- 1 . Traduction des auteurs : « Le Venezuela est sans aucun doute une terre de générosité » [rappel de (...)
« Venezuela es sin duda una tierra de gracia » especialement los valles altos de los Andes. En ellos, « el estado Mérida ha sido uno de los estados de Venezuela que cuenta con excelentes tierras donde la papa [zanahorias, ajo…] son algunos de los rubros que se producen y que han influido para que el tricolor nacional, permanezca en un sitial de honor en el mercado internacional. » […] « Uno de los ingresos económicos que entran a la nación, proviene de la venta de los productos agrícolas, en la entidad merideña. » 1(Diario Frontera, 7 noviembre de 2006).
1Cet état de fait résulte de l’évolution depuis quatre à cinq décennies des sociétés paysannes des hautes vallées andines de l’État de Mérida (fig. 1), marquée par une ouverture vers de nouvelles productions, de nouvelles pratiques et de nouveaux débouchés. La paysannerie andine bénéficie ainsi d’une prospérité nouvelle liée à l’introduction du maraîchage qui place aujourd’hui l’État de Mérida à un niveau important sur le plan de la production nationale agricole. À l’origine du développement du maraîchage est l’explosion de la demande urbaine en produits maraîchers – qui a fortement modifié une activité agricole traditionnelle dominante – qui valorise ainsi le potentiel de production en produits tempérés du milieu naturel de la montagne andine, ainsi que le potentiel humain limitant aussi le dépeuplement des campagnes.
Figure 1. – Localisation des Andes vénézueliennes, généralement limitées aux États de Mérida, Táchira et Trujillo.
2Le développement du maraîchage conduit à la transformation des espaces ruraux en relation avec la spécialisation des productions et donc à une modification radicale de l’organisation de l’espace, alors que l’intensification des productions mène à la modernisation des outils de production avec notamment l’introduction massive d’intrants de synthèse et l’émergence de systèmes d’irrigation collectifs. Ces recompositions des terroirs culturaux et les transformations radicales des productions sont à l’origine de l’intensification des pratiques agricoles et ainsi d’une évolution du rapport que les paysans andins entretiennent avec leur terre. Le statut de la montagne andine est passé d’« espace vécu » où le paysan vivait en étroite relation avec une terre générant essentiellement des produits de consommation courante, à un « espace productif », alimentant aussi bien le marché urbain proche que l’exportation ou d’importantes entreprises de transformations agroalimentaires.
3Certaines limites de ce système productif semblent être environnementales pour l’essentiel. En effet, les changements d’occupation du sol et les nouvelles pratiques mises en œuvre par les populations paysannes dans l’État de Mérida sont à l’origine d’une dégradation de la qualité des eaux et des sols qu’on commence tout juste à évaluer. Parallèlement, un nouveau tournant s’amorce aujourd’hui avec l’émergence de la notion d’environnement dans la politique agricole du pays mais aussi auprès de certains paysans précurseurs. Mais ces initiatives peuvent-elles apporter une alternative viable au maraîchage intensif actuellement bien implanté ?
4Les hautes vallées des Andes vénézuéliennes présentent un contexte naturel – climatique, pédologique, hydrologique – et humain – main-d’œuvre abondante et jeune, arrivée d’un savoir faire – favorable qu’on peut même qualifier de « potentiel patrimonial » voire de « privilège » (Tulet, 1987).
5En augmentation constante depuis les années 1970, la demande urbaine en légumes frais d’origine tempérée (laitues, carottes, betteraves, poireaux,…) au démarrage du développement récent des hautes vallées, ne peut être satisfaite que sur des terres situées au-dessus de 1 500 m, lorsque l’altitude diminue les effets de la chaleur tropicale des basses terres. La pomme de terre s’adapte à un étage de 1 500 à 3 500 m, jusqu’aux espaces supérieurs soumis aux gelées ; les autres légumes subissent diverses limitations thermiques et se rencontrent plutôt aux altitudes moyennes. Cet étagement des cultures reflète l’étagement bioclimatique, les cultures maraîchères se répartissant de l’étage tempéré (tierra templada) à l’étage froid (tierra fria), voire très froid pour les tubercules (fig. 2). Les sols des pentes, des cônes de déjection, des terrasses ou encore des fonds de vallée assez profonds (planche photos 1) présentent un support relativement favorable pour les cultures : malgré les pentes extrêmes de certaines parcelles cultivées, proches de 70 %, les pratiques culturales mises en œuvre assurent des rendements à l’hectare pour la pomme de terre de l’ordre de 20 t/ha, près du tiers de ceux obtenus dans le Bassin Parisien, région de grande culture française. Quant à la ressource hydrique, elle est abondante : les précipitations oscillent entre 600 à 1 200 mm, selon l’exposition des versants, et de nombreuses quebradas et fuentes – torrents et sources – alimentées par les territoires d’altitude du páramo jalonnent les versants. Cette richesse en eau constitue le dernier atout naturel de l’espace montagnard qui a développé des systèmes d’irrigation collective indispensable à la seconde récolte annuelle pendant la saison sèche. Enfin l’abondante main-d’œuvre compense l’impossible recours à la mécanisation. Il n’existe, en effet, pratiquement aucune motorisation, en dehors de quelques tracteurs. Tous les travaux s’effectuent à la main (désherbage, divers traitements, récolte) et à l’araire pour la préparation des parcelles (planche photos 2). De plus, la Colombie, dont la frontière est toute proche, fournit aux municipios limitrophes des travailleurs saisonniers à moindre coût.
Figure 2. – L’étagement des productions agricoles dans la cordillère de Mérida.
Planche photos 1. – Les différents espaces andins traditionnellement cultivés ou mis en culture : terrasses, versants, cônes (photos 2 et 4 : cône de El Royal).
(Clichés auteur, 2004-2005)
Planche photos 2. – Les travaux et transport liés au maraîchage.
