1L’Afrique équatoriale, grande réserve de biodiversité dans ses forêts denses et humides, constitue, encore aujourd’hui, dans l’imaginaire des Occidentaux, un patrimoine de nature. Au sein de nombreuses régions sub-sahariennes, l’environnement naturel représente la principale ressource touristique. La protection de la nature est fondamentale pour la réussite du secteur du tourisme1, ainsi que pour la connaissance scientifique de certains écosystèmes.
2Quelle forme d’écotourisme mettre en place, inscrite dans un processus de développement durable, compte tenu des dérives et des risques pour l’environnement observés sur d’autres continents (Galapagos, Costa Rica…) ? L’écotourisme ou «tourisme de nature» constitue une alternative au tourisme de masse, tout en se différenciant du tourisme rural et du tourisme vert. Il réunit des activités de découverte, d’observation, d’étude des milieux naturels, des espèces sauvages végétales et animales (en particulier l’ornithologie) et des paysages2. Il s’exerce, au sein d’un espace protégé, au moyen de pratiques tendant à minimiser l’impact sur le milieu3. Le tourisme de nature procède aussi d’une démarche ethnographique fondée sur la compréhension du mode de vie et des spécificités culturelles des populations autochtones.
3Comment, depuis 10 ans, les organismes internationaux et les ONG environnementales s’intéressent-ils davantage aux écosystèmes et aux espèces marines (en particulier les tortues marines), jusque là méconnus et peu protégés ? Sur quels critères sélectionner les espaces marins à sauvegarder, au sein de pays dans lesquels la création de zones protégées à des fins de conservation constitue une notion relativement nouvelle, en raison de la forte dépendance des sociétés autochtones envers les ressources naturelles locales ? De quelle manière, faire évoluer les mentalités de certains groupes ethniques ayant longtemps considéré l’environnement naturel comme une réserve de protéines carnées (faune)4 et de terres (cultures et élevage)? Est-il envisa-geable, par exemple, de reconvertir le mode de vie de certaines populations locales, de la chasse (gorille, crocodile, python…), de la pêche maritime (tortues marines), fournissant calories, protéines, matière première de l’artisanat, vers une «mise en vision» de ces espèces animales par le «tourisme de nature»? Par quels moyens établir des plans de développement touristique en lien avec les acteurs locaux et les communautés autochtones engagées et rétribuées par le tourisme5?
4Le centre du golfe de Guinée (île de Bioko, République de São Tomé et Principe, archipel de Corisco et des Elobeys, littoral gabonais) (fig. 1) fournit un éclairage particulier à ces questions. Par quel biais, dans la seconde province pétrolière mondiale, espace maritime fortement conflictuel entre compagnies pétrolières, Etats, organismes environnementaux internationaux, l’installation d’espaces marins réglementés contribue-t-elle à sécuriser les frontières maritimes, à protéger le milieu marin, à sauvegarder certaines espèces menacées, à jeter les bases de l’écotourisme ?
5Le Gabon (267 667 km2) offre un bon exemple des politiques de protection des milieux forestiers équatoriaux africains. Ce pays d’Afrique centrale, parcouru par l’équateur, est situé dans le bassin du Congo. Cette zone constitue le second plus vaste ensemble de forêt tropicale dense humide (2 millions de km2) après l’Amazonie6. Sur la planète, les forêts tropicales humides formeraient les environnements les plus riches en espèces endémiques. La couverture forestière du Gabon occupe 80% du territoire, soit environ 22 millions d’hectares (premier pays forestier du monde avec 22 ha de forêt per capita). Les forêts primaires couvrent 35% du pays (56% en moyenne pour l’Afrique centrale selon la FAO). Cet ensemble forestier ombrophile, sempervirent, regroupe 2 000 espèces décrites, 6 000 à 10 000 espèces végétales et possède deux essences très recherchées, intensément exploitées, l’okoumé (Aucoumea klaineana) et l’ozigo (Cecropiedes büttneri), ainsi que des bois divers. La zone concédée à l’exploitation forestière représente, en 2000, 60% du territoire et 75% des biotopes forestiers7. L’activité forestière et les industries du bois ne concourent plus aujourd’hui, qu’à la formation de 4% du PIB, mais constituent le premier employeur du pays (60 000 personnes). Néanmoins, depuis 1960, la déforestation du pays s’intensifie8 (défrichement pour des plantations, recours au bois de chauffe, fabrication de maisons dites en planches, exploitation par les sociétés forestières de nombreuses essences dont l’okoumé : 1 million de m3 par an9).
6Le Gabon abrite une faune riche en mammifères. Le pays constituerait un réservoir pour des espèces en voie de disparition, en particulier un sanctuaire pour les primates (20 espèces remarquables), ainsi que pour la grande faune mammalienne menacée de disparition dans l’Afrique subsaharienne10. Les espèces fragiles sont l’éléphant (80 000 individus), les grands primates, en particulier le gorille (35 000), le chimpanzé (64 000)11. Selon le WWF (Fonds Mondial pour la nature), le nombre d’éléphants serait passé, en Afrique, de 1,3 million à la fin des années 1970, à environ 300 à 500 000 aujourd’hui. La plus forte concentration de pachydermes est localisée en Afrique centrale et australe. En l’absence de «tourisme de vision» valorisant cette espèce, dans une majorité de pays, en particulier dans l’Afrique de l’Ouest, les Etats et les sociétés locales ne protègent pas ces animaux. La population d’éléphants du Gabon serait la plus importante du continent africain, donnant des densités de l’ordre de 1 individu/km2 dans les milieux non perturbés, avec des maxima saisonniers de 10 individus/km2, en période de migrations12. Les populations de certaines espèces comme le lamantin, le potamogale et le poiane13, s’appauvrissent. Les milieux forestiers renferment 19 espèces de primates, 20 espèces de carnassiers. Le Gabon constitue également un territoire refuge pour l’avifaune forestière encore peu inventoriée (620 espèces identifiées).
7Cette diversité faunique constitue les fondements du développement durable du «tourisme de vision» au Gabon. La «ressource animalière» du pays s’appuie, d’une part, sur les populations de gorilles dits des plaines (35 000 individus), sur les éléphants, d’autre part, sur les tortues marines et les baleines (côtes méridionales du pays).
8Le Gabon dispose d’une politique de protection et de sauvegarde de cette biodiversité végétale et animale par le biais d’un réseau d’aires protégées. Il consiste d’une part en deux réserves. La première est celle de la Lopé, créée en 1962, regroupant une cinquantaine d’espèces de mammifères et 350 espèces d’oiseaux. Elle est équipée d’un hôtel. Celle de Wonga-wongué, ouverte en 1972, de par son statut de réserve présidentielle, apparaît mieux protégée contre le braconnage. La protection des milieux naturels14 s’appuie également, depuis 1997, sur la réserve forestière de Minkébé (600 000 ha), sur le complexe de Gamba constitué de trois réserves de faune et de quatre domaines de chasse : domaine d’Iguéla (180 000 à 230 000 ha), de Setté-Cama (200 000 ha), de Ngové-Ndogo (250 000 ha), de Moukalaba (20 000 ha), enfin sur la réserve non classée des Monts Doudou (260 000 ha). Des réserves de faune, des îlots forestiers expérimentaux complètent le dispositif de protection de l’environnement. Cependant, en 1994, seulement 12 «écogardes» assuraient la surveillance des 1 120 000 hectares d’aires protégées15 (un éco-garde pour 93 300 hectares, ratio très inférieur aux normes internationales pour ce type de milieu naturel16). Enfin, le gouvernement gabonais a lancé, en 1997, en partenariat avec le PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement), qui bénéficie d’un appui de la Banque Mondiale, le PNAE (Plan National d’Action pour l’Environnement).
9Les organismes environnementalistes internationaux se sont fortement intéressés à la conservation des écosystèmes terrestres dans l’Afrique intertropicale humide. Les écosystèmes marins, plus méconnus, ont été moins protégés. A la demande de plusieurs Etats d’Afrique centrale, en 1997, ECOFAC (Ecosystèmes Forestiers d’Afrique Centrale), un projet régional financé par l’Union Européenne, à l’origine davantage orienté vers l’étude des milieux forestiers, a mis sur pied un plan régional pour la conservation des tortues marines. L’animal emblématique dans cette préservation des écosystèmes marins du golfe de Guinée devient progressivement la tortue marine, à l’instar d’autres opérations de sauvegarde conduites aux mêmes latitudes, dans d’autres océans.
10Les tortues marines sont des reptiles de l’ordre des Chéloniens, appartenant à la grande famille des Chelonioidea. Les espèces de tortues sont fortement migratrices à travers l’ensemble de l’océan mondial (plusieurs milliers de kilomètres par an).17 Une femelle adulte revient sur la plage de sa naissance trente ans après, pour y pondre ses œufs. Ces reptiles marins font partie des espèces animales dont les capacités d’adaptation au monde contemporain (pollution marine, pêche industrielle, utilisation par l’homme comme matière première de l’artisanat d’art) sont les plus réduites. Leur mode de reproduction est très lent et soumis à des contraintes non rencontrées par les autres espèces marines. Dans la mer des Caraïbes, l’étude et la protection des tortues marines ont été réalisées grâce à la mise en place du réseau WIDECAST (Wider Caribbean Sea Turtle Conservation Network). Scientifiques et organismes internationaux ont donc souhaité une protection de l’ensemble de la chaîne migratoire, des Caraïbes jusqu’aux côtes africaines, sur lesquelles elles sont particulièrement menacées par la pêche (utilisation de la chair et de l’écaille). La protection de cette espèce marine doit être conduite à un niveau supranational. La stratégie de conservation, les législations, doivent être harmonisées entre les espaces maritimes des différents pays fréquentés par les tortues marines.
