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Espace frontalier et appropriations territoriales: jeux et enjeux autour de l’île de Lété (Niger)

Harouna Mounkaila
p. 121-140

Résumés

L’étude de la dynamique d’appropriation de l’île de Lété constitue une entrée privilégiée pour la compréhension des enjeux qui entourent ce territoire insulaire, objet du différend frontalier qui oppose le Bénin et le Niger depuis leur accession à l’indépendance. Elle met en évidence la multiplicité des pratiques spatiales des populations et la diversité des valeurs de ce territoire. Elle révèle la diversité des relations des populations à ce territoire. Elle permet de aussi de comprendre que les populations de cette île pratiquent d’autres espaces.

En pratiquant quotidiennement cet espace frontalier, les populations de l’île s’affranchissent de la frontière internationale à travers notamment les solidarités socio-culturelles, les échanges économiques transfrontaliers, les filières de transhumance et la migration qui ne cessent de s’imposer aux territoires des États.

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Texte intégral

1L’île de Lété est une portion de l’espace frontalier du Bénin et du Niger. La frontière prend appui sur la limite naturelle que constitue le fleuve Niger. Celui-ci joue un rôle important dans l’organisation des activités humaines et donc de l’espace. Sur ce territoire insulaire cohabitent deux communautés différentes par leur mode de vie. Il s’agit des agro-pasteurs peuls vivant à côté du fleuve et des pêcheurs-agriculteurs haoussa pour lesquels le fleuve est un espace-ressource.

2La préoccupation d’ensemble de cet article consiste, à travers l’étude des pratiques spatiales des populations ainsi que celle de leur perception de l’espace et de la frontière, à montrer que la dynamique d’appropriation place le territoire au centre des enjeux.

Deux communautés, deux conceptions d’un même territoire

3L’étude des pratiques territoriales constitue une entrée privilégiée pour la compréhension des rapports des groupes sociaux à leurs territoires. En effet, ces pratiques constituent l’un des éléments clés de l’interprétation de l’organisation de l’espace. À ce titre, elles renseignent sur la production des territoires.

4Territoire, territorialité sont devenus en quelques années des concepts fondamentaux pour une géographie (Le Berre, 1992) qui s’attache à l’étude de l’organisation de l’espace et des pratiques qui en résultent (Bailly et Béguin, 1991).Le territoire se définit comme

« la portion de la surface terrestre appropriée par un groupe social pour assurer sa reproduction et la satisfaction de ses besoins vitaux » (Le Berre, 1992).

5Cet espace marqué par les pratiques, les représentations et les vécus humains à un moment de l’histoire (Bailly et Béguin, 1991) est donc la base géographique de l’existence sociale (Ferras, 1994). On comprend alors pourquoi toute société a non pas un territoire, mais des territoires (Ferras, 1994). Quant au concept de «territorialité», il exprime un rapport collectif ou individuel à un territoire considéré comme approprié (Brunet et al., 1993). La territorialité se définit comme l’ensemble des relations par lesquels les groupes sociaux font valoir leurs intérêts dans l’espace (Bailly et Béguin, 1991). Elle exprime également un sentiment d’appartenance et un mode de comportement au sein de ce territoire (Le Berre, 1992). La territorialité désigne donc

«l’existence d’une dimension territoriale dans une réalité sociale, plus spécialement l’identité territoriale d’un individu ou d’un collectif» (Levy et Lussault, 2003)

6L’île de Lété se situe entre 12° 04’ et 12°13’ de latitude Nord et 3°07’ et 3°13’ de longitude Est (fig.1). Elle couvre une superficie d’environ 30km2 et s’étire dans le sens nord-ouest/sud-est sur environ 16km de long avec une largeur qui peut atteindre 4km dans ses plus grandes dimensions. Cet espace insulaire se présente sous la forme d’une plaine allongée, avec une altitude variant de 150 à 166m.

7Elle est le support spatial de deux types de communautés, agro-pasteurs et pêcheurs-agriculteurs, ayant des rapports différents à l’espace par leur mode d’appropriation de l’espace, leurs pratiques territoriales et leurs représentations de l’espace.

Une occupation humaine caractérisée par la dispersion de l’habitat

8L’île comptait en 2000 une population d’environ 2 000 habitants soit une densité de 67 habitants/km2. Cette population se compose essentiellement de deux communautés d’importance numérique inégale et distinctes par leurs modes de production territoriaux. Les premiers occupants sont les Peuls dont l’arrivée sur l’île remonte à la fin du XIXesiècle (Esperet, 1917). Leur installation a été guidée par les importantes disponibilités locales en ressources fourragères. Au départ, exclusivement éleveurs, ils ont par la suite adopté la pratique de l’agriculture dans leurs systèmes de production en mettant en culture les îles sableuses surélevées qui représentent un potentiel agricole intéressant bien que leurs superficies soient réduites. Ils ont été rejoints, plus tard, par des pêcheurs professionnels haoussa venus du village voisin d’Albarkaïzé sur la rive gauche du Niger (fig.1).

Figure1 – Situation de l’île de Lété

Figure1 – Situation de l’île de Lété

9La diminution des ressources halieutiques, consécutive aux sécheresses, à l’irrégularité des pluies, à l’envasement et à l’endiguement du fleuve Niger, a progressivement obligé cette communauté de pêcheurs professionnels à pratiquer aussi l’agriculture aux abords immédiats de leurs habitations.