(Clichés auteur, 2004-2005)
6Ainsi, les atouts naturels et humains de cette montagne tropicale ont-ils été exploités au mieux révélant ainsi une exceptionnelle capacité d’adaptation aux nouveaux modes de consommation et une grande aptitude à l’adoption de nouvelles pratiques.
- 2 . Corporación de los Andes : voir le site www.funmrd.gov.ve de cet organisme créé dans le but de co (...)
7Les agricultures andines se démarquent largement de l’agriculture du reste du pays en raison du facteur climatique associé à la montagne mais aussi de leur histoire récente. L’agriculture associée aux étages tempéré et froid perpétue le minifundio associé à de fortes densités rurales. Avant les bouleversements récents, la région andine vénézuélienne constituait une zone déprimée et frappée par un fort exode rural. La pauvreté, voire la misère, était à peu près générale. Parallèlement, le pays se trouvait dans une situation de forte dépendance vis-à-vis des importations de type agroalimentaire (70 %), résultat d’une politique globale privilégiant l’exploitation pétrolière. Pour enrayer un exode rural massif et répondre à un besoin d’autonomie alimentaire, des programmes de développement (menés en particulier dans la région concernée par CORPOANDES 2 créé en 1964) ont été mis en place. L’un des principaux résultats de ces initiatives fut le développement massif de l’irrigation collective. On dénombre ainsi, pour le seul État de Mérida (11 300 km²), la mise en place entre 1964 et 2004 de 284 systèmes d’irrigation collectifs impliquant près de 8 400 agriculteurs et plus de 18 400 ha (CORPOANDES, 2004) (fig. 3 et 4).
Figure 3. – Évolution de la création des systèmes d’irrigation collectifs (nombre) et des superficies irriguées cumulées (ha) de Mérida de 1964 à 2004.
(D’après données CORPOANDES)
Figure 4. – Répartition des systèmes d’irrigation collectifs de Mérida de 1964 à 2004.
(D’après données CORPOANDES)
8L’irrigation a été l’outil essentiel du développement de nouvelles productions dont l’émergence répond à une toute récente demande urbaine. Les citadins prennent une place de plus en plus importante – au Venezuela, 80 % de la population est urbaine, un chiffre qui monte à 85 % dans les Andes et jusqu’à 88,19 % dans l’État de Mérida (CORPOPANDES, 2002). Les urbains développent à partir des années 1970 une demande axée sur les produits maraîchers d’origine tempérée (brocolis, carotte, ail…). Dans les campagnes, les cultures traditionnelles – pois, maïs, etc. – cèdent leur place pour assurer l’approvisionnement des marchés urbains (fig. 5). Aulx, carottes, pommes de terre, plantes aromatiques et divers autres légumes occupent l’ensemble des rotations, au détriment des jachères pâturées, du barbecho et des pâturages humides de fond de vallées. Drainage et irrigation permettent d’accroître les superficies disponibles pour les nouvelles productions.
Figure 5. – Évolution des superficies (en ha) en haricots noirs et tomates.
(D’après données MAT)
9La mise en place de petits systèmes d’irrigation et l’arrivée du maraîchage dans les hautes vallées amorcent un changement, qualifié de « révolution du maraîchage » (Tulet, 2005). En quelques années, ces dernières se sont transformées radicalement, provoquant des effets d’entraînement sur une bonne partie de la région, et même au-delà (Tulet, 2003). Le succès est lié au développement des consommations locale et nationale en produits à hautes valeurs ajoutées. Le résultat est aujourd’hui spectaculaire.
« L’État [de Mérida] dispose d’un pourcentage de terres agricoles d’une importance relative quant à […] certains systèmes de production, comme c’est le cas du maraîchage […] qui arrive à représenter 34,3 % […] des terres disponibles pour ce système dans le pays. » (CORPOANDES, 2002).
10En 2001, l’État de Mérida contribuait fortement aux productions maraîchères globales du pays : 54,48 % pour l’ail, 55,48 % pour la pomme de terre, 76,95 % pour le chou-fleur, 82,30 % pour la carotte, pour ne citer que quelques productions… Ces productions alimentent les marchés proches comme celui de la ville de Mérida, mais aussi les marchés des autres grandes villes du pays – Maracaibo, Valencia, Maracay, Caracas – ou encore l’industrie de transformation agroalimentaire pour l’oignon ou la pomme de terre.
11Si les profondes transformations des systèmes de production traditionnels de cette montagne tropicale ont bouleversé le paysage agricole, les productions, ainsi que l’économie de la région des Andes vénézuéliennes, elles se sont aussi accompagnées d’importantes évolutions des méthodes de production non sans conséquences sur l’environnement.
12Les principes de l’agriculture traditionnelle des Andes sont respectueux du milieu, et restent en adéquation avec la ressource : pas de prélèvement excessif, pas d’usage intensif ou encore respect des temps de repos des terres. La transmission des savoir-faire ancestraux, le rôle des traditions conditionnent une relation privilégiée entre le paysan et sa terre. Le travail du sol, la constante surveillance des parcelles demandent beaucoup d’attention toute l’année, à tel point que les paysans andins sont parfois qualifiés de « jardiniers » (De Robert, 2001). Les rotations – reconnues très favorables à la limitation de la propagation des nuisibles, à une meilleure assimilation des nutriments et au désherbage naturel – sont variées : différents tubercules comme l’apio (arracacha, tubercule), la pomme de terre, des protéagineux comme les fèves, les haricots noirs, des cucurbitacées ou encore l’ail (pour parfumer les plats et pour ses vertus médicinales mais dont la culture est réputée délicate). Les protéagineux (caraota, haricots noirs) sont très présents. Leur action de fixation de l’azote et d’enrichissement des sols est connue et valorisée. Les cultures s’étalent plus ou moins loin des villages avec parfois de nombreuses heures de marche à pied ou à dos de mule : on prend le temps de faire les choses. Le travail s’étale au rythme des saisons. À l’arrivée des premières pluies entre mars et mai, on prépare les sols à l’araire pour des semences traditionnelles (papa negra, pomme de terre traditionnelle). Le labour se fait suivant les courbes de niveau, sur les versants non mis en terrasses et, quelquefois, en deux temps, en sillons croisés pour mieux préparer les sols aux semis. De mai à août, le désherbage et le buttage manuels nécessitent des passages réguliers et fréquents. Enfin, la récolte à partir de juillet s’étale jusqu’à novembre en fonction de la variété des pommes de terre, dont le cycle dure de 4 à 9 mois. L’apio, qui s’étend sur les plus hauts versants, peut se récolter beaucoup plus tard, en raison de son cycle cultural supérieur à un an. Aux récoltes succède la période de repos des terres avec la jachère. Les terres qui sont pâturées bénéficient alors des apports organiques des animaux, reconstituant ainsi leur fertilité. Les cycles culturaux sont relativement longs et la pression exercée sur les terres est faible. La fertilité et le fonctionnement naturels des sols sont préservés.