11Cinq des huit espèces de tortues vivant dans l’océan mondial sont présentes dans le golfe de Guinée dont quatre sont considérées comme me-nacées par les scientifiques18 : la tortue verte (Chelonia mydas), la tortue caret également appelée tortue imbriquée (Eretmochelys imbricata), la tortue luth (Dermochelys coriacea), la tortue olivâtre (Lepidochelys olivacea). Une est classée comme vulnérable : la tortue caouanne (Caretta caretta). La tortue verte est plus appréciée pour sa viande et ses œufs, collectés et vendus comme aphrodisiaques. La tortue caret est recherchée pour sa carapace, employée dans l’artisanat d’objets en écaille. Le sud de cette zone comporte deux sites majeurs d’importance écologique internationale pour les tortues marines. Une première aire de ponte s’étend sur une bande côtière de 94 kilomètres de longueur, de la ville de Mayumba (Gabon méridional) jusqu’à la frontière du Congo (fig. 1). La deuxième zone, d’un grand intérêt pour l’alimentation des tortues marines de l’ensemble du golfe de Guinée, est la baie de Corisco, située au sud-ouest de l’embouchure du río Muni. Seulement deux autres zones d’envergure écologique comparable pour les tortues vertes sont connues en Afrique : l’archipel des Bijagos en Guinée Bissau (classé réserve de la biosphère par l’UNESCO) et le banc d’Arguin en Mauritanie.
12La baie de Corisco, qui représente une superficie d’environ 1 570 km2, est limitée au nord par le cap San Juan (Guinée équatoriale), au sud par le cap Estérias (Gabon). L’estuaire du río Muni en occupe la partie centrale et sert de frontière entre les deux pays (fig. 2).
13L’archipel dit des îles du río Muni, qui ferme la baie à l’ouest, est composé de Corisco et des Elobeys (Guinée équatoriale). Il regroupe l’île de Corisco, la plus vaste et la plus peuplée (entre 220 et 260 habitants sur 15 km2), Elobey Grande (30 à 35 habitants sur 2,27 km2), Elobey Chico (0,27 km2), ainsi que quelques îlots et bancs de sable (banc Leva, banc Hoco, îlet Hoco, situés au sud de Corisco; banc de Elobey au nord-ouest des Elobeys) (fig. 3). Enfin, plus au sud, cet archipel se prolonge par de micro-îlots, sous souverainété gabonaise : Mbanié, Cocotier, Conga.
14L’île de Corisco et les Elobeys appartiennent au district de Cogo. Ces petites îles continentales comportent des reliefs bas (moins de 30 mètres), peu accidentés. Les plages sableuses dominent. Elles constituent des lieux de passage et de nidification pour les oiseaux migrateurs. Sur l’îlot Leva19, vivrait une petite colonie de singes Talapoin20 (Miopithecus talapoin). Sur l’île de Corisco, une population de crocodiles (Osteolaemis tetraspis) est présente dans les lagunes intérieures.
15Cet archipel21 a perdu environ 80% de sa population sous la dictature du régime de Macias, entre 1972 et 1979. L’émigration s’est faite vers le Gabon, le Cameroun, l’Espagne22. L’île de Corisco est actuellement habitée majoritairement par une population benga qui pratique principalement la pêche au moyen de pirogues munies d’une voile, spécialisées dans la capture de la tortue verte. Cette ethnie cultive également le manioc, les bananiers et les cocotiers sur la côte occidentale de l’île. La pêche maritime occupe la majorité des hommes et fournit les principaux revenus23.
16La baie de Corisco constitue une aire d’une grande biodiversité marine. Les eaux claires et chaudes ont une profondeur qui varie entre 1 et 21 mètres24, avec abondance de fonds marins coralliens. Des herbiers (d’une profondeur de 8 à 10 mètres) sur roche et sur sable constituent une zone d’alimentation exceptionnelle pour les tortues vertes. Cette espèce de tortue marine est la seule à être entièrement herbivore. Elle s’alimente, de manière grégaire, sur les herbiers. Elle consomme des algues rouges, vertes ou brunes. A l’inverse, les autres espèces de tortues marines effectuent de longues migrations océaniques, à la recherche de leur alimentation (méduses, crabes, plantes aquatiques).
17La baie de Corisco renferme plusieurs sites remarquables de ponte de tortues : au cap San Juan (playa Nendyi), sur l’île de Corisco, sur l’îlot de Hoco25 ainsi qu’à Mbanié. Deux espèces nidifient dans la baie : la tortue luth et la tortue olivâtre. Par contre, les pontes de tortue verte et de tortue imbriquée sont très rares. Dans le centre du golfe de Guinée, plusieurs facteurs perturbent les processus de ponte. Sur l’île de São Tomé, plusieurs estrans ont été détruits, en raison de prélèvements massifs de sable destiné aux constructions. Sur le littoral du Cameroun, du Congo, du Gabon, les milliers de grumes d’okoumé échouées sur les plages qu’elles contribuent à protéger de l’érosion, forment à l’inverse, des obstacles pour les tortues venant pondre. D’une manière générale, selon A. Formia, dans cette région de l’Afrique, la nidification est menacée par l’érosion des plages, la pollution marine, les marées noires, la prédation des femelles et de leurs nids.
18ECOFAC manifeste également un intérêt nouveau pour la connaissance de la biologie ainsi que pour les possibilités de valorisations écotouristiques des cétacés (Megaptera novaeanglieae). Les études concernent les eaux de la Guinée équatoriale (au large de Bata, des îles de Bioko et d’Annobón) ainsi que plusieurs sites proches du littoral gabonais. La présence de concentrations de cétacés au large de Bata, durant les mois de juillet, août, septembre, constitue une ressource touristique que ECOFAC et l’association espagnole Amigos de la Mar projettent de mettre en valeur. Le tourisme de vision des baleines ou whale-watching pourrait se développer, en complémentarité avec la fréquentation du parc national de Monte Alén (fig.3).
19Les actions internationales pour la protection des écosystèmes marins du golfe de Guinée s’effectuent dans un contexte géopolitique régional instable et conflictuel.
20Dans les années 1980, l’Afrique participe avec retard aux enjeux géopolitiques portant sur l’appropriation des océans, en particulier la mise en place des Zones Economiques Exclusives (ZEE). A cette époque, le pillage halieutique des eaux du Tiers-Monde connaît son paroxysme le long des côtes africaines. Soixante pour cent des prises effectuées dans les eaux de ce continent échappent aux pays riverains (plus de 85% des captures dans les eaux de Guinée équatoriale, en 2000, sont encore réalisées par des pays étrangers). Les principaux prélèvements se produisent à l’emplacement des deux grands courants marins froids, courant des Canaries, au nord, entre le Maroc et la Sierra Leone, courant de Benguela, au sud, au large de la Namibie et de l’Angola26.
21En 2000, d’autres enjeux mobilisent les Etats riverains du golfe de Guinée : la délimitation des ZEE pour l’exploitation du pétrole offshore, pour la surveillance des côtes dans le but de limiter l’immigration clandestine et la contrebande, pour protéger les ressources halieutiques. Depuis la période des indépendances, selon Didier Ogoulat, en dépit de quelques réunions internationales, on note un relatif échec des organisations maritimes africaines. Sur les questions de transports maritimes et de gestion portuaire, est créée, en 1975, la Conférence Ministérielle des Etats de l’Afrique de l’Ouest et du Centre (CMEAOC), réunissant 17 Etats de la sous-région27. Face à l’absence de régulation de l’économie maritime régionale, huit Etats du golfe de Guinée (Nigeria, Cameroun, Guinée équatoriale, Gabon, São Tomé et Principe, Congo, République Démocratique du Congo, Angola), à l’initiative du Nigeria, créent, à Libreville, en novembre 1999, la Commission du Golfe de Guinée (CGG)28.
22En matière halieutique, en 1984, le Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale, São Tomé et Principe et le Zaïre, donnent naissance à la Commission Régionale des Pêcheries. Puis, en 1985, est mise sur pied par la Mauritanie, le Cap-Vert, le Sénégal, la Gambie et la Guinée Bissau, dans le domaine des pêches, la Commission sous-régionale des pêcheries29. Ensuite, en 1991, les 22 Etats africains riverains de l’Atlantique (du Maroc à la Namibie) officialisent la Convention sur la Coopération en matière de pêche30. Le Nigeria, l’Angola, le Cameroun, se classent parmi les six principaux producteurs de poisson de la façade occidentale de l’Afrique. L’Angola possède un des principaux potentiels halieutiques de l’Afrique en compagnie de deux autres pays extérieurs au golfe de Guinée : le Ghana et la Mauritanie.
23Dans le domaine de la protection de l’environnement, la coopération entre pays africains débute, grâce au Programme mers régionales, dans le cadre du PNUE (Programme des Nations Unies pour l’Environnement). Ce programme facilite l’adoption, en 1981, de la Convention dite d’Abidjan, qui concerne la mise en valeur du milieu marin et de l’environnement côtier31. Les pays africains pourvus d’une façade maritime adoptent, à Maputo, le 24 juillet 1998, un plan de cinq ans pour la protection de l’environnement côtier. La Déclaration de Maputo, qui fait suite à la Conférence panafricaine sur la gestion durable des zones côtières tenue dans la capitale du Mozambique, constitue la participation africaine à l’exposition universelle de Lisbonne en 1998, axée sur la conservation des milieux marins («Les océans un héritage pour le futur»).
