômage massif – de ce système institutionnel que les élus locaux avaient appelé de leurs vœux à la suite du Deuxième Conflit mondial. Ayant privilégié la péréquation financière au détriment du développement d’un tissu productif endogène, ce « modèle » institutionnel paraît aujourd’hui dépassé, car incapable de répondre aux enjeux économiques récurrents dans les DFA. Dans le cadre du marché commun européen, fondé sur le libre-échange mais aussi sur une fiscalité spécifique, les handicaps structurels des DFA, auxquels s’ajoutent des coûts de production élevés grevant la compétitivité, rendent illusoire l’essor local d’un tissu productif diversifié.
- 12 Pour reprendre la belle expression du « Manifeste de neuf intellectuels antillais pour « des socié (...)
35Toute nouvelle réflexion statutaire devra prendre en compte les deux préoccupations socio-économiques fondamentales que nous avons abordées dans le cadre de la départementalisation. Il s’agit de trouver des réponses au chômage, lié à l’absence d’activités productives, tout en préservant l’essentiel des acquis de l’assimilation sociale – qu’il s’agisse du droit social ou de certains transferts sociaux fondamentaux. Le défi réside dans la capacité à imaginer un cadre institutionnel plus souple conciliant deux aspects : d’une part, le développement local d’activités productives de substitution à l’importation en permettant un protectionnisme temporaire dans certaines branches stratégiques tout en garantissant une libre exportation des produits vers l’Union européenne ; et, d’autre part, le maintien des acquis sociaux les plus fondamentaux. De ce point de vue, certains auteurs imaginent une « insularité à la carte », rompant avec l’assimilation législative de la départementalisation tout en préservant une certaine forme d’« assimilation » sociale (Michalon, 2002 ; Lise et Tamaya, 1999). Il est vrai que la question du déficit de pouvoir local revient sur le devant de la scène de manière récurrente. La quête de sens collectif, relayée par les mouvements populaires récents, et le désir de « faire peuple »12, en phase avec les réalités culturelles et identitaires de ces collectivités historiques que sont les sociétés antillaises, sont imparfaitement incarnés par les instances locales. À maints égards, ces dernières s’apparentent à des instances de fonctionnement et de gestion validant des décisions prises à 7 000 km et peu propices à l’invention de solutions applicables localement.
36Le mouvement social populaire de janvier-février 2009 aux Antilles s’est inscrit dans ce contexte, sur la base de revendications relatives à la question du pouvoir d’achat et de la baisse de prix, avec en toile de fond les thèmes du dialogue social et de la gouvernance. À partir d’une revendication faisant l’unanimité au sein de la population guadeloupéenne, la baisse du prix de l’essence, une manifestation le 16 décembre 2008 a été le point de départ de la structuration d’un vaste mouvement de mobilisation – le LKP – rassemblant une trentaine d’associations et syndicats. Devant l’immobilisme des pouvoirs publics, une grève illimitée des gérants de stations-services fut lancée le 19 janvier 2009, suivie d’une grève générale, à l’initiative du LKP, le lendemain. S’en sont suivi cinq semaines de tensions croissantes, avec une extension du mouvement à la Martinique. Un accord interprofessionnel sur l’augmentation des bas salaires a finalement signé l’arrêt du mouvement, le 26 février.
37Ces événements inédits ont mis en exergue les limites d’un cadre politique dépassé et ont donc été prolongés, de fin mars à juillet, par la tenue d’États généraux de l’Outre-mer, autour de huit thèmes : prix et pouvoir d’achat, productions locales, développement durable, dialogue social, gouvernance, intégration dans l’environnement régional, égalité des chances et insertion des jeunes, culture et identité. Au final, la question de la reconnaissance des identités locales et de la multiplicité des histoires et cultures au sein de la République, celle d’une responsabilité croissante des acteurs locaux dans la gestion des affaires locales, celle d’un développement, conçu comme endogène et durable, et l’idée d’un État assurant davantage son rôle de régulateur, sont apparues comme les idées fortes de ces États généraux. La loi pour le développement économique des Outre-mers du 27 mai 2009 prévoit, en outre, la création de zones franches d’activités offrant des abattements de 50 % des bases d’impôts sur les bénéfices, de taxes professionnelle et foncière sur les propriétés bâties, plafonnées à 150 000 € par an.