13Ces pratiques demeurent aujourd’hui dans certains espaces parmi les plus éloignés, comme sur les terres à blé du Bassin du río Nuestra Séñora. Néanmoins, aujourd’hui, sur la plupart des versants andins de l’étage tempéré à froid, suffisamment arrosé, le maraîchage s’est développé avec son panel de technicités : irrigation, nouvelles semences, recours généralisé à la fertilisation minérale et aux traitements, etc. L’évolution est spectaculaire et touche la plupart des grandes vallées comme celle du haut Santo Domingo ou du Haut Chama ou de Tuñame (fig. 1) et s’accompagne d’une transformation notable des pratiques.
14La transformation induite par les petits systèmes d’irrigation permet la multiplication des rotations culturales. Une même parcelle peut ainsi assurer au cours d’une année deux ou trois récoltes conditionnées par l’irrigation. Dans la région de Mucuchies ou de Pueblo Llano (fig. 1), on rencontre très fréquemment les rotations annuelles suivantes : pommes de terre/carottes, pommes de terre/aulx, pommes de terre/choux/laitues ou maïs/pommes de terre/persil/laitues. Les superficies concernées sont très réduites, tout au plus quelques hectares pour un grand nombre des paysans, mais elles peuvent produire beaucoup. Comme on l’a indiqué ci-dessus, l’ensemble des périmètres irrigués comprend aujourd’hui environ 300 périmètres irrigués collectifs couvrant près de 20 000 ha, ce qui est considérable pour un milieu montagnard. Mais pour apprécier la surface réellement utilisée, il faut au moins doubler ces chiffres, voire les tripler, afin de tenir compte du nombre des récoltes possibles au cours d’une année, des superficies irriguées non recensées et des pratiques d’irrigation individuelles (réservoirs d’irrigation individuels). À l’heure actuelle, l’irrigation fait l’objet d’une maîtrise et d’une appropriation non remise en cause depuis plusieurs décennies. L’enchaînement des cycles culturaux est une pratique adoptée et contrôlée, sans nuisance apparente pour l’environnement (la salinisation par exemple des sols irrigués des domaines chauds semble ici évitée par le nettoyage des sols lors de la saison des pluies). La parcelle constitue un espace productif, dont l’usage est optimisé dès que l’irrigation est possible, assurant l’alimentation des marchés toute l’année. Néanmoins cette pratique entraîne un détachement des cycles saisonniers. De plus les parcelles ne connaissent plus de temps de repos : 15 jours à 1 mois séparent récolte et nouveau semis, ce qui est peu et ne laisse guère de temps à la microfaune pour se régénérer. La contribution naturelle ou pastorale à la régénérescence de la fertilité a disparu, elle a été remplacée…
- 3 . Pour une parcelle de 42 m sur 42 m, à raison de 60 kg par sac, et de 2 000 Bs le sac, avec 10 sac (...)
- 4 . Nom de la spécialité commerciale, matière active : Paraquat, classé très toxique par les bases de (...)
- 5 . Enquêtes de terrain réalisées entre octobre 2004 et juillet 2007.
- 6 . Instituto Nacional de Investigaciones Agrícolas.
- 7 . Fondo de Desarollo Agropecario, Pesquero, Foretal y Afines.
15Dans les Andes de Mérida, le travail du sol et les diverses interventions, du fait du relief, restent manuels et conditionnés par la main-d’œuvre, même dans le contexte du maraîchage intensif (la récolte de 80 sacs de pommes de terre par exemple, nécessite l’intervention de 4 personnes pendant 2 jours à raison de 40 sacs en un jour 3). Il en est de même pour les divers traitements. Bien que toujours réalisés manuellement, ils font appel à des systèmes ingénieux, peu coûteux et adaptés aux conditions locales de pentes et de faible accessibilité motorisée. Les bombas, réservoirs de 200 l, composés d’un cocktail varié d’intrants, alimentent par de longs tuyaux des pulvérisateurs manuels. On peut ainsi traiter loin et abondamment… Le Gramoxone 4, par exemple, est l’herbicide le plus fréquemment utilisé pour la préparation du sol. Le rendement est ensuite garanti par un recours généralisé à la fertilisation minérale (12-12-17/2 sp ou UVEA à 46 % d’azote) et aux traitements phytosanitaires. Les traitements font appel à un panel impressionnant d’insecticides (Furadan, Temik, Karate,…) et fongicides (Manzate, Bravo 500,…) 5. Les traitements se font généralement dans le cadre du paquete modernizador… ou du paquete tecnologico. Ce « contrat », signé entre le producteur ou une association de producteurs, l’organisme d’assistance technique, généralement l’INIA 6 et le FONDAFA 7, incluent, en plus des semences et de l’aide à la commercialisation des récoltes, engrais et produits phytosanitaires. Dans la majorité des cas, il apparaît une bonne maîtrise des doses (correspondance avec les préconisations des index phytosanitaires) et de la répétitivité des traitements (tous les 8 à 10 jours pour la pomme de terre ou l’ail, cultures exigeantes, soit 8 à 17 traitements insecticides et fongicides selon les variétés). Cependant cette maîtrise apparente est à nuancer en raison des spécificités des nouveaux systèmes culturaux mis en œuvre dans la montagne tropicale. La multiplication des cycles culturaux annuels entraîne une double ou triple répétitivité des traitements sur l’année. Par ailleurs, l’usage des produits phytosanitaires est encadré quelquefois par des entreprises agroalimentaires (encadrement de l’agriculteur, de la fourniture de la semence jusqu’à la récupération de la récolte) et, dans la plupart des cas, par les coopératives agricoles. Ces dernières ont des représentants qui sillonnent les fincas (Agroisleña apparaît sans conteste comme la plus importante ; il faut souligner que les coopératives ne sont pas obligées de donner leurs chiffres de ventes…). Elles ouvrent l’accès à une grande diversité de produits. En cas de problème, la personne ressource contactée est le technicien de la coopérative. Son rôle semble essentiel là où les techniciens du ministère ou des associations ne sont pas présents. Néanmoins certaines pratiques restent basées sur l’observation des cultures et la connaissance des parcelles : la carotte par exemple vient généralement après la pomme de terre, en raison de son pouvoir épurateur sur les sols. Il en est de même pour le maintien de la fertilité organique et de la structure des sols : l’observation et l’expérience conduisent à un entretien des sols par des apports organiques très réguliers.