10Plusieurs hypothèses peuvent être avancées pour interpréter la non occupation de l’île avant l’arrivée des Peuls. La première est que les agriculteurs, situés sur les deux rives du fleuve, n’avaient pas à l’époque un besoin pressant de terres de culture pouvant les pousser à occuper une île dont la mise en valeur est contrariée par des contraintes importantes (fig.2), notamment celles liées à l’insularité. Celle-ci constitue un obstacle à la circulation des populations comme en témoignent les problèmes de déplacement pendant les périodes de crue : la première, à partir de juillet aux «eaux blanches» ou hari koïrey en zarma et la seconde aux «eaux noires» ou hari bi en zarma à partir de décembre. En effet, pendant les périodes de crue, seules les terres sableuses surélevées restent insubmersibles, constituant ainsi de véritables îles obligeant les populations à se déplacer en pirogue.

11Ensuite, il y a l’insignifiance des terres cultivables, en particulier celles propices à la culture du mil dans un contexte d’agriculture extensive. De même, on peut citer, entre autres facteurs, la tradition de la culture du mil sur des sols sableux par les populations des deux rives et le problème de la maîtrise de l’eau.

12La distribution spatiale actuelle de la population obéit aux contraintes naturelles imposées par le fleuve. En effet, les populations sont concentrées dans la partie amont de l’île où existent quelques îles sableuses surélevées (appelées toudou en haoussa) qui sont insubmersibles. C’est sur ces toudou qu’on trouve d’ailleurs les trois principaux noyaux d’habitation fixes de l’île. Il s’agit du village de Lété et des petits hameaux de Koroa et Djayoyi.

13À part ces noyaux fixes, les toudou portent également quelques campements qui se singularisent par leurs fréquents changements de sites. Dans certains d’entre eux, les bergers passent la saison sèche avec leurs troupeaux dans le but, non seulement de fumer leurs champs, mais également de fuir, en fonction des années, les eaux qui envahissent les zones inondables (appelées fadama en haoussa) pendant la période des crues. Ailleurs, notamment dans la partie aval, le peuplement est linéaire. Il se présente sous la forme de deux lignes discontinues de plusieurs campements temporaires localisés sur les berges du fleuve (appelées djabou en zarma), mais surtout plus nombreux du côté du petit bras. Ces campements, qui se localisent dans la zone inondable comme ceux des toudou, sont très mobiles.

14Leur mobilité tient au souci des agro-pasteurs de libérer les îles sableuses surélevées pendant la saison des pluies afin d’éviter des dégâts des animaux dans les cultures. Certaines années, les crues importantes du fleuve peuvent écourter le séjour des habitants dans les campements et les obliger à retourner sur les toudou ou à effectuer de la transhumance sur les plateaux de la rive gauche. Ces campements n’apparaissent sur les berges qu’à l’approche de la saison des pluies et sont abandonnés aussitôt après les récoltes.

15Cette forme d’agro-pastoralisme impose donc une mobilité saisonnière de l’habitat sur des distances très courtes et circonscrites le plus souvent dans les limites de l’île, sauf pour les campements de Boutougou et Fongokoli que les habitants abandonnent pendant la saison des pluies pour les terres de culture de la rive gauche. Cette mobilité est rythmée à la fois par les saisons et par les deux crues du fleuve.

  • 1 .C’est dans cette partie de l’île, en particulier à Béfo, endroit surélevé d’environ 20 m de diamè (...)

16La partie aval est exclusivement réservée à l’élevage, d’autant plus que les crues du fleuve empêchent qu’elle soit occupée toute l’année, de même qu’elles rendent impossible la pratique d’une céréaliculture pluviale1. Les noyaux de peuplement, temporaires ou fixes, sont séparés par des vides intercalaires atteignant rarement un kilomètre.

17La distribution spatiale des populations tient donc à trois raisons essentielles. Tout d’abord, elle obéit aux contraintes physiques du milieu qui consacrent une division binaire de l’espace entre zones inondables et zones insubmersibles. Elle découle également de la volonté de certains agro-pasteurs de marquer par leur installation temporaire l’appropriation de leurs champs. C’est d’ailleurs pour cette raison que la plupart des campements ont des dénominations qui sont la première marque de l’identité territoriale car, comme l’a souligné Moles (1992, p.172), un lieu a d’autant plus d’identité qu’il possède une dénomination et que pour être appropriable, il doit posséder une identité. La troisième raison tient à la nécessité de mieux fumer des terres qui sont surexploitées et de mieux surveiller les cultures qu’elles peuvent porter pendant la saison des pluies.

La pratique d’un agro-pastoralisme de sécurité

18Les relations entre agriculture et élevage sont empreintes de complexité et varient en fonction des zones, des groupes sociaux et des systèmes de production (Marty, 1993, p.328). L’agriculture est devenue un savoir faire pour la communauté des agro-pasteurs, au départ exclusivement constituée de pasteurs. Elle est beaucoup plus qu’une pratique. Il s’agit en réalité d’un mode de vie qui a modifié les techniques d’élevage avec une simplification des modèles de mobilité pastorale saisonnière. Ce mode de vie témoigne d’une intégration poussée entre agriculture et élevage. L’adaptation à un espace plus restreint pour des gens et des animaux de plus en plus nombreux a conduit à une association poussée entre agriculture et élevage. Cette association est gage de nouveaux équilibres sociaux et écologiques dans un espace où les conditions du milieu sont favorables à la pratique conjointe des deux activités.

