1Dans le massif du Fouta-Djalon, depuis le début des années 1990, on assiste à l’expansion du maraîchage de rente. Plusieurs produits sont concernés : la pomme de terre principalement, l’oignon, la tomate, etc. L’arboriculture fruitière y est aussi développée.
2L’émergence du vivrier marchand en Moyenne Guinée (fig. 1) a eu lieu dans un contexte qui, au départ, ne le prédisposait pas à cette évolution. Depuis l’époque coloniale, le Fouta-Djalon était en crise et la migration était devenue le principal facteur de la réussite. Il y avait une dépréciation de l’agriculture dans une région qui ne disposait pas de culture(s) de rente. Elle s’était accentuée sous l’effet des politiques cœrcitives menées sous la Première République, provoquant un repli sur des productions limitées de riz, de fonio, de tomate, permettant à peine d’assurer la subsistance. La production agricole était le fait de petits exploitants appartenant souvent aux catégories sociales en position d’infériorité sur le plan statutaire. Les rendements étaient faibles et les techniques de culture itinérantes sur brûlis entraînaient une dégradation rapide des sols par suite de l’érosion.
3De nouvelles dynamiques sont à l’origine de la progression du maraîchage de rente. Au niveau national, elles sont le résultat des politiques libérales d’ouverture des marchés mises en œuvre sous la Deuxième République, de l’apparition de nouveaux acteurs de développement et de la concurrence pour l’accès à la terre. À l’échelle régionale, elles portent, d’une part, sur la place que ces cultures occupent dans plusieurs types d’espaces : des bas-fonds, des parcelles maraîchères au sein de l’habitat, des champs extérieurs dont l’extension est remarquable pour le maraîchage de rente ; et d’autre part sur le rôle exercé par divers acteurs mus par des logiques différentes, qui sont d’abord les producteurs de la région, notamment les femmes, puis de nouveaux acteurs-salariés, migrants de retour, propriétaires terriens – qui se sont investis récemment dans le secteur du vivrier marchand. Au niveau régional, un accent particulier sera mis sur les dynamiques organisationnelles liées à l’action de la Fédération des Paysans du Fouta-Djalon.
4L’émergence d’un maraîchage de rente a des impacts dans plusieurs domaines : l’économie régionale et la construction territoriale, l’organisation sociale, la gestion du foncier, les rapports entre l’essor du vivrier marchand et les migrations. Leurs portées seront évaluées dans la dernière partie de cette contribution.
Figure 1.
5L’expansion du maraîchage de rente dans le Fouta-Djalon est récente. Durant la Première République, de 1958 à 1984, malgré les intentions affichées en matière agricole des gouvernants qui avaient comme slogan « Produire pour se suffire », les résultats sont restés mitigés, et les modèles de production exogènes de type collectiviste imposés par un pouvoir qui méprisait les logiques internes des communautés locales ont eu un faible impact. Rares étaient les paysans qui disposaient d’un tracteur, de semences améliorées ou d’engrais pour une production intensive. Toute la production était réservée à la consommation familiale. Lorsqu’il y avait un surplus, il était racheté à des prix dérisoires aux paysans par les services de l’État qui assuraient l’approvisionnement en vivriers des villes par l’intermédiaire des magasins d’État (Diallo M.M., 2004). L’échec de la politique agricole de la Première République trouve là une explication majeure.
6Dans ces conditions, davantage animés par le souci de garantir leur autosubsistance plutôt que de dégager des surplus commercialisables, les petits exploitants agricoles cultivaient exclusivement des produits vivriers (riz, maïs, fonio, manioc, légumes, arachides…). La plus grande partie des productions était soit directement consommée soit échangée sous forme de troc de voisinage. La décision d’en écouler une infime partie n’était déterminée que par le besoin de liquidités pour faire face à certaines dettes. La main mise du Parti Démocratique de Guinée (PDG), le Parti-État sur les structures d’encadrement et de commercialisation et le caractère coercitif de celles-ci ont provoqué une chute des productions et entraîné une régression des conditions de vie encore perceptibles après l’avènement de la Deuxième République en 1984.
7Les régressions de l’agriculture et de l’élevage au Fouta-Djalon ont été amplifiées par l’importance des migrations. Au terme de la Première République, environ 2 millions de Guinéens, soit près d’un habitant sur trois, étaient partis à l’étranger, une grande partie d’entre eux étant originaires du Fouta-Djalon. Dès l’époque coloniale, dans une région où il n’y avait pas de véritable culture de rente procurant des revenus (comme le café), les migrations s’étaient développées vers les villes de Guinée comme Conakry ou Kindia et vers la zone arachidière du Sénégal pour trouver de l’argent pour faire face à une pression fiscale très élevée. Elles ont été favorisées aussi par d’autres facteurs : les recrutements militaires et la constitution d’une main-d’œuvre salariée. L’abolition de l’esclavage en 1906, puis du travail forcé en 1946, et les mesures prises par le PDG en faveur des anciens captifs au Fouta-Djalon les ont conduits à aller vendre leur force de travail ailleurs. Les migrations, qui avaient souvent un caractère saisonnier à l’époque coloniale, sont devenues massives et permanentes sous la Première République. Le faible niveau de vie, le désir d’échapper à la condition paysanne, les opportunités réduites de travail salarié au Fouta-Djalon, les livraisons obligatoires, les vexations inutiles, les difficultés de ravitaillement, l’embrigadement idéologique, les arrestations politiques ont contribué à accroître les migrations. En réduisant la main-d’œuvre disponible pour l’agriculture, elles ont restreint les potentialités du développement du secteur agricole dans la région.
8Après la mort de Sékou Touré en 1984 et l’avènement de la Deuxième République, l’ouverture du Fouta-Djalon sur l’extérieur s’est accentuée du fait de l’importance des migrations et du développement du commerce. Ce contexte a accru la monétarisation du monde rural qui est devenue dorénavant partie intégrante des rapports de production et d’échange. L’importance des revenus procurés par la migration, souvent associée au commerce représente aujourd’hui encore l’un des principaux facteurs de l’élan migratoire, d’autant que, dans beaucoup d’exploitations, la notion de surplus demeure tout à fait marginale et ne constitue pas un objectif des systèmes de production agricole.