- 8 . Au moment des entretiens, 20 000 Bs = 6,6 e.
16Une large majorité des agriculteurs pratiquent un recours généralisé et massif aux amendements organiques, abono orgánico, à l’échelle régionale. C’est le cas de la gallinoza (déjection de volailles), qui provient des États plus ou moins proches de Zulia, du Trujillo ou de Valencia. La gallinoza arrive sur les parcelles après parfois plusieurs jours de transport en camion, dans un conditionnement plus ou moins adéquat. En effet, si la législation impose un taux d’humidité de 20 % pour ce produit et un traitement thermique détruisant larves et bactéries, elle est rarement respectée. Les problèmes associés aux mouches et vecteurs pathogènes, comme la salmonelle, sont nombreux. Pour ces raisons, et ceci très théoriquement, son usage est réglementé dans certains municipios (Balaidores), voire interdit (Miranda, Timotes, Santo Marquina). Mais, en contrepartie des nuisances sanitaires, la gallinoza est un excellent amendement organique. Les rendements sont en moyenne augmentés de 33 %. Elle est appliquée avant chaque nouvelle culture malgré un coût non négligeable pour le paysan (environ 18 t/ha, soit un coût de 1 500 000 Bs 8 ; 75 sacs de 40 kg pour une parcelle de 42 m sur 42 m à chaque plantation) qui sera de toute façon compensé par les rendements. Cet amendement organique est préféré au fumier de chèvre, l’estiercol de chivo. Ce dernier est tout aussi efficace, mais plus cher et donc réservé aux cultures florales. Il peut par ailleurs, entraîner des problèmes de salinisation des sols, ce qui ne représente pas, néanmoins, un argument évoqué par les agriculteurs. Plus dans un souci de maintien de la structure des sols, les paysans utilisent largement la concha de arroz, balle du riz (aussi utilisée pour le paillage des cultures de fraises). Un camion permet le remplissage d’environ 50 sacs de 20 kg ; si l’on considère qu’on met en moyenne 8,5 t/ha, il faudra 75 sacs, soit plus d’un camion pour pourvoir une parcelle de 42 m sur 42 m. Cette pratique sera renouvelée toutes les trois récoltes. Dernier amendement utilisé, la cachaza, résidu de canne à sucre en provenance des trapiches,est un amendement présentant de très nombreux avantages : pas de nuisances sanitaires, un apport organique intéressant, une amélioration de la structure du sol, un coût proche de celui de la gallinoza (application d’environ 12 t/ha, pour un coût de 1 500 000 Bs)… mais elle semble peu appréciée par les agriculteurs, peut-être en raison d’un moins bon réseau d’approvisionnement et d’une quantité produite moindre.
17Les pratiques de fertilisation organique sont systématiques et largement justifiées. Le choix des agriculteurs est le résultat d’une logique réfléchie sur plusieurs années, voire décennies. Ce choix n’est pas sans incidence car ces pratiques nécessitent toujours un travail manuel très important. Les produits sont généralement déversés par les camions assez loin des parcelles, en bas des versants généralement, pour des raisons d’accessibilité ou d’acquisition groupée par plusieurs paysans. Ils sont alors mis en sacs, avant d’être transportés dans les parcelles, parfois éloignées sur les versants, à dos de mule. Là l’épandage et l’enfouissement sont réalisés manuellement. Les intérêts agronomiques sont incontestables, mais la motivation de ces pratiques est bien plus souvent basée sur le maintien des rendements que sur un véritable souci de préserver les sols. Toutefois on peut s’interroger sur la pérennité de ces pratiques et globalement de ce système de production. Actuellement des amorces d’agriculture alternative, plus diversifiées, plus tournées vers des pratiques agro-environnementales émergent dans les Andes vénézuéliennes de Mérida.
- 9 . MAC : Ministerio de Agricultura y Cría.
- 10 . Par la suite, se sont succédé, de 1983 à 1988, le programme d’ajustement « hétérodoxo », toujours (...)
- 11 . INIA : Instituto Nacional de Investigaciones Agrícolas.
- 12 . SENASEM : Servicio Nacional de Semillas, assure inspection et certification des semences.
- 13 . FONAIAP : Fondo Nacional de Investigaciones Agricolas y Pecuarias.
- 14 . FUNDACITE Mérida : Fundación para el Desarrollo de la Ciencia y Tecnología del Estado Mérida.
- 15 . PROINPA : Asociación de Productores Integrales de Páramo. Association à but non lucratif d’agricu (...)