24Cependant, ce sont les hydrocarbures, en particulier le pétrole, qui constituent le principal enjeu régional, puisque tous les pays de la CGG en produisent, à l’exception de São Tomé et Principe32. Les deux principaux producteurs de pétrole sont le Nigeria (plus de 100 millions de tonnes en 1999) et l’Angola (38,5 millions de tonnes). Seul le Nigeria est membre de l’OPEP (Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole). L’ensemble de ces nations, dans un avenir très proche, formera la seconde région pétrolière mondiale (déjà 180 millions de tonnes produites en 1999) derrière le Moyen-Orient, mais devant l’Afrique septentrionale (170 millions de tonnes en 1999), ce qui confère à la CGG un rôle fondamental d’arbitre entre les Etats33. Dès à présent, nombre de grands groupes pétroliers internationaux considèrent les Etats du golfe de Guinée comme plus sûrs, dans l’exploitation des hydrocarbures, que ceux du Moyen-Orient ou du Maghreb (Iran, Irak, Libye).
25Du Nigeria à l’Angola, depuis les années 1980, les principales compagnies pétrolières occidentales bénéficient, de la part des Etats du golfe de Guinée, de vastes concessions d’exploitation de pétrole offshore. Les investissements actuels concernent des champs pétroliers de très grande taille34 : Dalia, Kuito, Landana et Girassol (coopération Exxon-Total-Fina-Elf) en Angola (en production à partir de 2001); Nkossa (depuis 1996), Kitina, Moho au Congo; Zafiro à 23 milles nautiques au nord de Bioko en Guinée équatoriale; Bonga au Nigeria. La nouvelle frontière pétrolière est constituée par de l’offshore profond ( -200 à -300 mètres) voire ultra-profond (-1000 m et plus) ou exploitation en «mer très profonde». Ces zones d’exploitation pétrolière constituent des blocs territoriaux extravertis, comparables aux enclaves minières établies en position continentale (République Démocratique du Congo).
26Les intérêts des sociétés pétrolières sont relayés par ceux des Etats, soucieux d’étendre leur zone d’exploitation pétrolière aux dépens des pays voisins, à l’instar des différends entre le Gabon et la Guinée équatoriale pour l’appropriation des îlots du sud de la baie de Corisco (fig. 2). En Guinée équatoriale, le pétrole, découvert seulement en 1991 par la compagnie espagnole CEPSA, a été mis en exploitation à partir de1994. La question de la délimitation de la ZEE entre les deux pays se déroule, avec, en arrière-plan, la volonté de défense par le Gabon (17 millions de tonnes de pétrole produites en 1999) de ses zones d’exploitation offshore d’hydrocarbures.
27La protection des écosystèmes marins, la mise en place de réserves marines transfrontalières, au centre du golfe de Guinée, s’effectuent dans un contexte géopolitique tendu. Depuis les années 1990, les principaux conflits territoriaux entre Etats sont circonscrits au domaine continental, à l’exception du différend entre le Nigeria et le Cameroun qui porte sur la question de la souveraineté de la presqu’île de Bakassi (fig. 1). Si l’on ajoute aux huit Etats de la CGG, deux Etats alittoraux, le Tchad et la République centrafricaine, dont les échanges commerciaux s’effectuent par les ports des pays côtiers, la population des pays du golfe de Guinée, usant à plus de 90% de la voie maritime dans leurs échanges internationaux de produits primaires, s’élève à 210 millions d’habitants35. Dans le golfe de Guinée, très peu de frontières maritimes ont été délimitées, à l’exception d’une zone peu étendue entre le Nigeria et le Cameroun36.
28L’éclatement du territoire de la Guinée équatoriale, divisée en un domaine insulaire37 et un bloc continental de 26 017 km2, le Río Muni (Mbini), rend très difficile la délimitation des eaux territoriales au fond du golfe de Guinée, en particulier avec le Nigeria et le Cameroun. L’extrême fragmentation des éléments de la composante insulaire de la Guinée équatoriale (fig. 1) entraîne un débordement de «l’espace maritime approprié» de ce pays sur le plateau continental des Etats voisins : Nigeria, Cameroun au nord, Gabon au sud. L’île de Bioko, très proche des côtes camerounaises, crée, selon Didier Ogoulat une situation «d’enclavement maritime», qui fait du Cameroun un Etat géographiquement désavantagé38 pour l’appropriation des espaces marins. La Guinée équatoriale (4,5 millions de tonnes de pétrole produites en 1999) négocie avec le Nigeria la délimitation de champs pétroliers offshore au nord de l’île de Bioko (fig. 1). Enfin, le règlement du tracé des frontières maritimes entre São Tomé (857 km2) et Principe (139 km2), situées à 200 kilomètres du continent, demeure en suspens39 avec la Guinée équatoriale et le Gabon. Grâce à ses territoires insulaires, la Guinée équatoriale bénéficie d’un espace maritime particulièrement étendu : une zone économique exclusive de 82 600 milles nautiques carrés contre 62 300 milles marins carrés pour le Gabon40. La Guinée équatoriale (28 051 km2, 457 000 habitants), dirigée par une des plus petites capitales africaines (Malabo), devrait, dans la prochaine décennie, devenir le troisième pays producteur de pétrole de l’Afrique subsaharienne, en raison des énormes réserves pétrolières situées au nord de l’île de Bioko.
29Au XIXe siècle, l’Espagne exerce un droit de souveraineté sur des territoires qui s’étendent, au nord de la rivière Cameroun, jusqu’au cap Lopez au sud41. Cette nation européenne asseoit véritablement son implantation dans les îles de la baie de Corisco et sur l’embouchure du río Muni en 1841. Trop faiblement soutenu par la métropole, le poste du Gabon n’a pas les moyens financiers et militaires d’exercer une présence territoriale de la France dans la baie de Corisco qui est disputée par plusieurs Etats européens42. Le différend maritime équato guinéo-gabonais actuel, portant sur la souveraineté des îlots de Mbanié, Conga, Cocotier (fig. 2), est hérité de la période coloniale. La convention signée en 1900, par la France et l’Espagne, ne statue que sur l’île de Corisco et des Elobeys, qui sont attribuées à l’Espagne, sans se prononcer sur ces îlots méridionaux et adjacents. Ultérieurement, l’appartenance de ces îlots et bancs de sable n’est pas réglée par le droit, lors des indépendances.
30Au début des années 1970, le Gabon, dans le but de protéger ses intérêts pétroliers et de préserver l’activité halieutique nationale contre les navires étrangers, procède à l’extension de la limite de ses eaux territoriales, au-delà des 12 milles nautiques initiaux, pour la porter à 25 milles marins (5 octobre 1970)43. La Guinée équatoriale en fait de même. Puis, par étapes, le Gabon se dote d’une zone économique exclusive de 200 milles marins (juillet 1984). La modification de la largeur des eaux territoriales, au-delà des 12 milles nautiques, signifiait, en droit, l’extension de la souveraineté gabonaise aux îlots de la baie de la Mondah (fig. 2). Dans les faits44, elle eut pour conséquence l’occupation, le 23 août 1972, par la gendarmerie gabonaise, de trois îlots inhabités, situés à 18 kilomètres des côtes du Gabon : Mbanié, Conga, Cocotier. Ces îlots constituent des affleurements sableux, sous la forme de bancs de sable émergés, situés à équidistance de la côte gabonaise et de l’île équato-guinéenne de Corisco. Pour le Gabon, la possession de ces trois îlots permet également un marquage du territoire maritime. L’extension par les deux Etats de leurs eaux territoriales, au-delà des 12 milles nautiques, entraîne des chevauchements réciproques de leur territoire maritime (fig. 2), ce qui crée un litige maritime bilatéral durable. Chaque pays entreprend, alors, de délivrer des concessions de prospection pétrolière à des sociétés occidentales, dans une partie du territoire maritime de son voisin. La Guinée équatoriale et l’Espagne accordent des permis de recherche à l’ouest de l’île de Corisco, dans le Bloc río Muni, aux sociétés espagnoles Spanish Gulf Oil et CEPSA45. De son côté, le Gabon concède des permis de prospection offshore dans le Bloc Mbanié aux sociétés Gulf Oil et Royal Dutch Shell46.
31Les deux Etats, au début du XXIe siècle, campent sur une interprétation divergente du tracé de leur domaine maritime en baie de Corisco. Pour le Gabon, la frontière maritime passe le long d’une ligne équidistante entre l’île de Corisco et l’îlot de Mbanié (fig. 2). La seule portion de frontière admise par les deux pays traverse l’estuaire du río Muni en son milieu. Par contre, la Guinée équatoriale persiste à inclure les trois îlots contestés dans son territoire maritime.
32La “Méditerranée guinéenne”47 forme un espace semi-fermé, au centre du golfe de Guinée (fig. 1), bordé par un grand nombre d’Etats insulaires (São Tomé et Principe), insulo-continentaux (Guinée équatoriale), continentaux (du nord au sud : Nigeria, Cameroun, Gabon) dont les zones économiques exclusives sont difficiles à établir. Cette aire maritime est limitée au nord par l’île de Bioko (Guinée équatoriale), à l’ouest par les deux îles de São Tomé et Principe, au sud-ouest par l’île d’Annobón (Guinée équatoriale). Les enjeux pétroliers, la concavité de la côte, la complexité du semis d’archipels, d’îlots stratégiques, pour certains à la fois inhabités et situés à proximité des côtes de pays étrangers, confèrent à cette zone une grande instabilité politique et militaire48. Les îles de Bioko, Principe, São Tomé, Annobón, alignées du nord/nord-est au sud/sud-ouest, s’inscrivent dans un arc volcanique étiré du lac Tchad à l’île de Sainte Hélène dans l’Atlantique sud, intégrant deux reliefs volcaniques continentaux, le Mont Cameroun et le Mont Oku.