9Les mesures prises par le nouveau régime pour libéraliser des politiques de développement, favoriser les initiatives privées et le commerce, ont constitué un cadre favorable pour l’émergence du maraîchage de rente. Pour relancer l’activité économique la Lettre de Politique de Développement agricole (LPDA1), adoptée en 1991 par le Gouvernement guinéen, a mis l’accent sur le désengagement de l’État des activités de production et de commercialisation sur tout le territoire. En contrepartie, elle a encouragé la création de conditions favorables à l’émergence d’un secteur privé dynamique avec la mise en place d’organisations paysannes qui respectent les réalités sociologiques et l’organisation des structures villageoises traditionnelles. Des bailleurs de fonds et des institutions internationales ont été sollicités pour établir des projets de développement en vue de relancer et réaménager le secteur agricole en s’appuyant sur des associations et coopératives selon l’approche classique dite de « développement intégré du terroir ». Ces associations paysannes devaient se donner les moyens de maîtriser leur développement. Différents partenaires internationaux, mis en concurrence dans le cadre d’appels d’offre,
ont été contactés pour le financement des projets concernant la création d’infrastructures, notamment de pistes rurales pour désenclaver les territoires, et la gestion des ressources naturelles. Pour impulser un processus de décentralisation permettant d’accroître l’implication des collectivités locales dans la relance de l’économie et la gestion de leurs territoires, l’État a créé des Communautés Rurales de Développement (CRD) à l’échelle des sous-préfectures. Au niveau du ministère de l’Agriculture, l’accent a été mis sur le recours à des techniques plus « adaptées » pour accroître les productions agricole et animale et stimuler le développement des cultures maraîchères, très fréquemment pratiquées dans « les jardins de case », afin de dépasser le stade de l’autoconsommation et de parvenir à une production commercialisable. Les investissements dans l’agriculture de nouveaux acteurs attirés par la rentabilité du maraîchage de rente ont été favorisés par la réforme foncière de 1992 qui a contribué à la généralisation de la propriété foncière et facilité l’accès à la terre d’entrepreneurs agricoles (Diop, 2007).
10Ces incitations institutionnelles ont favorisé l’extension des cultures maraîchères dans plusieurs types d’espaces au Fouta-Djalon. Ce massif couvre la partie nord-ouest de la République de Guinée et se prolonge en Sierra Leone, en Guinée-Bissau, au Sénégal et au Mali. Il couvre une superficie d’environ 120 000 km² et s’étend sur la région naturelle de la Moyenne Guinée où il est constitué d’un ensemble de hauts plateaux situés à une altitude comprise entre 500 et 1 500 m. Le Fouta-Djalon est subdivisé en 4 grandes zones éco-systémiques : une zone de savane soudano-guinéenne au nord-est, une zone de forêt sèche au nord-ouest, une zone de hauts plateaux au centre et une zone de plaines humides au sud ; les températures moyennes se situent autour de 23,6 °C. La population, estimée à 3,2 millions d’habitants, permet une densité moyenne de 35 habitants/km², atteignant des densités de 100 habitants/km² dans le cœur du Massif, et de 128 dans la zone urbaine de Labé. (Diallo K.L., 2005).
11Le maraîchage s’est beaucoup développé le long de l’axe Mamou-Dalaba-Pita dans le Fouta-Djalon central (fig. 1). Cette zone de moyenne montagne, située entre 1 000 et 1 500 m d’altitude, comporte de fortes densités, de 70 à 100 habitants/km², et produirait plus des deux tiers de la production agricole régionale. La production de pommes de terre et d’oignons dans les préfectures de Mamou, Dalaba, Pita, Labé et Mali connaît depuis quelques années un essor assez remarquable. L’arboriculture fruitière – manguiers, orangers et mandariniers – progresse également. Les cultures industrielles sont moins développées. La culture de l’oignon a connu une extension dans des zones plus enclavées, notamment au nord de Labé. Dans les espaces de plus faibles altitudes et de moindres densités, autour de Mamou, la culture de la tomate a été développée, tout comme dans des zones plus proches des marchés de la Guinée maritime. Au sud de la région, il existe quelques plantations de bananiers et d’ananas ainsi que des champs d’arachide. La brousse, en tant que lieu de parcours pastoral ou de jachère, contribue aussi d’une manière non négligeable à l’alimentation par ses produits de cueillette.
12Dans le Fouta-Djalon, le maraîchage de rente concerne principalement 3 types d’espaces : les bas-fonds, les tapades et les champs extérieurs entre lesquels les complémentarités sont importantes au niveau des terroirs et des systèmes de production.
13Les bas-fonds : c’est là qu’il est le plus pratiqué. Le Fouta-Djalon compte environ 18 000 ha de bas-fonds (photos 1 et 2), où les cultures sont bordées par les clôtures des anciennes populations serviles et par celles des parcelles réservées aux vergers et aux cultures irriguées de contre-saison : ail, oignon, pomme de terre, chou, tomate. Le maillage de haies mixtes et les chemins qui sinuent entre les blocs d’enclos familiaux et les jardins culturaux, donnent ainsi au paysage du Fouta-Djalon son caractère champêtre. Pendant la saison sèche, les cultures de bas-fonds sont les plus pratiquées : une partie de celles-ci – riz, maïs, arachide – peut servir d’appoint vivrier, mais le plus souvent la majorité des productions est destinée à la vente. La pomme de terre y occupe une place très importante et procure une grande partie des revenus de nombreuses exploitations.
Photo 1. – Koubia : cultures maraîchères.
Photo 2. – Dalaba : cultures maraîchères de bas-fonds.
14L’exploitation des bas-fonds dans les systèmes de production s’est beaucoup accrue depuis les années 1980. Leur mise en valeur a connu un véritable essor avec l’avènement de la Deuxième République. La libéralisation de l’économie a été le point de départ d’un intérêt croissant pour les bas-fonds de la part des paysans, non pas pour y cultiver du riz pluvial mais pour y pratiquer du maraîchage. Cette « ruée vers les bas-fonds » a été particulièrement frappante à partir de la fin des années 1980 et au début des années 1990 (André et Pestaña, 2002).
15Les tapades : le maraîchage de rente a pris aussi de l’importance au sein des tapades, terme franco-guinéen dérivé du portugais tapar qui veut dire « fermer ». Chaque concession individuelle est fermée par une clôture d’arbres et d’arbustes, renforcée par une palissade de bois. La tapade enferme les cases et les jardins de cultures associées, engraissés et cultivés de façon intensive par les femmes (Lauga-Sallenave, 1997) (photos 3 et 4).
Photo 3. – Cultures arborées protégées par des tapades.
Photo 4. – Jardin de case protégé par une tapade.