18La spécialisation et l’intensification des rotations ont entraîné l’apparition de nouvelles variétés de cultivars, en particulier de pommes de terre à cycle court (papa blanca « granola »). Au cours des années 1960-1970, le MAC 9 lança le « Programa subsidio conservacionista » (1959-1973) et introduisit les premiers paquetes tecnologicos qui incluent les semences – semillas importadas mejoradas (cycle 90 jours) de papa blanca –, le matériel pour l’irrigation par aspersion, les engrais et des produits phytosanitaires. Les années suivantes, l’augmentation historique des devises pétrolières se traduisit par des investissements pour la modernisation rurale (1974-1988) 10 : l’irrigation et la production spécialisée de la papa bénéficient à nouveau d’une forte impulsion. L’accroissement des volumes produits et des rendements est spectaculaire, mais fortement dépendant de l’importation de deux apports énergétiques : les engrais et les semences (Romero, 2005). Ainsi, le paquete modernizator entraîne la perte des variétés locales et la faible production nationale de semences. La dépendance envers l’importation de produits alimentaires est ainsi transférée sur celle de semences. Le pays est aujourd’hui dépendant de semences de pommes de terre en provenance du Canada, de Hollande, de Colombie ou d’Allemagne. Toutefois, la forte augmentation du prix de ces semences d’importation (multiplié par 8 entre 1988 et 1993) incite à l’utilisation de semences non certifiées issues de la récolte précédente (Gutiérrez et al., 1996). Actuellement, on cherche à produire une semence certifiée à partir de variétés locales adaptées aux conditions agro écologiques de la région andine. Des programmes de recherche sur les semences ont ainsi été lancés et encouragés dans l’État de Mérida sous l’égide d’institution comme l’INIA 11, le SENASEM 12 le FONAIAP 13 et le FUNDACITE 14. Parallèlement des associations d’agriculteurs comme PROIMPA 15 ont fait le choix de développer leur propre station de production de semences. PROIMPA, avec le soutien de l’INIA, assure la préparation des semences nécessaires à ses agriculteurs et commercialise l’excédent (photo 3). Mais cette production reste insuffisante. Si elle est moins sensible, la question des semences se pose aussi pour d’autres productions, comme l’ail, ou pour la production en « bio ».
Photo 3. – Serre de préparation des semences de pommes de terre de PROIMPA près de Mucuchies.
(Cliché auteur, 2004-2005)
- 16 . Les principaux problèmes sanitaires de la papa sont dus à la teigne guatémaltèque (Tecia solanivo (...)
19Les importations de semences entraînent d’autres problèmes. Des cas de contamination ont été détectés sur des lots de semences avant utilisation et ont entraîné leur destruction (20 000 sacs de semences d’origine allemande détruits, en raison de leur contamination par des champignons et des bactéries). Souvent l’introduction de ces semences dans les hautes vallées a été associée à l’arrivée de nouveaux germes pathogènes, jusqu’alors inconnus dans les parcelles andines 16 – ce qui a conforté l’introduction massive des traitements phytosanitaires. Ces dernières années, le coût des intrants phytosanitaires pour la culture de la papa blanca, comme pour de nombreuses autres cultures maraîchères, a très largement augmenté (même si l’on fait abstraction de la dévaluation du Bolivar) (fig. 6 a). Par ailleurs, les intrants et les semences (certifiées) représentent l’essentiel du coût de production pour la pomme de terre, de l’ail et de certaines autres cultures (fig. 6 b) : pour la papa blanca « granola » ou l’ail cela représente entre 60 et 75 % du coût total de production selon les années depuis 1983. Même si la marge bénéficiaire reste importante, cet accroissement du coût des intrants pourrait avoir des conséquences, comme cela a été le cas en Europe, il y a quelques décennies. Il faut maintenant motiver une réflexion tournée vers l’adoption des pratiques dites raisonnées, réduisant les intrants, et, par là même, les coûts de production. Indirectement, cette évolution pourrait servir des objectifs environnementaux. Globalement l’ensemble des coûts de production augmente pour l’ensemble des cultures maraîchères (figure 6 a) : multiplié par plus de 500 pour la carotte, 640 pour l’ail et 1 170 pour la papa blanca « granola » depuis 1983, etc. La main-d’œuvre, répondant à l’absence de mécanisation, y contribue largement. La réduction des intrants mettant à contribution cette main-d’œuvre réduirait d’autant les coûts de production. L’intérêt de l’adoption de pratiques raisonnées serait ainsi double.
Figure 6 a.– Évolution des coûts de production de quelques cultures maraîchères.
(Données MAC 1983-2007)
Figure 6 b. – Répartition des coûts de production de quelques cultures maraîchères.
(Données MAC 1983-2007)
- 17 . De nombreuses affections pulmonaires sont constatées régionalement, mais aucun lien n’a été établ (...)
20L’utilisation récurrente et intense d’intrants phytosanitaires laisse présager un risque de contamination du milieu. Le Gramoxone, cité précédemment, fait l’objet d’un débat international en raison de sa toxicité 17 et de sa persistance dans les sols. Ses risques de toxicité sont accrus du fait de son utilisation contextuelle sans aucune protection ou formation et de façon répétée. La maîtrise apparente de l’usage des pesticides, estimée en confrontant les résultats des enquêtes de terrain et les préconisations sanitaires, est à nuancer en raison des spécificités des nouveaux systèmes culturaux mis en œuvre dans la montagne tropicale. La multiplication des cycles culturaux annuels entraîne, en effet, une double ou une triple répétitivité des traitements sur l’année. Les repères, en termes de contamination du milieu, sont donc différents de ceux des milieux tempérés où il n’y a qu’une succession annuelle de traitement. Le risque accru d’accumulation dans les sols ou dans les eaux ou même dans les aliments semble totalement ignoré ou volontairement occulté. Rares sont les paysans des zones en maraîchage intensif qui ont évoqué leur crainte vis-à-vis
de l’environnement et de la santé. Pourtant la connaissance du risque est présente, puisque certains agriculteurs reconnaissent utiliser certains produits illicites, comme le DDT. Interdit en Europe depuis 1972 et au Venezuela depuis 1986, il est importé illégalement de Colombie. On a recours au DDT sur les cultures de carottes, pommes de terre ou ail, quand la situation est « critique », en cas d’invasion du ver blanc (gusano blanco) par exemple ou d’abandon d’une parcelle après culture de papa (contamination de la parcelle où les résidus de papa facilitent le développement d’éléments pathogènes). Le lendemain de son épandage, on irrigue pour masquer l’odeur,… son usage ayant été associé à de forts maux de tête.