Un contexte géographique favorable

19Le contexte géographique est favorable à la pratique agro-pastorale (fig.2) dès lors que les potentialités nécessaires à la pratique de l’une ou l’autre de ces deux activités sont présentes et que celles-ci peuvent s’exercer non pas dans une dynamique de compétition pour l’espace, mais dans une logique d’intégration. En effet, l’île de Lété est une vaste étendue plane dont la portion inondable représente un potentiel très intéressant de terres aménageables. Les légères élévations de la topographie qui rompent difficilement la platitude d’ensemble de l’île, à cause des pentes très faibles, forment de véritables îles sableuses surélevées, insubmersibles pendant la saison des pluies.

20Ces terres sableuses sont destinées à la culture du mil et s’opposent aux terres lourdes de la zone inondable. Dans la partie inondable, en particulier dans les cuvettes et sur leurs bords, on rencontre essentiellement des sols hydromorphes à gley de surface, séries vertiques grises et séries vertiques noires. Seule une infime partie de cette zone inondable, en particulier les marges des terres sableuses, leurs zones intermédiaires et les alentours des hameaux de Koroa, de Djéyoyi et de Issa Kwara, sont cultivées en maïs, sorgho et riz.

21Les inondations occasionnées par les crues du fleuve au cours de ces deux dernières années ont considérablement affecté la production des cultures au point que l’agriculture sur ces espaces est devenue aléatoire.

22L’île de Lété est parsemée de nombreuses mares temporaires dont le tarissement progressif offre un pâturage vert abondant de fin de saison sèche. Ces mares permettent pendant la même période, notamment aux habitants de Koroa, de pêcher du poisson dans des fosses appelées rigia n’kiffi en haoussa (littéralement «puits à poissons»). Ces fosses de trois mètres de diamètre et d’un mètre de profondeur, creusées dans la mare, piègent le poisson lorsque l’eau se retire.

23Le potentiel naturel de l’île de Lété tient aussi à l’importance de ses surfaces inondables. La végétation des fadama dépend de la durée de l’inondation. Les zones inondables portent une végétation herbacée hygrophile très dense à Echinocloa pyramidalis et à Echinocloa stagnina dans les chenaux ne s’exondant que fort tard, et à Vetiveria nigritana dans les parties s’exondant tôt ou sur les marges de la zone inondable. Sur les îles sableuses, ce sont des peuplements de rôniers (Borassus aethiopium) qui constituent l’essentiel de la végétation naturelle avec parfois çà et là quelques arbres, en particulier Andansonia digitata (baobab), Butyrospermum parkii (karité), Piliostigma reticulatum (kossey en zarma).

24Il est important de souligner que la région présente un climat de type soudano - sahélien. La durée de la saison des pluies, plus longue ici que partout ailleurs au Niger, fait de cette zone la plus humide du Niger. La moyenne pluviométrique pour la période 1968-1997 est de 788,4mm pour la station de Gaya (Direction de la Météorologie nationale).

25L’île de Lété présente donc toutes les conditions favorables aux pratiques de l’agriculture et de l’élevage. Ses propriétés naturelles liées aux effets de localisation font d’elle une entité spécifique, unique en son genre sur tout le parcours du fleuve Niger en territoire nigérien. Elle présente donc des potentialités naturelles, mais aussi des contraintes qu’intègrent les pratiques territoriales.

Figure2 – Occupation de l’espace sur l’île de Lété

Figure2 – Occupation de l’espace sur l’île de Lété

Une association poussée entre agriculture et élevage

26L’étude des pratiques territoriales sur l’île de Lété soulève la question des rapports entre l’agriculture et l’élevage. L’association entre ces deux activités est très poussée au point que s’est créée une situation de dépendance accrue et réciproque entre elles. La complémentarité entre l’élevage et l’agriculture apporte une réponse, consciente et réfléchie aux besoins et aux intérêts des agro-pasteurs. Ce processus semble exiger un certain nombre de conditions techniques, en particulier que la terre cultivable soit disponible, la main-d’œuvre familiale suffisante et la fumure animale utilisée de manière intense (Bonfiglioli, 1990).

27Cette complémentarité se situe à plusieurs niveaux. Dans un contexte de surexploitation des terres de culture, où la jachère n’existe pas et où il n’est plus possible de jouer sur l’étendue pour accroître les superficies et la production, l’apport de fumure animale ne peut être que déterminant. Les agro-pasteurs de l’île de Lété ont poussé leur ingéniosité dans la recherche d’un meilleur équilibre de leur milieu. C’est pour cette raison et pour assurer la pérennité de la pratique de ces deux activités sur l’île que l’élevage est constamment sollicité dans la fertilisation des terres destinées à la culture du mil. La gestion de la fertilité se traduit par une utilisation permanente et importante de la fumure animale. Celle-ci contribue à minimiser la baisse des rendements, voire même à maintenir le niveau des rendements et donc de celui de la production agricole. Ce mode de fertilisation s’effectue le plus souvent grâce au pacage des animaux de l’unité d’exploitation. La production de fumure est fonction du nombre de têtes de bétail en relation avec les ressources fourragères disponibles.