38Les Lois de Décentralisation de 1982 et 2004, la Loi d’Orientation pour l’Outre-mer de 2000, et la révision de la Constitution en 2003, vont toutes dans le sens de davantage d’autonomie pour les collectivités locales. La réforme constitutionnelle de mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République a offert de nouvelles perspectives d’évolution à ces territoires. La création de collectivités territoriales dotées d’un statut particulier et la modification de leur organisation sontnotamment rendues possibles via la consultation électorale (Article 72-1). Les Lois et règlements peuvent faire l’objet d’adaptations tenant compte des particularités de ces collectivités, tandis que celles-ci peuvent, à leur demande, être habilitées par la Loi à fixer elles-mêmes les règles applicables sur leur territoire (Article 73). L’Article 74 prévoit la possibilité d’un nouveau statut, octroyant une plus large autonomie assortie de la mise en place de Lois spécifiques, dont les mesures devraient être financées par des moyens propres.
- 13 Lors du Conseil des Ministres du 10 novembre 2009, il avait été décidé que les populations seraien (...)
39Dans le prolongement des mouvements sociaux récents, ce nouveau cadre législatif a été mis à profit par les décideurs locaux martiniquais et guyanais pour demander l’organisation de référendums les 10 et 24 janvier 201013. Les consultations ont été l’occasion d’intenses débats, révélant la diversité des approches au sein de la classe politique locale, quant au futur des deux territoires. Une première approche a défendu le maintien du principe d’identité législative, garanti par l’Article 73, considérant comme essentielle l’application de plein droit des Lois républicaines et des ressources financières nécessaires à leur application dans les DOM. Le passage, dans le cadre de l’Article 74, a été dénoncé comme la porte ouverte à une application décalée ou différenciée des Lois sociales en vigueur en Métropole. En effet, l’Article 74 prévoit que ces Lois ne s’appliqueraient que si la Loi organique le décide, après consultation de l’Assemblée locale. Une autre crainte réside dans l’accompagnement des transferts de pouvoirs de souveraineté, avec l’obligation de financer les nouvelles charges locales par des ressources propres. En outre, la consultation référendaire a pu être perçue, localement, comme une stratégie du Gouvernement pour réduire ses dépenses en Outre-mer, dans un contexte de fort endettement public de l’État.
40A contrario, une seconde approche a salué le cadre de l’Article 74 comme une opportunité inédite d’adapter la législation française, avec la promulgation de Lois spécifiques tenant compte des réalités locales, voire de ne pas appliquer certaines Lois françaises jugées inadaptées. Le thème de la préférence locale a largement inspiré les arguments des tenants de cette approche qui a notamment mis l’accent sur les quotas à l’importation, le contrôle du commerce extérieur et de la politique douanière, la protection du foncier et le contrôle de l’accès à l’emploi. Cet aspect de la question a fait l’objet de vives discussions, sur les risques de développement de politiques incompatibles avec le maintien au sein de l’Union européenne, ou le risque d’une contraction des transferts de l’État dont dépendent pour moitié les dépenses publiques locales.
41Le référendum sur l’évolution statutaire vers l’Article 74, organisé le 10 janvier 2010 en Martinique et en Guyane, a abouti à un rejet massif de cette éventualité : les électeurs martiniquais et guyanais ont voté respectivement à 79 % et 70 % en faveur du statu quo. En revanche, lors du référendum du 24 janvier 2010, proposant une Collectivité et une Assemblée unique dans le cadre de l’Article 73, le « oui » à la mise en place d’une Assemblée unique se substituant aux Conseils général et régional – simplifiant le dispositif institutionnel en vue d’une meilleure efficacité des politiques publiques – l’a emporté à 68 % en Martinique et à 57 % en Guyane. Après le décalage entre le positionnement des populations et celui de leurs élus, révélé lors des mouvements sociaux de début 2009, les résultats des deux référendums apparaissent comme un nouveau signe de la crise de confiance des populations vis-à-vis de la majorité de la classe politique.
