Navigation – Plan du site

AccueilNuméros217La population de la Guinée – dyna...

La population de la Guinée – dynamiques spatiales

Jean-Etienne Bidou et Julien Gbéré Toure
p. 9-30

Résumés

La population guinéenne (7,2 millions d’hab. en 1996) est en forte croissance (3% par an). Cela est dû en partie à l’afflux de réfugiés de pays voisins, en partie à un bilan naturel encore très élevé dans le milieu rural. Mais une partie de cette croissance est absorbée par les villes (où les indicateurs montrent une diminution sensible de la fécondité) alors que les campagnes les moins peuplées se vident.

Haut de page

Texte intégral

1La connaissance de la population guinéenne a beaucoup progressé depuis une dizaine d’années. Le Recensement Général de la Population de 1996, dont on publie les résultats définitifs fait suite à celui de 19831; deux enquêtes Démographie et Santé en 19922 puis en 19993, complètent le dispositif. Entre cette période d’ intense activité et la publication des premières enquêtes démographiques coloniales en 1954-554, une trentaine d’années se sont écoulées sans qu’on ait des renseignements fiables sur la population guinéenne.

2Il est difficile, et sans doute irréaliste à l’heure actuelle d’essayer de retracer l’histoire démographique de la Guinée depuis un demi-siècle; comme son évolution politique, elle a été trop mouvementée. Par contre on dispose d’outils nombreux pour l’analyse de la situation actuelle. C’est en partie en raison de leur abondance qu’on s’est ici appuyé sur les techniques d’analyses multivariées. Elles permettent de joindre aux indicateurs démographiques classiques d’autres éléments, sociaux en particulier. Les dynamiques de la population ne peuvent guère être séparées de leurs influences économiques et culturelles.

3Le dernier recensement a également un autre avantage, celui de donner une grande partie de l’information à l’échelle de la sous-préfecture5. Cela permettrait de décrire avec une relative finesse l’inscription des évolutions dans leur cadre spatial si les recensements guinéens, comme la plupart de ceux qui ont été menés en Afrique, ne souffraient d’assez nombreuses imperfections. Mais au moins, les analyses multivariées, travaillant sur les corrélations améliorent la cohérence de l’ensemble.

4L’augmentation rapide de la population (plus de 3% par an) est à la fois l’indicateur et le moteur de transformations profondes dans la société. L’analyse statistique les structure en trois grands types de dynamiques spatiales. La croissance des villes constitue l’élément majeur : elle concerne la capitale Conakry mais aussi les villes moyennes. En second lieu vient la permanence de régions très faiblement peuplées : elle affecte une grande partie du territoire guinéen. Enfin apparaissent des dynamiques régionales qui différencient les quatre grands foyers de peuplement : le Fouta Djallon central, le pays mandingue, la Guinée forestière et le littoral atlantique.

La population guinéenne et ses dynamiques : fondement d’une typologie

Les données du recensement

5Avec 7 156 000 habitants en 1996, la Guinée reste très inégalement peuplée. Sa densité moyenne de 29 hab./km2 masque des disparités considérables. Les foyers de peuplement sont souvent séparés par de vastes solitudes. Alors que la densité de population dans certaines sous-préfectures rurales du Fouta Djallon ou de Guinée forestière dépasse 100 hab./km2, elle s’abaisse à moins de 5 hab./km2 dans de vastes secteurs de Haute Guinée. La sous-préfecture la moins peuplée, Sangardo, près de Kissidougou a une densité inférieure à 1 hab./km2.

6La population s’accroît pourtant rapidement. Pour la période intercensitaire 1983-1996, le taux d’accroissement par an est en moyenne de 3,15%, ce qui, actuellement, même pour un pays africain, est élevé. Certes, il faut faire entrer en ligne de compte la fiabilité des recensements (celui de 1983, le premier en Guinée, a nécessité des redressements parfois importants), mais aussi l’intensité des mouvements migratoires. La mort de Sékou Touré a entraîné le retour de nombreux Guinéens “de l’extérieur” et les guerres civiles du Libéria et de la Sierra Léone ont déversé sur le territoire guinéen quelque 500 000 réfugiés.

7Par comparaison, le taux d’accroissement naturel est estimé à 25,5%, résultante d’une natalité forte (Tn = 39,7 %) et d’un taux de mortalité encore élevé (Tm = 14,2 %). L’indice synthétique de fécondité (6,2) est inférieur à celui de nombreux pays sahéliens (Mali, 7,1 en 1998 ; Niger, 7,0 en 1998 ; Burkina Faso, 6,9 en 1993) et de même niveau que certains pays voisins comme le Sénégal ou la Côte d’Ivoire. On ne dispose pas des chiffres de mortalité suivant les sous-préfectures, par contre les taux de fécondité générale et les taux de natalité sont donnés par le recensement; ils ont été intégrés dans les calculs

8La population guinéenne est donc très jeune : l’âge médian est inférieur à 15 ans (14,9 ans), bien qu’ici aussi les disparités spatiales soient considérables. Alors que la proportion de personnes âgées reste en moyenne très faible (4,3% de plus de 65 ans) elle peut être localement très importante, comme au Fouta Djalon où dans certaines sous-préfectures elle s’élève à plus de 12%. Le recensement, qui donne la répartition par grands groupes d’âge (0-15 ans, 15-64 et plus de 64 ans) permet donc d’explorer les effets de structure.

9Par contre, et c’est une faiblesse à la fois du recensement et de la base de données employée ici, on dispose de peu de données directes sur les migrations. Or les flux semblent intenses. Rien n’est fourni sur l’émigration temporaire qui pourrait être approchée par la différence entre populations de droit et de fait et peu de renseignements sur la stabilité de la population (par exemple la comparaison entre commune de résidence et commune de naissance n’est possible qu’à l’échelle des préfectures). Le seul moyen d’estimer l’importance des flux migratoires reste assez fruste : il s’agit du taux de masculinité, sachant que les migrants sont le plus souvent des hommes jeunes.