28La vocation essentiellement pastorale de l’île dont témoignent la dimension des troupeaux rencontrés pendant le retrait des eaux et celle de la superficie qui leur est naturellement consacrée, fait d’elle un espace qui abrite d’importants troupeaux bovins en particulier.

29Lorsque le nombre de têtes de bétail de l’unité d’exploitation ne permet pas de remplir convenablement la mission de fumure des champs familiaux, le chef de famille sollicite souvent l’aide d’un parent ou d’autres éleveurs en séjour sur l’île. Dans ce cas, à la différence des contrats de fumure classique par lesquels le propriétaire du champ rétribue l’éleveur avec de la nourriture, la simple don de noix de kola en guise de remerciement suffit. La quasi-gratuité du service rendu par l’éleveur s’inscrit dans le cadre du renforcement des liens entre les habitants de l’île d’une part et entre ceux-ci et les bergers étrangers d’autre part.

30La sollicitation permanente de l’élevage permet à l’agriculture d’éviter des situations de crise. L’association entre ces deux activités constitue du strict point de vue écologique, une des stratégies de préservation du niveau de production agricole et de l’équilibre homme/animal/milieu.

31L’insuffisance de la production agricole à satisfaire les besoins alimentaires des populations oblige celles-ci à recourir à la vente d’animaux et de produits animaux, en particulier le lait, pour se procurer les compléments de nourriture nécessaires. En raison du peu de terres réservées à la culture du mil et de l’impossibilité d’étendre les superficies cultivées, la production agricole n’arrive pas à couvrir les besoins annuels des populations. L’élevage vient donc au secours de l’agriculture. Seuls quelques agro-pasteurs, notamment ceux qui ont un nombre important de champs, arrivent chaque année à produire suffisamment pour satisfaire les besoins alimentaires de leurs familles.

32Même si les pratiques de l’agriculture et de l’élevage présentent de nombreux avantages pour les agro-pasteurs, il importe de relever quelques inconvénients. Hormis les dégâts que peuvent causer les animaux sur les cultures, il faut souligner le rapport de compétition pour l’espace entre ces deux activités. La spécialisation des lieux en fonction de leurs vocations différenciées n’exclut pas l’empiétement de l’agriculture sur les aires de pâturage à travers l’extension des terres de culture aux marges de la zone inondable.

33Un autre inconvénient majeur à relever est celui de la gestion de la main-d’œuvre de l’unité d’exploitation. Cette gestion se traduit par une division du travail en son sein et consiste à affecter quelques actifs agricoles à la conduite du troupeau. Mais, cette stratégie présente parfois des limites lorsque la main-d’œuvre familiale est insuffisante. Pour les sarclages, certains chefs d’exploitation ont recours à des salariés ou aux travaux communautaires pour compenser cette insuffisance. L’emploi de cette main-d’œuvre augmente le niveau d’investissements de l’exploitation.

34L’analyse des avantages de l’agro-pastoralisme fait ressortir une complémentarité poussée entre les activités agricole et pastorale. En dehors de l’apport connu de fumure, la pratique de l’élevage est un gage de sécurité pour l’agriculture. Elle permet de combler les insuffisances de la production agricole en fournissant les ressources nécessaires à l’achat des vivres. Les ressources tirées de la vente des animaux sont également utilisées pour financer le sarclage des champs avant que les mauvaises herbes n’envahissent les cultures.

35Au-delà des rapports entre agriculture et élevage, il importe de s’interroger sur l’importance accordée par les populations à l’une ou l’autre de ces activités. À la différence des rapports connus de compétition entre ces deux activités en d’autres lieux, ici, il existe souvent une dépendance réciproque entre elles. Cette stratégie d’intégration des deux activités est-elle viable à long terme ? L’équilibre milieu/homme/animal ne risque-t-il pas d’être rompu sous le poids de la croissance démographique et de celle du cheptel ?

Un espace de transhumance tripolaire en constante recomposition

36L’espace balayé par la transhumance des bergers de l’île de Lété est tripolaire (fig.3). Il s’appuie sur trois principaux pôles qui correspondent aux aires de pâturage constituant les repères autour desquels s’organise le cycle des déplacements. Les filières de transhumance épousent grossomodo deux directions : une direction vers le Sud qui conduit au franchissement de la frontière entre le Bénin et le Niger et une direction vers le Nord que suivent bergers et animaux jusque sur les plateaux de la région de Dosso. Les déplacements des animaux se font en fonction du cycle végétatif des plantes fourragères et des cultures dans les trois aires de pâturage citées plus haut. Ils sont donc liés au rythme saisonnier des pluies ainsi qu’à la double crue du fleuve. Pour la transhumance en direction de la région de Dosso, les bergers se déplacent en général avec leurs familles, alors que lorsqu’ils partent en transhumance au Bénin, ils laissent leurs familles sur l’île. Les risques que présente le séjour au Bénin expliquent cette différence dans la pratique des transhumances.

Figure3 – Aires pâturées par les bovins de Lété

Figure3 – Aires pâturées par les bovins de Lété
  • 2 .Région de plateaux correspondant à l’arrondissement de Dosso, située au nord de celui de Gaya, do (...)