- 14 Les mouvements populaires de 2009 avaient notamment pour dessein d’interpeller l’État sur son atti (...)
- 15 Dans les DFA, qu’on pourrait aussi appeler RFA, les Conseils général et régional se côtoient et se (...)
- 16 Les mesures successives de défiscalisation dans le secteur immobilier constituent de ce point de v (...)
42Quoique nécessaire, l’évolution institutionnelle ne saurait cependant constituer en soi une réponse aux blocages et évolutions sociétales mal maîtrisées des DFA. La question se pose, plus fondamentalement, en terme de choix de société, transcendant les options institutionnelles et mettant l’État14, comme les décideurs locaux, face à leurs responsabilités. Eu égard à la nécessité de l’utilisation optimale de ressources financières à des fins productives dans l’intérêt du plus grand nombre, et non de logiques partisanes, on peut s’interroger sur le maintien d’une administration pléthorique et dupliquée15, destinée à maintenir la paix sociale, et ayant notamment pour effet le maintien de réseaux locaux d’allégeance et de cooptation. On peut également s’interroger sur l’affectation de ressources colossales à des secteurs condamnés, ou l’octroi de privilèges fiscaux à des activités déjà rentables, sans impact durable sur le développement de l’emploi et d’activités productives, et aux incidences environnementales mitigées16. Que dire du maintien anachronique de ladite « prime de vie chère » de 40 %, de ses effets inflationnistes et de son impact sur le coût de la vie et sur les inégalités sociales et salariales qu’elle implique entre fonctionnaires et travailleurs du privé ? La question du projet sociétal doit assurément précéder celle du projet institutionnel.
43Aux Antilles et en Guyane françaises, un projet sociétal cohérent, indissociable de la question identitaire, et emportant l’adhésion des populations, ne peut pas se penser sans une prise en considération de la relation historique multiforme avec l’Hexagone. La prise en compte de cette relation, de type centre/périphérie, marquée par l’intégration économique et la pénétration des modes de vie et des modèles culturels, apparaît comme un point de départ essentiel, ne serait-ce que pour la dépasser. En effet, le cadre de cette relation de dépendance explique que la construction de l’être antillais et guyanais se soit en partie faite en fonction des représentations projetées sur lui par la Métropole, conduisant éventuellement au déni de soi (Césaire, 1955, 1956 ; Fanon, 1971). Non dénuée d’incidence sur la perception de soi, cette construction identitaire complexe s’est, à maints égards, inscrite en contradiction avec les réalités sociales et culturelles antillaises et guyanaises.
44Tout dessein collectif doit tenir compte de l’évolution du monde contemporain dans lequel les DFA s’inscrivent et dont ils reçoivent les influences. Celles-ci sont traditionnellement le fait de réseaux transatlantiques, qui par les produits importés, les médias, les touristes, et les migrants de retour, véhiculent les images et valeurs de l’Hexagone. Mais, au sein d’une partie de la jeunesse, elles sont aussi le fait des quartiers urbains populaires états-uniens et caribéens (jamaïcains), dont le système de commercialisation musicale consumériste a largement contribué à diffuser les valeurs. Au-delà des effets de mode, ces influences s’exercent dans le domaine artistique et portent la conscience d’une solidarité de destin des peuples noirs, réelle ou fantasmée.
- 17 Notamment la mise en phase des besoins et modes de consommation avec les conditions environnementa (...)
- 18 Les récents manuels d’histoire et de géographie à destination de l’enseignement secondaire antillo (...)