10Un certain nombre de différences dans les grands paramètres démographiques, et en particulier ceux liés à la nuptialité et à la fécondité, sont liées à des attitudes culturelles spécifiques, qu’elles soient d’origine ethnique, religieuse, ou simplement influencées par la “modernité”6.

11Deux données du recensement concernant les groupes familiaux sont susceptibles d’éclairer les influences culturelles : la taille des ménages et le taux de polygamie.

12La taille des ménages varie assez fortement sur le territoire. En milieu rural elle rend compte de la puissance du modèle patriarcal. Les ménages les plus nombreux se rencontrent en pays mandingue où l’organisation sociale est bâtie sur la famille élargie et régie par un aîné, chef de la concession; la taille des ménages est de 8,4 personnes en moyenne en Haute Guinée, mais s’élève jusqu’à 15 dans certaines sous-préfectures. Cette structuration est moins rigide dans le reste du pays où les ménages comptent moins de membres. Par contre, en ville et particulièrement à Conakry, on retrouve des ménages de très grande taille, grossis par l’afflux des parents ou des relations de province.

13La polygamie est pratique courante en Guinée et concerne près d’un tiers des hommes. Comme partout en Afrique elle augmente avec l’âge (la moitié des hommes de plus de 50 ans sont polygames), mais en Guinée sa prévalence varie beaucoup selon les régions. Les taux le plus bas se rencontrent en Guinée forestière (la coutume l’autorise mais les populations en partie christianisées la rejettent) et à Conakry où moins d’un quart des hommes mariés sont polygames.

14Deux des indicateurs de la modernité sont sans contestation l’alphabétisation et la scolarisation. De ce point de vue, le niveau d’instruction de la population guinéenne reste, malgré de gros efforts depuis une dizaine d’années, un des plus bas du monde, particulièrement pour les femmes : moins de 20% des femmes savent lire et écrire. Dans ces conditions, la scolarisation actuelle des filles à l’école primaire présente beaucoup d’intérêt et peut être un révélateur du changement des mentalités.

15Un dernier aspect important des données du recensement a trait à l’activité. On a négligé le taux d’activité qui est généralement en Afrique sujet à caution dans la mesure où le chômage, le sous - emploi et l’activité sont des notions très diversement appréciées. Par contre le pourcentage des agriculteurs et celui des salariés paraissent particulièrement utiles. Hormis à Conakry, les agriculteurs (et surtout les agricultrices) restent une fraction importante de la population active des agglomérations urbaines (de 10 à 15% de la population à Kankan, Labé et N’Zérékoré). A l’opposé ils constituent plus de 90% de la population active dans les trois quarts des sous-préfectures du pays, signe manifeste du faible degré d’ouverture économique des campagnes guinéennes.

162 - Trois grandes dynamiques

17Soumises à une analyse en composante principale, les 17 variables choisies s’organisent sur trois grands axes. Le premier rend compte de 33% de l’inertie, 17% pour le second, 14 % pour le troisième. Au delà, la contribution des axes ne dépasse pas 7%, c’est à dire à peine plus que la contribution d’une variable isolée.

18Le premier axe voit s’opposer le niveau d’instruction, la densité de la population, le pourcentage de salariés et la proportion d’adultes d’un côté et de l’autre à la part de la population agricole, au dynamisme du mouvement naturel et à la proportion des jeunes. Il s’agit là clairement d’une opposition ville-campagne et la position des sous-préfectures sur cet axe traduit leur situation dans un état de transition urbaine et démographique. Les fortes densités expriment la concentration urbaine; la croissance démographique y est généralement plus forte qu’ailleurs; elle est alimentée par l’immigration des hommes comme le montre un taux de masculinité élevé et une forte proportion d’adultes. L’alphabétisation nettement plus importante qu’ailleurs dans le pays est, comme souvent, liée de façon significative à la baisse de la fécondité.

19Le second axe est lié en partie à la structure par âge, où s’opposent les jeunes et les adultes. Cette opposition est enrichie par la contribution de la proportion d’agriculteurs et les faibles densités de population, fortement corrélées à la proportion d’adultes. On peut interpréter cet axe comme celui du sous-peuplement. Du point de vue spatial, les sous-préfectures représentées négativement sur cet axe occupent la bande de terres peu peuplées des savanes pré-forestières qui courent de Beyla à Mamou; s’y ajoutent un grand nombre de sous - préfectures du piémont du Fouta Djalon. Là où la densité de population est très basse, l’étroitesse des possibilités économiques rend compte du poids de l’agriculture tandis que le sous-équipement, en particulier en matière de santé, entraîne de fortes mortalités infantile et juvénile, et, par conséquent, une sous-représentation des jeunes par rapport à la moyenne nationale.

20Le troisième axe amalgame des indicateurs liés à la migration, à la fécondité et à la taille des ménages. Certaines sous-préfectures sont caractérisées par une faible croissance (souvent nulle ou négative), par des taux de masculinité très bas (à cause de l’émigration des hommes partis en “aventure”), par une faible taille des ménages et une forte proportion de vieux ou d’ hommes en situation de polygamie : c’est le cas de la grande majorité des sous-préfectures du Fouta Dja lon. A l’opposé certaines régions sont marquées par un forte fécondité des femmes et une taille des ménages supérieure à la moyenne : on retrouve là de nombreuses sous-préfectures du pays mandingue. On entre là dans le domaine des caractéristiques des foyers régionaux de peuplement, pour partie liées aux cultures locales, pour partie aux spécificités des flux migratoires.

Transition urbaine et transition démographique.

21En 1983, la population guinéenne restait fortement rurale: sur 4,66 millions d’habitants, seul 1,21 million résidaient en milieu urbain, soit 26%. Encore, la population urbaine était-elle définie comme celle qui réside au chef-lieu de préfectures. Celles-ci étant fort étendues, on agrégeait à la population effectivement agglomérée, celle des hameaux et villages de la sous-préfecture concernée. En 13 ans, de 1983 à 1996, la population urbaine a plus que doublé et le taux d’urbanisation serait, en 1996, de 36 %.