- 18 . Analyses réalisées en 2005 dans le cadre d’un programme d’échanges CNRS/FUNDACIT, effectuées par (...)
21Des analyses d’eau et de sols, réalisées en 2005 dans les municipios de Mucuchies et Pueblo Llano 18, ont montré la présence en quantités non négligeables de DDT (0,52 ppb de 4,4 DDT) et de produits comparables ou de décomposition du DDT (0,15 ppb de 4,4 DDE, 0,13 ppb de 4,4 DDD…), mais aussi d’Atrazine (0,2 ppb), de Lindane (0,12 ppb), d’Aldrine (0,07 à 0,66 ppb) ou d’Endosulfan, cancérigènes et interdits ou à usage réglementé dans de nombreux pays. On retrouve essentiellement des produits organochlorés, produits qui sont interdits et ne se commercialisent plus dans le pays. Leur présence correspond à des applications illicites ou antérieures à leur interdiction. Certains d’entre eux sont en effet hautement persistants dans les sols, avec des temps de dégradation (DT 50) supérieurs à 10 ans. Ces quelques résultats montrent que les risques de contamination du milieu sont bien réels !
22Avec la généralisation de l’irrigation des versants et du drainage des fonds de vallées anciennement pâturés, les cultures s’étendent spatialement (en plus d’une intensification sur une même parcelle) sur les versants, sur les cônes des quebradas,torrents de montagne, et sur les fonds de vallées. L’élevage et plus généralement, la mise en pâturage, sont souvent relégués dans le páramo. Les cultures à cycle long comme celles des pommes de terre de variétés traditionnelles ou l’apio,l’arracacha, sont conservées mais sur les parcelles les plus éloignées ou sur de nouvelles parcelles mises en culture plus haut sur le bassin versant (difficilement accessibles, à plusieurs heures de marche du village, fig. 7).
Figure 7. – Évolution de la répartition des activités agricoles (schéma de synthèse d’après Tulet, 1987) : la colonisation progressive des versants par les cultures maraîchères.
23Elles se localisent là où il n’y a pas de concurrence à l’égard des cultures de rente (qui sont concentrées sur les parcelles irrigables), parfois avec un risque de gel lié à l’altitude (parcelles jusqu’à 3 500 m) (fig. 8). Le choix des paysans donne la priorité aux cultures commerciales, alors qu’ils prennent des risques sur des parcelles à destination alimentaire, sans enjeu économique. Ces extensions posent plusieurs problèmes : des versants fortement pentus sont mis en culture au risque de voir l’érosion des sols se développer ; les superficies toujours en herbe régressent, le páramo et sa végétation sont transformés… En particulier le frailejon (Espeletia schutlzii), Hypericum sp.,ou d’autres plantes à rosettes, ou encore des arbustes comme Orthosantus, Polylepis sericeae sont menacés. Ces atteintes au páramo génèrent des conflits avec les instances du Parc National de la Sierra Nevada. Ce parc a établi, dès sa création en 1952, un zonage destiné à la conservation et à la protection des écosystèmes naturels. Les nouvelles pratiques introduites avec le maraîchage, relativement éloignées des pratiques traditionnelles, ne sont pas en adéquation avec la vocation protectionniste du parc. Cette situation conflictuelle entre les communautés et INPARQUES est d’autant plus tendue que le travail des techniciens du Parc se limite à des inspections et à la mise en pratique des réglementations sans véritable dialogue avec les communautés (Pérez Arriaga, 2000). Le zonage initialement établi délimitant des zones de peuplement autochtone (Zona de Uso Poblacional Autóctono), de protection intégrale (Zona de Protección Integral), d’activité gérée (Zona de Ambiente Natural Manejado), etc., est depuis 2005 en cours de réactualisation, ce qui n’avait pas été réalisé depuis 1952. Il devrait permettre de préciser la présence anthropique et ses activités et ainsi de mieux appliquer la réglementation. Dans bien des secteurs, cette réglementation du Parc n’est pas encore véritablement appliquée, en particulier en ce qui concerne l’usage de l’irrigation. Certains agriculteurs redoutent à terme la mise en application de cette réglementation qui pourrait réduire leur accès à la ressource en eau issue du páramo.
Figure 8. – Intensification des activités agricoles dans le bassin versant de la quebrada El Royal (Mucuchies, État de Mérida, d’après photos aériennes de la ULA, 1952, 1999).