33L’Afrique est l’espace de la planète le moins marqué par le phénomène touristique, en raison de la situation politique d’un grand nombre de pays, du faible développement économique, mais également de tarifs aériens excessifs. Ce continent est caractérisé par un recul de la fréquentation touristique dans nombre d’Etats depuis 1990 (Rwanda, Cameroun, Togo …), et également par la non mise en tourisme de vastes portions d’espace (les no-tourism countries). En 1997, l’Afrique subsaharienne a reçu 15,2 millions de touristes internationaux soit 2,4% du volume mondial total des arrivées de visiteurs et 1, 3% des recettes du tourisme49.
34Certains pays ont choisi la mise en place d’un tourisme balnéaire (Sierra Leone, Sénégal, Afrique du Sud), avant que ces programmes ne soient contrecarrés par les guerres et les affrontements inter-ethniques. L’écotourisme, depuis les années 1950, a constitué un important secteur de développement dans certains pays d’Afrique orientale (Kenya, Tanzanie). Les spectacles animaliers ou «tourisme de vision» des grands mammifères concernent surtout l’Afrique orientale et australe (Zimbabwe, Afrique du sud). Le Kenya, premier pays touristique au sud du Sahara (860 000 visiteurs), propose des safaris à l’intérieur d’un important réseau de parcs nationaux et de réserves protégés par la loi, à un degré moindre l’observation des oiseaux et le balnéarisme. Dans ces Etats, le tourisme de nature dégagerait des revenus 10 fois supérieurs à la chasse commerciale et à l’agriculture. Pour Roland Pourtier «Nulle part ailleurs au monde le tourisme n’est aussi prioritairement, voire exclusivement, orienté vers la nature»50 que sur le continent africain. Quelques pays du centre du golfe de Guinée (São Tomé et Principe, Gabon), grâce à leur stabilité politique, tentent à leur tour de développer l’écotourisme.
35Le Gabon appartient à un groupe de pays ayant connu un triplement de sa fréquentation touristique depuis 198552. Dans cet Etat, selon l’OMT (Organisation Mondiale du Tourisme), le tourisme, en 1996, ne représente encore que 0,1% du PNB (4,4% pour São Tomé et Principe, 5% au Kenya, en Tanzanie, Namibie et Gambie) et seulement 2,6% des exportations de services marchands (50% pour São Tomé et Principe). Le Gabon, comparé aux nations voisines, possède des atouts pour un développement touristique. Le pays connaît une stabilité politique, une sécurité intérieure, le second niveau de vie du continent par habitant (4 600 dollars/hab.) derrière la Libye, une infrastructure ferroviaire rare en Afrique équatoriale (chemin de fer transgabonais reliant le port d’Owendo dans l’agglomération librevilloise située, à Franceville dans le sud-est du pays). Cette voie ferrée, empruntée par quelques centaines d’écotouristes, permet une découverte des différents milieux naturels du pays.
36La capacité d’accueil du Gabon, essentiellement représentée par l’offre d’hébergement hôtelier, se concentre à Libreville, opposant une situation de surcapacité dans la capitale, face à une insuffisance dans l’intérieur du pays. Le secteur du tourisme s’appuie sur cinq agences de voyages (Delmas Gabon, Eurafrique voyage, Gabon contacts, Gabon voyages, Mistral voyages) et sur sept voyagistes53. Les séjours peuvent se dérouler également dans des centres de loisirs (la Pointe Denis, Ekwata loisirs…). La fréquentation touristique des aires protégées (Iguéla, Olendé, Sainte-Anne, la Lopé, Wonga-wongué…) concerne environ 2 000 personnes54. L’activité touristique, au Gabon, repose principalement sur le tourisme d’affaires55, secteur soutenu par l’organisation de conférences, séminaires, sommets régionaux et internationaux, rendus possibles par la stabilité politique du pays et les conflits militaires qui sévissent dans les pays voisins (République Démocratique du Congo, Congo).
37Dans l’économie de l’après-pétrole, ce secteur d’activité, en particulier le tourisme de nature, peut jouer un rôle non négligeable. Le potentiel touristique de l’espace littoral (longueur de la façade maritime, singularité des paysages, originalité de la faune et de la flore côtières) sont régulièrement mis en avant par les autorités politiques. Les 885 kilomètres de côtes forment un espace quasiment vierge dont la principale ressource écotouristique réside dans une formation végétale : la mangrove (palétuviers), composée de 350 espèces de mollusques et abritant, sur le littoral gabonais, deux espèces animales emblématiques, le lamantin et les grandes tortues marines (luth, olivâtre et imbriquée). La mangrove, propre aux aires intertidales des littoraux lagunaires et vaseux de la zone intertropicale, constitue un milieu à forte biodiversité qui participe au maintien du potentiel halieutique côtier56. Dans l’espace côtier, cette formation végétale couvre 400 000 ha dont 3 800 ha ont disparu sous l’effet de l’anthropisation57. Elle est intacte dans la partie sud du littoral gabonais (Mayumba), fortement dégradée en baie de la Mondah, au nord de Libreville58. La mangrove recule en raison de la croissance urbaine et de l’implantation de villages de pêcheurs ouest-africains (bois de palétuvier utilisé dans les fumoirs à poisson).
38La valorisation par le tourisme de certains sites littoraux concerne, quasi exclusivement, la capitale gabonaise. Autour de Libreville, dans plusieurs lieux de loisirs, prévaut une situation prétouristique. A dix kilomètres au nord de Libreville, le cap Estérias fait fonction d’antenne balnéaire pour cette métropole africaine. Plusieurs auberges, hôtels-restaurants, hôtels-bars sont établis à proximité d’amples plages sableuses, de boisements de badamiers et accueillent les Librevillois les fins de semaine. A proximité du cap, s’étend la forêt classée de la Mondah, massif forestier longtemps riche d’une grande biodiversité, dans lequel l’okoumé, espèce héliophile et endémique, tient une grande place. Ce patrimoine naturel est aujourd’hui très menacé par les dégradations occasionnées par les entreprises du bâtiment et des travaux publics qui extraient du sable, par les exploitants forestiers ainsi que par les populations locales (charbonniers, fétichistes, braconniers, paysans). Du cap Estérias, des pirogues permettent de rallier les îlots gabonais de Mbanié, Batanga (dite île Cocotier) et l’île équato-guinéenne de Corisco. Ces embarcations assurent des promenades guidées, des sorties en mer consacrées à la pêche sportive ou à la plongée sous-marine. La pointe Denis constitue le pendant du cap Estérias, sur la rive gauche de l’estuaire du Gabon. Sur ce site de loisirs, des bungalows et quelques hôtels attirent, les fins de semaine, un grande nombre de Librevillois, principalement des plaisanciers d’origine européenne.
39En Afrique, le discours environnementaliste, bien que généralement associé à l’idée de développement durable, tend, depuis une quinzaine d’années à relayer le discours développementaliste59stricto sensu, ce qu’atteste le foisonnement actuel des organismes, ONG et programmes internationaux de protection de la nature.
40En Afrique centrale, la protection de l’environnement a longtemps concerné les seuls milieux forestiers. Ainsi, CARPE (Programme Régional de l’Afrique Centrale pour l’Environnement) constitue un consortium d’ONG dont le WWF et ASF (Aventure Sans Frontières), financé par l’agence américaine pour le développement international (USAID). Il intervient dans six pays du bassin du Congo : Cameroun, Congo, Gabon, Guinée équatoriale, République centrafricaine, République Démocratique du Congo. Ses principaux objectifs résident dans la réduction de la déforestation, la conservation de la biodiversité, la limitation des changements climatiques, en particulier le réchauffement global de la planète. Dans l’archipel de São Tomé et Principe, à Bioko, des ONG s’orientent vers la sauvegarde de la biodiversité insulaire et marine : Amigos del Coto de Doñana et ICBP (International Council for Bird Preservation).
41En 1997, ECOFAC, avec le soutien financier de l’Union Européenne, organise un atelier régional pour la conservation des tortues marines, à la pointe Pongara au Gabon. Ces animaux marins constituent des bioindicateurs du milieu marin et du littoral. Une importante mobilisation financière des ONG et des organismes internationaux a permis la tenue de cet atelier, en particulier l’appui logistique de WWF-Gabon. Cette première rencontre rassemble des participants du Gabon, du Congo, de Guinée équatoriale, de São Tomé et Principe, du Cameroun et se conclut par la mise sur pied d’un groupe de recherche organisé en réseau, nommé PROTOMAC60 (Protection des Tortues Marines d’Afrique Centrale). Cet atelier a permis la confrontation des diverses actions et initiatives de protection des tortues marines dans le golfe de Guinée : le projet GEF (Global Environment Facility)/IUCN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature), de Conkouati au Congo, le programme ECOFAC dans l’île de São Tomé, l’action de l’ONG espagnole Amigos del Coto de Doñana en Guinée équatoriale, enfin les efforts de l’ONG gabonaise ASF. Une méthodologie commune est appliquée au suivi des tortues marines dans le golfe de Guinée, afin de collecter des informations fiables et comparables.
42Le réseau PROTOMAC a pour objectif la valorisation, par le biais du «tourisme de vision» des tortues en période de ponte sur les plages, en phase d’alimentation sur les herbiers sous-marins. Il subventionne une action de recensement des aires de distribution des tortues marines en Afrique centrale. Elle consiste en un inventaire des sites de ponte, des aires d’alimentation et de développement de ces espèces. Le réseau assure également la formation de formateurs et d’informateurs de terrain, afin d’encourager la participation des communautés locales à la conservation de ces animaux marins.