16La tapade est un espace de production essentiel dans l’économie familiale. Les jardins de case, sur de petites superficies, sont le lieu d’une horticulture (maïs, manioc, taro, patate douce, gombo, piment, haricots, etc.) et d’une arboriculture (agrumes, manguiers, etc.) exigeantes en travail et en fertilisants (bouses, crottins de chèvre et de mouton, cendres, feuilles d’arbre issues ou non de la clôture familiale, résidus de culture, détritus ménagers…). Les produits des tapades constituent 60 à 70 % de la consommation alimentaire de la famille et permettent de passer la période de soudure. Depuis quelques années, la culture de la pomme de terre y occupe une place de plus en plus grande à cause des initiatives des groupements agricoles qui collectent et commercialisent les récoltes. (Diallo M.M., 2004)
17Les champs extérieurs : récemment, à cause de la saturation des bas-fonds et de leur rentabilité, le maraîchage tend à s’implanter dans les champs extérieurs (photo 5). Ces champs sont situés dans des zones de plateaux, sur des sols pauvres, consacrés à des cultures céréalières – fonio, riz, mil, sorgho – réalisées sur un mode extensif avec peu d’apport de fumure minérale ou organique. La culture du fonio en saison pluvieuse est traditionnellement la plus importante sur les plateaux et a lieu après des jachères pluriannuelles. Les plateaux sont aussi des zones de pâturage du bétail. Dans les zones de plateaux les plus fertiles, depuis 4 ans, les producteurs expérimentent la culture de la pomme de terre d’intersaison (plantation en fin de saison des pluies) suivie de celle du riz ou du maïs en saison pluvieuse, avec une forte fertilisation organique et minérale. La superficie moyenne cultivée ne peut pas dépasser un hectare. La réalisation de ces productions nécessite des investissements nettement plus importants que dans les bas-fonds parce que les sols sont moins favorables au maraîchage.
18La culture extensive du fonio, du riz et des arachides dans les champs se pratique en zone de montagne. La durée des périodes de culture et de jachère dépend essentiellement de la fertilité du sol. Lorsque celui-ci s’appauvrit, on choisit par endroits de cultiver l’oignon en saison pluvieuse.
Photo 5. – Cultures sur le Plateau.
19Le développement du maraîchage de rente est le fait d’une grande diversité d’acteurs : d’une part, des paysans de la région aux statuts sociaux très différents, parmi lesquels de nombreuses femmes ; d’autre part, de nouveaux agriculteurs – salariés, techniciens, émigrés, commerçants.
20La contribution des agriculteurs du Fouta-Djalon à l’émergence du maraîchage de rente est très importante. Beaucoup sont des petits producteurs, dont une majorité de Majtubè, d’ascendance servile qui, avant la colonisation, avaient un statut qui s’apparentait au servage et dont les familles cultivaient la terre avant la conquête de la région par des Peuls islamisés au xviiie siècle. La contribution déterminante des catégories, en position d’infériorité dans la société peule, à la production maraîchère dans les bas-fonds est liée au contexte historique et socioculturel, aux valeurs, à la division du travail et à la partition de l’espace institués par l’aristocratie peule dans le Fouta-Djalon théocratique aux xviiie et xixe siècles. Le prestige des lignages nobles islamisés provenait de la lecture du Coran, de la possession d’un troupeau et du recours au travail servile. L’activité agricole était réservée aux populations animistes djalonké asservies à la suite de la conquête peule qui conservaient l’usage des terres qu’elles possédaient auparavant dans un cadre communautaire. En fonction des hiérarchies dans la société peule, une dualité dans les modes de répartition de l’habitat s’est instaurée, dont les marques, bien qu’atténuées, sont encore présentes aujourd’hui dans les paysages. Les villages (missidè)et hameaux (foulasso) où résidaient les familles des lignages nobles, devenus les propriétaires de la terre, étaient situés en hauteur. Les rundé ou hameaux des populations serviles converties à l’Islam et qui avaient adopté les codes de la société peule étaient installés plus bas, au milieu des champs, à proximité des bas-fonds. Pendant longtemps, les bas-fonds, considérés comme des lieux insalubres et hantés dans lesquels les nobles ne se risquaient pas, sont restés des espaces peu valorisés, l’essentiel des productions vivrières – fonio, sorgho – provenant des terres cultivées sur les plateaux (Barry, 1997).
21Mais de plus en plus, des producteurs de lignages nobles s’impliquent de façon croissante dans la production maraîchère à cause de sa rentabilité. Ce sont souvent des propriétaires terriens qui ont une bonne assise foncière disposant de parcelles productives dans des bas-fonds et des terres de plateaux. Beaucoup font appel à une main-d’œuvre salariée pour les mettre en valeur. Certains d’entre eux louent des parcelles à des salariés, des citadins qui se lancent dans le maraîchage de rente. Une partie des revenus de ces propriétaires fonciers provient de champs de riz ou de fonio qu’ils exploitent en ayant recours à des associations de culture, les kilè (Diallo B.N., 2003). Les notables, qui disposent de moyens importants, se sont lancés dans la production de pommes de terre dans des champs extérieurs.
22La contribution des femmes au maraîchage de rente est très importante : 70 % des adhérents de la Fédération des Paysans du Fouta-Djalon sont des femmes. Les responsabilités qui leur incombent dans la production vivrière pour l’alimentation de la famille expliquent en partie la place majeure qu’elles occupent dans la production maraîchère. Les carences de main-d’œuvre, provoquées par l’importance de l’émigration, ont entraîné une réduction des activités agricoles sur les champs extérieurs et un repli de l’agriculture sur les bas-fonds et les tapades et accru le rôle des femmes dans la production agricole. C’est dans les tapades, que la contribution des femmes au vivrier marchand est la plus forte, parce que les activités agricoles qui y ont lieu relèvent exclusivement de leur domaine. Chaque femme mariée dispose d’un jardin enclos, le sunnturé, où les cultures sont diversifiées et conduites toute l’année de façon intensive. Les femmes font aussi du maraîchage dans les bas-fonds et certains groupements de femmes jouent un rôle très actif dans leur exploitation.
23Des salariés, des techniciens, des ouvriers, des commerçants, des émigrés, qui sont pour la plupart des Peuls originaires du Fouta-Djalon, participent de façon croissante à l’expansion du maraîchage de rente au Fouta-Djalon. Ils sont attirés par la rentabilité du vivrier marchand du fait de l’accroissement des échanges, de la progression de la demande urbaine et de l’augmentation des prix alimentaires. La faiblesse des rémunérations en ville, l’érosion du pouvoir d’achat à cause de l’inflation et de la dépréciation de la monnaie guinéenne, la réduction de l’emploi salarié à la suite de la libéralisation des politiques publiques et aux mesures d’ajustement structurelles favorisent les investissements des salariés et des citadins dans ce secteur. Mais comme l’espace des bas-fonds est limité et qu’ils sont en concurrence avec les agriculteurs de la région pour leur exploitation, ces nouveaux acteurs, qui disposent en général de plus de moyens que les agriculteurs régionaux, constituent des entreprises agricoles dans les plaines et sont mûs essentiellement par des logiques de rentabilité. L’implication de ces nouveaux agriculteurs dans la production agricole varie selon leur profil, les moyens qu’ils peuvent mobiliser, leurs motivations.
