BOUQUET Christian et VELASCO-GRACIET Hélène, dir., 2006 et 2007 – Tropisme des frontières, approche pluridisciplinaireetRegards géopolitiques sur les frontières, L’Harmattan, Géographie et cultures : Paris, 2 tomes, 292 et 234 p.
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Sous la direction de Christian Bouquet et d’Hélène Vélasco-Graciet, Université de Bordeaux, UMR ADES-Dymset, ces deux tomes rassemblent les textes pluridisciplinaires du colloque « Frontière, frontières », tenu à Bordeaux en février 2004.
Texte intégral
Tropisme des frontières, approche pluridisciplinaire (t. 1)
1Positionné dans le champ des sciences humaines et sociales, cet ouvrage propose au lecteur d’explorer les sens accordés aux frontières, qu’elles soient celles de la pauvreté, du dépassement de soi, de la colonisation, d’un espoir nouveau ou de la violence. Les différentes contributions s’attachent en outre aux discours qui leur sont dédiés, aux pratiques qui les fabriquent, aux représentations qui leur sont attribuées.
2Quatre chapitres structurent dix-huit communications autour d’autant d’entrées coordonnées par des géographes « médiateurs ».
3Dans le chapitre 1, la frontière est lue comme « un besoin sociospatial » par Ruggero Crivelli. Les textes retenus se réfèrent à des champs très variés. Pour Ève-Marie Halba (« Vocabulaire de la frontière ») la frontière est inscrite dès l’origine du mot dans le sol même si elle demeure vivante et mobile. Avec Gérard Peylet (« La frontière, lieu d’égarement et de quête dans Teverinode G. Sand ») les personnages mettent en danger leur identité et leur vie en transgressant une frontière. Dominique Crozat (« Et au commencement était la frontière… contextes frontaliers et microcosme ») montre à travers plusieurs exemples le va-et-vient entre l’identité et la délimitation. Catherine Sélimanovski (« Une frontière sociale redoublée dans les quartiers sensibles des grandes agglomérations françaises ») et Christophe Sohn (« De la rémanence à la reproduction, la tyrannie des frontières d’apartheid à Windhoek, Namibie ») exposent, dans des contextes différents, comment l’expérience crée une frontière qui enferme, mais aussi qui contribue à créer une identité.
4Le second chapitre met en exergue l’inconstance des relations entre nature et frontière (Bernard Debarbieux). L’article d’Anne Sgard (« D’autres frontières naturelles : découpage et usage des massifs alpins ») montre que la figure de la discontinuité naturelle continue de préoccuper les géographes. Avec Marie-Christine Fourny (« De la frontière naturelle à la nature comme lien transfrontalier ») le lecteur part à la découverte de la place de la nature dans les coopérations interrégionales et transfrontalières de type Interreg. François Pernot (« Les « conférences de limites » aux xvie et xviie siècles entre Lorraine et Franche-Comté ») rappelle qu’avant le xviiie siècle, le recours à des formes naturelles pour borner les territoires correspond à une recherche de repères visuels aisément cartographiables. Après avoir fait le constat que la limite entre le Maharastra et l’Andhra Pradesh court le long d’un contact géologique, François Pesneaud (« De quelques frontières naturelles. Un exemple dans le Deccan central ») montre comment les pouvoirs en place ont composé avec cette discontinuité.
5Le troisième chapitre aborde le thème du mythe de la frontière fondatrice (Jean-Pierre Renard). Claire Leduc (« Sur les traces frontalières d’un mythe fondateur des États-Unis, de l’Ouest américain au littoral de la Nouvelle-Angleterre ») analyse l’interprétation de romantique de la côte de la Nouvelle-Angleterre au xixe siècle comme un processus comparable à la frontière de l’Ouest. Jérémie Kouadio N’Guessan (« La carte des langues en Afrique crée-t-elle des frontières identitaires ? ») considère les frontières africaines héritées de la période coloniale et actuellement remises en cause par de nombreux conflits comme de possibles laboratoires de reconstructions territoriale et culturelle du continent. C’est aussi le sens que donne Marie-Graciete Besse (« La représentation de la frontière dans l’œuvre de José Saramago ») à l’œuvre littéraire et politique de Saramago en voyant dans le radeau de pierre la possibilité d’une refondation du territoire et de l’identité ibérique. En dernier lieu, Laetitia Perrier Bruslé (« La frontière orientale de la Bolivie. La nationalisation idéale d’une frontière au bout du monde ») présente la « bolivianisation » des confins orientaux du pays comme la volonté d’affirmer une identité et une cohésion nationale fortement affaiblies.