43Dans la région de Mayumba, à l’extrême sud du Gabon, sept techniciens de terrain ont été formés à la méthodologie d’identification des tortues marines ainsi qu’à la technique de transplantation en enclos des œufs. Dans cette région, le réseau, en collaboration avec l’association WCS (Wild Conservation Society), assurera le suivi d’un linéaire côtier de 130 kilomètres, sur une bande transfrontalière, depuis Mayumba jusqu’à la lagune de Conkouati au Congo. Au Cameroun, dans le village d’ Ebodje, une équipe d’une dizaine de personnes réalise un suivi des plages, met en œuvre des techniques d’incubation artificielle et collecte des données en milieu villageois. Dans le micro-Etat insulaire de São Tomé et Principe, PROTOMAC soutient une action de reconversion des artisans de l’écaille de tortue. Dans l’île équato-guinéenne d’Annobón, ce groupe de recherche organise un inventaire des sites de ponte. Enfin, il conduira l’étude d’une aire de développement pour la tortue luth sur l’île de Bioko, dès que la situation politique du pays se stabilisera.
44Les acteurs africains, stricto sensu, de l’écodéveloppement existent également. ASF, fondée en 1994, est une ONG de randonnée, de découverte de la nature par le sport (mise en place d’un sentier botanique et d’un centre pédagogique de sensibilisation et d’information à la pointe Denis dans l’estuaire du Gabon). Elle s’est spécialisée dans la sauvegarde et la valorisation des tortues marines. Plusieurs bailleurs de fonds lui apportent un soutien financier : WCS, WWF, ECOFAC, la Fondation Nicolas Hulot. Son action s’inscrit dans la logique de l’initiative, lancée en 1985 par WWF, de protection de la tortue luth au Gabon, en particulier par un recensement de ses sites de nidification. ASF, depuis 1996, grâce à l’appui d’une bourse offerte par la fondation américaine Mac Arthur et la WCS, entreprend un programme de sensibilisation sur cette espèce marine auprès des populations locales. Elle effectue un travail de surveillance d’une zone de ponte des tortues marines, sur un linéaire côtier de 5 kilomètres, à la pointe Pongara, sur la rive gauche de l’estuaire du Gabon, à 11 kilomètres à l’ouest de Libreville. Elle participe à l’identification des zones de pêche de tortues marines, à la localisation des emplacements de fouilles d’œufs, à la mise en place de patrouilles nocturnes aux heures de ponte, à la protection des petites tortues contre les crabes (Ocypodae africana et Ocypodae cursor) et les varans (Varanus niloticus) qui constituent leurs principaux prédateurs61. Elle milite pour que le Gabon ratifie la convention de Bonn (juin 1979) qui amende la convention de Washington adoptée en mars 1973 ou CITES (Convention on International Trade in Endangered Species of Wild Fauna and Flora) qui réglemente le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction. ASF agit aussi pour que l’Etat gabonais classe les tortues marines au sein des espèces nationales protégées.
45Les acteurs internationaux de protection de la nature se heurtent aux prérogatives de souveraineté, aux nationalismes de certains Etats, qu’inquiète la multiplication des aires protégées sur leurs territoires nationaux.
46Au sein des milieux «conservationnistes», nombre de territoires, à différentes échelles spatiales - certains archipels, en particulier les îles Galapagos (Equateur), voire l’ensemble d’un continent, l’Afrique - continuent à être considérés comme constituant un «patrimoine de nature»62. Certains écrivains perpétuent cette vision. Pour Alberto Moravia, le continent africain représentait la dualité de la civilisation perdue et de la civilisation future. Pour cet auteur, ce continent contradictoire représente le désenchantement politique, le domaine du mystère archéologique, mais aussi, celui du foisonnement végétal, animal et la crise du monde moderne63. Le géographe Roland Pourtier observe chez les Occidentaux un «transfert de la nostalgie d’une nature pri-mitive définitivement disparue du Nord vers cette Afrique qui fut longtemps mystérieuse»64.
47Certains types d’espaces font plus que d’autres l’objet d’une préservation de l’environnement : les îles (pour leur intérêt ornithologique et le grand nombre d’espèces endémiques tant végétales qu’animales), les récifs coralliens, les zones humides tant continentales que littorales. La mise en place de programmes de sauvegarde, qui participe d’une véritable géopolitique de la protection, s’intéresse en Afrique tout particulièrement aux zones de frontières terrestres, maritimes, et insulaires, contestées et disputées entre plusieurs Etats. La protection de la nature peut contribuer à la sécurisation de certaines zones frontalières. Cependant, sur le continent africain, des portions entières de territoires, sous l’action de politiques internationales de sauvegarde de la nature, constituent des enclaves territoriales extraverties dont la souveraineté échappe, de manière croissante, aux Etats65. Ces «espaces réglementés66» (zones touristiques, territoires réservés à la chasse, parcs naturels…), afin de protéger la flore et la faune (espèces rares), sont gérés par des organisations internationales (programmes financés par l’Union Européenne, les Etats-Unis, des ONG environnementales). Ainsi, nombre d’intellectuels des pays du Sud dénoncent les risques d’expulsion des populations locales (archipel des Galapagos) et les dangers de dépossession d’une portion du territoire national, au bénéfice d’une tutelle internationale à des fins scientifiques67.
48En Afrique, le nombre de pays dont une portion du territoire fonctionne sous le régime des «espaces réglementés», fondé sur un «véritable statut d’extraterritorialité»68, ne cesse de croître : Togo, Centrafrique, Kenya, Burundi, Cameroun, Namibie, Botswana, Afrique du sud. En Guinée équatoriale, les projets de protection de l’environnement, émanant d’organisations internationales, en particulier la CUREF (Conservación y Utilización Racional de los Ecosistemas Forestales de Guinea Ecuatorial), proposent au gouvernement qui a donné son accord, de classer en aires naturelles protégées (de la réserve intégrale à la simple aire d’écodéveloppement), pour la composante insulaire, la quasi-totalité de l’île d’Annobón (2 088 hectares) ainsi qu’une bande côtière de 3 milles nautiques (21 022 hectares marins) ; une grande partie de l’île de Bioko (parc national du Pico Basilé, 33 000 hectares) et la réserve scientifique de la caldera de Luba (51 000 hectares) ; tout l’espace insulaire de Corisco et des Elobeys (fig. 3). Ces organismes internationaux prévoient, pour le bloc continental, la création de pas moins de huit aires protégées qui ont été avalisées par le gouvernement équato-guinéen. Actuellement, seul le parc national de Monte Alén, le plus étendu (200 000 hectares), est valorisé par l’écotourisme et fait l’objet d’une gestion à l’occidentale. Ce massif montagneux qui concentre les principales altitudes de l’ensemble continental du pays, renferme une diversité biologique intacte, en particulier faunique, avec le gorille des basses terres (Gorilla gorilla gorilla)69. Un véritable corridor de protection de l’environnement continental et marin, d’orientation nord-est/sud-ouest, s’étendra du parc national de Monte Alén, englobant la réserve naturelle de l’estuaire du Muni (60 000 hectares), jusqu’à la réserve naturelle des îles de Corisco et des Elobeys (48 000 hectares) (fig. 3).
49Afin de justifier la multiplication des projets d’aires protégées, les organismes internationaux objectent l’argument du non-respect de l’interdiction de mise en exploitation forestière de ces zones par les gouvernements africains. Ainsi, le gouvernement gabonais a même attribué des concessions forestières dans la réserve naturelle de la Lopé70. Jusqu’à présent, ces «espaces réglementés» étaient principalement situés en position continentale. Depuis quelques années, les espaces marins, dans le golfe de Guinée, en particulier au sein de ce qu’il est aujourd’hui admis d’appeler la “Méditerranée guinéenne”, font l’objet de projets de réglementation d’ordre environnemental.
50Le respect de la pleine souveraineté des Etats, sur leur territoire national, par les organismes internationaux de protection de l’environnement, doit également s’accompagner de la prise en compte des communautés autochtones au travers de leur mode de vie.
51La majorité des gouvernements africains, qui se trouvent dans l’impossibilité de satisfaire aux besoins vitaux de leurs populations, n’affiche pas comme une priorité la protection de la nature71. Le mouvement de création d’aires protégées s’est fortement ralenti, à l’exception de la mise en œuvre des réserves marines. L’Afrique subsaharienne dispose de ressources financières limitées à affecter à la réalisation de programmes de sauvegarde de l’environnement72. Les populations locales considèrent les parcs naturels comme des freins au développement. D’autre part, les aires protégées pâtissent des pressions exercées par les populations qui sont confrontées à la diminution de leurs ressources, en raison de leur paupérisation croissante et de changements climatiques et environnementaux73. Certains espaces naturels sont menacés par le braconnage (gibier), la recherche de nouvelles terres agricoles, le ramassage du bois de chauffe. Certains habitats disparaissent, des sites paléontologiques et archéologiques subissent des dégradations74.
52Dans l’Afrique intertropicale, l’élevage est peu développé, et la recherche de gibier correspond aux modes de vie ancestraux des communautés de chasseurs. Aujourd’hui, la chasse commerciale menace la biodiversité des milieux forestiers tropicaux denses et humides. Dans les écosystèmes marins du golfe de Guinée, la capture des tortues marines, comme source de protéines et pour l’artisanat de l’écaille, compromet la survie de ces espèces. Progressivement, le développement économique, la mise en place de systèmes éducatifs, les actions de protection de l’environnement, peuvent faire évoluer les rapports des communautés locales, d’une exploitation des ressources de la nature à leur préservation.
53Le rôle culturel des milieux forestiers, dans l’Afrique tropicale humide, demeure important auprès des populations urbaines. De nombreux habitants des villes considèrent encore la forêt comme un territoire sacré75, dans lequel se mêlent le visible et l’invisible, où les personnes communiquent avec l’esprit de leurs ancêtres. Les habitudes alimentaires des citadins demeurent très largement dépendantes de la viande de brousse issue du «braconnage commercial» qui constitue le danger le plus inquiétant pesant sur la diversité de la faune sauvage des milieux forestiers denses humides.