24Pour les uns, les revenus issus de la production maraîchère ne constituent qu’un complément par rapport à ceux procurés par une activité principale plus rémunératrice : c’est le cas des commerçants, des cadres supérieurs de l’administration ou du secteur privé. Certains n’ont qu’une petite parcelle de bas-fonds, d’autres, par contre, disposent de domaines fonciers plus importants qu’ils souhaitent valoriser en partie en ayant recours à une main-d’œuvre salariée.
25Pour d’autres, l’agriculture constitue l’activité principale. Ils investissent une part importante de leurs ressources dans l’agriculture et se situent plus dans une logique d’entreprise. Ces nouveaux agriculteurs qui cherchent à cultiver la pomme de terre en toute saison ont beaucoup contribué à l’extension récente des productions d’intersaison. Certains d’entre eux disposent de bonnes capacités sur le plan des techniques agricoles : c’est le cas des salariés et des agronomes employés par la Fédération des Paysans du Fouta-Djalon qui ont créé des exploitations performantes.
26L’appui que la Fédération des Paysans du Fouta-Djalon fournit à différentes catégories de producteurs en matière d’accès aux intrants, de conseils techniques et de commercialisation, a exercé une influence majeure sur leur implication dans les productions de pommes de terre et d’oignons.
27Plusieurs tentatives ont été faites depuis l’époque coloniale pour lancer des productions de rente dans une région où les rendements du fonio, base de l’alimentation, étaient faibles et où les disettes étaient fréquentes. Leur développement a souvent buté sur des problèmes de commercialisation et d’accès aux intrants. Cela a été d’abord le cas au début du xxe siècle pour le latex, par suite de l’effondrement des cours du caoutchouc. Plus tard, l’essor de la production de pommes de terre implantée dans les années 1920 pour nourrir les colons a été compromis pour des problèmes d’accès aux semences. Sous la Première République, les tentatives faîtes pour relancer cette spéculation ont échoué parce que sa commercialisation n’était pas organisée. Avant 1990, la production de pommes de terre dans le Fouta-Djalon était très faible et la qualité des tubercules médiocre, parce que les producteurs réutilisaient des semences locales d’une année sur l’autre (Delmas, 2007). La consommation nationale était principalement assurée par des importations.
28Les actions entreprises par la Fédération des Paysans du Fouta-Djalon en 1992, créée autour de la filière pommes de terre, ont permis de résoudre une partie des problèmes auxquels les producteurs étaient confrontés en matière de semences et de commercialisation. À la différence d’autres grandes organisations paysannes en Afrique dont la création a été en partie impulsée de l’extérieur pour encadrer la gestion des filières de rente et les professionnaliser, une poignée de leaders paysans de la région est à l’origine de la création de la Fédération des Paysans du Fouta-Djalon. Le plus en vue est Moussa Para Diallo, un technicien. À la suite de la perte de son emploi dans les services de l’Agriculture, dans un contexte de diminution des effectifs de la fonction publique, il avait repris ses activités agricoles et, avec l’appui d’un coopérant français, mis l’accent sur la promotion de la culture de la pomme de terre pour accroître les revenus des paysans (Para Diallo, 1996). Les bases sur lesquelles ont été fondées les premières actions de l’organisation implantée par ces responsables paysans autour de Timbi Madina ont joué un rôle important dans sa trajectoire ascendante. À la fin des années 1980 avec l’appui d’un projet de la coopération française, un aménagement hydro agricole consacré au maraîchage a été implanté dans la Plaine de Laafou, près de Timbi Madina. Les paysans choisis pour participer à la mise en valeur des parcelles ont été retenus sur le fait qu’ils étaient prêts à participer directement aux travaux de construction de l’aménagement. Un itinéraire technique a été mis au point pour la culture de la pomme de terre et des semences sélectionnées ont été achetées. L’accès aux crédits, aux semences et à la commercialisation des productions était garanti par l’adhésion à des groupements. Ces différentes initiatives privilégiant le travail, la qualité des services fournis par l’organisation et l’action collectives ont permis de relancer la culture de la pomme de terre au niveau du Fouta-Djalon.
29Afin de résoudre les difficultés de commercialisation auxquelles était confrontée la production locale de pommes de terre, la Fédération des Paysans du Fouta-Djalon a mobilisé l’opinion publique et fait pression sur les autorités. Elle est parvenue à obtenir, avec le soutien du chef de l’État, le blocage des importations de pommes de terre pendant la période de commercialisation de la production du Fouta-Djalon, de mai à juin. Cette mesure de protection du marché national, reconduite jusqu’en 1998, a été un facteur décisif du développement de la filière locale de pommes de terre. Les fournitures de semences importées à crédit et de conseils techniques aux producteurs ont contribué à l’expansion de la production et à l’amélioration des rendements. Pour favoriser le développement de la production d’oignons, la Fédération a obtenu une taxation des oignons importés de 1993 à 1998. Ces mesures et les services fournis par la Fédération ont entraîné une augmentation du nombre des adhérents. Elle compte 20 000 membres, le nombre des groupements est passé de 45 à la création à 500 en 2009 ; 25 unions de zone ont été mises en place pour permettre une gestion de proximité des actions assumées par la structure faîtière. Au sommet, l’organisation est dirigée par un bureau de 5 membres. La Fédération dispose d’une équipe technique constituée de 40 salariés, formée de conseillers agricoles, d’agents de terrain, de formateurs (CIRAD-CIEPAC, 2006).
30Les services apportés par la Fédération concernent 3 domaines principaux : l’appui à la production, à la commercialisation et le renforcement des capacités des producteurs et des responsables des groupements et des unions. Dans le domaine de la production, les activités portent sur les approvisionnements en intrants de qualité et en matériel agricole. Des aménagements hydro agricoles ont été réalisés pour une meilleure maîtrise de l’eau et 21 magasins de stockage ont été construits pour faire face aux problèmes de conservation de la pomme de terre avec l’appui financier de structures de la coopération internationale, notamment de l’Agence Française de Développement (AFD). Pour améliorer la commercialisation, l’accent a été mis sur la construction de pistes, la réalisation de points de collecte pour l’écoulement des productions dans une région où l’enclavement et le manque de voies en bon état constituent des obstacles majeurs. Des partenariats, sous forme contractuelle, ont été mis en œuvre avec les commerçants du Fouta-Djalon qui disposent de réseaux bien organisés sur les plans national et sous-régionaux pour vendre les productions. Afin de stimuler la compétitivité et obtenir de meilleures conditions de vente, des tables rondes sont organisées avec les commerçants. Un effort important est fait pour rechercher de nouveaux débouchés dans les pays voisins surtout pour la pomme de terre. Plusieurs actions sont entreprises en matière de formation. Dans une région, où un grand nombre de femmes n’ont pas été scolarisées, un effort particulier a été consenti pour l’alphabétisation en pular des femmes, qui constituent la majorité des membres de la Fédération. Les principes qui sont mis en avant lors de ces formations sont l’acquisition de connaissances pour renforcer les capacités économiques et techniques des producteurs. Dans cette perspective, des activités de conseil de gestion de l’exploitation ont lieu pour permettre aux producteurs de procéder à des choix plus appropriés dans le choix et la conduite de leurs spéculations. De nombreuses sessions ont été organisées pour consolider le niveau de structuration des groupements et leur permettre de s’impliquer plus dans le fonctionnement de l’organisation et les prises de décision.