37L’île de Lété constitue le point d’attache principal pour les bergers de l’île dans laquelle une partie de la famille demeure et où très peu d’animaux sont laissés sur place. Il s’agit en particulier des vaches laitières. Toutefois, compte tenu des contraintes liées aux différentes filières de transhumance, nombreux sont les éleveurs qui préfèrent rester sur l’île avec leurs troupeaux quitte à occuper temporairement les berges du fleuve. L’île est donc la principale aire de pâturage. Les éleveurs, qui partent en transhumance sur les plateaux dominant le fleuve côté Niger et sur ceux de la région de Dosso, reviennent sur l’île à partir de la fin du mois de septembre après les récoltes pour le gnélé2afin de profiter du fourrage sec que constituent les résidus agricoles.

38Ils partent ensuite faire le gnélé dans les champs de la rive gauche, avant de revenir sur l’île au moment du retrait des eaux.

39À partir de mars, les eaux de la crue se retirent progressivement et une abondante formation végétale herbacée colonise la zone inondable et fournit des disponibilités fourragères intéressantes pour le bétail au point d’ailleurs d’attirer des éleveurs du Bénin voisin et de certaines régions du Niger. Le pâturage est d’autant plus abondant que la crue a été importante. Il arrive que ces aires surexploitées ne fournissent pas le fourrage nécessaire à l’alimentation du bétail avant la saison des pluies. Cette situation oblige les éleveurs à franchir la frontière du Niger pour conduire leurs animaux vers le Nord Bénin à partir du mois de mai. Ils ne reviennent qu’au début du premier sarclage sur l’île et n’y restent que très peu de temps. En effet, après ce bref retour, ils continuent leur transhumance loin à l’intérieur des plateaux des régions de Dosso et Gaya.

40Deux raisons principales motivent les déplacements sur les plateaux. Le relèvement du niveau des eaux, qui accompagne les pluies à partir de juillet, inonde les pâturages situés aux abords immédiats du lit mineur et réduit les aires de pâturage. D’autre part, la mise en culture des îles sableuses, dont la conséquence est de limiter les mouvements des animaux sur l’île, oblige de nombreux éleveurs à rechercher sur ces plateaux des pâturages. Notons que le but principal des transhumances est de fournir du pâturage vert au bétail toute l’année. À ces deux raisons fondamentales vient s’en ajouter une autre liée aux disponibilités fourragères des plateaux pendant cette période.

41Cependant, peu d’éleveurs effectuent aujourd’hui la transhumance de l’autre côté de la frontière en raison des obstacles qui entravent leur circulation. En effet, les problèmes auxquels les bergers sont confrontés, et qui sont en partie liés à la conjoncture des relations entre le Bénin et le Niger et aux attaques des lions contre les animaux, dissuadent certains bergers de rechercher des pâturages de l’autre côté de la frontière. Pour éviter de payer l’impôt sur le pacage prélevé sur chaque bête, les amendes, et/ou l’abattage des animaux par les forestiers béninois, nombreux sont les éleveurs qui ont renoncé à cette filière de transhumance.

  • 3 .Dans la nuit du 29 au 30 juin 1960, des agresseurs béninois de la rive droite du fleuve Niger att (...)

42Quant aux déplacements sur les plateaux du Zigui3pendant la saison des pluies, ils sont contrariés par la dégradation des pâturages, l’insuffisance des points d’eau et l’extension des terres de culture. En effet, celle-ci s’est effectuée au détriment des aires pastorales qui se sont rétractées.

43Les contraintes relatives à la transhumance contribuent à une modification de la mobilité pastorale saisonnière. De plus en plus les éleveurs de l’île préfèrent ne plus emprunter les filières de transhumance.

La pratique d’une agriculture de nécessité pour les pêcheurs

44Les habitants des hameaux de Koroa, Djayoyi et Issa Koïra vivent de la pratique conjointe de la pêche et de l’agriculture. Au départ exclusivement pêcheurs, l’insuffisance des ressources tirées de cette activité les a amenés à pratiquer l’agriculture aux abords immédiats de leurs habitations. Ils cultivent essentiellement du sorgho, du maïs et du riz. Ils n’ont pas de terres sur les toudou pour pratiquer la culture du mil, dans la mesure où elles ont été appropriées par les premiers occupants et leurs descendants. Elles leur ont été prêtées par le rouga (chef de village).

45L’agriculture est ici intégrée dans le système de production pour une question de survie. Elle est devenue une activité complémentaire de la pêche. L’insuffisance des terres de culture, qui sont fréquemment endommagées par les crues du fleuve, place les membres de cette communauté dans une situation d’insuffisance alimentaire chronique. Les ressources de la pêche sont destinées à l’achat de vivres pour assurer la subsistance des familles. En raison de l’insuffisance des revenus de la pêche pour satisfaire les besoins vitaux des familles, la pratique de l’agriculture est devenue une nécessité.

46Cette société vit par conséquent à la fois du fleuve et à côté du fleuve. Cependant, elle manque de terres de culture, d’autant plus qu’elle habite sur des terres qui appartiennent aux éleveurs et qui sont destinées à l’élevage.