La croissance de la capitale

22La capitale a été la principale bénéficiaire du développement urbain de la Première République, passant de 42 000 habitants sous la colonisation7 à 710 000 en 1983. Même si l’on peut douter de la véracité de ce décompte (à l’époque, les chefs de famille et en particulier les fonctionnaires, qui bénéficiaient d’une dotation en produits de première nécessité au prorata de leur charge de famille, avaient tendance à exagérer la taille de leur famille), l’essor est considérable8. La ville de la Première République avait largement débordé le site primitif de l’ancienne île de Tumbo, où s’était étendue la ville coloniale et qui conserve encore les fonctions de centre urbain. Dès les années 1980, la presqu’île de Kaloum était presqu’entièrement occupée, les anciens village étant progressivement absorbés dans le tissu urbain.

23Au début des années 1990, Conakry passait le million d’habitants et atteignait 1,1 au recensement de 1996 si l’on tient compte seulement des limites administratives. Alors que la population des quartiers anciens stagne ou diminue, celle de la périphérie s’accroît (les quartiers de Matoto et de Ratoma ont plus que doublé en 6 ans) et une partie de la croissance est désormais réalisée hors de la Région spéciale de Conakry, dans les sous-préfectures voisines de Manéah, Coyah et même Dubréka, situées à plus de 50 km du centre ancien de la ville.

24Si l’on s’en tient cependant aux limites administratives, Conakry capitalisait 16% de la population guinéenne.

Un renforcement récent du réseau des centres urbains secondaires

25Jusqu’en 1983, le reste de l’armature urbaine demeurait à un niveau assez bas: Kankan, deuxième ville du pays ne comptait pas plus de 55 000 habitants, les deux autres villes, N’Zérékoré et Kindia dépassant tout juste 30 000 habitants, Labé, pourtant capitale de la moyenne Guinée était moins peuplée que Fria, la ville de l’alumine, de même que quelques centres ruraux comme Kissidougou, Faranah ou Mamou.

26Le recensement de 1996 a révélé que la croissance urbaine la plus élevée était celle des villes régionales : Kindia, N’Zérékoré et Kankan se renforcent et dépassent désormais 100 000 habitants ; les agglomérations de plus de 30 000 hab. sont au nombre de 18 en 1996. Si Conakry s’ est accrue de 400 000 habitants entre les deux recensements (peut-être 600 000, suivant certains décomptes), les autres villes ont gagné près d’un million. L’évolution guinéenne qui voit le renforcement des centres urbains secondaires est donc parallèle à ce qui a été observé dans une grande partie de l’Afrique de l’Ouest9 et même des pays pauvres.

27Mais cette croissance est fragile, une partie importante étant liée à l’afflux de migrants qui constituent une population flottante. Au palmarès des gains on comptabilise : des villes frontières qui ont bénéficié dans les années 1990 de l’afflux de réfugiés du Libéria ou de la Sierra Léone10, surtout si elles avaient une influence polarisante auparavant (Guéckédou, 5ème ville en 1996, qui abritait le plus grand marché du pays, Diéké, siège de la Soguipah) ; des villes minières (comme Kamsar, 6ème agglomération du pays mais qui n’était pas classée agglomération urbaine en 1983) ; les sous-préfectures de la périphérie de Conakry (Coyah, Manéah, Dubréka) qui ont bénéficié de l’extension de la capitale. Parmi les pertes de rang (mais pas forcément de population) on compte les villes du centre et de l’est de la Guinée, favorisées pendant la Première République (Faranah, Kissidougou et même Kankan qui passe du 2ème au 4ème rang), des villes minières de la première génération (Fria qui passe de la 6ème à la 12ème place) et beaucoup de petits centres administratifs de la colonisation qui avaient survécu à la Première République et qui ont perdu beaucoup de leur influence (Tougué, Mali, Pita au Fouta Djalon, Kouroussa en Haute Guinée, mais surtout Dalaba, villégiature coloniale au Fouta Djalon, encore 3ème agglomération du pays en 1955 et qui pointe au delà du 25ème rang actuellement).

28Le renforcement des centres urbains secondaires est donc très inégal et ne remet guère en cause la suprématie de la capitale.

Urbanisation et “modernité”

29La résidence urbaine a un effet certain sur la baisse de la fécondité. La récente Enquête Démographie et Santé (EDS) donne un indice de fécondité de 4,4 enfants par femme en ville et de 6,1 en milieu rural. Dans ces indices calculés au niveau national, Conakry pèse d’un poids considérable : la ville millionnaire a la fécondité la moins élevée du pays : 4 enfants par femme. Les différences de fécondité par âge entre les populations urbaine et rurale s’observent surtout avant trente ans. La fécondité est moitié moindre avant 20 ans, et le pic de 25-29 ans est bien inférieur en ville (197 %) à ce qu’il est à la campagne (267 %).

30Cette différence entre milieux rural et urbain est relativement récente. Les enquêtes démographiques coloniales donnaient une égalité parfaite : 5,64 enfants par femme11. Un écart est pour la première fois mis en évidence lors du recensement de 1983 : pour un ISF national de 5,8, les femmes rurales ont en moyenne 1,3 enfant de plus que celles qui vivent en ville. Il s’est creusé en 1999 où il atteint 1,7 enfant. La Guinée, malgré les vicissitudes politiques a donc connu l’évolution commune des démographies africaines. Alors que la fécondité en milieu rural est restée au même niveau qu’autrefois et localement a pu s’accroître, les villes sont engagées de plus en plus nettement dans un processus de baisse de la fécondité.

31Une partie de cette diminution est liée à l’élévation lente de l’âge au mariage; l’âge médian qui était de 15,8 ans en 1992 est de 16,4 ans en 1999 du fait surtout de la diminution des mariages très précoces (avant 15 ans) qui constituent encore 20% des premières unions. Actuellement, l’âge médian est de 17,9 ans à Conakry, 17,4 ans pour l’ensemble de la population urbaine, 16,4 ans pour l’ensemble du pays. L’intervalle intergénésique ne s’allonge que très peu : 35,4 mois contre 35 entre 1992 et 1999 ; les différences entre l’urbain et le rural restent faibles (36,5 mois contre 35). L’instabilité des unions fait le reste, encore que si la proportion de divorcées semble être de moitié plus importante à la ville qu’à la campagne, cette situation reste marginale : elle n’affecte que 2,2% des femmes en âge fécond.