31L’extension des activités de la Fédération s’explique en grande partie par la qualité des services aux adhérents. Elle est liée aussi au pragmatisme des responsables, aux valeurs qu’ils ont privilégiées tant dans la gestion de l’organisation que dans le cadre des principes qui fondent l’action (Berthomé et al., 2004). Dans une société où le pouvoir et la légitimité sont basés encore largement sur le statut social d’origine, les leaders de l’organisation ont mis l’accent sur les critères de compétence et d’efficacité dans les choix opérés au niveau de la direction tout en faisant preuve de pragmatisme dans la composition des équipes dirigeantes pour ne pas s’aliéner les hiérarchies locales. L’objectif principal des responsables est l’amélioration des revenus des adhérents par l’amélioration des productions et la création de richesses pour promouvoir le développement de la région. Un des principes de base qu’ils mettent en avant, c’est que « mieux vaut une richesse inégalement partagée qu’une pauvreté largement partagée » (CIRAD-CIEPAC, 2006). Ces valeurs et la rigueur des modes de gestion ont permis une croissance des activités de la Fédération en cohérence avec le projet de ses initiateurs. Du fait de la reconnaissance dont elle bénéficie au niveau international, la Fédération a obtenu des aides diverses de la part d’ONG et d’agences de coopération. Mais, ses responsables se sont toujours efforcés d’inscrire ses appuis dans le cadre des priorités de développement qu’ils ont défini. L’organisation possède un fonds de roulement important, réduisant ainsi les risques de dépendance vis-à-vis des structures extérieures. Constitué au départ avec les apports des structures de coopération, ce fonds est alimenté par le remboursement strict des crédits accordés aux groupements et aux producteurs et par les taxes que l’organisation prélève lors de la fourniture de services aux adhérents. Les moyens financiers dont dispose la Fédération et le soutien des banques permettent d’accorder des crédits aux producteurs et aux groupements à des conditions plus avantageuses que les institutions financières locales. Par suite des conditions de remboursement très strictes imposées, avec l’exclusion des services en cas de défaillances, le niveau des impayés est très faible.
32La pomme de terre, l’oignon et la tomate sont les trois spéculations qui ont bénéficié d’un appui de la part de la Fédération des Paysans du Fouta-Djalon.
33La première grande production de rente est celle de la pomme de terre à cause de son chiffre d’affaires important. La variété Nicola, de couleur jaune, est la plus cultivée en raison de sa productivité, de son aptitude à la conservation et de sa qualité appréciée par le consommateur. Son rendement moyen varie de 15 à 20 t/ha. Le recours à la fumure organique, au compost, au fumier, à la fiente des volailles et aux plantes locales comme source de produits phytosanitaires contribue à rendre les produits récoltés écologiquement plus salubres pour la consommation et l’environnement. Cette qualité est soulignée par Thierno Balla Diallo, un producteur de Timbi Madina :
« Nos pommes sont très agréables par leur saveur. C’est pourquoi, un expert n’a pas hésité à les nommer “Belle de Guinée”. Elles ont conquis le marché guinéen au détriment des pommes de terre importées de Hollande, et elles ont déjà séduit les marchés de la Guinée-Bissau, du Sénégal, de la Sierra Leone et nous recevons des propositions du Ghana et de la Côte-d’Ivoire. »
34La culture de la pomme de terre est fortement intensifiée. Le coût élevé des semences impose un niveau de rendement élevé pour rentabiliser cet achat et justifier les dépenses élevées en particulier en fertilisants minéraux et organiques. C’est la raison pour laquelle sa culture se caractérise par des investissements bien supérieurs à ceux observés pour la tomate ou l’oignon. Par contre la pomme de terre, parce qu’elle ne permet pas de cultures associées, valorise moins bien la surface que de nombreuses autres cultures maraîchères. L’écoulement assuré de la production à un prix garanti et l’intérêt du petit calibre réutilisé en saison des pluies compensent, sans doute, la relative faiblesse des revenus par unité de surface de cette culture phare.
35La pomme de terre est la production qui a connu la plus forte progression. Avant 1990, 150 à 200 t seulement par an étaient commercialisées (Delmas, 2007). La plus grande partie de la consommation provenait d’importations et la pomme de terre faisait figure de produit de luxe.
36L’étalement de la production de pommes de terre sur plusieurs saisons, avec le développement des productions de petits calibres en saison sèche et en saison des pluies, le recours à des semences sélectionnées, l’amélioration de la productivité et l’extension de la production de pommes de terre sur les terres de plateaux ont contribué à l’augmentation rapide de la production. Cette croissance ainsi que l’amélioration de la qualité ont permis de commercialiser la pomme de terre toute l’année et de couvrir les besoins du marché de sorte que les mesures de blocage des importations ont été levées.
37Aujourd’hui, la production guinéenne de pommes de terre est estimée à 16 000 t (Fédération des Paysans du Fouta-Djalon, 2008, p. 3). Près de 80 % sont produits par des paysans membres de la Fédération (Beauval et al., 2006). Une partie est exportée dans les pays voisins, principalement en Sierra Leone, au Sénégal, Guinée-Bissau, en Gambie et au Mali. Le marché national n’est pas en mesure d’absorber la totalité de la production. Lorsque des mesures ont été prises en 2007 pour interdire provisoirement les exportations de produits agricoles pour limiter la hausse des prix et la baisse du pouvoir d’achat des populations, surtout urbaines, de nombreux paysans ont été confrontés à des difficultés d’écoulement de leurs productions de pommes de terre. La Fédération est parvenue à construire une interprofession de façon informelle avec des commerçants partenaires pour assurer la commercialisation. C’est dans la zone de Timbi Madina, que les unions s’impliquent le plus dans la commercialisation. Les producteurs qui font partie de la Fédération ne sont pas contraints de passer par elle pour écouler leur production. Plusieurs unions, comme celle de Dalaba qui regroupe une grande majorité de femmes, préfèrent vendre leurs productions aux commerçants à cause du besoin de liquidités et de l’insuffisance des capacités de stockage et de conservation de la pomme de terre au sein de la Fédération.