54Au Gabon, les espèces les plus menacées ou en voie de disparition sont le lamantin76, les éléphants, les panthères et les crocodiles. Annuellement, 17 500 tonnes de viande de brousse seraient consommées77, soit 40% de la consommation de viande du pays. Une véritable «filière de viande de brousse» s’est mise en place, occupant environ 10 000 actifs, dégageant 19 milliards de Francs CFA en 1996, soit 0,9% du PIB78. Chaque Gabonais utilise 17,2 kg/an de viande de brousse dans les centres urbains, presque le double (32 kg/pers./an) en zone rurale.
55Les espèces les plus chassées sont les rongeurs (36 à 44% des captures sont représentées par le porc-épic Atherurus africanus), les céphalopodes (34 à 41%), les primates (14%) et le potamochère (6%)79. Les grands marchés de la capitale, selon T. Trefon, proposent des espèces entièrement protégées, commercialisées en grande quantité : pangolin géant, gorille. Ces points de vente écoulent également de la viande d’antilope, de crocodile, de reptile (python)80.
56Les aires de plus fortes pressions cynégétiques se situent aux environs des grandes villes (Libreville, Port-Gentil), à un degré moindre à proximité de Franceville et Oyem81. L’étude du Ministère du Tourisme, de l’Environnement et la Protection de la Nature de 1999 fait ressortir que la «chasse commerciale» sévit également autour des principaux chantiers forestiers, à proximité des mines d’or, le long du chemin de fer transgabonais. Une classification des formes de chasse, proposée par la même étude, permet de différencier : les chasses individuelles (braconnage de subsistance), la «chasse commerciale» (braconnage commercial), celle spécialisée dans le trafic d’animaux vivants (en particulier le perroquet gris du Gabon), les prélèvements d’animaux recherchés pour le commerce de leurs produits (peau, ivoire, œufs, trophées).
57Historiquement, les populations gabonaises fondent sur la chasse et la pêche leur approvisionnement en protéines animales. La forte consommation de viande de brousse est liée à l’existence d’une économie de subsistance qui caractérise l’ensemble du pays, aux faibles revenus monétaires, dans laquelle, la chasse fournit un complément naturel de l’agriculture. La viande de boucherie constitue un aliment périssable, en l’absence d’infrastructures de conservation. Ainsi, selon les études réalisées par le PNAE, les produits de la chasse offrent l’alternative la plus appropriée pour couvrir les besoins en protéines animales en milieu forestier. La détérioration de la situation économique dans les années 1980, amplifiée par la crise du secteur pétrolier (1985-1986), l’augmentation consécutive du chômage82, le mouvement d’urbanisation des ruraux conservant leurs habitudes alimentaires d’origine, créent une importante demande solvable de gibier de brousse83. La signification attachée à la consommation de ce type de viande permet aux nouveaux citadins de conserver un contact culturel avec leur milieu villageois d’origine (rituels, fêtes84). Certaines composantes du corps des animaux sauvages sont nécessaires à l’exécution de rites de passage, tant en milieu rural que dans les villes africaines85. La forte consommation de gibier constitue une habitude alimentaire difficile à modifier. D’autre part le commerce de la viande de brousse profite à tous les niveaux de la société africaine. Selon Théodore Trefon, le faible taux d’investissement des milieux privés dans le secteur de l’élevage, lié à une répugnance culturelle, soit à se nourrir d’animaux d’élevage, soit à s’y investir professionnellement, favorise également la demande en gibier.
58Dans la baie de Corisco, selon A. Formia, environ 50 pêcheurs seraient spécialisés dans la «chasse» à la tortue verte. Des mois d’octobre à mars, cette espèce animale constitue la principale source de revenus sur les îles de Corisco et d’Elobey Grande. Si quelques tortues marines sont capturées accidentel-lement dans des filets de pêche adaptés aux prises de poisson, la majorité est pêchée avec des filets spécifiques, au harpon voire au fusil sous-marin86. Globalement dans la baie, les engins de capture sont des filets droits à grandes mailles (50x50 cm), de plusieurs centaines de mètres. Ils sont tendus à une distance variant entre 100 et 500 m du rivage, à une profondeur de 2 à 5 m, le long des aires sous-marines d’alimentation des tortues87. Dans l’archipel de Corisco et des Elobeys, les filets réservés à la pêche des reptiles marins mesurent 8 sur 14 m88. Les producteurs utilisent également des palangres équipées de centaines d’hameçons. Les tortues capturées sont ensuite montées vivantes sur des pirogues, puis conduites dans des corrales, sorte de parcs en bambou, installés sur les plages des îles de la baie, dans l’attente de leur acheminement vers les marchés urbains.89 Enfin, bien que non autorisés à pêcher à moins de 1000 milles nautiques des côtes, les chalutiers capturent de grandes quantités de tortues marines (olivâtre et verte), au moyen de filets dépourvus de système de libération90. Ces bateaux de pêche, en particulier ceux battant pavillon chinois, prélèvent également des tortues marines, vendues à des commerçants nigérians qui les écoulent sur le marché d’Oloumi à Libreville. Les prises surviennent avant la ponte, menaçant la reproduction de l’espèce. La majeure partie des captures individuelles se compose de tortues vertes femelles adultes. Si le long des côtes de la partie continentale de la baie de Corisco, les captures au filet s’effectuent accidentellement en période de ponte et d’approche des tortues vers les plages, à Corisco, chez les Benga, les prises ont lieu volontairement tout au long de l’année91.
59Les pêcheurs de l’île de Corisco commercialisent directement leur production dans les grandes villes du continent : Bata et Cogo en Guinée équatoriale, Libreville au Gabon92. Quelques acheteurs gabonais, de la même ethnie que les pêcheurs insulaires, en particulier des commerçants benga du cap Estérias, viennent également réceptionner directement sur l’île de Corisco, des tortues marines. Selon A. Formia, le franchissement illégal de la frontière entre le Gabon et la Guinée équatoriale ne freine pas le commerce de la tortue, pas davantage que la loi protégeant la tortue verte en Guinée équatoriale.
60Depuis quelques années, selon le même auteur, les tortues marines ont évolué de l’état de sources de protéines pour les populations locales à celui de produit à forte valeur marchande, très prisé dans les villes équato-guinéennes de Cogo et Bata, à un degré moindre à Libreville. Au sein des villes guinéennes du continent, bars et restaurants proposent la tortue sous la forme d’une soupe épicée appelée pepesup de tortuga à Bata93. A Libreville, les plats à base de chair de tortue sont présentés sous l’appellation «spécialités gabonaises».
61Dans la capitale gabonaise, la viande de tortue luth est moins recherchée que celle de la tortue verte et de la tortue olivâtre. Toutes les parties de la tortue sont consommées : la chair, les intestins, une partie de la tête et les parties marginales de la carapace94. Au marché d’Oloumi, un des points de vente les plus onéreux de la capitale pour la viande de brousse et la chair de tortue, en juillet 2000, la tortue était commercialisée 1,52 euro/kg (1 000 F CFA), 22,87 euro (15 000 F CFA95) l’animal vendu à la pièce96. La fourchette de prix observée selon les marchés, se situe entre 0,76 euro (500 F CFA) et 1,83 euro (1 200 F CFA) le kilogramme. Le cours du poisson fluvial (carpe de l’Ogooué capturée près de Lambaréné), par comparaison, approche un prix deux fois plus élevé 3,05 euro/kg (2 000 F CFA)97. Les tortues vertes, souvent capturées à la pointe Denis, sont présentées aux clients, la carapace à l’envers, la chair disposée en morceaux cubiques placés à l’intérieur de celle-ci. Chaque revendeur écoule sur le marché d’Oloumi, entre une et deux tortues par semaine auprès des classes sociales aisées. Les œufs de tortues marines, principalement de tortue luth, sont commercialisés par colportage dans les quartiers de Libreville, vendus sur les marché de Louis et surtout de Lalala, et enfin écoulés auprès de quelques restaurants98. Sur les marchés, les œufs sont présentés en tas, au prix de 0,76 euro (500 F CFA) les 4 œufs et proviennent des estrans sableux du cap Estérias et de l’îlot de Mbanié.
62Les expériences de protection des écosystèmes marins et de préservation des tortues marines diffèrent selon les Etats de la “Méditerranée guinéenne”. Comment développer le tourisme de nature pour qu’il constitue une source de revenus pour les communautés autochtones et modifie le plus faiblement possible leurs modes de vie séculaires ?
63L’archipel de Corisco et des îles Elobeys se compose «d’îles continentales», en forte interrelation avec les métropoles du continent (Bata, Libreville). A un degré moindre que les autres îles du golfe de Guinée, cet archipel côtier intéresse néanmoins les grands voyageurs lors de la conquête coloniale. Elles constituent une plaque tournante pour l’esclavage, à destination d’Annobón, Fernando Poo, au sein de la Guinée espagnole. Au début du XXIe siècle, ces îles jouent un rôle de point d’ancrage, pour l’immigration nigériane, préalablement à une distribution de celle-ci vers le Gabon et la Guinée équatoriale (Mbini). Elles servent de point d’appui pour l’entreposage des marchandises de contrebande, avant leur acheminement vers les pays voisins, en particulier vers le Gabon. Elles font également fonction de base de relâche, pour les commerçants, pour les pêcheurs nigérians, camerounais, opérant dans l’ensemble du golfe de Guinée, soucieux d’éviter les contrôles douaniers des ports du continent voisin. Trafics et contrebande sont aux mains d’ethnies d’implantation transfrontalière, aux sociétés structurées en réseaux familiaux et diasporiques99, entre ce micro-archipel, l’île de Bioko et les villes de Bata et Libreville, permettant la circulation des hommes et des marchandises.