Les enjeux spatiaux autour de Lété

47Le pastoralisme demeure la vocation première de l’île de Lété au regard de l’importance des superficies consacrées à cette activité, et de l’importance numérique de la population qui en fait sa principale activité. C’est bien évidemment la nature de cette appropriation qui place ce territoire au centre des enjeux d’abord entre les deux communautés habitant l’île, ensuite entre celles-ci et les communautés voisines.

48Les terres de l’île appartiennent aux descendants des premiers occupants et à leurs familles qui en sont propriétaires par héritage. Le reste de la population est astreint à des emprunts de champs. L’appropriation individuelle ou familiale des terres des îles sableuses surélevées se matérialise par leur mise en valeur permanente et parfois l’installation de campements temporaires. En revanche la zone inondable vouée à l’activité pastorale appartient à la communauté. En dehors des brûlis effectués sur ces aires de pâturage, rien ne matérialise leur appropriation alors qu’un lieu est d’autant plus approprié qu’on le modifie matériellement dans sa structure et dans ses contours (Moles, 1992). C’est l’espace pastoral qui est au centre des enjeux. Les pêcheurs pratiquant l’agriculture depuis que les ressources tirées du fleuve ne leur permettent pas de vivre aspirent à avoir plus de terres de culture, de même que certains habitants de l’île ne possédant pas de troupeaux. Les agro-pasteurs qui sont les propriétaires des terres de l’île ne souhaitent pas voir une extension des terres de culture qui réduirait leurs aires de pâturages et aggraverait les conflits entre les deux communautés.

49Les pêcheurs-agriculteurs perçoivent l’île non pas comme une aire de pâturage mais comme des terres de culture potentiellement exploitables. La zone inondable et aménageable de l’île attire aussi les convoitises des habitants des villages voisins qui voient en ces aires de pâturage d’énormes potentialités de terres agricoles. Les Béninois des villages de la rive droite convoitent aussi les riches terres de l’île. C’est pourquoi il leur arrive de venir semer sur l’île, ravivant ainsi la flamme du litige.

50La spécialisation des lieux atténue la compétition pour l’espace entre agriculture et élevage, du moins en ce qui concerne les agro-pasteurs. La division naturelle de l’île en zones inondables et en îles sableuses surélevées consacre une spécialisation des lieux. Les premières ont une vocation pastorale, tandis que les secondes ont une vocation agricole. Cependant, cette division binaire de l’espace n’est pas figée. Elle est dynamique dès lors que la croissance démographique et son corollaire, l’accroissement des besoins des terres de culture, les modifications du régime du fleuve et la faiblesse des crues qui en résulte se traduiront par une extension des terres de culture.

51Le système connaît de plus en plus des difficultés à cause notamment de la surexploitation des pâturages et des terres de culture. Le nombre important de troupeaux qu’accueille l’île contribue à l’épuisement des pâturages et à leur dégradation. Cette situation oblige certains éleveurs à partir en transhumance au Bénin. Quant à la surexploitation des terres, elle s’accompagne d’une baisse des rendements malgré l’important apport de fumure animale.

Des territorialités plurielles, emboîtées et entrecroisées

52Elles relèvent de la multiplicité des usages de l’île. Il est intéressant de souligner que l’espace de vie des habitants ne se limite pas seulement à l’île et intègre d’autres lieux. Les rapports des différents acteurs à leurs territoires révèlent la multiplicité des territorialités des habitants de l’île de Lété.

Mobilité et multiterritorialité

53En dehors de l’île, les habitants de Lété s’approprient aussi, par leur mobilité, d’autres territoires. Celle-ci relève à la fois des migrations saisonnières dirigées essentiellement vers les pays de la côte Atlantique, mais aussi vers Gaya, et des transhumances hors de l’île de Lété. Ainsi, l’architecture spatiale des migrations est constituée d’un éventail de flux multidirectionnels qui se polarisent sur certaines destinations. Il s’agit en particulier du Bénin, du Togo et du Nigeria. Mais l’espace migratoire des habitants s’étend également à d’autres lieux, notamment à la ville proche de Gaya, au Burkina Faso, qui accueille quelques migrants des hameaux de Djayoyi et Koroa.

54Les migrants qui vont à Gaya y font essentiellement du petit commerce et se singularisent par leur appartenance au groupe des dépendants de Lété. La majeure partie de ces dépendants ne possède pas de troupeaux et ne survit que grâce aux ressources tirées à la fois des activités agricole et migratoire.

55Quant aux migrants séjournant au Burkina Faso, ils pratiquent tous la pêche dans les régions des Volta. De nombreux migrants sont spécialisés dans la vente d’animaux sur pied, qu’ils viennent généralement chercher sur les marchés de bétail du département de Dosso. D’autres s’emploient comme bergers au Bénin, au Togo. Ils assurent la garde journalière de troupeaux de bovins appartenant à des propriétaires qui ne sont pas spécialisés dans l’élevage. Cette garde d’animaux, qui ne sont pas les leurs, est en général rétribuée en nature. Le berger peut recevoir en quatre mois un bœuf en échange du service rendu, bœuf qu’il revend de 150 000 à 200 000 Fcfa. Il s’agit d’une activité bien rémunérée en raison des dangers que présente son exercice, notamment les risques liés à la présence de fauves.

56Pour ces migrants, Lété est le territoire d’attache dans lequel on revient toujours après quelques mois de séjour dans d’autres pays.