38La production d’oignons, bien qu’elle n’ait pas la même importance que la production de pommes de terre, a nettement augmenté. Elle représenterait près de 80 % de la production nationale (K. Diallo et al., 2006). Les premiers vrais essais par la Fédération de culture d’oignons ont eu lieu en 1993 à Timbi Madina et les premières variétés cultivées furent l’oignon blanc appelé le Texas, pour sa haute productivité, et l’oignon rouge ou Violet de Galmi pour son aptitude à la conservation ; ensuite une nouvelle variété rouge, venue d’Israël, le Sivan, qui allie bonne productivité et bonne conservation, a été introduite. Elle est aujourd’hui de loin la plus cultivée. Le rendement moyen varie de 15 à 20 t/ha selon les variétés. Par an, les paysans peuvent produire jusqu’à 5 000 t qui sont commercialisées. La culture de l’oignon est essentiellement pratiquée par de petits producteurs sur de petites surfaces qui dépassent rarement plus de 800 m2. Les revenus qu’ils en tirent sont peu importants comparativement à ceux des bas-fonds où l’on cultive la tomate ou la pomme de terre. Les dépenses en consommations intermédiaires sont faibles en relation avec la faible capacité d’investissement des producteurs. Cependant, ils permettent, grâce à des associations avec d’autres cultures maraîchères (aubergines, piments) l’obtention de revenus par surface comparable à ceux de la pomme de terre. La filière oignons est constituée de 19 unions de zone, de 173 groupements et de 8 500 adhérents. Elle représente 25 % de la consommation nationale. Elle reste encore fortement concurrencée par des importations en provenance des Pays-Bas. D’une manière générale, les zones de fortes productions d’oignons sont, avant tout, les zones les plus enclavées où les conditions de transport sont les plus difficiles. Face à ces contraintes, l’oignon présente deux avantages : il peut se conserver plusieurs mois après la récolte, s’il est stocké dans de bonnes conditions, et il n’est pas fragile et ne craint pas de mauvaises conditions de transport.
39La filière tomate a été mise en place en 1998 par la Fédération. Sa production, qui atteint environ 1 000 t par an, a connu une progression limitée par rapport à celle de la pomme de terre et dans une moindre mesure de l’oignon. Elle est essentiellement concentrée dans la zone de Mamou où existent 30 groupements de producteurs. Déjà dans cette zone, dans les années 1940, la tomate était cultivée sur un grand périmètre par un Libanais, puis après l’Indépendance par ses ouvriers ; la production servait à ravitailler l’usine de concentré de tomates de Mamou. Les productions sont très vulnérables aux attaques cryptogamiques et parasitaires rendant les rendements très hétérogènes. La culture de la tomate occupe par adhérent des surfaces très variables. Elles sont en moyenne deux fois plus importantes que celles de la pomme de terre et sept fois plus que pour l’oignon. De gros entrepreneurs maraîchers, qui exploitent plus d’un hectare de bas-fonds, se sont impliqués dans la production de tomates. Lorsqu’elle est associée à d’autres cultures – aubergines, piments notamment – c’est la culture de bas-fonds la plus rentable tout en nécessitant un investissement limité. La production de tomates du Fouta-Djalon ne couvre qu’une proportion limitée de la consommation nationale. Une grande partie de la consommation est assurée par des importations de concentrés de tomate car l’usine de Mamou, qui produisait du concentré de tomate, est fermée depuis 1971. La production fraîche de tomates de la zone de Mamou est écoulée sur les marchés de Conakry à côté de celles de Kindia et de Dalaba, et une partie est vendue en Sierra Leone.
40L’expansion des productions de pommes de terre, d’oignons et de tomates, accroît le poids déjà primordial des échanges dans les revenus de la région. La fonction commerciale du Fouta-Djalon dépasse de loin les limites de son territoire. Labé, Mamou et Koundara sont de véritables plaques tournantes des échanges, d’une part entre l’Est du pays et le Nord de la Guinée Maritime, d’autre part entre les pays frontaliers du Nord – Guinée-Bissau, Sénégal – et le reste de la Guinée. Actuellement, la culture de la pomme de terre constitue la plus forte attraction maraîchère dans la région. Elle est suivie par l’oignon et d’autres spéculations telles que les tomates, les piments, les choux et les carottes. La commercialisation des produits agricoles occupe aussi une place prépondérante dans l’économie régionale. Une distinction doit être faite entre le commerce intra-régional, qui cible principalement les marchés hebdomadaires de la région et des régions avoisinantes, et le commerce des produits de la Haute Guinée et de la Guinée Forestière. Le premier type de commerce concerne principalement l’arachide, le maïs, le petit piment, le riz pluvial, etc. Généralement ces produits sont revendus sur les marchés des centres urbains et dans les pays limitrophes comme le Sénégal pour le piment et la Sierra Leone pour l’arachide, à l’état naturel ou transformé en pâte. Le second type de commerce est celui des produits comme le beurre de karité qui provient de la Haute Guinée et l’huile de palme et la kola qui proviennent de la Guinée Forestière. La ville de Labé constitue une plaque tournante du commerce de ces types de produits entre les pays de la sous-région : Sénégal, Gambie et Guinée Bissau et les régions de production. La commercialisation des produits agricoles est pratiquée généralement par des groupements féminins. Il existe aussi d’autres activités telles l’aviculture périurbaine qui constitue un créneau capable de rentabiliser des investissements. En dehors du commerce des produits agricoles, la vente de productions artisanales comme le tissage et la teinture de tissus sont des activités assez intéressantes en termes de rentabilité.
41La plupart des producteurs et groupements qui font le commerce des produits agricoles sans passer par le canal de la Fédération des Paysans du Fouta-Djalon sont confrontés à des problèmes d’organisation de leurs productions par rapport à la commercialisation. À cause du caractère saisonnier des activités maraîchères, de nombreux producteurs de bas-fonds rencontrent des difficultés dans l’écoulement de leurs productions. Au moment des récoltes, le marché local est inondé par les mêmes produits, et les prix baissent nettement. Pour éviter les pertes et pourrissements, de nombreux producteurs s’en remettent aux acheteurs en gros qui cassent les prix. Les réseaux de commercialisation se multiplient grâce à l’amélioration des infrastructures routières dans une partie de la région et à la libéralisation du commerce privé. La période d’activité essentielle des « marchands agricoles » correspond à la saison sèche après les récoltes. Ces marchands, qui disposent d’un savoir-faire lié à une pratique de longue date du commerce des produits agricoles, ont une connaissance très approfondie de la psychologie du producteur de sorte que les échanges se font toujours à leur avantage.