64Ainsi, les Bubi de l’île de Bioko sont étroitement apparentés linguistiquement aux Benga de Corisco et du cap Estérias100. Les Benga sont également proches des Bakota du Gabon et des Bapuku de Guinée équatoriale. Ils proviennent du Haut-Cameroun. Ils auraient descendu le Río Campo pour parvenir au littoral de l’océan Atlantique, puis un premier groupe a diffusé jusqu’au cap Saint-Jean101. Un second groupe s’est établi sur l’archipel de Corisco et des Elobeys. Ils découvrirent l’île de Corisco qui était inhabitée, et la nommèrent Mahendjè102 (aujourd’hui Mandji). Enfin, une troisième composante s’est installée au cap Estérias et à Santa Clara sur la rive droite de l’estuaire du Gabon. Historiquement, les Benga sont des navigateurs réputés, des commerçants parlant toutes les langues de la côte103, mais ce sont avant tout des pêcheurs. Ils capturent principalement les daurades roses, grises et les mulets, les tortues marines (appelées kudu en benga). Leurs prises se composent également de langoustes, d’oursins, de palourdes et de couteaux de mer. Les femmes conduisent les travaux agricoles (potager féminin) et sont également spécialisées dans la collecte des coquillages, en particulier les couteaux de mer104. A la fin du XVIe siècle, les Benga, par peur de l’esclavage, se sont repliés vers l’intérieur du continent105. Ils reviendront sur le littoral, en particulier au cap Estérias, au début du XIXe siècle, période pendant laquelle ils tissent des relations étroites avec les Mpongwé. Ils établissent leurs villages le long de la côte, sous la forme de cases disposées en cercles concentriques, avec au centre la maison du chef de lignage106.
65Aujourd’hui, le rapprochement des Benga avec les Mpongwé est très avancé. L’ensemble des Mpongwé ont du sang benga. Au début du XXIe siècle, ces derniers constituent une petite communauté vivant à Libreville, conservant des liens étroits avec leurs frères des îles de Corisco et des Elobeys. Ils ravitaillent très largement la capitale gabonaise en poisson, fruits de mer (couteaux en particulier) et chair de tortue. Les Benga, avec les Mpongwé, les Akélé, les Sékiani, forment la communauté iboto (qui signifie chance et bonheur) de l’estuaire, afin de former un bloc ethnique uni face aux puissants Fang. Les Mpongwé, au sein de la communauté iboto, forment la société la mieux organisée et la plus émancipée, seule à compter dans ses rangs, hommes politiques et ministres. Ils tirent leur puissance, en particulier financière, de leur antériorité sur les trois autres ethnies, dans le côtoiement des populations européennes.
66Une renaissance identitaire parcourt la société benga, ce qui rendra très difficile le renoncement à la pêche des tortues marines qui conserve un important rôle culturel. Dans ce groupe humain, y compris à Libreville, les produits de la mer sont consommés quotidiennement. La chair de tortue, appelée sur les marchés viande et non chair, tient un rôle identique au gibier dans les ethnies continentales. Les tortues marines (tortue olivâtre et tortue imbriquée) sont consommées en bouillon, fortement épicé, accompagnées de saucisses. Lors de la fête de réconciliation entre Mpongwé et Benga, en juillet 2000, après 16 ans d’absence de relations, un repas à base de tortue a été servi107. A l’instar du gibier de brousse chez les ethnies de la forêt, le désir de partager la consommation de la chair de tortue participe du rituel, de la tradition, de la convivialité. Lors de plusieurs cérémonies : fête du nouvel an, mariage (chair de tortue exigée et offerte à la belle-famille), lors des rituels de deuil, les Benga consomment ces animaux marins. Ils capturent les tortues, auxquelles sont liées une forte charge culturelle et identitaire, en raison d’habitudes alimentaires, mais laissent à d’autres ethnies, la valorisation artisanale de la carapace et l’utilisation de la graisse animale. A Libreville, des populations originaires de l’Afrique de l’Ouest achètent les carapaces de tortues (tortue imbriquée) à des fins artisanales. Dans la capitale gabonaise, ces populations immigrées confectionnent, à partir de l’écaille de tortue, des montures de lunettes, des boucles de sac à main, des bracelets.
67Dans les îles de la “Méditerranée guinéenne” (Saõ Tomé, Bioko, Corisco, les Elobeys…), en particulier chez les Benga et les Bubi, les mouvements environnementalistes se fixent deux objectifs : protéger les tortues marines et compenser les pertes de revenus liées à leur capture, par une activité de substitution qui peut être l’écotourisme littoral. Autour des îles de l’embouchure du río Muni, la qualité des plages de sable blanc pour le balnéarisme, la clarté des eaux côtières pour la plongée sous-marine, la pêche-promenade entre les îlots de l’archipel, l’observation de la ponte et de l’alimentation des tortues, constituent une importante ressource touristique. Les projets de développement de l’écotourisme nécessitent d’abord un classement en aire protégée de ce petit archipel.
68Le projet de réserve, accepté par le gouvernement équato-guinéen, concernant les îlots situés au large de l’embouchure du río Muni (Reserva Natural de Corisco y Elobeyes), stricto sensu, comprend l’archipel de Corisco (1 500 hectares envisagés), Elobey Grande (227 hectares envisagés), Elobey Chico (19 hectares). Un périmètre marin de protection enveloppe les îles jusqu’à 3 milles nautiques en mer. Cette bande littorale de protection inclut les plages de ponte des tortues et dans les 3 milles marins, les bancs de corail, les herbiers sous-marins, ou prairies de phanérogames, qui servent d’aires d’alimentation pour ces animaux marins (fig. 3). L’implantation de la réserve de Corisco et des Elobeys jouxte la frontière maritime séparant les deux Etats, selon le tracé défendu par le Gabon (fig. 2). Les propositions de gestion transfrontalière des aires de reproduction des tortues marines permettraient de sécuriser cet espace maritime et insulaire, longtemps contesté par les deux pays.
69En baie de Corisco, six phases, associant la préservation de la biodiversité marine et l’écotourisme, sont prévues dans le projet réalisé par Tractebel-Development-SECA pour l’Union Européenne. La première étape prévoit le classement en aires protégées des plages et des zones maritimes contiguës à l’archipel Corisco/Elobeys et leurs îlots satellites. Dans un deuxième temps, sont envisagées la construction d’écoles, la réalisation d’un économat sur l’île de Corisco ainsi qu’au cap Estérias. Puis, sera conduite une étude approfondie, de nature transfrontalière, de la tortue verte, sur l’ensemble de la baie, avec caractérisation des individus des deux sexes, quantification de cette population, inventaire des sites de ponte et des aires d’alimentation (herbiers). Le projet prévoit également l’identification des tortues luth femelles. Ultérieurement, du côté gabonais, seront classés en réserve marine plusieurs sites importants. Enfin, il est programmé, une gestion future, de nature interfrontalière, de l’ensemble d’un Complexe d’Aires Protégées de la baie de Corisco, ainsi qu’un classement en site Ramsar108.
70Afin d’impliquer les ethnies locales, qui pratiquent depuis des siècles la chasse à la tortue marine, leur repérage sur les aires d’alimentation et les prélèvements pour analyse génétique, pourront être réalisés par des pêcheurs benga de Corisco et du cap Estérias, rémunérés à cet effet. L’île de Corisco fera l’objet d’un petit projet écotouristique, en association avec l’hôtel existant109, d’une capacité de 10 chambres, ainsi qu’avec le village principal. Les visiteurs, à partir de Libreville seront amenés sur place en bateau. Une partie de la taxe perçue à l’entrée de la réserve naturelle financera le projet et permettra de régler les salaires. Les gardes de la réserve, ainsi que la police locale, feront l’objet d’une formation sur la biologie et l’environnement des tortues marines110. De jeunes pêcheurs benga, préalablement formés à la biologie des écosystèmes marins, guideront les voyageurs et leur permettront la découverte de la flore et de la faune insulaires111. D’autre part, l’A.S.F., dans la zone comprise entre le cap Estérias, l’île de Corisco, la Pointe Ndombo, contribue déjà à l’identification des tortues adultes, mâles et femelles (tortues verte et olivâtre), sur les herbiers et conduit chez les populations benga, une étude de caractère ethno-zoologique.
71Le statut des tortues marines est passé, en quelques décennies, par trois stades successifs : l’autoconsommation par les populations locales comme source de protéines marines112, fondant des habitudes alimentaires fortement identitaires (chez les Benga); un produit de la mer à forte valeur marchande, très prisé par les citadins aisés (Libreville, Bata); enfin, à l’avenir, une «ressource touristique» pour le tourisme de vision (plages à ponte, herbiers d’alimentation).
72La préservation de la biodiversité marine, associée à l’écotourisme, ne constitue qu’une des composantes de l’ouverture au tourisme de ces zones littorales et insulaires. Le rôle majeur de ces îles lors de l’esclavagisme, au cours des affrontements coloniaux pour le contrôle de la “Méditerranée guinéenne”, met en avant la diversité géographique et l’importance des patrimoines culturel et historique de ces espaces insulaires. L’inventaire de la diversité biologique dans les pays tropicaux humides africains est davantage avancé que le recensement du patrimoine culturel. Le binôme tourisme de nature/tourisme culturel peut contribuer à la réussite de la fréquentation d’un lieu touristique. Les ruines situées sur l’île d’Elobey Chico, dans le monde hispanophone, représentent un intérêt historique, en tant que premier établissement espagnol en Guinée. Le souvenir des affrontements pour le contrôle de l’estuaire du río Muni et des îlots contigus permet aux visiteurs de reconstituer l’histoire coloniale de cette région. L’île de Corisco assurait une fonction d’étape dans l’esclavagisme entre le río Muni et l’île de Fernando Poo. Le XIXe siècle est marqué par des conflits entre négociants (Anglais, Allemands, Français) et trafiquants d’esclaves (Portugais, Espagnols, Hollandais, Français) alliés aux chefs des tribus côtières113. En 1875, Les îles Elobeys et Corisco sont occupées par des factoreries espagnoles, anglaises, allemandes et par des missionnaires presbytériens américains114.