32Cette évolution lente des éléments de la fécondité ne traduit que partiellement l’apparition de nouveaux comportements démographiques liés à la modernité. Pour M.L. Keïta12, qui a étudié, sur une base de données nationale les caractéristiques des couples et leurs attitudes envers la planification familiale, ces comportements sont actuellement le fait d’une petite minorité d’entre eux caractérisée par une position socio-culturelle supérieure : les conjoints ont fait des études secondaires, le mari est cadre supérieur ou exerce une profession libérale, l’épouse mène éventuellement sa propre activité, le niveau de vie du couple est moyen à élevé . Dans ces conditions, 68% ont une très bonne connaissance de la planification familiale et 53% ont déjà utilisé la contraception. Ils ne représentent pourtant que 2% de la population, mais constituent un modèle de réussite urbaine; ce sont les éléments de la société par qui passe le changement.

Les villes moyennes dans la transition démographique

33Si l’association entre la modernité et l’urbanisation existe au niveau des comportements individuels, elle doit se retrouver du point de vue collectif, dans l’évolution démographique des villes vue sous l’angle de la transition démographique. Plus une ville est importante, plus elle a de chance d’abriter des couples “modernes”, plus elle devrait être engagée dans le processus de baisse de la fécondité. La fig. 4 montre le croisement du taux de fécondité générale et de la taille des villes secondaires de Guinée sur les données du recensement général de la population de 1996. Du point de vue général, on observe effectivement une baisse globale du taux de fécondité avec la taille des villes : d’environ 150 ‰ pour des sous-préfectures de 20 000 habitants, il s’abaisse à moins de 100 ‰ pour celles de 120 000 habitants. Mais selon la taille, la baisse connaît des exceptions plus ou moins nombreuses.

34Au dessus d’une population de 70 000 habitants dans la sous-préfecture, toutes les villes se placent dans l’intervalle de confiance : certaines à un niveau un peu élevé, comme Kindia et Kankan, d’autres à un niveau un peu faible, comme Guéckédou et surtout Labé.

35Ce n’est qu’à partir du huitième rang, pour Mamou, que la position des agglomérations s’écarte nettement de la droite de régression. Au dessous de 40 000 habitants, les différences deviennent considérables, au point que la taille de l’agglomération n’est plus un facteur plausible d’explication des niveaux de fécondité. Tout se passe comme si, la taille augmentant, les populations citadines se conformaient davantage à un mode de vie urbain, y compris vis-à-vis de la reproduction.

36Les facteurs qui caractérisent le haut de la hiérarchie urbaine sont : des densités importantes (>500 hab./km2, supérieures à 1000 pour Labé et N’Zérékoré) ; une population agricole faible, mais encore notable (en moyenne 20%). En effet, les sous-préfectures comportent encore une partie rurale et les activités agricoles, notamment le maraîchage périurbain y prospèrent. Les proportions d’actifs salariés, bien que faibles (>10%) et d’adultes alphabétisés y sont plus importantes qu’ailleurs (>33%) et la scolarisation actuelle des filles y est remarquablement poussée (>60%). Enfin, on a noté précédemment que c’est le niveau le plus dynamique de la hiérarchie puisque globalement la population progresse de 4 à 5% par an, signalant qu’au moins la moitié de la croissance est due à l’immigration.

37Le niveau inférieur présente des caractères communs : forte place de la population agricole, presque toujours majoritaire (en fait les agglomérations ne concentrent qu’une minorité de la population de la sous-préfecture), rareté du salariat ; faible niveau d’alphabétisation (en général la scolarisation des filles est de l’ordre de 45%). Ces bourgs ruraux se différencient surtout par la diversité de leur croissance. Certains ont connu une croissance fulgurante ces dernières années: Diéké, Lola et les sous-préfectures de la périphérie de Conakry: Manéah, Coyah, Dubréka. Par contre, une majorité stagne, comme dans le centre du pays, ou décline, comme la plupart des villes de la périphérie du Fouta Djallon : Dinguiraye, Koubia, Tougué dans l’est, du Fouta, Mali, Koundara ou Télimélé au nord et à l’ouest.

38Engoncées dans une ruralité, quelquefois en régression, elles en ont encore les caractères démographiques ce qui fait qu’on y retrouve les tendances régionales. La fécondité reste très forte dans les villes du centre et de l’est Kérouané, Beyla, Kouroussa. Elle est au contraire plutôt faible dans les petites villes de Guinée maritime: Forécariah, Boké, Fria ou dans le Fouta central : Pita.

 La « diagonale du vide »

Le complexe du sous-peuplement

39 La bande des faibles densités de population qui traverse la Guinée du Nord Ouest au Sud Est a une origine ancienne; elle s’inscrit en creux entre les foyers de peuplement du Fouta Djalon et du pays mandingue au nord et au nord-est, de la Guinée la maritime et de la Guinée forestière à l’ouest et au Sud. Ici, les densités sont particulièrement faibles. Les préfectures du centre ont des densités très faibles : Kouroussa, 10 hab./km2; Faranah, 11, Kankan, malgré la présence de la ville, 13 seulement, comme Mandiana). Kissidougou avec 12 hab./km2 englobe la commune au peuplement le moins dense, Sangardo avec 1,2 hab./km2. Le pourtour du Fouta Djalon, au peuplement plus disparate, atteint des moyennes plus élevées quoique certaines sous-préfectures soient quasiment vides : Balaki dans la préfecture de Mali a 2 hab./km2.

40Ces faibles densités ont une origine clairement historique. Certes, ce sont des savanes sub-soudaniennes peu douées pour l’agriculture; la trypanosomiase, animale et humaine, y a sévi dans le passé et reste présente; mais tout ceci n’a pas empêché les Sénoufo de Côte-d’Ivoire, dans les mêmes conditions, de construire un foyer de fortes densités de population.