45Au-delà des discours fantasmatiques et de la sensibilité à une culture « marchandisée », inspirée de groupes marginalisés sur le plan social mais devenus sources d’identification, l’intérêt et le sens des nouvelles tendances analysées résident dans deux préoccupations identitaires indissociables. Il s’agit, d’une part, de trouver des réponses alternatives à l’assimilation et au consumérisme et, d’autre part, de construire un imaginaire caribéen, en réactivant des liens concrets ou symboliques avec les îles voisines. Il s’agit plus généralement de réintroduire du collectif face à un individualisme érigé en dogme, depuis une trentaine d’années, et de penser un « modèle » économique en phase avec les réalités locales17. De ce point de vue, les institutions scolaire et universitaire ont un rôle essentiel à jouer dans la formalisation du lien social et de l’éducation citoyenne. Un des défis majeurs des programmes scolaires aux Antilles et en Guyane réside dans la construction d’un rapport éclairé et dépassionné à l’Histoire, susceptible de permettre aux nouvelles générations d’appréhender leur identité comme évolutive et fondamentalement relationnelle18 à l’instar du « rhizome » (Glissant, 1990). Cela nécessite une claire conscience de la part à faire entre la dynamique identitaire – inclusive, relationnelle et processuelle – et l’identité – figée, fragmentaire. De même, l’ouverture des étudiants sur leur environnement caribéen apparaît comme un rôle essentiel de l’Université…encore inégalement assumé selon les filières.
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46Le défi qui se pose aux sociétés antillaises est donc celui d’une double réévaluation du rapport au territoire. Il s’agit de renouer avec son insularité par une « relocalisation » des compétences, des projets culturels, des modes de consommation et du rapport au milieu naturel ; mais aussi de s’ouvrir, au-delà des espaces insulaires, à son environnement régional (culturel, géographique, économique) immédiat. Les enjeux culturels et les préoccupations identitaires montrent que les cadres économique et institutionnel des territoires français d’Amérique et la relation avec l’extérieur, très canalisée, qu’ils inspirent, apparaissent en décalage avec l’évolution d’un Monde globalisé, marqué par la diversification des liens. Nonobstant les indéniables progrès sociaux observés, les mutations sociétales marquées par la tertiairisation, le consumérisme et l’approfondissement des dépendances économique et culturelle vis-à‑vis de l’extérieur, ont eu des effets pervers sur la relation des collectivités humaines à leur territoire. La gestion des petits espaces insulaires comme des continents, la vision binaire schématique opposant sociétés métropolitaine et ultra‑marines et la déconnexion des DFA de leur environnement immédiat rendent impérieuse une réévaluation du rapport à l’espace.
47L’occultation partielle de soi, nourrie par les contradictions identitaires, dans un contexte de pénétration de valeurs, images et produits de l’extérieur, se traduit chez l’Antillais par une négation partielle de sa condition insulaire. L’importation d’un mode de vie et de normes de consommation ouest‑européens ne s’adaptent pas toujours à un environnement insulaire restreint et particulièrement vulnérable aux assauts mal maîtrisés de l’urbanisation, du consumérisme et du règne sans partage de l’automobile. La pollution et la destruction d’écosystèmes fragiles rendent problématique la transmission aux générations suivantes d’un environnement vivable socialement et viable économiquement. La dégradation rapide de l’état de la mangrove, des terres agricoles, des rivières et des environnements marin et littoral (Saffache, 2000), nettement plus préoccupante que dans les îles voisines, témoigne de la nécessité urgente des sociétés antillaises françaises de se réconcilier avec leur insularité.
- 19 D’autres auteurs ont aussi fait référence à l’idée d’un « espace de vie transatlantique » (Condon, (...)
- 20 Appellation péjorative émanant des Antillais restés au pays et désignant les originaires des Antil (...)