57Le recours à ces territoires qui constituent des espaces - ressources s’inscrit dans une stratégie de diversification des sources de revenus et dans une logique d’accumulation. En dehors de la satisfaction classique des besoins en habillement et en nourriture, ces migrations revêtent une double finalité. D’une part, elles visent à épargner le bétail d’une vente que rendrait nécessaire l’achat de compléments de nourriture pour assurer la subsistance de la famille. D’autre part, lorsque les conditions le permettent, ces ressources peuvent être utilisées pour acheter du bétail et accroître par conséquent le troupeau. La capitalisation dans le bétail s’inscrit donc dans une logique d’accumulation. Il y a donc un investissement des ressources migratoires dans la promotion de l’activité pastorale.

58L’espace de vie des habitants de l’île de Lété se dédouble. Il est à la fois constitué du territoire de départ et d’autres lieux de complémentarité. Il s’ensuit donc des territorialités multiples.

Lété: un territoire approprié par d’autres acteurs

59Le territoire de Lété est également approprié par d’autres acteurs. Il s’agit ici d’étrangers à l’île qui se l’approprient pour divers usages. Elle constitue pendant la saison des pluies un lieu d’attraction pour une main-d’œuvre agricole à la recherche de moyens de subsistance. Celle-ci est sollicitée pour les différents sarclages du mil et du sorgho. L’emploi de ces salariés agricoles est d’autant plus indispensable qu’il compense l’insuffisance de la main-d’œuvre familiale que favorisent l’éclatement des familles et la mobilisation d’une partie de leurs membres pour la garde des troupeaux et/ou leur conduite pendant les périodes de transhumance.

60Il y a donc un investissement dans l’agriculture qui s’étend aussi à l’utilisation de la charrue pour les labours en particulier sur les terres destinées à la culture du sorgho. La plupart des habitants ont recours à ce type de labour avant de semer leurs champs de sorgho. Malgré, la petite taille des champs, la plupart des agro-pasteurs ont recours à cette main-d’œuvre de substitution même si son coût nécessite la vente de quelques têtes de bétail.

61Dans ce cas, les ressources tirées de l’élevage sont investies dans la production agricole. Cette main-d’œuvre provient des régions de Dosso, Boboye et même du Zarmaganda. Elle s’approprie l’île de façon temporaire par son travail.

62L’île constitue aussi une aire de pâturage pour des bergers en provenance d’autres régions de l’Ouest du Niger et du Bénin. Le séjour de ces éleveurs sur l’île dure quelques mois. Elle figure parmi les nombreuses aires de pâturage pour ces éleveurs qui se l’approprient donc. Ces usages de l’île se traduisent par l’entretien de rapports particuliers entre cette catégorie d’usagers et le territoire de Lété.

Les représentations de la frontière par les habitants de l’île de Lété

63La frontière entre le Bénin et le Niger est à la fois matérielle et mentale. Pour les habitants de l’île de Lété, le grand bras du fleuve appelé Mayo Mallal Maddi en peul ou IssaBéri en zarma (grand fleuve), matérialise la frontière entre le Bénin et le Niger. Depuis la période coloniale, les habitants de l’île ont conscience qu’ils sont en territoire béninois dès qu’ils franchissent ce bras. La sémantique locale distingue ce grand bras du petit bras dénommé Issa Kaïna en zarma (petit fleuve) ou Mayel Youna en peul, parce que passant par le village de Ouna.

64Les cartes mentales de l’ïle élaborées par les chefs de ménage enquêtés (fig.4), nous ont édifié sur le fait que ces populations sont à la fois conscientes de l’insularité de leur territoire, mais aussi qu’elles ont une conscience de la frontière qu’elles situent au niveau du grand bras, et cela malgré l’importance des échanges transfrontaliers développés de part et d’autre de la frontière.

65Par ailleurs, les problèmes qui entravent leur libre circulation les confortent davantage dans cette idée. En effet, pendant les périodes de tensions à propos de la frontière, les populations frontalières de Lété subissent des représailles de toutes sortes lorsqu’elles se rendent dans les villages et marchés de la rive droite. Les habitants qui se rendent au marché de Karimama sont parfois tenus de donner de l’argent aux gendarmes dès leur descente de pirogue. Quant aux bergers, en plus de l’impôt pour le pacage qu’ils doivent payer, ils subissent toutes sortes d’humiliations : paiement d’amendes fortes, garde à vue, abattage d’animaux, préjudices corporels, etc... C’est pour ces raisons que pendant les moments forts du différend, les populations situées de part et d’autre de la frontière la traversent rarement.

66Il s’ensuit une modification momentanée des territorialités par la suspension provisoire de l’usage de ces lieux. En ce qui concerne par exemple la fréquentation des marchés, les habitants se rabattent sur les marchés nigériens en particulier sur celui de Ouna. Le litige frontalier s’accompagne d’un fort sentiment d’appartenance à la fois à l’île et au Niger.

Figure4 – Carte mentale de l’île de Lété élaborée par un habitant de Lété

Figure4 – Carte mentale de l’île de Lété élaborée par un habitant de Lété

La cristallisation d’un fort sentiment d’appartenance

  • 4 .Dans la nuit du 29 au 30 juin 1960, des agresseurs béninois de la rive droite du fleuve Niger att (...)