41Du point de vue spatial, ces faibles densités correspondent au domaine d’ethnies diverses et peu nombreuses. Leur origine est variée. A l’ouest dominent les ethnies de langue mèl : les Kissi de la région de Kissidougou sont les plus nombreux; près de la côte dans la région de Boké on trouve les Landouma, les Nalou et les Yola; au nord sur le piémont du Fouta Djalon subsistent les Bassari, Coniagui et Badiaranké. Souvent animistes, ces ethnies ont considéré le christianisme colonial comme un facteur de résistance à l’islamisation. Sociétés acéphales, elles ont difficilement résisté à leurs puissants voisins du pays mandingue et du Fouta Djalon. Mais la paix est en train de réduire ce que les razzias n’avaient pu vaincre : les plus petites d’entre elles sont en voie d’assimilation.

42 Pour les Kissi, qui sont un groupe important (plus de 5% de la population guinéenne), la situation se pose bien sûr en d’autres termes. Au centre de la «diagonale du vide», dans la région de Faranah se trouve l’aire dialonké la plus étendue. De langue mandé, ils font figure de peuple refoulé du Fouta Djalon. Qu’ils soient restés sur le plateau, ou qu’ils aient émigré sur son piémont, ils ont alimenté pendant longtemps la classe des captifs au Fouta Djalon13. Ainsi, par ponction directe mais surtout par la déstructuration liée aux razzias, ces populations n’ont pas pu constituer d’Etats qui auraient été les garants de leur sécurité et par là même capitaliser des excédents démographiques.

43Enfin, les guerres de la deuxième moitié du XIXème siècle ont laissé des traces considérables. Un cas exemplaire est celui de la sous-préfecture de Kindoyé à Faranah. Même dans cette partie de la diagonale du vide, elle présente des caractères extrêmes : une densité inférieure à 5 hab./km2 en déclin de 3% par an entre les deux recensements ; un taux de natalité parmi les moins élevés de Guinée (31 %) ; une population d’agriculteurs analphabète à 99,5%. Historiquement pourtant Kindoyé est la capitale des Hubbu, dissidents opposés au pouvoir des almamy du Fouta Djalon, rassemblés, au moins au début, autour de l’idée d’un retour à la pureté islamique et à la justice sociale. Leur lutte contre la capitale du Fouta, Timbo, est célèbre, de même que leur liquidation en 1882 par les lieutenants de Samory, allié pour la circonstance aux almamy du Fouta.

44Quels mécanismes ont fait perdurer les effets de ces affrontements plus d’un siècle après? Voilà qui est peu clair, mais le phénomène se retrouve dans toute la bande orientale du pays du Wassoulou jusqu’en Côte-d’Ivoire, cette région ayant été dévastée aussi lors des guerres de l’époque de Samory.

Le sous-peuplement et ses conséquences

45La croissance démographique de ces régions est modérée à faible (pour un pays en transition démographique). Sans atteindre les cas extrêmes précédents, certains secteurs voient même leur population diminuer sensiblement depuis le recensement de 1983. L’essentiel de la préfecture de Beyla, le piémont nord-ouest du Fouta Djalon, un certain nombre de sous-préfectures de Faranah, Kissidougou ou Kankan enregistrent des baisses de plus de 2% par an pendant la période intercensitaire. Même si l’on ne peut pas éliminer les erreurs de décompte, ces diminutions sont si généralisées qu’il est certain que la brousse se dépeuple.

46La structure de la population met en évidence une part plus importante qu’ailleurs d’adultes de 15 à 60 ans. Aux confins des préfectures de Macenta et de Kissidougou, les moins de 15 ans ne représenteraient que moins de 40% de la population, de même qu’à Beyla, ou dans quelques sous-préfectures du nord du Fouta Djalon (Youkounkoun par exemple). L’immigration n’est pas en cause, puisque la croissance démographique est faible; ce caractère semble plutôt lié à un déficit de jeunes. A partir de là on ne peut formuler que quelques hypothèses .

47L’une reste, bien sûr, un sous-enregistrement des enfants. Une autre, non exclusive, est une forte mortalité infantile et juvénile. Celle-ci reste bien sûr très mal connue dans ses aspects spatiaux. Elle serait actuellement de 106 ‰ pour toute la Guinée. Si on ajoute la mortalité juvénile (de 1 à 4 ans) qui est de 99 ‰, on aboutit à un quotient global de mortalité infanto-juvénile de 195 ‰14. La baisse de la mortalité des enfants a été importante durant ces vingt dernières années; elle était estimée à 270 ‰ en 1983. Mais cette diminution est affectée par des disparités régionales considérables. L’enquête EDS met en évidence des oppositions entre le milieu rural (211 ‰ pour la mortalité infanto-juvénile) et le milieu urbain (149 ‰, et même 141 ‰ pour Conakry). Du point de vue régional la Guinée forestière et la Haute Guinée (dont une grande partie du territoire est prise en écharpe par «la diagonale du vide») enregistrent les plus forts quotients de mortalité ( respectivement 222 et 221 ‰). Comme partout l’accès aux structures de santé et la qualité des services restent déterminants. Or l’encadrement sanitaire est ici particulièrement déficient : Mandiana compte trois agents de santé pour 1000 habitants, Kouroussa et Kérouané 5, Boké seulement 2. Si l’on ajoute les difficultés liées à l’accès aux dispensaires du fait même de la distance dans ces régions très faiblement peuplées, on peut penser que les populations qui y résident ont été privées de l’amélioration de la santé des enfants, pourtant sensible dans le reste du pays.

48Enfin, au moins pour les ethnies les plus petites, on ne peut pas écarter l’idée d’un véritable déclin démographique. Pour certaines le cas est documenté. Chez les Tenda, dès 1950 les perspectives démographiques étaient considérées comme défavorables : les populations étaient au mieux stables. En 1970, des études démographiques y montraient une fécondité faible pour la Guinée (3 à 4 enfants suivant les groupes ethniques), mais surtout une stérilité importante des femmes (de l’ordre de 6 à 15%); ceci joint à une forte mortalité infantile et surtout à l’émigration rendait la survie de ces groupes assez précaire15. Les sous-préfectures de Guingan chez les Bassari et surtout de Youkounkoun chez les Coniagui enregistrent actuellement des pertes de population sévères.