24L’accès à la ressource en eau apparaît comme le facteur limitant inquiétant réellement les agriculteurs. Il existe d’importantes difficultés liées à l’état des systèmes collectifs d’irrigation mis en place il y a quelques décennies, ce qui nécessite des interventions régulières gérées par les comités de riego,d’irrigation : on constate un vieillissement et une dégradation rapide, notamment des tuyaux recyclés qui ont été utilisés, la rouille, des affaissements de terrain, autant de facteurs qui rendent irréguliers les approvisionnements en eau. Mais c’est surtout l’augmentation de la demande qui risque de poser problème : lors des successions, les parcelles sont partagées entre les héritiers qui tentent d’en optimiser la productivité par l’irrigation, mais l’accès au comité de riego reste restreint car le nombre de membre reste très constant : il est impossible de créer de nouvelles lignes secondaires ou tertiaires sous peine de réduire la pression indispensable et de rendre les tours d’eau trop courts. Depuis quelques années, de nouveaux réservoirs et réseaux individuels, sans justification technique, ni permis, font leur apparition sur les versants, et parfois sur les parties hautes des bassins. Les systèmes d’irrigation s’imbriquent, se développent… Les quebradas, les lagunes et les sources alimentant ces systèmes sont menacés. Des pollutions par les algues vertes ont été constatées et des quebradas sont laissées presque sans débit…
25El Royal 1952-1999 est un exemple d’intensification de l’usage de la terre : les zones de cultures traditionnelles du cône avec jachères se transforment en zones de maraîchage intensif (fraises, pommes de terre, aulx, etc.). Les cultures annuelles se développent sur les versants. Quelques cultures traditionnelles comme les pommes de terre à cycle long ou l’apio s’installent dans le páramo entre 3 500 et 3 750 m malgré les risques de gel. Néanmoins dans le cône, le parcellaire reste très morcelé par de petites haies et des murets de pierre.
26La durabilité du maraîchage pourrait ainsi nécessiter la remise en cause et l’adaptation de certaines de ses pratiques. Parallèlement des changements s’amorcent : plusieurs agriculteurs sont demandeurs d’une meilleure assistance technique afin de mieux gérer leurs intrants. Certains, dans la région de Pueblo Llano, appartenant à la coopérative La Trinidad, ont trouvé une solution dans le recrutement de deux agrotechniciens. Dans la région de Mucuchíes, c’est une organisation non gouvernementale, El Convite, qui en relation avec le FONAIAP apporte une assistance technique aux agriculteurs. Les regroupements sous forme d’associations ou de coopératives donnent la possibilité aux agriculteurs d’avoir un soutien et d’évoluer vers de nouvelles pratiques.
27L’association d’agriculteurs PROIMPA, dans la région de Mucuchíes, par exemple, dispose de 4 ingénieurs et de 4 techniciens, au service des 27 agriculteurs de l’association. Les pratiques qu’ils diffusent sont très intéressantes car basées sur le souhait de retourner vers des pratiques moins dégradantes pour l’environnement. Ils ont réintroduit par exemple l’usage du fumier de bœufs et de vaches pour la fertilisation organique, mais composté. Ils ont recours à la cachaza, résidu organique de la canne à sucre. Ils utilisent aussi la gallinoza, fumier d’élevage de poulets, mais jamais seul, toujours mélangé et composté. Largement utilisateur de l’irrigation, les agriculteurs de PROIMPA sont équipés à 70 % de systèmes d’irrigation au goutte-à-goutte. Le choix de pratiques exclusivement biologiques avec un label organique est difficile, voire impossible : ils ont donc fait le choix de limiter l’usage des produits phytosanitaires sans les supprimer (liste des produits autorisés et interdits spécifique à l’association).
28D’autres agriculteurs ont choisi de se regrouper pour privilégier un retour vers des pratiques moins intensives et moins centrées sur une dépendance vis-à-vis du marché et des intrants par l’intermédiaire des « nucleos de desarollo endogeno ». Ces « nucleos » commencent à se développer à Pueblo Llano (avec 44 ha pour 33 agriculteurs par exemple) ou dans d’autres municipios : Tucani, Bailadores et Santa Cruz (au total 270 ha en collaboration avec l’INIA). Ces « structures » sont impulsées par l’État qui, après une incitation critiquable à l’usage des paquetes tecnologicos, lance plusieurs initiatives axées sur une gestion durable des terres agricoles.
29Pratiquées plus individuellement, hors contexte d’une association, il existe d’autres pratiques alternatives, utilisant par exemple du compost et de l’humus de lombric. À raison de 5 à 7 t/ha, le compost de lombric constitue un amendement riche en NPK (azote, phosphore, potasse) mais cher : 100-200 Bs/kg. Il en est de même pour l’humus de lombric. Cet engrais foliaire est appliqué 1 mois à 1 ½ mois après le semis, à raison de 2 l par tonneau de 200 l pour une parcelle de 50 m sur 50 m. On l’utilise sur les pommes de terre ou les carottes mais avec un coût de 3 000 Bs/l. L’usage de ces amendements est davantage orienté vers une volonté de développement intégral de l’exploitation et de préservation des sols. La notion de développement intégral, aujourd’hui adoptée par certains paysans, ne fait que remettre en avant des principes anciens : diversité des productions pour éviter une forte dépendance vis-à-vis du marché et satisfaire des besoins alimentaires, utilisation des déchets de l’exploitation (même si les déchets d’élevage sont compostés et non pas utilisés brut),… Elle reflète un état d’esprit différent du paysan, orienté vers la prise en considération d’un fonctionnement plus durable de l’exploitation et d’un maintien du potentiel des terres (photo 4). Ce concept émergeant renoue le lien avec les anciennes pratiques d’élevage avec, par exemple, la valorisation de la laine dans les ateliers de tissage de Mucuchíes et autorise aussi de nouvelles perspectives de développement avec l’écotourisme.
30L’émergence d’une population paysanne soucieuse de préserver son espace de production constitue un élément nouveau dans le paysage agricole andin et montre l’évolution des mentalités. Certains paysans préfèrent aujourd’hui adopter de nouveaux modes de production plus en accord avec leur perception de l’environnement.
- 19 . Traduction des auteurs : « Il semble que le secteur agricole ait fait preuve d’une grande disposi (...)
« Parace que el sector campesino ha mostrado gran disposición para convertir el modelo productivo tradicional en una práctica menos agresiva para el entorno ambiental» 19 (Mérida, 31 oct. 2006, ABN Agencia Bolivariana de Noticias).
31Une amorce de changement à suivre…
Photo 4. – Parcelle expérimentale et démonstrative de pratiques agro écologiques à Mocao Bas, près de Mucuchies. La culture se fait sur des lits de terre riche en matières organiques. L’irrigation s’effectue par asperseurs à bas débits.