42L’impact de l’expansion du maraîchage de rente est important dans les zones les moins enclavées où l’écoulement des productions est aisé et où la qualité des services offerts par la Fédération permet une meilleure valorisation des productions. Ainsi dans la zone de Timbi Madina, la diversité et la qualité des infrastructures réalisées et les équipements fournis par la Fédération – charrettes, ponts et pistes et magasins de stockage – ont permis d’améliorer le transport et l’écoulement des productions et de mieux réguler leur commercialisation. À cause des bonnes conditions de conservation des productions de saison sèche, les unions ont pu mieux ajuster l’offre par rapport à la demande et garantir de meilleurs profits aux producteurs. Les besoins en termes de travail et d’engrais suscités par le développement de la pomme de terre ont entraîné l’émergence de marchés de la main-d’œuvre et de la fumure organique. À cause de l’intensité des activités économiques, de l’étendue des transactions de son marché, Timbi Madina est devenue une petite ville très active. Les investissements massifs des ressortissants émigrés dans l’habitat ont complètement modifié la physionomie de la ville qui se présente aujourd’hui comme une cité moderne avec des constructions d’un bon standing alignées le long de voies au tracé bien délimité.
43Dans les zones excentrées et enclavées, comme celles de Tougué, Koubia, Mali, Gaoual et Koundara, l’expansion des productions de rente est plus réduite par suite de l’insuffisance d’appuis reçus en termes de fournitures d’intrants et d’équipements et encore plus du mauvais état des pistes, et du manque de véhicules de transport pour leur écoulement. Ainsi près de Mali, les membres d’un groupement, installé dans un aménagement de 19 ha, sont confrontés au manque de semences améliorées pour la plupart de leurs cultures – la pomme de terre, le maïs, le riz, l’oignon, l’arachide – ainsi qu’à des problèmes d’approvisionnement en produits phytosanitaires toute l’année. Le manque de tracteur les oblige à labourer de grands champs à la houe et le manque d’eau se fait sentir de façon cruciale, surtout en saison sèche.
44Dans une grande partie du Fouta-Djalon, la circulation intérieure n’est assurée par des pistes carrossables que pendant la saison sèche. Pendant la saison des pluies, des passages sont difficiles et dangereux pour les véhicules :
petits ponts emportés par les crues, zones défoncées pendant la saison des pluies. À cause de ces obstacles, les liaisons routières avec les villages voisins restent ralenties et le commerce des produits agricoles est enclavé. Près de Mali, à Mali Missidè, un enseignant reconverti en agriculteur qui met en valeur un domaine de 7 ha consacré aux cultures de riz, de maïs, de citronniers, de pommes de terre, de choux, a perdu plus de 2 t d’une variété améliorée de citron, qui ont pourri dans le camion loué qui a dû faire de nombreux détours pour rejoindre le marché de Kédougou au Sénégal situé seulement à 150 km. Dans les communautés rurales de Balaki et de Lébékéré, le groupement de Ley Pont, qui regroupe plus de 80 ménages, ne dispose même pas d’un tracteur et tous sont confrontés aux manques d’engrais, d’insecticides pour les cotonniers et les productions vivrières qu’ils ont développés sur plus de 100 ha. Le mauvais état des pistes rend incertain l’écoulement des produits vers les marchés et les autorités n’agissent pas pour les réhabiliter.
45La rentabilité du maraîchage de rente et les actions de la Fédération des Paysans du Fouta-Djalon ont contribué à la valorisation de l’agriculture dans une région où elle était encore peu considérée pour des facteurs économiques et sociaux. L’essor de la production de pommes de terre dû à l’amélioration des rendements et à l’élargissement des débouchés a permis une augmentation substantielle des revenus de nombreux petits producteurs. Dans les régions enclavées de la partie nord du Fouta-Djalon, où les sources de revenus sont réduites, les revenus de la culture de l’oignon constituent un apport appréciable pour les femmes. Par contre l’exploitation des nouveaux espaces des productions de rente sur les plateaux profite à de nouveaux entrepreneurs agricoles qui disposent de plus de capacités que les petits producteurs pour aménager de grandes exploitations et amortir le produit de leurs investissements.
46Le développement du maraîchage de rente a contribué à l’accroissement des différenciations sociales dans le cadre de rapports fonciers qui se « marchandisent » de plus en plus à cause d’une concurrence croissante entre des agriculteurs qui ne disposent pas de la même assise, ni des mêmes moyens pour l’exploitation des espaces les plus productifs. Au Fouta-Djalon, malgré l’abolition officielle de l’esclavage, les droits fonciers se structurent encore en fonction des anciens rapports sociaux ; droits d’usage et droits de propriété sont totalement dissociés. Les droits de propriété restent l’apanage des familles nobles, qui le plus souvent n’exploitent pas elles-mêmes la terre. Les membres des familles d’ascendance servile ou faisant partie de castes – forgerons, potiers par exemple – ne disposent que de l’usufruit des terres qu’ils mettent en valeur. Leurs droits sont remis en cause lorsque les propriétaires vendent les terres qu’ils cultivent depuis longtemps à de nouveaux agriculteurs salariés, commerçants ou émigrés, qui disposent de plus de moyens qu’eux pour les acheter. Les changements sont particulièrement marqués dans les zones davantage soumises aux mouvements migratoires, à l’influence de la modernité, à l’investissement de capitaux et où la mutation des rapports sociaux est plus accentuée, comme dans le cas des plaines de Timbi Madina. Le renchérissement de l’accès à la terre lié à l’expansion du maraîchage ne met pas seulement en difficulté les producteurs en position d’infériorité sociale, qui ont des ressources réduites. Il suscite aussi des tensions importantes au sein des lignages nobles propriétaires à cause des ventes de terres effectuées par certains de leurs membres sans l’aval des autres ayants droit. Les conflits sont fréquents entre des enfants de mères différentes dans les familles polygames. Le processus de « marchandisation » de la terre, qui est en cours, reste imparfait (Diop, 2007). À cause des liens d’interdépendance qui existent, au sentiment d’appartenance à une même communauté, au souci de préserver les normes et les valeurs, les transactions réalisées se font essentiellement au profit de Peuls originaires de la région qui sont attirés par la rentabilité des productions de rente et disposent d’un ancrage dans les sociétés locales.