Un faible dynamisme économique

49Il est difficile, dans des pays aussi peu peuplés, de créer des projets de développement. Les distances rendent l’organisation peu rentable. Alors que, dès la période coloniale, la culture du coton gagnait les savanes du Nord-Est et le café les forêts du Sud, les savanes pré-forestières avaient peu à offrir, pas même de la main-d’œuvre. Très peu d’efforts leur ont été consacrés jusqu’à aujourd’hui.

50L’agriculture de ces régions se maintient donc dans le registre des cultures vivrières et du pastoralisme. Le manque d’ouverture économique ne signifie cependant pas toujours enclavement. Si l’ouest et le nord du Fouta Djalon restent difficiles à atteindre, de même que de nombreux secteurs des préfectures de Kérouané ou Beyla, par contre, d’autres zones de la «diagonale du vide» sont traversés par de grands axes, Conakry-Kankan, Conakry-Nzérékoré, Labé-Dakar. Mais, en traversant ces vastes solitudes les routes n’ont fixé que des centres de taille moyenne: Faranah, Kissidougou. Au delà se trouvent les régions les plus faiblement urbanisées du pays : Beyla a un taux d’urbanisation de 11%, Kérouané de 15%, et au nord -ouest du Fouta Djallon, Mali de 10% et Gaoual de 11%.

Des oppositions régionales : Fouta Djalon et pays mandingue

51 Le troisième type de dynamique, après l’urbanisation et le sous-peuplement est le plus étroitement spatialisé. Il oppose un complexe associant la forte taille des ménages à une fécondité élevée, à un autre marqué par des taux de masculinité très faibles et une représentation relativement forte de gens âgés, fréquemment polygames. Ces facteurs différencient deux ensembles fondamentaux: le premier caractérise le cœur très peuplé du Fouta Djalon, le second le pays malinké et ses marges.

52A coup sûr, le caractère ethnique joue par le biais des structures familiales et des normes sociales liées à la fécondité. Dans cette opposition liée aux caractères démographiques on retrouve un des clivages anthropologiques majeurs en Afrique de l’Ouest16. Mais d’autres facteurs interviennent, qui sont moins directement liés aux traits culturels, en particulier la stabilité de la population et l’existence de puissants courants migratoires qui retentissent fortement sur l’évolution démographique du Fouta-Djalon.

Le pays mandingue : structures familiales et natalité

53 Le pays mandingue se caractérise depuis longtemps par une forte fécondité. Elle est déjà mise en évidence dans les enquêtes démographiques de 1954-55. A l’époque la Haute Guinée dépasse très largement les moyennes nationales : la descendance finale y est de 6,5 enfants pour 5,5 pour la Guinée toute entière. Si les indicateurs de la fécondité ne sont pas comparables (descendance finale et indice synthétique de fécondité), les enquêtes démographiques suivantes confirment cependant cette caractéristique : l’ISF est égal à 6,2 en Haute Guinée pour une moyenne nationale de 5,8 en 1983; en 1999, ces indices sont respectivement de 6,9 pour 5,5.

54Les structures sociales des Malinké sont certes caractéristiques. L’unité fondamentale est la famille patriarcale étendue. Elle est dirigée par un patriarche, qui gère les biens de la famille, organise le travail familial, distribue entre les ménages la nourriture quotidienne et représente la famille dans la vie publique. Autour de lui gravitent les frères cadets, leurs femmes et leurs enfants. Ces larges familles qui regroupent fréquemment quatre générations se scindent à l’extinction de la génération la plus ancienne. Croisant cette organisation verticale de la société, les classes d’âge associent les membres qui ont partagé la même cérémonie d’initiation17. Un tel contexte social, encadré jusqu’à la rigidité, favorise le conservatisme social.

55Il est sensible notamment dans le domaine scolaire : c’est ici qu’on trouve les taux de scolarisation les plus bas. Sauf en préfecture de Kankan, nulle part le taux de scolarisation dans le primaire n’atteint un tiers des enfants scolarisables. Il est extrêmement bas pour les filles : à Siguiri ou Mandiana, il ne dépasse pas 15%.

56Les paramètres de la fécondité restent particulièrement stables18. Le mariage est précoce, mais pas beaucoup plus qu’en Guinée forestière. A 16,7 ans, la moitié des filles sont mariées et, même, l’âge médian à la première union semble s’abaisser (15,9 ans) pour les cohortes les plus jeunes (20-24 ans). L’intervalle inter-génésique est le plus court de toute la Guinée (32,8 mois)19 bien qu’on ne puisse guère l’imputer à des pratiques d’allaitement différentes (celui-ci est de 24 mois comme partout et induit une période d’aménorhée de 7 mois en moyenne). Par contre la période d’abstinence post-partum est beaucoup plus brève : 19 mois contre 22 pour l’ensemble de la Guinée. Or si la durée de l’aménorhée est une réaction biologique, la période d’abstinence est, elle, purement culturelle : elle est liée aux croyances et aux interdits coutumiers.

57Parmi toutes ces sociétés guinéennes, celle du Mandingue paraît la plus consciemment nataliste : le désir d’enfant y est le plus élevé pour la Guinée, 6,8 pour les femmes et 10 pour les hommes, contre respectivement 5,7 et 7,1 pour toute la Guinée20.