48Mais le renouement avec le sentiment insulaire n’interdit pas de penser ces territoires en intégrant les réseaux migratoires. La réalité de leur relation avec l’Hexagone et sa conséquence, une présence antillo-guyanaise outre‑atlantique représentant l’équivalent du tiers de la population des territoires d’origine, obligent à penser dans un cadre plus large le destin de ces populations. Une certaine communauté de destin, entre ceux restés sur place et les émigrés, est forgée par la relation économique ombilicale, les liens familiaux et les réseaux médiatiques et, en définitive, une intense circulation migratoire. Ces dynamiques construisent progressivement un territoire que nous qualifions de « champ social transatlantique »19. La réalité de ce dernier rend caduques les représentations binaires encore vivaces opposant ceux restés au pays aux « Négropolitains »20. Les Antillais de France ont d’ailleurs joué un remarquable rôle d’intermédiaires dans la crise antillaise de 2009 en réclamant un traitement médiatique plus équitable et en faisant œuvre de pédagogie auprès de l’opinion publique métropolitaine pour lui permettre de mieux comprendre les causes et les enjeux – nationaux autant que locaux – de ce conflit.
49Enfin, la nécessité de relativiser le processus d’assimilation transatlantique et de rétablir le lien avec leur environnement régional présente un troisième défi territorial et sociétal aux DFA. Il réside dans la nécessité, pour ces sociétés, de réintégrer la Caraïbe dans leurs univers mental, culturel et social, d’une part, et d’y déployer leur champ d’action économique, d’autre part. La « caribéanité » peut être valorisée comme le fondement identitaire d’une meilleure insertion des DFA dans leur environnement. Elle est en effet liée à la prise de conscience d’intérêts et d’enjeux communs liés à une histoire partagée, des caractéristiques sociales et culturelles communes dans un même environnement, caractérisé par l’insularité, et une vulnérabilité multiforme (cyclones, séismes, volcanisme) face aux forces de la nature. Dans toute la région, la société de plantation a laissé une empreinte durable sur les structures sociales – familiales, socio‑économiques – et sur les dynamiques culturelles, où de minuscules territoires sont devenus d’immenses carrefours entre les civilisations.
50Or, cette identité régionale ne peut trouver un sens que dans la mise en place de projets communs. Le statut des territoires français de la Caraïbe en fait potentiellement des pièces maîtresses du dispositif de coopération entre l’Union européenne et les pays de la région, du fait du cadre institutionnel européen dont ils sont partie prenante, et de la réalité caribéenne et des affinités historiques, culturelles, voire sentimentales qu’ils partagent avec leurs voisins. Comme l’avait proposé feu Alfred Lagrange, la fonction potentielle d’interface des DFA pourrait être alors valorisée pour en faire des pièces stratégiques du dispositif de coopération entre l’Union européenne et les États de la région. Les gouvernements successifs n’ont probablement pas pris toute la mesure de l’intérêt de conférer aux DFA un rôle stratégique dans la coopération française avec la Caraïbe et l’Amérique latine.
51Parallèlement, la question de la dépendance vis-à-vis des économies les plus puissantes nourrit la prise de conscience de la nécessité d’une meilleure intégration des économies de la Caraïbe entre elles. Dans cette optique, le développement de produits et de services à forte valeur ajoutée et à forte compétitivité-qualité – dont la formation, l’héritage culturel et l’environnement seraient les atouts premiers – apparaît comme une nécessité pour créer une complémentarité entre les économies de la région, et assurer un niveau et une qualité de vie acceptables par les populations. La faible insertion de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Guyane française dans les réseaux régionaux caribéens montre tout l’intérêt d’inscrire l’objectif précité dans une stratégie plus globale de mise en réseau des compétences, des pratiques, des savoir-faire, des connaissances et des outils des différents pays de la Caraïbe. Le concept de coopération prendra alors tout son sens : celui d’un échange entre plusieurs partenaires ayant chacun sa pierre à apporter à l’édifice, et dont les projets communs sur le long terme donneront un sens à l’identité antillaise, en la réconciliant avec son environnement et son histoire.