6Quant au dernier chapitre, il permet d’explorer avec Guy Di Méo la frontière entre matériel et idéel avec des articles qui parlent de la double dimension imbriquée, matérielle et idéelle, des espaces frontaliers. Avec Hélène Saule-Sorbé (« Art et frontière à l’épreuve »), dans ce rapport dialectique sans fin, sinon sans issue, l’idéel, notamment sous ses formes artistiques, peut finir par prendre le dessus, jusqu’à nier la différenciation et les limites. Olivier Milhaud (« La contre-urbanité : Windsor face à Détroit. Ou comment se construit l’identité de la frontière ») rappelle combien les frontières remplissent une fonction idéelle de marqueur, voire de véritable accélérateur identitaire. Fabien Guillot (« Frontière du Liban sud : complexité des identités et des représentations ») montre comment la frontière exacerbe les expressions identitaires, à la fois vis-à-vis d’Israël mais aussi au nord de la frontière entre groupes ethniques, confessionnels et politiques libanais. Pour Frédéric Lasserre (« Frontières absurdes ? Le cas des villages frontières entre le Québec et les États-Unis »), la frontière s’avère le produit des hésitations et des incertitudes tenant aux conditions historiques de la connaissance géographique des espaces qu’elle traverse. Enfin la nouvelle stratégie australienne présentée par Luc Vacher (« Revivifier la frontière menacée : perception de la frontière nord et gestion de l’immigration clandestine en Australie ») transforme l’espace tampon aux limites floues qui séparait les Australiens d’une hypothétique menace venue des fortes densités asiatiques en véritable ligne de défense, surtout depuis la montée du terrorisme international.
Regards géopolitiques sur les frontières (t. 2)
7Ce second volume des actes du colloque « Frontière, frontières… » est comme le premier placé sous le thème de la complexité, poussé jusqu’à ses limites extrêmes, puisque partant du caractère flou, mouvant, bougeant, d’un certain nombre de limites considérées comme des frontières (chapitre 1), pour passer très vite à la catégorie des « frontières impossibles » (chapitre 2) et aboutir vers l’imaginaire (chapitre 3).
8Dans le chapitre 1 (« La frontière mouvante »), Jean-Luc Piermay propose un examen attentif, et non plus focalisé sur l’instant, et montre que tout est susceptible de bouger à la frontière, d’où le titre. Ainsi la frontière est objet de représentations diverses de la part d’une multiplicité d’acteurs telles celles décrites par Abaher El Sakka (« Frontières palestiniennes : la crise conflictuelle
entre l’histoire et la géographie »). Pour Patrick Picouet (« Les bouches de Bonifacio : de la frontière maritime au renouveau d’un lien maritime ») le changement de signification de la frontière est en lien avec les usages et donc les représentations qu’en ont les sociétés. Le détroit de Malacca, analysé par Nathalie Fau (« Les spécificités d’une frontière maritime : l’exemple du détroit de Malacca ») constitue un exemple complexe dans lequel les stratégies des trois États séparés par de profonds différentiels interfèrent avec les réglementations internationales dans l’invention d’une nouvelle signification pour cette frontière maritime. La frontière présentée par Sébastien Colin (« L’ouverture de la frontière entre la Chine et la Russie et ses conséquences commerciales et migratoires : coopérations, tensions et représentations frontalières ») est un excellent exemple où les stratégies inégales des acteurs économiques et sociaux répondent à des pouvoirs partagés entre les impératifs antagonistes de la protection du territoire et de la stimulation économique. Enfin, en suivant Olivier Clochard (« Le jeu permanent des frontières dans le processus de mise à l’écart des « réfugiés » ») les frontières des États européens se re-localisent également de manière complexe.