Le Fouta – Djalon : “aventure” et involution

58 L’image classique du Fouta Djalon est celle de hautes terres densément peuplées. Si ceci n’a jamais été vrai que pour le Fouta central, de Timbo jusqu’au nord de Labé, c’était là, un caractère ancien. Les enquêtes démographiques des années 1950 donnaient déjà des densités supérieures à 30 habitants au km2 pour les cercles de Labé et de Pita où elles montaient même à plus de 60 dans certains cantons. Ces fortes densités proches des centres politiques anciens, étaient vues comme les résultats des razzias du temps passé, surpopulation du Fouta et dépopulation des régions avoisinantes allant de pair21. L’opposition entre les classes de maîtres et de serfs allait jusqu’à la séparation physique des populations en hameaux distincts : rundé des captifs dominés par les missidé habités par les Foula. Certes, cette structuration de la société a perdu de sa pertinence depuis la complète libération des serfs : il en demeure néanmoins des traces profondes22.

59Les fortes densités de population ont engendré des courants migratoires anciens et puissants. Dès les premiers recensements on constatait dans le cercle de Labé un déséquilibre du rapport de masculinité : 0,79% en 1946. Dans les cantons les plus peuplés, les hommes partaient massivement, au Sénégal surtout comme navétanes pour la récolte du coton, sur la côte guinéenne, comme travailleurs dans les plantations de bananiers ou dans les villes; c’était une émigration temporaire, les hommes partaient en “aventure” laissant sur place leur famille. A l’époque, les serfs émigraient davantage que leurs maîtres, si le rapport de masculinité était un bon indicateur23.

60Les flux se sont poursuivis, accélérés dans les années 1970, avec les crises politiques qui ont contribué à leur donner une ampleur dramatique. Ils ont pris également des caractères nouveaux. Désormais, ce sont les Foula qui partent le plus. Utilisant les réseaux familiaux établis à Dakar, Banjul, Abidjan et Conakry, les jeunes hommes vont tenter leur chance dans le commerce. Ils reviennent à partir de 25 ans, lorsqu’ils ont réussi. Les aînés des familles restent car la charge de leurs vieux parents et de la concession leur incombe, les autres repartant le plus souvent après avoir construit leur maison et s’être marié. Dans une enquête à Linsan, en préfecture de Lélouma, pourtant dans des densités de population faibles, la moitié des actifs masculins des missidés étaient absents, et de ceux des rundé24.

61L’absence des hommes se traduit par des taux de masculinité très bas : 83% en préfecture de Dalaba, ainsi que dans celle de Labé où la ville ne parvient pas à rééquilibrer les taux très bas de la campagne, 79% à Pita. Mais désormais l’émigration s’est affranchie de ses liens avec la pression démographique. Même les pays faiblement peuplés sont touchés, quelquefois même davantage : 81% en préfecture de Mali, proche de la frontière sénégalaise, mais seulement 74% à Lélouma où, dans certaines sous-préfectures, on tombe à 60%.

62Du coup, les gens âgés sont proportionnellement plus nombreux. Alors qu’en Guinée les plus de 65 ans ne représentent que 4% de la population, ils sont plus de 7% dans le Fouta central et dans certaines sous-préfectures plus de 10%. C’est cette structure par âge et par sexe, et non une propension culturelle particulière qui fait que la polygamie est plus répandue qu’ailleurs en Guinée : ici, près de 40% des hommes mariés sont polygames.

63La natalité est en baisse. Rarement dans tout le Fouta Djallon dépasse-t-elle 40 %, ce qui reste encore considérable. En préfecture de Labé, elle est de 36 %, à Pita de 35 %. Il ne s’agit probablement pas d’un effet de changements de mentalité, quoiqu’une partie des migrants de retour aient pu adopter quelques habitudes citadines, mais plutôt la conséquence de la déstructuration de la société par l’émigration.

64Cette émigration, autrefois temporaire, tend, comme souvent, à devenir définitive. Combinée à une relative baisse de la natalité, elle explique des taux de croissance inférieurs à la moyenne nationale. Entre les deux recensements de 1983 et de 1996, il est un peu inférieur à 2% par an. Mais certaines préfectures sont bien au dessous : Lélouma et Mali ont une croissance inférieure à 1%, Pita, juste de 1,3%. A titre d’exemple, Bantignel qui était en 1955 le canton rural le plus densément peuplé de toute la Guinée a conservé quasiment les mêmes effectifs un demi siècle plus tard.

65 En 1996, la population guinéenne était évaluée à 7 160 000 habitants, en hausse de près de 2 700 000 depuis 1983. Cet accroissement de plus de 3%, mis en parallèle avec la théorie néo-malthusienne dominante, laisse augurer des difficultés considérables sur le plan du développement économique et de la conservation de l’environnement. L’exemple guinéen conduit cependant à nuancer l’inquiétude face aux contraintes démographiques.

66Près des deux tiers de cette croissance ont été absorbés par les villes. Or, dans les villes la modification des comportements démographiques est très sensible. Alors que la politique démographique guinéenne s’est limitée jusqu’à présent à l’amélioration de la santé de la reproduction, la fécondité urbaine a baissé de façon substantielle: à Conakry, l’ISF est tombé de 5,5 enfants par femmes à 4 en l’espace d’une quinzaine d’années. La croissance rapide de la population de la capitale et des centres urbains secondaires laisse supposer la poursuite de cette tendance. L’urbanisation est ici l’élément moteur de la transition démographique.

67Dans les campagnes la question de la pression démographique qui, exprimée de façon très générale, laissait craindre une dégradation de l’envi- ronnement, ne semble pas devoir se poser dans ces termes. Sans revenir au fait que les liens entre ces deux notions sont loin d’être systématiquement démontrés, force est de constater que l’évolution démographique est très contrastée. Ce sont les anciens foyers qui continuent à accumuler leur population. Encore, ces foyers ne connaissent que des densités de population modérées (le plus peuplé, le Fouta Djalon central atteint 60 hab./km2 en comptant la population des villes) et leur croissance, assez inégale, est généralement inférieure à la moyenne nationale. Centrés souvent sur d’anciennes entités politiques, ayant capitalisé sur le temps long des excédents démographiques, identifiés sur le modèle des ethnies majeures du pays, ils restent des réalités fondamentales. A l’inverse, les brousses peu peuplées qui couvrent pourtant un bon tiers du pays, voient leur population stagner ou même diminuer.