73Le développement de l’écotourisme dans ces territoires éclatés de la “Méditerranée guinéenne” dépendra de la stabilisation politique des Etats, en particulier de la Guinée équatoriale, de l’amélioration de l’état sanitaire de ces pays, du développement économique des populations locales. L’importance du paludisme endémique, la récurrence des épidémies de fièvre hémorragique dues au virus ebola sur le continent (Gabon oriental, République Démocratique du Congo, Congo), constituent d’importants freins à l’essor touristique. La situation d’Etat de non droit qui caractérise la Guinée équatoriale interdit, encore aujourd’hui, la fréquentation de certaines îles. La liaison maritime entre le cap Estérias (Gabon) et l’archipel de l’île de Corisco et des Elobeys (Guinée équatoriale), malgré la détention d’un visa équato-guinéen, comporte un risque d’arraisonnement des pirogues, de confiscation du moteur de ces embarcations. Le classement d’une grande partie de l’île de Bioko en zone militaire limite les possibilités de découverte des volcans intérieurs. L’irrégularité de l’alimentation en courant électrique de Bata, la principale ville continentale du pays, décourage nombre d’écotouristes.
74L’écotourisme constitue une des voies de la reconversion économique des ethnies de pêcheurs de tortues marines. D’autres alternatives d’écodéveloppement sont également conduites dans la Méditerranée guinéenne.
75A l’exception de Bioko, l’isolement géographique des îles a favorisé des processus d’évolution biologique, tendant vers un très fort taux d’endémicité de la faune et de la flore. Sur l’île de Bioko, très proche du continent, l’endémicité est bien moindre, 28% des mammifères (10 espèces de singes dont 5 sous-espèces endémiques) et 32% des oiseaux forment des sous-espèces endémiques, alors que sur les trois autres îles (São Tomé, Principe, Annobón) le plus fort isolement provoque une endémicité beaucoup plus importante pour la même catégorie d’espèce115. Sur les autres espaces insulaires, le trop grand éloignement du continent, qui empêche une forte colonisation faunique, réduit la richesse de la faune mammalienne
76Les biologistes mettent en évidence la présence de tortues marines sur l’île de Fernando Poo (aujourd’hui Bioko) puis sur l’ensemble des littoraux de Guinée équatoriale, en 1949116. En 1964, des données précises sont fournies sur la nidification et l’exploitation halieutique des tortues marines (Chelonia mydas et Eretmochelys imbricata) sur la côte méridionale de cette île. Dans le sud de Bioko, la chair de tortue était principalement consommée par la population bubi.
77En juin 1995, l’ONG espagnole Amigos del Coto de Doñana lance, en collaboration avec l’administration équato-guinéenne, notamment le ministère des Pêches et des Forêts, le programme «Conservation et Ecodéveloppement des Hautes-terres du sud de Bioko»117. Cette action, également conduite avec l’université espagnole de Valence, compte parmi ses objectifs, la connaissance de la filière économique d’exploitation de la tortue verte. Un accord est conclu avec les habitants du village d’Ureka, dans lequel résident les principaux pêcheurs de tortues marines. Cette coopération permet l’installation d’un campement de surveillance sur les plages de Moraca à proximité du village d’Ureka. Un dénombrement des femelles venant nidifier est réalisé, ainsi qu’un contrôle des tortues capturées sur les autres plages118.
78Dès 1996-1997, Amigos del Coto de Doñana envisage de verser aux pêcheurs la contrepartie marchande de chaque tortue vivante capturée, ainsi que la mise en place d’un système d’achat de produits alimentaires en substitution à la collecte des œufs de tortue119. L’action impulsée par Amigos del Coto de Doñana a permis de faire cesser les prises de tortues par les habitants d’Ureka. La pêche en haute mer de deux espèces de tortues marines (C. mydas et E. imbricata), effectuée par des pêcheurs d’Annobón perdure néanmoins. Lors d’une deuxième phase, la collaboration pour la sauvegarde des tortues marines, s’est internationalisée, avec la mise en place d’un partenariat financier entre ECOFAC, les services de la coopération espagnole, le Ministère des pêches et des forêts de Guinée équatoriale. Un programme régional, soutenu par l’Union Européenne, appuyé sur ECOFAC (Gabon) et CUREF (Guinée équatoriale), permet, en janvier et février 1998, une première reconnaissance de l’ensemble des plages de la partie continentale de Guinée équatoriale et de l’île de Corisco120. Au sein du SNAP (Système National des Aires Protégées), en Guinée équatoriale, sur lequel travaille la CUREF, la quasi-totalité des sites remarquables pour la biologie des tortues marines (plages de ponte et aires d’alimentation) sont inscrits dans des réserves naturelles.
79Dans la République de São Tomé et Principe, la tortue olivâtre est capturée pour sa chair, tandis que la tortue imbriquée fournit l’écaille, travaillée par des artisans-écaillistes de São Tomé qui achètent des tortues vivantes121. Aujourd’hui dans le monde, l’écaille est employée en marqueterie, lunetterie, maroquinerie et cosmétologie. Une tortue adulte fournit 2 kg d’écaille utili-sable dans l’artisanat d’art. Dans cet Etat-archipel, l’écaille sert à la réalisation d’objets artisanaux : carapaces naturalisées, bracelets, boucles d’oreille, colliers, peignes, poudriers, étuis à cigarette, couverts à salade, boucles de ceinture122.
80A São Tomé et Principe, depuis la mise en place des actions de conservation des espèces de tortues marines et de leur valorisation, grâce à l’arrêt de la coopération avec la Chine dont les commerçants vendaient les objets en écaille, en raison de campagnes de sensibilisation conduites dans les lieux publics fréquentés par les touristes, la vente aux étrangers d’objets en écaille a très fortement diminué123. Une législation sur la protection de l’environnement, qui prévoit un arrêté propre à la conservation des tortues marines est en gestation. Cependant, la République de São Tomé et Principe, non signataire de la CITES, poursuit de ce fait l’exportation de produits artisanaux en écaille124.
81Dans ce pays, le projet Tátô, appuyé par le Ministère de l’économie, a pour objectif la disparition définitive de la filière de l’écaille, par la reconversion des artisans-écaillistes125. L’arrêt total du travail de l’écaille est assorti d’une indemnisation des fabricants selon l’état de leurs stocks, qui seront acquis par l’Etat santoméen, aidé de bailleurs de fonds extérieurs. La reconversion économique des artisans devrait s’effectuer grâce au tourisme, voire au moyen d’une autre forme d’artisanat plus respectueux des espèces animales menacées (confection d’objets d’art en bois).
82Après une longue phase d’intérêt exclusif pour la sauvegarde des écosystèmes terrestres (forestiers) dans la zone intertropicale humide de l’Afrique, les organismes environnementaux internationaux entreprennent aujourd’hui la protection du milieu marin. A la demande de plusieurs Etats d’Afrique centrale, l’Union Européenne, par le biais du projet ECOFAC, a lancé un plan régional pour la conservation des tortues marines. Le centre du golfe de Guinée (du Nigeria au nord au Congo au sud, jusqu’à la République de São Tomé et Principe à l’ouest) constitue un enjeu écologique international, en concentrant cinq des huit espèces de tortues marines vivant dans l’océan mondial, dont quatre apparaissent menacées (tortues verte, imbriquée, luth, olivâtre).
83Les activités économiques de substitution à la capture de ces espèces marines, mises à l’essai dans certaines communautés autochtones, font apparaître des expériences très différenciées selon les groupes ethniques, selon les organismes internationaux de sauvegarde concernés, selon les Etats. Le développement de l’écotourisme ne constitue qu’une des alternatives de développement durable pour les sociétés locales, au même titre que l’artisanat, l’agriculture et la pêche maritime. Acteurs et programmes de sauvegarde des milieux naturels et des espèces animales sont confrontés au fonctionnement des sociétés autochtones. La protection des espèces (éléphants, gorilles, tortues marines…), le développement du «tourisme de nature», entraînent une mutation des activités économiques et des modes de vie séculaires des communautés locales.
84L’installation de réserves naturelles, fondement nécessaire au développement du «tourisme de nature», entraîne en Afrique, l’instauration «d’espaces réglementés» en constante progression. La mise en place de cette nouvelle catégorie de territoires, représentée par des réserves naturelles, des parcs nationaux, des zones touristiques, au nom de la politique «dette contre nature», se heurte aux ambitions économiques des Etats (octroi de périmètres d’exploitations minière, forestière, pétrolière…) ainsi qu’à leurs prérogatives de souveraineté. Trop souvent, en Afrique, ces espaces sont perçus par les Etats, comme une forme de déterritorialisation de portions entières de leur territoire national, au bénéfice d’une tutelle internationale à des fins scientifiques, ainsi qu’au profit d’un tourisme élitaire. Mais, inversement, la mise en place des aires protégées permet de sécuriser des zones frontalières disputées par deux ou plusieurs Etats et facilite l’instauration de corridors et de réserves transfrontalières qui favorisent la circulation des espèces animales.