47La forte contribution des femmes aux productions maraîchères, les revenus qu’elles en tirent accroissent la place qu’elles occupent dans l’économie locale, la subsistance et l’entretien des familles. Mais à cause des droits limités dont elles disposent du fait de leur position subordonnée par rapport aux responsables masculins de la famille, les places qui leur sont assignées évoluent lentement. Ainsi dans le domaine de l’accès à la terre, alors que les femmes sont traditionnellement exclues de la propriété foncière et que la coutume leur garantit des droits d’usage, des avancées ont lieu. Dans le cadre des projets, des femmes, tantôt réunies en groupements, parfois même à titre individuel, ont obtenu des hommes que des terres leur soient allouées pour l’arboriculture, alors même que cette activité leur est traditionnellement interdite, le fait de planter des arbres conférant des droits d’usage à durée illimitée sur les terres concernées. Si les interdits coutumiers sont contournés dans certains cas, inversement les droits d’usage que leur garantit la coutume sur les terrains qu’elles cultivent peuvent être remis en cause. Cela arrive par exemple lorsque l’aménagement d’un bas-fond est subordonné à l’émission de titres de propriété foncière.
48Les femmes sont impliquées dans la plupart des systèmes de culture. En plus de leur rôle dans le maraîchage, elles s’occupent du petit élevage, de la transformation et de la commercialisation de leurs productions. Mais leur participation n’est pas toujours reconnue socialement ni directement prise en compte par les projets de développement. Les problèmes qui affectent le monde rural – pauvreté, sous-équipement, dégradation environnementale – sont souvent ressentis de façon particulièrement aiguë par les femmes, Bien que de nombreuses décisions familiales et communautaires fassent l’objet de concertations au sein de la cellule familiale, leur avis, souvent, n’est pas suffisamment pris en compte dans les processus décisionnels. Par exemple, lorsque l’intensification des cultures de rente se fait au détriment de la production vivrière, l’augmentation des revenus monétaires qui en découle est fréquemment gérée par l’homme alors que la diminution des produits vivriers est subie par la femme. Les modifications des circuits traditionnels de commercialisation peuvent supprimer des espaces de rencontre entre les femmes qui en sont souvent les principaux acteurs. Cela peut se traduire par un renforcement de leur isolement.
49À cause de leur dynamisme, les groupements de femmes sont souvent les interlocuteurs privilégiés des Organisations Non Gouvernementales. La diffusion de services financiers de proximité, notamment dans un cadre communautaire, permet aux femmes d’accéder à des crédits au même titre que les hommes. Ainsi l’implantation d’associations de services financiers permet à de nombreuses femmes de bénéficier de prêts pour renforcer les activités qu’elles mènent dans plusieurs secteurs – transformation de produits agricoles, artisanat, petit commerce. Le développement des activités d’alphabétisation au sein de la Fédération des Paysans du Fouta-Djalon a favorisé leur implication dans la gestion des organisations à l’échelon local. Dans les groupements formés d’une majorité de femmes, les postes de présidente, de trésorière, de secrétaire reviennent à celles qui sont lettrées (Curtis, 2004). Toutefois, un nombre limité de femmes accède à des postes de responsabilité à des niveaux hiérarchiques plus élevés, que ce soit dans les unions ou au bureau de la Fédération.
50L’évocation de l’expansion récente du maraîchage de rente en Moyenne Guinée témoigne des dynamiques diversifiées et contrastées que celles-ci ont entraînées. Parmi les spéculations qui se sont développées, la pomme de terre est la culture qui a eu l’impact le plus important, à cause du niveau élevé de la production, de sa qualité, la « Belle de Guinée » étant reconnue aux niveaux national et sous-régionaux, ainsi que de ses effets d’entraînement. En effet, la pomme de terre, du fait des caractéristiques du processus de sa production, des activités que sa progression a induites, fait figure de culture motrice. La rentabilité de la pomme de terre, qui exige des rendements élevés pour couvrir le coût des achats de semences, de fertilisants minéraux et organiques, a induit des processus d’intensification qui ont concerné d’abord les bas-fonds, puis les tapades et les champs extérieurs, où la production de pommes de terre s’est diffusée (Bosio et al., 1999). Cette évolution, qui a été favorisée aussi par l’extension des cultures de contre-saison et d’intersaison, à cause des besoins de main-d’œuvre qu’elle a suscités, ainsi que des revenus qu’elle a procurés, a eu des effets significatifs sur l’économie locale dans les zones les mieux équipées, les mieux connectées aux marchés, où les appuis de la Fédération des Paysans du Fouta-Djalon en terme de services et d’infrastructures ont été les plus valorisés. La progression à un niveau plus limité d’autres cultures a eu un effet qui est loin d’être négligeable sur d’autres espaces. C’est le cas notamment de l’oignon qui procure des revenus à de nombreux petits producteurs dans les zones enclavées où les sources de revenus sont limitées. Certaines productions, qui n’ont pas bénéficié du soutien de la Fédération des Paysans du Fouta-Djalon, sont en progression et constituent dans certaines exploitations la part la plus importante des ressources issues des productions de bas-fonds. C’est le cas de l’aubergine et des piments qui font l’objet d’une forte demande sur les marchés.
51Les revenus des productions maraîchères sont d’une grande diversité. Les services fournis par la Fédération des Paysans du Fouta-Djalon, en termes d’approvisionnement en intrants, de conseils techniques et de commercialisation ont joué un rôle clé dans leur progression en permettant l’expansion des productions de pommes de terre, d’oignons et de tomates. L’évolution induite par l’essor du maraîchage de rente a contribué à la valorisation de l’agriculture et à l’amplification des mutations économiques et sociales dans la région. Les activités agricoles qui sont restées longtemps l’apanage des catégories en position d’infériorité sociale sont exercées par des acteurs aux profils de plus en plus diversifiés. En plus des producteurs d’ascendance servile et des femmes, très actifs dans l’exploitation des bas-fonds et des tapades, de nouveaux agriculteurs jouent un rôle croissant dans l’augmentation des productions. Ce sont des notables, des salariés, des commerçants, des émigrés attirés par la rentabilité du maraîchage. La mobilisation de ressources plus importantes leur permet d’accéder plus facilement au foncier, d’investir dans la création d’exploitations de taille plus importante sur les terres de plateaux, d’étaler les productions sur plusieurs saisons. Les recompositions qui ont lieu dans un contexte de renchérissement de la terre et d’expansion de logiques d’entrepreneuriat agricole ne sont pas sans risques pour la pérennité d’une agriculture paysanne dans une région où le dénuement des populations a été la principale cause depuis le début du xxe siècle du développement considérable des migrations. L’essor du maraîchage de rente, s’il est bien maîtrisé, peut être une alternative à la migration, comme cela est le cas dans les espaces les plus productifs. Des complémentarités existent aussi entre le développement des productions agricoles et les migrations. Elles apparaissent dans le cadre de transferts des migrants pour l’achat d’intrants dans les exploitations, dans le rôle que jouent les diasporas peules dans l’expansion du commerce des produits agricoles en Guinée et dans la sous-région. L’importance des investissements des émigrés dans la modernisation de l’habitat au Fouta-Djalon témoigne de la force de leur attachement à leur région d’origine.