(Cliché Juan Jaco, 2007)
32Pourtant si ces initiatives sont intéressantes, elles restent limitées. Matériellement les alternatives aux traitements phytosanitaires sont inexistantes, faute de moyens et de réseaux de diffusion et commercialisation. Dans le cas de l’ail, par exemple, il est possible de contrôler les acarides attaquant les plants avec un bio insecticide, le « Trichoderm ». Les substances chimiques qu’il libère ne sont pas nocives pour l’homme et limitent la propagation de minuscules arachnides. Même si certains agriculteurs s’intéressent à ce traitement biologique, ils sont dans l’incapacité de s’en procurer.
33Le constat d’échec lors de la mise en application de pratiques alternatives peut entraîner des blocages, une faible diffusion ou même des abandons définitifs. Le lombri-compost, par exemple, en raison du froid qui ralentit l’activité des lombrics et de l’attention qu’il convient d’apporter aux installations (suivi de l’humidité entre autres) est peu répandu. Après plusieurs échecs d’essai de diffusion, il reprend peu à peu sa place dans les exploitations PROIMPA où il s’avère très utile pour le recyclage des déchets organiques de l’exploitation. L’irrigation au goutte-à-goutte, autre exemple, connaît certaines difficultés en particulier avec la culture de la pomme de terre : lorsque les plants commencent à croître, il est nécessaire de repasser dans la parcelle pour re-enterrer les tuyaux, ce qui entraîne un travail supplémentaire. Ces mêmes tuyaux présents dans les sillons sont soumis à l’humidité ou aux champignons et se dégradent rapidement. Le gel matinal présent en altitude est incompatible avec ce mode d’irrigation et entraîne parfois l’explosion des lignes les plus délicates, qui finissent par se déliter en petits morceaux. La durabilité des installations est estimée à 3 ou 4 ans, période au-delà de laquelle il faut de nouveau investir et, par endroits, on constate l’empilement de tuyaux dégradés dans les haies limitrophes des parcelles, occasionnant un autre type de nuisance… Globalement ces systèmes sont très peu adaptés au travail de la parcelle en culture annuelle et très peu pérenne.
34Par ailleurs, les pratiques alternatives ne concernent que de petits groupes d’agriculteurs – 27 dans le cas de PROIMPA –, et des superficies dérisoires, quelques centaines d’hectares pour les « nucleos de desarollo endogeno ». Leur diffusion semble difficile, car elles ont été implantées dans un contexte particulier. La région de Mucuchíes, par exemple, est un des terrains d’investigation privilégiés de la Universidad de Los Andes (ULA), et d’intervention de l’ONG « Andes Tropicales » qui a notamment aidé à la mise en place de PROIMPA. Cette région « échantillon » pour la réalisation de divers projets et de diverses recherches, est ouverte à de nombreux échanges nationaux et internationaux mais reste atypique : PROIMPA y fait figure de « vitrine régionale » mais le développement de cette structure et sa transposition dans d’autres secteurs sont impossibles.
35Enfin un frein important à l’adoption de pratiques alternatives demeure :
« Le plus important et le plus difficile […] est de faire évoluer les mentalités productivistes qui défendent farouchement le paquet technologique basé sur l’agrochimie, vers une nouvelle conscience environnementale et agronomique ».
36Tels sont les propos tenus en 2007 par le président de l’association PROIMPA. Ainsi s’opposent des agriculteurs engagés dans des pratiques alternatives et des agriculteurs encore fortement conditionnés par l’utilisation depuis quelques dizaines d’années du paquet technologique : l’un des principaux obstacles reste donc l’évolution des mentalités…
37Les innovations techniques mises en œuvre pendant la seconde moitié du xxe siècle sur les terroirs maraîchers andins ont permis d’accroître les rendements et les superficies productives. Les pratiques qui se sont généralisées assurent la « fertilité directe du sol », mais on sait peu de chose sur la fertilité à long terme, la biodiversité ou encore les équilibres biologiques. La multiplication des parasites et des maladies laisse à penser que la simplification des assolements et les nouvelles variétés cultivées tendent à affaiblir les sols. Le recours à des produits puissants, tel le DDT importé illégalement de Colombie, apparaît comme une pratique inquiétante. Ainsi des limites, qui n’ont pour l’instant jamais mis en cause la pérennité du système, sont susceptibles d’apparaître, liées essentiellement à la ressource en eau, aux espaces disponibles pour les cultures ou encore à l’épuisement des sols. Si une grande majorité des paysans se sont orientés vers des pratiques intensives peu en relation avec la préservation de l’environnement, c’était avant tout pour des impératifs de production. Aujourd’hui de nouvelles voies s’offrent à eux, par la voie associative essentiellement, ouvrant sur des pratiques alternatives, mais dont la diffusion et la faisabilité restent réduites.
38Le nouveau Plan Intégral de Production Agricole(Plan Integral de Producción Agrícola) de 2007 apportera peut-être quelques outils indispensables. Partant d’un constat de dégradation environnementale, il prône le développement de pratiques durables, via l’agro-écologie (agroecología).
- 20 . Traduction des auteurs : « Les municipios où il est urgent d’appliquer des politiques de développ (...)
« Los municipios donde urge aplicar políticas de desarrollo agrícola sustentable son los ubicados en el Páramo de Mérida, Rangel, Miranda, Pueblo Llano y Cardenal Quintero, ya que en ellos se registran altos índices de contaminación en suelos y aguas » 20 (Mérida, 31 oct. 2006, ABN Agencia Bolivariana de Noticias).
39Reste à voir quels seront les outils développés dans le cadre de ce plan, une présence plus importante des techniciens agricoles sur le terrain, le développement d’ateliers (red) de formation et sensibilisation des agriculteurs ou un soutien aux associations d’agriculteurs en vue d’augmenter leurs champs d’actions !