68C’est finalement l’inégale répartition de la population qui paraît être la difficulté fondamentale: l’isolement des foyers de peuplement, leur éloignement par rapport à la capitale pose la question de l’intégration territoriale. Certes une ambitieuse politique d’aménagement des grands axes routiers a rendu moins difficiles les communications intérieures, mais elle n’a que peu profité aux villes moyennes jusqu’à présent. Conakry qui rassemble 60% de la population urbaine continue d’écraser la hiérarchie des villes guinéennes. Or, ces déséquilibres échappent aux problématiques néo-malthusiennes : ils dépendent, et cela ne les rend pas plus faciles à corriger, des questions de politiques publiques et d’aménagement du territoire.

Haut de page

Bibliographie

BERTRAND M. et DUBRESSON A., 1997 – Petites et moyennes villes d’Afrique noire. Karthala, Paris, 326 p.

BOTTE R., 1994 – Stigmates sociaux et discriminations religieuses : l’ancienne classe servile au Fuuta Jaloo. Cahiers d’Etudes Africaines, Paris, vol. XXXIV, n° 3, pp. 109-136.

CANTRELLE P. et alii., 1980 – Fécondité, allaitement et mortalité infantile. Différences inter-ethniques dans une même région. : Saloum (Sénégal). Population, Paris, n° 3, pp. 623-648.

DE BRUIJN M. et VAN DIJK H., eds., 1997 – Peuls et Mandingues. Dialectique des constructions identitaires. Karthala, Paris, 286 p.

GUINEE. Ministère du Plan, 1989 – Recensement général de la population et de l’habitat, février 1983. Conakry, Direction Générale de la Statistique.

GUINEE. Ministère du Plan, 1993 – EDS Guinée 1992. Conakry, Direction Générale de la Statistique

GUINEE. Ministère du Plan, 2000 – EDS Guinée 1999. Conakry, Direction Générale de la Statistique, 370 p.

GUINEE. Mission démographique, 1954-1955 – Résultats définitifs de l’étude démographique par sondage. S.l., s.e., 1957.

KEITA M.L., 1999 – Modernité et comportements démographiques en Guinée. CEPED, Paris, 42 p. (Dossiers du CEPED, mai)

LANGANEY A. et alii., 1979 – Démographie sans Etat civil, structure par âges des Mandenka du Niokholo. Population, Paris, n° 4-5, pp. 909-915.

LESTRANGE M.T. de, 1980 – Structures et perspectives des groupes Tenda. In : Tenda 1980. Société des Africanistes, Paris, pp. 105-114. (Mémoires de la Société des Africanistes).

PERSON Y., 1968, 1970 et 1975 – Samori, une révolution dioula. IFAN, Dakar, 3 vol., 2 377 p. (Mémoires de l’IFAN)

RICHARD MOLARD J., 1958 – Les densités de population au Fouta Djalon. Présence africaine, n° 15, pp. 95-106.

ROSSI Georges, dir., 2001 – Atlas infographique de la Guinée Maritime. Ministère de l’Agriculture et de l’Elevage ; Ministère de la Pêche et de l’Aquaculture, Observatoire de la Mangrove, Conakry, 180 p., fig., tabl., 63 cartes, bibliogr..

SURET CANALE J., 1969 – Les origines ethniques des anciens captifs au Fouta- Djalon. Notes africaines, Dakar, n° 123, juillet, pp. 91-92.

Haut de page

Documents annexes

Haut de page

Notes

1- GUINEE. Ministère au Plan, 1989
2- GUINEE. Ministère au Plan, 1993
3- GUINEE. Ministère au Plan, 2000
4- Il s’agit d’un sondage au 1/20ème, remarquable pour l’époque. Résultats définitifs de l’étude démographique par sondage. Guinée 1954-55.
5- La Guinée est subdivisée en 7 régions administratives, 33 préfectures, 340 sous préfectures (dont 38 communes urbaines)
6- Sans philosopher trop longuement, on appellera modernes les nouveaux comportements influencés par les idées et les genres de vie occidentaux.
7- Enquêtes démographiques 1955, op. cit.
8- G. ROSSI, dir;. 2001 - Il l’estime sur la base des décomptes ultérieurs, à un peu plus de 500 000 à cette date (p. 46).
9- BERTRAND M. et DUBRESSON A. , 1997, 326 p.
10- Mais leur situation est très instable. Attaquées par des factions armées, Macenta et surtout Guéckédou ont beaucoup souffert.
11- Il s’agissait de descendance finale.
12- KEITA M. L., 1999.
13- SURET CANALE J., 1969
14- GUINEE, Ministère du Plan, 1999, p. 157.
15- LESTRANGE M.T. de, 1980.
16- DE BRUIJN M. et VAN DIJK H., eds., 1997
17- Sur les structures sociales du pays malinké, voir par ex. PERSON Y., 1968, 1970, 1975 ; sur ses aspects démographiques, LANGANEY A et alii,. 1979.
18- A propos de l’influence ethnique sur les paramètres démographiques, cf. par ex. CANTRELLE P. et alii., 1980.
19- GUINEE. Ministère du Plan, 1999, p. 100
20- GUINEE. Ministère du Plan, 1999, p 110
21- RICHARD MOLARD J., 1958.
22- BOTTE R., 1994.
23- RICHARD MOLLARD J., op. cit.
24- USAID, 1994
Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Jean-Etienne Bidou et Julien Gbéré Toure, « La population de la Guinée – dynamiques spatiales »Les Cahiers d’Outre-Mer, 217 | 2002, 9-30.

Référence électronique

Jean-Etienne Bidou et Julien Gbéré Toure, « La population de la Guinée – dynamiques spatiales »Les Cahiers d’Outre-Mer [En ligne], 217 | Janvier-Février 2002, mis en ligne le 13 février 2008, consulté le 12 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/com/1049 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/com.1049

Haut de page

Auteurs

Jean-Etienne Bidou

Maître de conférences, UFM Poitou-Charentes

Articles du même auteur

Julien Gbéré Toure

Maître de conférences, Université de Konakri

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Search OpenEdition Search

You will be redirected to OpenEdition Search