9Avec le chapitre 2 (« Frontières impossibles ») Patrick Gonin met l’accent sur la méthode et s’intéresse aux passeurs de frontière afin de saisir l’épaisseur de cette ligne imaginée par les hommes et les femmes pour signifier leur existence. Le chapitre illustre ainsi la nécessaire déconstruction du concept de frontière pour mieux comprendre les comportements des habitants de la terre qui cherchent à signifier leur spécificité. Ainsi pour Lynda Dematteo (« La Padanie ou la nation sans territoire »), la Padanie italienne a pour objectif de déstabiliser les institutions nationales en installant une logique d’exclusion du Sud afin de privilégier le Nord. Johanna Berge-Gobit (« Les Inuit du Nunavut, entre appropriation et instrumentalisation d’un concept occidental ») rappelle que la frontière est un outil de structuration sociale dont les Inuits ont su faire usage, y compris par l’appropriation d’un concept qui leur est étranger. Stéphanie Lima (« Quand la frontière devient interface. Le cas des frontières communales au Mali ») propose une analyse paradoxale de la situation malienne où la communalisation issue de la décentralisation crée des territoires sans limites afin de permettre à chacun de respecter sa place tout en reconnaissant celles des autres. Avec Aurélien Volle (« Les frontières en territoire pewenche : images et perceptions multiples entre dynamiques locales et logiques globales »), les frontières sont à la fois lignes de séparation et espace de vie du peuple mapuche. Les dernières « frontières impossibles », proposées par Alain Bonnassieux (« Dynamiques migratoires et transgressions des frontières urbain-rural au Niger ») sont celles des migrants nigériens, combinant migrations saisonnières et migrations pluriannuelles.
10Le troisième et dernier chapitre (« Frontières imaginées ») dirigé par Marie-Christine Fourny-Kober offre un éclairage sur le fonctionnement de la dynamique imaginaire. L’analyse de Joëlle Ducos (« Frontière météorologique et climatique au Moyen Âge ») nous fait comprendre comment se pensent les catégories. Florence Boyer (« La frontière dans le monde nomade : du pastoralisme aux migrations temporaires ») montre que l’unité d’un territoire s’est faite par l’agencement d’une succession des lieux, dans le rythme du déplacement. Pour Yopane Thiao (« De l’identité à la notion de frontière dans les concepts d’antillanité et de créolité »), Édouard Glissant pense l’unité d’espaces et de cultures multiples à travers la figure du « rhizome ». Les exemples de Lydie Pearl (« L’artiste peut-il encore représenter une nation ? ») montrent enfin que la production artistique est un support majeur.
11Au final, si la question portant sur la déconstruction et/ou la recomposition des frontières a occupé l’essentiel des débats avec l’idée selon laquelle l’économie – dans sa traduction sociale – est désormais le moteur des nouveaux découpages, pour les directeurs de ces deux tomes, nous sommes aujourd’hui aussi loin de la « ligne bleue des Vosges » que des escarmouches des contrebandiers. Mais les nouvelles frontières risquent de générer de nouvelles guerres, et le triste compte de Georges Perec n’est peut-être pas terminé.
Pour citer cet article
Référence papier
Jean-Claude Hinnewinkel, « BOUQUET Christian et VELASCO-GRACIET Hélène, dir., 2006 et 2007 – Tropisme des frontières, approche pluridisciplinaireetRegards géopolitiques sur les frontières, L’Harmattan, Géographie et cultures : Paris, 2 tomes, 292 et 234 p. », Les Cahiers d’Outre-Mer, 246 | 2009, 258-262.
Référence électronique
Jean-Claude Hinnewinkel, « BOUQUET Christian et VELASCO-GRACIET Hélène, dir., 2006 et 2007 – Tropisme des frontières, approche pluridisciplinaireetRegards géopolitiques sur les frontières, L’Harmattan, Géographie et cultures : Paris, 2 tomes, 292 et 234 p. », Les Cahiers d’Outre-Mer [En ligne], 246 | Avril-Juin 2009, mis en ligne le 01 avril 2012, consulté le 17 mai 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/com/5620 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/com.5620
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