TULET Jean-Christian, ALBALADEJO Christophe et BUSTOS Roberto, dir., 2001 - Une Pampa en mosaïque, des communautés locales à l’épreuve de l’ajustement en Argentine.
Texte intégral
1Cet ouvrage de 282 pages porte un titre excellemment choisi car d’emblée il dénonce l’apparente homogénéité de la Pampa argentine. Le terme de mosaïque est pertinent tant au point de vue du milieu naturel que de celui de l’occupation humaine. La Pampa, contrairement à une idée reçue et confortée il est vrai par une uniformité topographique à grande échelle et cartographiée comme telle sur les cartes à grande échelle, est en fait infiniment plus complexe dès lors que l’on considère ses modelés, ses sols, ses formations végétales, son occupation humaine, ce que Jean Tricart a bien montré dans différentes études. Nous même et Simon Pomel avions signalé l’importance des nuances locales que pouvait apporter la «tosca» (=croûte calcaire) dans la variété géomorphologique régionale (Zeitschrift, 19). Quant à l’occupation humaine, on sait depuis les belles recherches de Romain Gaignard suivies du remarquable «Les Aveyronnais dans la Pampa» (Ed. Privat, Toulouse) que l’histoire du peuplement de la Pampa et de sa mise en valeur, est très complexe : variétés des origines des premiers immigrants, types d’exploitations, de structures agraires, etc. (cf. thèse de Marcelo Sili, 1996). Par ailleurs, l’immensité du territoire implique des gradients climatiques et donc de nécessaires adaptations aux conséquences de ces derniers. Notamment la variabilité des précipitations ou les sécheresses épisodiques conditionnent le rendement des récoltes. Ce paramètre, non maîtrisable par l’homme, conduit au choix des cultures et donc à une certaine variété des paysages.
2L’hypothèse de départ posée par les huit auteurs de l’étude est qu’ «il existe des formes locales d’inflexion voire de contournement des tendances macro-socio-économiques». Et ils soulignent que pour l’activité agricole les processus mis à l’œuvre au niveau local ne répondent pas exactement à un modèle régional (voire national) d’occupation et de mise en valeur du milieu. Au contraire, les variations locales sont multiples en relation avec «les capacités d’action des acteurs». Suit alors, pour illustrer le propos, toute une série de démonstrations appuyées par une excellente connaissance du terrain et de son histoire (évolution du peuplement, de ses pratiques culturelles, des systèmes de production, des coopératives, etc.). Il s’agit pour nous de la meilleure partie de l’ouvrage car fondée sur des exemples représentatifs. Mais à trop avoir l’œil rivé sur le local on en vient à oublier le rôle de la tourmente néolibérale (dans le cadre de la mondialisation actuelle) laquelle fait sentir ses effets dans les moindres recoins de la Pampa si bien que les diverses et méritoires tentatives pour y faire face sont quelque peu battues en brèche.
3En effet, cet ouvrage (écrit juste avant les évènements de janvier 2002 et la chute du gouvernement radical) est terriblement d’actualité car il s’inscrit dans le contexte du sommet paroxysmique de la crise argentine. Or cette dernière, par bien des aspects, était parfaitement prévisible (nous l’avions annoncée dès 1997) car de nombreux signes économiques et sociaux l’annonçaient. De fait, les effets du plan Cavallo (principal inspirateur de la politique financière de l’époque de la dictature Videla) se sont manifestés par deux conséquences majeures :
4- la mise en place d’une politique ultra-libérale avec alignement total du peso sur le dollar (parité). Ce plan a eu dans un premier temps un effet positif car il a cassé du jour au lendemain une hyper-inflation désastreuse pour l’épargne. Mais le répit offert n’a pas été mis à profit pour conforter une politique économique interne de qua-lité, si bien que dans un second temps cet alignement a conduit à un renchérissement systématique des produits argentins. Mécaniquement cela a fermé de facto nombre de marchés extérieurs (et notamment le marché brésilien car dans le même temps la mo-nnaie brésilienne se dévaluait) d’autant que l’Argentine a toujours été très intégrée à l’économie internationale. Prises à la gorge et dans l’incapacité de vendre correctement leurs produits, les communautés de la Pampa se sont vues contraintes de recourir aux emprunts, aux hypothèques, parfois à des crédits usuraires (jusqu’à plus de 20 % !), voire à des ventes de bétail ou des cessions de biens.
5- La démission de l’Etat et la «vente des meubles». La politique de dénationalisation massive et de déréglementation (privatisation des compagnies aériennes, des télécommunications, des réseaux ferroviaires, de l’énergie électrique, etc…) a rapporté plus de 18 milliards de dollars entre 1991 et 1993. Mais ces sommes ont été en très grande partie gaspillées par l’oligarchie au pouvoir, non exempte de corruption et de prévarication. Lorsque les caisses ont été vides, l’Etat a augmenté les impôts (la TVA est passée de 18 à 21 %), tandis que les salaires des fonctionnaires et les budgets d’investissement baissaient, etc. Et pendant que la dette publique enflait (emprunts au FMI), la classe possédante plaçait ses économies à l’étranger.
6Dans ce contexte de crises morale et économique, les exploitations familiales se sont trouvées en première ligne des difficultés. La contribution de l’activité agricole au PNB est passée de 13 % en 1970 à 8,5 % en 1993, et dès le début 1996 la dette du secteur agricole atteignait 10 millions de dollars laissant présager la suite des évènements. En clair, en dépit des exemples de réaction et des tentatives d’adaptation à la crise, soulignées par les auteurs, les exploitants de la Pampa n’ont pas pu maîtriser leur destin et ont été ballottés par la tourmente néo-libérale. Beaucoup ont été ruinés et ont déserté des lieux jugés sans avenir pour grossir les bataillons des chômeurs des grandes villes à la recherche d’emplois. Bref, le macro-économique (effet de la mondialisation) a broyé les identités locales en dépit de leurs tentatives de résistance et en cela notre analyse diffère un peu de celle des auteurs. Les cicatrices des blessures actuelles seront longues à se refermer et le devenir de la Pampa en sera durablement affecté, avec toutes les remises en cause que cela suppose.
7Au moment où Porto-Alegre fait la une des médias, «Une Pampa en mosaïque» apparaît comme un ouvrage fondamental, pour qui s’intéresse non seulement à l’Argentine, mais aussi aux leçons que l’on peut tirer de l’analyse présentée et aux nouvelles perspectives qu’elle offre. Au total c’est un travail remarquable et dense qui mérite d’être salué comme il se doit.
Pour citer cet article
Référence électronique
Jean-Noël Salomon, « TULET Jean-Christian, ALBALADEJO Christophe et BUSTOS Roberto, dir., 2001 - Une Pampa en mosaïque, des communautés locales à l’épreuve de l’ajustement en Argentine. », Les Cahiers d’Outre-Mer [En ligne], 218 | Avril-Juin 2002, mis en ligne le 13 février 2008, consulté le 17 mai 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/com/2331 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/com.2331
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