67L’étude des territorialités fait par ailleurs ressortir un fort sentiment d’appartenance à cette entité qui a maintes fois été révélé pendant les moments de tension entre le Bénin et le Niger. Les populations ont jusqu’ici bien défendu leur territoire contre les convoitises de leurs voisins béninois. Elles ont spontanément réagi chaque fois que d’autres ont essayé de remettre en cause cette légitimité. Elles ont déjoué les manœuvres de la gendarmerie béninoise en refusant, par exemple, d’enlever le drapeau nigérien qui flotte sur l’île et qui est une marque de souveraineté et d’autorité sur cet espace. Elles ont aussi à plusieurs reprises eu à déterrer les semis effectués par les populations béninoises de la rive droite sur certaines portions de l’île. Les populations de l’île ont refusé de se faire vacciner par une équipe médicale béninoise. Les événements tragiques de 1960 4 révèlent également l’attachement de cette population à l’île.

68Cependant, ce sentiment d’appartenance ne s’est pas accompagné de territorialisme, c’est-à-dire qu’il n’a jamais amené ces populations à rejeter les bergers béninois qui viennent chaque année en transhumance sur l’île.

69La défense de ce territoire s’exprime également à travers celle de sa première vocation à savoir le pastoralisme. C’est pourquoi les agro-pasteurs ne souhaitent pas voir les terres de culture s’étendre à la zone inondable car cette extension pourrait se traduire par une réduction des aires de pâturage. Ce rapport à l’espace permet de mieux saisir les enjeux et les conflits spatiaux entre ces populations d’une part et la communauté des pêcheurs-agriculteurs et les populations béninoises de la rive droite d’autre part. Même au sein de la communauté d’agro-pasteurs de l’île, une catégorie de paysans, en particulier les dépendants, désire une extension des terres de culture. Ce désir est d’autant plus affirmé que ceux-ci ne possèdent pas un nombre significatif de têtes de bétail leur permettant de satisfaire leurs besoins vitaux avec les ressources tirées de la pratique des deux activités.

70À travers les pratiques spatiales, il y a un emboîtement des échelles géographiques dans un registre de complémentarité (Decoudras, 1998). Les populations pratiquent cet espace insulaire, mais aussi des territoires proches ou lointains. Les solidarités socio-culturelles, les échanges transfrontaliers, les filières de transhumance et de migration ne cessent de s’imposer aux limites territoriales des États. En effet, à travers les pratiques spatiales les populations s’affranchissent de la frontière. C’est pourquoi l’île de Lété paraît moins marginalisée et enclavée que ne le laisse penser son insularité.

71Le territoire insulaire de Lété constitue un enjeu à la fois pour les communautés peuplant l’île, mais aussi pour d’autres communautés habitant hors de l’île. Cet enjeu est fonction des valeurs que chacune d’entre elles attribue à ce territoire. Pour les uns, il s’agit d’un espace à vocation pastorale, même s’ils y accordent une place importante à la pratique de l’agriculture. Pour les autres il s’agit d’un espace vouée à l’agriculture. C’est en particulier l’espace consacrée à l’activité pastorale qui constitue l’enjeu, même si sa mise en valeur au profit d’une autre activité est contrariée par son inondation partielle ou totale pendant les périodes de crues du fleuve.

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Notes

1 .C’est dans cette partie de l’île, en particulier à Béfo, endroit surélevé d’environ 20 m de diamètre, que les Béninois ont entrepris en février 2001 la construction d’un bâtiment.

2 .Région de plateaux correspondant à l’arrondissement de Dosso, située au nord de celui de Gaya, dont fait partie l’île de Lété.

3 .Dans la nuit du 29 au 30 juin 1960, des agresseurs béninois de la rive droite du fleuve Niger attaquèrent les habitants de Lété, faisant quatre morts dont le chef de village, brûlé vif dans l’incendie volontaire de 47 cases.

4 .Dans la nuit du 29 au 30 juin 1960, des agresseurs béninois de la rive droite du fleuve Niger attaquèrent les habitants de Lété, faisant quatre morts dont le chef de village, brûlé vif dans l’incendie volontaire de 47 cases.

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Table des illustrations

Titre Figure1 – Situation de l’île de Lété
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Titre Figure2 – Occupation de l’espace sur l’île de Lété
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/com/docannexe/image/5895/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 588k
Titre Figure3 – Aires pâturées par les bovins de Lété
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/com/docannexe/image/5895/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 276k
Titre Figure4 – Carte mentale de l’île de Lété élaborée par un habitant de Lété
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/com/docannexe/image/5895/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 156k
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Pour citer cet article

Référence papier

Harouna Mounkaila, « Espace frontalier et appropriations territoriales: jeux et enjeux autour de l’île de Lété (Niger) »Les Cahiers d’Outre-Mer, 249 | 2010, 121-140.

Référence électronique

Harouna Mounkaila, « Espace frontalier et appropriations territoriales: jeux et enjeux autour de l’île de Lété (Niger) »Les Cahiers d’Outre-Mer [En ligne], 249 | Janvier-Mars 2010, mis en ligne le 01 janvier 2013, consulté le 03 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/com/5895 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/com.5895

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Auteur

Harouna Mounkaila

Géographe, Université Abdou Moumouni de Niamey, École Normale Supérieure, BP 10 963 Niamey ; mél : hzada99@yahoo.fr

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